L’Orient et l’Occident
Au début du ier siècle apr. J.-C., l’Empire romain comprend toutes les terres entourant la Méditerranée. Sur tous ces territoires, que ce soit en Europe, en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient, les premiers chrétiens ont subi de terribles persécutions en raison de leur foi, jusqu’à ce qu’en en 313, sous le règne de l’empereur Constantin, l’Édit de tolérance autorise le culte chrétien dans tout l’Empire. À la fin de ce premier siècle, le christianisme est devenu la religion pratiquement universelle de tout le monde romain.
Le mot « catholique » signifie universel et a servi à décrire l’Église chrétienne originale. C’est une église universelle et les fidèles peuvent voyager librement d’un bout à l’autre de la chrétienté. Des dizaines de milliers de pèlerins se rendent en Orient pour visiter les lieux saints et obtenir la bénédiction de moines et d’autres ascètes. « Non seulement les habitants de notre partie du monde affluent », écrit le moine syrien Théodoret de Cyr (393-466) dans son Historia religiosa, « mais également les Ismaélites, les Perses, les Arméniens qui leurs sont soumis, les Ibères, les Homérites, et même des hommes qui viennent de plus loin. Sont ensuite venus de nombreux habitants d’Extrême-Occident, des Espagnols, des Bretons de Grande-Bretagne et des Gaulois qui vivaient entre ces deux peuples. Inutile de dire que d’Italie aussi. »
Dans cet Empire romain déjà universel, le christianisme ajoute une nouvelle dimension unitaire entre les diverses cultures locales. Les conceptions et images chrétiennes sont partagées de la Tamise au Nil, en passant par le Rhône et l’Euphrate. On n’oublie cependant pas le passé. Les souvenirs des dieux païens hantent toujours les temples transformés en églises. Les tombes et autres lieux de pèlerinage préservent souvent, sous une forme chrétienne, les croyances et pratiques immémoriales d’une région. En ces premiers temps, la seule trace de divergence entre l’Orient et l’Occident est illustrée par les disputes à propos de la nature divine de Jésus-Christ.
Les pèlerinages sont une pratique que l’on retrouve dans toutes les religions du monde, bien que, dans le christianisme, il y ait toujours eu une critique sous-jacente de l’idée de lier la foi à un lieu ou à une chose. Jésus l’a lui-même formulée à la femme de Samarie souhaitant savoir où elle devait prier : « L’heure vient que vous n’adorerez le Père ni sur cette montagne ni à Jérusalem… Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité » (Évangile selon saint Jean 4 : 19-24). En outre, pendant les trois premiers siècles de son existence, le christianisme a subi des persécutions et partir en pèlerinage n’est alors pas facile ni sans danger.
Mais, même s’ils craignent pour leur vie, les chrétiens sont partis dès le départ en pèlerinage. Au début du iie siècle, « une grotte de la nativité » est exposée en Terre sainte. On aime visiter des sites associés à la vie et à la mort de Jésus. Le judaïsme offre cette dimension, avec des mémoriaux en l’honneur des héros et des saints. Mais les chrétiens ont cet intérêt particulier pour les tombeaux et les cadavres, impurs pour les juifs, mais qui symbolisent l’espoir aux yeux des chrétiens, car le mort ne fait que dormir dans l’attente de sa résurrection. En attendant, il est donc légitime de garder précieusement les os ou la poussière des martyrs morts pour leur foi et déjà au paradis. Lorsque saint Polycarpe est brûlé vif à Smyrne en 155, sa dépouille est activement recherchée. À Carthage, en 258, la dernière chose que saint Cyprien a vue, ce sont des haillons que les fidèles lui ont jetés pour éponger son sang de martyr décapité.
L’essor des pèlerinages remonte à la fin des persécutions, suite à l’Édit de tolérance de Constantin publié en 313. L’impératrice Hélène, la propre mère de l’empereur, donne le ton en visitant la Terre sainte en 326-328. Le fait que ce soit une femme est très caractéristique des pèlerinages car, dans les sociétés païennes, la valeur des femmes dépend presque exclusivement de leur réussite en tant que génitrices. Mais, une fois légitimé par Constantin, le christianisme offre aux femmes une forme de libération à plus d’un titre, entre autres parce qu’elles ont ainsi une excuse pour partir longuement en voyage.
Cette fresque du viiie siècle montre Hélène et Constantin avec la Vraie Croix.
Tandis que sa mère se rend d’un site à un autre, Constantin ordonne et finance la construction d’églises pour la célébration des événements importants de la croyance chrétienne. À Bethléem, Constantin fait bâtir l’église de la Nativité et, à Jérusalem, l’église du Saint-Sépulcre à l’endroit, découvert par Hélène, où Jésus a été enterré, puis est réapparu le troisième jour.
