En 1918 fut fondé à Petrograd un institut décoratif avec divers ateliers de production : affiches, décors de théâtre, art d’agitation de masse, etc. Le directeur de cet institut était Iossif Chkolnik, peintre et décorateur de théâtre. De grands peintres venaient travailler périodiquement dans les ateliers : Nathan Altman, Vladimir Kozlinski, les peintres de l’école de Matiouchine. Nous avons reproduit des plateaux réalisés dans les ateliers de l’institut. L’usine de porcelaine de Leningrad était un autre centre d’art appliqué. Les successeurs de Malevitch, Nikolaï Soutine, Ilia Tchachnik et, plus tard, Anna Leporskaïa, vinrent y travailler.

La porcelaine peinte par eux selon les principes suprématistes fit époque dans la vie de l’usine. En 1923 déjà Mikhaïl Matiouchine constatait : « Malevitch a un succès énorme, son élève (Nikolaï Soutine — E. K.) a introduit dans la vaisselle (fabrication de porcelaine) la forme suprématiste. A Moscou, la vente est colossale. Je me réjouis énormément de ce succès. Cela infirme les odieuses insinuations selon lesquelles l’art de gauche serait incapable de s’intégrer dans la vie[74]. » Parmi les œuvres reproduites dans ce livre il faut noter la porcelaine suprématiste de Kasimir Malevitch, Nikolaï Soutine, Ilia Tchachnik, une assiette rare de Vladimir Tatline le Tsarevitch, la peinture sur porcelaine de Sergueï Tchekhonine, Alexandra Chtchekatikhina-Pototskaïa et Nikolaï Lapchine.

 

 

L’Avant-Garde arrêtée dans son élan

 

L’intérêt que l’on porte à l’avant-garde russe dans le monde depuis plusieurs décennies ne se tarit pas. Cela s’explique pour beaucoup par le sort tragique de l’art russe des années vingt et trente.

L’art russe s’est assuré au début du siècle une solide position dominante dans le monde. Il a donné naissance à des idées nouvelles et à des problèmes plastiques nouveaux, qui conduisaient les peintres vers des horizons encore inexplorés. Picasso, sans se heurter à des obstacles, faisait tout ce qu’il pouvait et tout ce qu’il voulait. L’œuvre des peintres russes, elle, est restée inachevée. L’impétueux élan fut brisé, les grandes initiatives abandonnées à mi-course. Et c’est précisément ce potentiel de projets non réalisés, de problèmes non résolus qui attirent les peintres, les chercheurs et simplement les amoureux de l’art. Si le malheur n’avait pas frappé l’avant-garde russe, l’art mondial, peut-être, aurait suivi un tout autre chemin. Plusieurs générations n’ont connu de l’art russe des années vingt et trente qu’un tableau appauvri, finalement dénaturé, qui pendant de longues années fut présenté dans les salles des musées de Moscou et de Leningrad, aux expositions rétrospectives.