Les dessins de Vasnetsov révèlent le trait caractéristique de son talent : la capacité de revivre encore et encore la « sensation de l’intérêt », s’exprimant dans une fixité particulière du regard et la pureté de la vision, lorsque l’on croit découvrir le monde pour la première fois. Il y a toujours dans cette découverte du monde une pointe d’étonnement, une naïveté du regard qui croit à ce qu’il voit, comme cela arrive dans l’enfance. Ceci caractérisait notamment le livre de Vasnetsov Le Marécage réalisé en collaboration avec l’écrivain Vitali Bianki. La vie mystérieuse, mouvante, du monde des marécages apparaît dans tous ses détails, avec beaucoup de relief, comme sous un verre grossissant. On estime à juste titre que Le Marécage de Vasnetsov est sa première grande réussite sur ce terrain, nouveau pour lui. Cette œuvre a montré l’attrait du peintre pour des solutions picturales saturées et des gammes de couleurs exhaustives.
Dans la réalisation d’un grand nombre de ses livres, Ermolaïeva a travaillé en étroite collaboration avec les poètes du Groupement d’art réel : Alexandre Vvedenski, Nikolaï Zabolotski, Nikolaï Oleïnikov. L’esprit d’invention et l’humour qui caractérisent ses dessins se sont manifestés avec éclat dans l’illustration Ivan Ivanovitch le Samovar de Kharms. A travers une succession d’images Daniil Kharms brosse le tableau du thé familial dans lequel le rôle principal revient à un gros samovar ventru qui fait l’important et qui maigrit à la fin de cette cérémonie. Dans son dessin laconique et précis, soulignant les détails caractéristiques, Ermolaïeva parvient par son style à retrouver celui de Kharms, le rythme ludique et les intonations de ses vers :
On penchait, on penchait,
On penchait le samovar
Mais n’en sortait, n’en sortait
Qu’un jet de vapeur, peur, peur.
On penchait le samovar
Comme une armoire, moire, moire,
Mais n’en sortait, n’en sortait
Qu’une goutte par heure, heure, heure.
Ermolaïeva avait un don d’observation inépuisable. Les choses et les phénomènes les plus ordinaires de la vie quotidienne devenaient souvent des sujets de ses illustrations. Voici comment le peintre Sterligov se souvenait de cette particularité : « Un jour, dans les années vingt, nous descendions l’escalier en sortant de chez les Ender[69], où se réunissaient des poètes, des écrivains, des peintres Zabolotski, Matiouchine, Kharms, et d’autres. Vera Mikhaïlovna, s’appuyant sur ses béquilles[70], était sortie la dernière, et moi juste avant elle. Soudain, elle me dit : « Regardez, regardez, comme elle remue ses moustaches, tchouf, tchouf ! »
Dans une petite niche près de la porte se trouvait une brosse pour nettoyer les verres de lampes, rien d’autres. Tout le monde était passé devant sans y prêter attention, mais Vera Mikhaïlovna avait remarqué que la brosse était tout à fait vivante. Quelques années plus tard, j’ai vu cette brosse dans le personnage du gentil petit vieux du Ivan Ivanovitch le Samovar de Kharms, je l’ai reconnue aussitôt. C’est ainsi que pour l’art, Vera Mikhaïlovna puisait dans la vie ce qui restait inaperçu aux autres[71]. » Très souvent, l’idée d’un nouveau livre était émise non pas par l’écrivain, mais par le peintre. En été 1930, Ermolaïeva voyagea au bord de la mer de Barents. Les gouaches de Ermolaïeva qui en sont nées ont à tel point impressionné Vvedenski qu’elles donnèrent naissance à l’un des plus beaux livres qu’ils créèrent ensemble : Les Pêcheurs.
L’épanouissement de l’art du livre dans les années vingt et le début des années trente, lié, à Moscou, à l’activité de Vladimir Favorski et, à Leningrad, au groupe de peintres conduit par Vladimir Lebedev, a apporté au livre russe une large reconnaissance mondiale.