Réponse à Bickerstaff
Quelques réflexions
sur les prédictions de M. Bickerstaff
pour l'année MDCCVIII
par une personne de qualité
Je ne connais pas de papier insignifiant qui, dans ces dernières années, ait fait plus de bruit, ou ait été acheté avec plus d'avidité que ces prédictions. Elles sont l'étonnement du vulgaire, l'amusement des gens au-dessus du commun, et la risée des hommes éclairés ; pourtant, parmi ces derniers, j'en ai vu plusieurs fort en doute de savoir si l'auteur avait voulu tromper les autres ou s'était trompé lui-même. Quoi qu'il en soit, il paraît avoir combiné sa brochure avec beaucoup d'art, de façon à plaire à la canaille et à divertir les gens de condition. L'écrivain est, sans contredit, un homme d'esprit et de savoir, quoique le morceau semble écrit dans un accès de gaieté subite, avec la pensée dédaigneuse du plaisir qu'il aura à jeter cette grande ville dans l'étonnement à propos de rien ; et je ne doute pas que lui et ses amis qui sont dans le secret ne rient souvent et de tout cœur dans un coin, à l'idée des cent milliers de dupes qu'ils ont déjà faites. Et il les tient pour quelque temps, car cela durera vraisemblablement jusqu'à ce que ses prophéties commencent à être démenties par les événements. C'est même une grande question de savoir si la non-réalisation des deux ou trois premières désabusera suffisamment nos gens pour les empêcher d'attendre l'accomplissement du reste. Je ne doute pas que des milliers de ces papiers ne soient gardés avec soin par autant de personnes, pour les confronter avec les événements, et vérifier si l'astrologue indique exactement le jour et l'heure. Et je tiens ceux-ci pour les dupes préférées de M. Bickerstaff, pour lesquelles il a principalement écrit son badinage. En attendant, il a sept semaines de bon, durant lesquelles le monde va rester en suspens ; car il faut que tout ce temps s'écoule avant la mort du faiseur d'almanachs qui est sa première prédiction ; et si ce drôle se trouve être un nigaud impressionnable et hypocondriaque, ou qu'il ait quelque foi dans son art, la prophétie peut s'accomplir de tout point, par des moyens très naturels. C'est ainsi qu'une personne de ma connaissance, qui avait eu à se plaindre d'un mercier de la ville, lui écrivit une lettre, d'une main inconnue, pour l'avertir qu'on avait pris ses mesures pour mettre dans sa boisson un poison lent qui le tuerait infailliblement en un mois ; sur quoi notre homme commença tout de bon à languir et dépérir, par un pur effet d'imagination, et serait certainement mort, si on n'eût pris soin de le désabuser avant que la plaisanterie n'allât trop loin. Le même résultat sur Partridge servirait merveilleusement la réputation de M. Bickerstaff pendant quinze jours de plus, jusqu'à ce qu'on apprît de France si le cardinal de Noailles était mort ou en vie le 4 avril, ce qui est la seconde de ses prédictions.
Pour un morceau si négligemment écrit, les observations sur l'astrologie sont raisonnables et pertinentes, les remarques justes ; et comme le papier est, selon moi, une satire dirigée contre la crédulité du vulgaire et cette frivole démangeaison de soulever le voile de l'avenir, nous n'avons là que ce que nous méritons tous. Et puisque nous sommes condamnés à entendre crier perpétuellement par les rues des choses étranges et merveilleuses, je suis bien aise de voir un homme de sens et de loisir être d'humeur à prendre en main ce métier pour son divertissement et pour le nôtre. Comme on dit à la ville, c'est une attrape : sa plaisanterie a pleinement réussi et il peut être satisfait.
J'approuve très fort l'air sérieux qu'il prend dans son introduction et dans sa conclusion, et qui a été jusqu'à persuader à des gens d'un rang qui est loin d'être médiocre, que l'auteur se croit lui-même. Il nous dit qu'il « engage tout le crédit de son art sur la vérité de ces prédictions, et permet à Partridge et au reste de sa bande de le conspuer comme un fripon et un imposteur, s'il se méprend sur aucune particularité » ; avec quelques autres phrases du même genre, auxquelles je crois parfaitement, convaincu qu'il lui est fort indifférent qu'Isaac Bickerstaff soit ou ne soit pas montré au doigt. Mais il paraît, quoiqu'il ait marié un vieux nom de famille à un nom de baptême fort peu commun, qu'il s'est trouvé dans cette grande ville un homme pour signer ces deux noms, mais non pas la brochure, je suppose.
