MARIE EST démobilisée et je l’accompagne à Londres chez ses parents. La vie de WAAF va lui manquer. M. et Mme Rees sont inquiets que leur fille épouse un étranger qu’ils connaissent à peine. Durant ma semaine de congé, je tente de les rassurer en parlant de ma famille, de Montmagny, du Canada.
M. Rees me dit que lui et sa femme ne veulent pas que je me sente obligé de marier leur fille parce qu’elle est enceinte. Je leur dis que nous avons un grand amour l’un pour l’autre et que nous désirons vraiment nous marier. La date du mariage est fixée pour le 6 mai, soit dans 73 jours. Je dois retourner à l’escadrille pour compléter mon tour d’opérations et cela les inquiète. Il me reste encore 10 missions avant que ce tour soit terminé.
Je me suis engagé volontairement dans cette guerre qui s’éternise. Les Russes et les Alliés font des gains sur tous les fronts mais l’Allemagne nazie n’est pas encore vaincue. Notre séparation est déchirante. Marie sait bien que mes chances de terminer mes missions diminuent. Je suis tourmenté par la pensée de ne plus la revoir. Je me fais brave auprès d’elle et je promets que je reviendrai.
Au début du mois de mars, je suis de retour à Tholthorpe. Dès le 6 mars, je retourne au combat avec le sergent Côté et son équipage à titre de mitrailleur arrière.
Le 6 mars, nous participons à des raids sur Trappes, puis le 7 sur Le Mans, en France. Est-ce le présage de l’ouverture tant attendue du deuxième front῀? La traversée de la Manche pour la conquête de l’Europe est-elle pour bientôt῀? Le 22 mars, encore avec le sergent Yvon Côté et son équipage, nous attaquons la ville de Francfort. La traversée de la vallée de la Ruhr est difficile. Nous larguons 15 ballots de bombes incendiaires sur Francfort. Plus de 45 bombardiers sont descendus lors de ce raid et 315 aviateurs y trouvent la mort ou sont faits prisonniers. Le 30 mars, avec l’équipage du lieutenant d’aviation Dupuis, je participe comme mitrailleur arrière à un raid sur Nuremberg, la ville mère des nazis. Est-ce la chance qui me sourit῀? Après deux heures de vol, nous retournons à la base à cause d’une défaillance du système hydraulique. Nous devons nous délester de notre cargaison de bombes dans la Manche, car atterrir sur la piste avec une telle charge se solderait sûrement par la perte de l’avion et de son équipage. Nous l’avons alors peut-être échappé belle, car 14 bombardiers sont abattus et 98 aviateurs sont tués ou faits prisonniers durant ce raid.
Au téléphone, Marie me dit que les préparatifs pour le mariage vont bon train et que sa robe de mariée est achetée. Nous ne voulons plus être séparés l’un de l’autre. Elle va venir à Tholthorpe pour quelques semaines. Avant de partir la chercher, je réserve une chambre chez un couple dans le village de Tholthorpe.
Le 2 avril, Marie et moi revenons à Tholthorpe. Nous nous installons au village. Il n’y a pas de médecin et, si le besoin s’en faisait sentir, nous devrions alors nous rendre jusqu’à York.
Le 9 avril, avec le lieutenant d’aviation Kirk, nous attaquons la gare de Villeneuve-Saint-Georges près de Paris avec une pleine charge de bombes. Onze de nos bombardiers sont alors abattus. Puis le 10 avril, c’est au tour de Gand, en Belgique, de voir nos bombes déferler. Quarante-cinq bombardiers disparaissent lors de cette opération.
Mon salaire d’officier me permet de nombreuses sorties. Marie me fait découvrir les arts. Nous allons au théâtre à York. J’assiste à la représentation d’une pièce de Shakespeare. Je goûte de mieux en mieux la beauté de la langue anglaise. Comme je suis en permission pour deux semaines, nous retournons à Londres. Je me sens à l’aise avec la famille Rees. En compagnie de ma future belle-mère, nous visitons les musées et allons au cinéma. Deux ou trois fois par semaine, nous avons rendez-vous au pub local où se réunissent voisins et connaissances. Les raids de la Luftwaffe paraissent de moins en moins nombreux.
Grace, Marie et moi allons en excursion près de Colchester au bord de la Tamise où des amies de Grace sont en service. Elles font partie d’une escouade qui s’occupe des ballons captifs protégeant le port de Londres. Ces ballons sont retenus à la terre par des câbles d’acier. Les filles les hissent à plusieurs milliers de pieds d’altitude dans le but de créer des obstacles pour les chasseurs et les bombardiers allemands qui s’approchent du port. Il y en a des centaines en bordure de la Tamise. Durant le gonflement d’un ballon, je demande la permission de monter sur la toile pour une ascension de quelques pieds. Cette demande bizarre de la part d’un officier les surprend.