Mais ni Constantin, ni Hélène, ni les pèlerins venus par la suite ne se sont intéressés aux monuments juifs de Jérusalem, dont aucun n’a été restauré. En 333, après la visite d’Hélène, un pèlerin remarque que deux statues de l’empereur Hadrien sont présentes dans la zone du temple et qu’à proximité figure une pierre au niveau de laquelle les juifs viennent prier. Mais le Mont du Temple n’a que peu de signification pour les chrétiens. Bien qu’une chapelle ait été construite à l’extrémité sud de la plateforme, le Mont n’est pas le théâtre de beaucoup de constructions pendant l’ère chrétienne.
La quête de reliques : du Saint Prépuce au Saint-Graal Pour le collectionneur de reliques, Jésus et sa mère, la Vierge Marie, sont une source de déception. Contrairement aux saints brûlés ou décapités, leur corps est monté au ciel et ils n’ont donc rien laissé derrière eux. Enfin, pas tout à fait. Elle a laissé son lait et des mèches de cheveux, ces éléments ayant été très vite identifiés et enchâssés en tant que reliques. On a également découvert que Jésus est monté au ciel sans son prépuce. Selon la tradition juive, il a été circoncis à l’âge de 8 jours et son prépuce s’est retrouvé dans les mains de Marie-Madeleine, qui l’a donné à Jean-Baptiste. Pour résumer, le prépuce, ou Saint Prépuce, est désormais possession du Vatican ou de l’une des dix-sept églises, en Europe, qui affirment le détenir. Mais, si les restes de Jésus ont été rares à une époque, il n’en est rien depuis l’apparition de nombreuses reliques censées être les siennes. Là encore, c’est l’impératrice Hélène qui a été la première sur les lieux, lorsqu’elle a déterré la Vraie Croix sur laquelle Jésus a été crucifié. Parmi les autres reliques figurent la Sainte Lance qui a transpercé le flanc de Jésus alors qu’il était sur la croix, le suaire de Turin dans lequel son corps a été enveloppé lorsqu’il a été décroché de la croix, et le Saint Calice dans lequel il a bu lors de son dernier repas, parfois désigné sous le terme de Saint-Graal. |
La circoncision de Jésus, par le peintre allemand Friedrich Herlin, 1466.
L’immensité et la diversité de l’Empire romain, ainsi que les menaces militaires auxquelles il fait face sur la frontière Rhin-Danube à l’ouest et l’Euphrate à l’est, le rendent difficile à administrer. La solution de Constantin est d’établir une nouvelle capitale impériale dans la ville antique de Byzance, située sur le Bosphore et point de convergence stratégique entre l’Europe et l’Asie. Après avoir embelli la ville et agrandi ses remparts, il dédit Nova Roma, comme il surnomme Byzance, à Jésus-Christ, en 330, même si elle devient vite connue comme la ville de Constantin, Constantinople.
L’année 395 marque une évolution plus radicale et l’Empire romain est officiellement divisé en un empire occidental dirigé depuis Rome et un empire oriental administré depuis Constantinople. La culture et la langue grecques se réaffirment de plus en plus au sein de l’Empire romain oriental, lequel, avec ses fondations chrétiennes, a poussé les historiens de l’ère moderne à le baptiser Empire byzantin. Mais, bien après la chute de Rome face à l’invasion barbare en 476, tout au long de sa lutte contre l’islam au Moyen Âge et jusqu’à la fin quand Constantinople tombe aux mains des Ottomans en 1453, les empereurs et leurs sujets de l’Est se considèrent comme des Romains et parlent de l’Empire romain pour désigner leur empire.
L’arianisme, l’une des plus grandes hérésies des débuts du christianisme, du nom d’Arius, prêtre d’Alexandrie au début du ive siècle.
C’est aussi à Constantin que les empires chrétiens doivent leur orthodoxie. À peine toléré, le christianisme se retrouve menacé par des schismes. Les divergences ne portent pas sur le caractère divin de Jésus, lequel est presque universellement admis, mais sur la nature de cette divinité. Pendant le règne de Constantin apparaît la première grande hérésie, l’arianisme, qui tient son nom d’un prêtre d’Alexandrie, Arius.