—῀῀Seulement à quelques pieds du sol, que je leur demande. Marie, viens avec moi.
—῀῀Gill, tu oublies que tu es un officier.
—῀῀C’est pourquoi je veux le faire. Les filles ne peuvent pas me refuser ça.
—῀῀Je n’irai pas. J’ai trop peur.
À ce moment, Grace intervient῀:
—῀῀Gill, tu ne peux pas y aller. Maman serait en furie si elle apprenait ça, car un officier de Sa Majesté ne fait pas ce genre de choses.
Je laisse tomber. Les Anglais sont très chatouilleux lorsqu’il s’agit du rang social. Un officier de la famille ne se conduit pas de cette façon. Dommage, car ce ballon captif aurait fait comme un oreiller géant se berçant au gré des vents. Avec Marie, c’eût été un douillet matelas pour une aventure amoureuse entre ciel et terre.
Nous retournons à Tholthorpe pour vivre ensemble chez les Barnett. Marie prend ses repas chez ce couple et je mange au mess des officiers. Lors de marches dans le village, mes compagnons n’hésitent pas à faire la cour à Marie et lui chantent Marie, My heart is broken. Ils me tiennent responsable de leur peine. Elle est si belle et si souriante. Il me plaît de les voir ainsi malades d’amour.
La chambre chez les Barnett est confortable. Une fillette de six ans est la compagne de Marie durant le jour. Le 27 avril, je retourne au combat avec l’équipage du lieutenant d’aviation Dupuis, pour un raid sur les cours de triage d’Aulnoye en France. Puis, le 30, c’est avec le commandant Leconte que je vole sur Somain en France. Marie retourne à Londres. Le jour de notre mariage approche.
Le 1er mai, je pars en mission avec le capitaine d’aviation Van Exan DFC[37] et son équipage dans le Halifax LW672. J’occupe pour la première fois le poste de mitrailleur supérieur lors d’un raid sur les cours de triage de Saint-Ghislain en France. Il est de plus en plus évident que l’invasion aura lieu bientôt, car les stratèges augmentent la fréquence des raids sur la France.
Je quitte Tholthorpe pour Londres. Mon mariage aura lieu dans cinq jours. Afin de ne pas gêner les préparatifs, je reste à l’hôtel Maple Leaf. Grace est en congé. Les jumelles sont tellement complices dans tout ce qu’elles font que j’ai l’impression que je vais marier les deux. Derniers essais de la robe, invitations, préparation de la nourriture, tout se fait dans le flegme le plus anglais. M. Rees voudrait bien sacrifier quelques poules pour le repas, mais il ne sait pas comment s’y prendre. Yvon Côté, qui a accepté d’être mon témoin, est à l’hôtel Maple Leaf avec moi.
—῀῀J’ai la solution, de dire Yvon. Henri, notre opérateur radio, est fils de fermier et il va régler le problème de ton beau-père.
Sitôt dit, sitôt fait. Dans la cour arrière du 13, Highbury New Park, Henri fait un vrai tour de magie. Il égorge les trois poules, les saigne, les ébouillante et les vide de leurs viscères. Presto, elles sont présentées à M. Rees, peaux blanches et nues. Ma belle-mère, Grace et Marie ne sont pas témoins du massacre.
Le mariage a lieu à 15 h 30 dans la chapelle catholique de St. Joan of Arc à Kelross Road, Highbury Barn, devant plus de 50 invités. M. Rees accompagne sa fille et Yvon Côté, nouvellement officier, est mon témoin. À la sortie, les invités nous submergent de confettis. Le ciel est courroucé et fait des siennes. Quelques grains de grêle, de la pluie, des éclairs et des coups de tonnerre suivis finalement d’un arc-en-ciel marquent le début de notre union. Est-ce un présage de notre avenir à deux῀?
La réception a lieu au 13, Highbury New Park et je fais la connaissance des parents et des amis de la famille Rees. Beaucoup de cousins sont en service militaire un peu partout dans l’Empire. Nous recevons des lettres et des télégrammes de félicitations dont un de Papa et de ma famille.
La réception est superbe. La salade au poulet est des plus réussies. Marie est resplendissante dans sa robe blanche. Elle est comblée d’attentions et de souhaits. Elle est fière de présenter son mari officier, et particulièrement heureuse de me faire rencontrer le jovial oncle Bill, frère de son père. Contrairement aux habitudes anglaises, je fais la bise aux femmes qui trouvent mon geste tout à fait french῀!
Mes compagnons de l’escadrille des Alouettes sont accueillis comme des vedettes. Plusieurs invités parlent français et sont heureux de converser avec les gars. Marie est. Plusieurs également ont perdu des frères, des amis, des fiancés et des maris depuis le début de la guerre.
Ce soir, nous partons en voyage de noces. Nous prenons le train pour la ville de Windsor, lieu de résidence du roi et de la reine.