Arius affirme que, dans la mesure où Jésus est le fils de Dieu, il est donc assurément plus jeune que Dieu. Ce principe séduisant met en avant la nature humaine de Jésus. Mais Athanase, lui aussi évêque d’Alexandrie, voit un danger dans cette vision des choses. Si Jésus est plus jeune que Dieu, il s’est donc trouvé une époque où Jésus n’existait pas. Ce principe remet en cause l’unité de la trinité (le Père, le Fils et le Saint-Esprit) et incite à considérer que Jésus n’est pas fait de la même substance que Dieu. Avec le temps, Jésus risque d’être simplement perçu comme un homme bien, comme les unitariens et les musulmans le considèrent aujourd’hui, tandis que Dieu devient moins accessible et plus distant. Athanase avance comme contre-argument qu’il est impossible de distinguer le Christ de Dieu puisqu’ils sont faits de la même substance.
En voyant les chrétiens de son empire divisés entre les arguments d’Arius et ceux d’Athanase, Constantin convoque, en 325, le premier concile de l’Église à Nicée, non loin de sa future capitale de Nova Roma. Deux cent vingt évêques y assistent, venant d’Égypte et de Syrie à l’est et d’Italie et d’Espagne à l’ouest. Les points de vue des partisans d’Arius et ceux d’Athanase avancent le caractère divin de Jésus-Christ. Lorsque les évêques tranchent la question en votant à bulletin secret, c’est la vision d’Athanase qui l’emporte par 218 votes contre 2. Ce Credo de Nicée est donc devenu la position officielle de l’Église universelle et demeure aujourd’hui le Credo des Églises romaine et orthodoxe.
Le Credo de Nicée Voici le texte du Credo rédigé lors du concile de Nicée en 325. Le dernier paragraphe, qui n’est pas repris dans toutes les traductions, est spécialement destiné aux Ariens. Je crois en un seul Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible. Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles : il est Dieu, né de Dieu, lumière, né de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu. Engendré non pas créé, de même nature que le Père ; et par lui tout a été fait. Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel ; par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme. Crucifié pour nous sous Ponce Pilate, il souffrit sa passion et fut mis au tombeau. Il ressuscita le troisième jour, conformément aux Écritures, et il monta au ciel ; il est assis à la droite du Père. Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts et son règne n’aura pas de fin. Je crois en l’Esprit-Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie ; il procède du Père et du Fils. Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire ; il a parlé par les prophètes. Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique. Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés. J’attends la résurrection des morts, et la vie du monde à venir. Amen2 Pour ceux qui disent : « Il fut un temps où il n’était pas » et « Avant de naître, il n’était pas » et « Il a été créé du néant », ou qui déclarent que le Fils de Dieu est d’une autre substance ou d’une autre essence, ou qu’il est soumis au changement ou à l’altération, l’Église catholique et apostolique les déclare anathèmes. |
C’est pendant le règne de l’empereur byzantin Héraclius Ier (610-641) que se déroule l’événement central de l’histoire de l’islam : Mahomet, ancien commerçant caravanier, trouve refuge à Médine après avoir été rejeté de La Mecque. Cet événement est désigné sous le nom de hijra (exil, rupture) et date de 322 apr. J.-C., il marque le début du calendrier musulman. Mais Héraclius est plus préoccupé par les Perses qui, pendant les dix premières années de son règne, ont menacé considérablement son empire.
La religion d’État des Perses est le zoroastrisme et son expansion s’est toujours caractérisée par une persécution du christianisme. Antioche tombe aux mains des Perses en 611, Damas en 613, Jérusalem en 614 et Alexandrie en 619. En outre, après avoir massacré 67 000 habitants chrétiens de Jérusalem, les Perses partent avec la Vraie Croix, relique la plus précieuse de la chrétienté. Cet événement transforme la campagne de 622 d’Héraclius contre les Perses en véritable croisade. En 627, alors qu’Héraclius s’enfonce en Perse, son roi est renversé par une révolution et son successeur sollicite la paix. Les provinces orientales de Byzance reviennent au sein de l’Empire et la Vraie Croix retourne à Jérusalem.
Mais les Byzantins sont épuisés par leur victoire et les Perses par leur défaite lorsque la guerre fait son retour. Cette fois-ci, c’est l’armée d’Omar, adepte arabe de la nouvelle religion (l’islam), qui décrète en 633 un djihad, guerre sainte islamique, contre l’Empire byzantin. Mahomet est décédé l’année précédente et les Byzantins, ne connaissant absolument rien à l’islam, pensent à tort qu’il s’agit d’un réveil de l’arianisme, hérésie chrétienne dépréciant la divinité de Jésus, qu’ils ne considèrent pas comme une grande menace. Ils ne se rendent donc pas compte qu’une force militaire conséquente constituée de Bédouins approche.