Ce n'a pas été, je pense, une petite mortification pour cet amateur astrologue, ainsi que pour son libraire, de voir leur publication, dont l'impression et le papier étaient tolérables, devenir immédiatement la proie de trois ou quatre imprimeurs interlopes de Grub Street ; le titre farci d'un résumé de la matière, avec les épithètes classiques d'étrange et merveilleux ; le prix, qui dans la nouveauté n'était que de deux sous, abaissé de moitié, et hurlé par des colporteurs de bas étage avec la cadence finale de « ça ne se vend qu'un sou ». Mais sic cecidit Phæton1 ; et, pour le consoler un peu, je lui dirai que cette production de moi aura la même destinée : demain j'aurai les oreilles écorchées par les petits garçons et petites filles en chapeaux de paille, et je subirai cent fois la mortification de me voir offrir mon propre ouvrage au rabais. Puis, ce qui est bien pis, ma connaissance du café me demandera si j'ai vu la « réponse aux prédictions du squire Bickerstaff », et si je connais le faquin qui l'a écrite ; et garder sa contenance dans une telle conjoncture, n'est pas chose aisée. En pareil cas, lorsque vous voyez un homme éviter de louer et de condamner, prêt à détourner le sujet, se tenant aussi peu que possible en pleine lumière pour cacher sa rougeur, feignant d'éternuer ou de prendre du tabac, ou d'être forcé de partir par une affaire subite, alors observez-le de près, regardez-le dans les yeux, voyez si son langage est contraint ou affecté, puis attaquez-le soudain, ou parlez bas et souriez, et vous aurez bientôt découvert s'il est coupable. Quoique j'aie l'air de m'écarter de mon sujet, je ne crois pas le faire ; car je me trompe fort si je ne connais pas le véritable auteur des prédictions de Bickerstaff, et si je ne l'ai pas rencontré il y a quelques jours dans un café de Covent Garden.
Quant à ce qui est des prédictions elles-mêmes, je n'entrerai pas dans leur examen ; mais je crois qu'il importe fort au savant M. Partridge de les prendre en considération, et de mettre sur le compte de M. Bickerstaff autant d'erreurs d'astrologie que possible. Il est en droit, je pense, de sommer le squire de publier le calcul qu'il a fait de la nativité de Partridge, et sur la foi duquel il annonce si positivement l'époque et le genre de sa mort ; et M. Bickerstaff ne saurait moins faire, en honneur, que de fournir à M. Partridge le même avantage de calculer la sienne, en lui envoyant la note de l'époque et du lieu de sa naissance, avec les autres particularités nécessaires pour un tel travail. Par suite de quoi, sans aucun doute, le monde savant s'engagera dans la dispute, et prendra parti de côté ou d'autre suivant son inclination.
Je conseillerais également à M. Partridge de demander pourquoi M. Bickerstaff n'a pas fait une seule prophétie dont l'accomplissement ne soit de deux mois postérieurs à la publication de sa brochure. Cela a l'air un peu suspect : on dirait qu'il veut tenir le monde en haleine aussi longtemps qu'il le peut décemment ; sans quoi, il serait difficile à croire qu'il n'ait pu nous faire une seule prédiction d'ici au 29 de mars : ce qui n'est pas jouer d'aussi franc jeu que M. Partridge lui-même et ses confrères, qui nous donnent leurs prédictions (telles quelles, il est vrai) pour chaque mois de l'année.
Il est dans la brochure de M. Bickerstaff un passage qui dénote une assurance comme j'en ai peu vu ailleurs. C'est cette prédiction pour le mois de juin, relative aux Prophètes français de cette ville, et où il nous dit : « qu'ils se disperseront entièrement lorsqu'ils auront vu venir l'époque où leurs prophéties auraient dû s'accomplir, et seront désabusés par des événements contraires ». Sur quoi il s'étonne avec raison « qu'aucun fourbe soit assez niais pour prédire à si courte échéance, alors que fort peu de mois doivent découvrir l'imposture à tout l'univers ». Cela est dit d'un air de grande indifférence, comme pour nous faire croire qu'il n'a pas la moindre appréhension que dans deux mois il lui en arrive autant. Quant à ce gentleman, je ne me souviens pas d'avoir jamais vu un si plaisant raffinement d'impudence, et j'espère que l'auteur ne prendra pas ce mot pour une incivilité, convaincu que je suis d'entrer dans son idée et de prendre la chose comme il a voulu qu'elle fût prise. Cependant, il mérite bien quelques reproches pour avoir écrit avec tant de dédain et de mépris pour l'intelligence de la majorité.
Au mois de juillet, il nous parle d'un « général qui, par une action glorieuse, recouvrera la réputation que lui avaient fait perdre d'anciens malheurs ». Cela est généralement compris comme ayant trait à lord Galway, et s'il est déjà mort, comme quelques gazettes l'annoncent, M. Bickerstaff a commis une bévue. Mais je n'insiste pas sur ce point, car ce serait jouer de malheur que de ne pouvoir trouver un autre général dans la même situation, auquel cette prédiction pourrait aussi bien s'appliquer.
La mort du roi de France est très formellement annoncée ; mais il n'est pas heureux de le faire mourir à Marly, où il ne va jamais en cette saison, comme je l'ai observé moi-même durant les trois années que je passai dans ce royaume ; et d'après la conversation que j'eus il y a quelques mois avec M. Tallard, sur la cour de France, je vois que le roi ne va jamais à Marly, pour si peu que ce soit, que vers la saison où l'on y chasse à courre, ce qui n'est qu'en août. De sorte que c'est là une fâcheuse bévue de M. Bickerstaff, faute de connaître assez l'étranger.
Il conclut en renouvelant sa promesse de publier des prédictions entières pour l'année prochaine, ce dont les autres astrologues n'ont pas besoin de se mettre fort en peine. Je suppose que nous les aurons à peu près à la même époque que « l'Histoire générale des oreilles ». Je crois que nous en avons fini pour toujours avec lui en ce genre, et sans être astrologue, je puis m'aventurer à prédire qu'Isaac Bickerstaff est mort à l'heure qu'il est, et qu'il est décédé juste au moment où ses prédictions étaient prêtes pour l'impression ; qu'il est tombé des nues il y a environ neuf jours, et qu'environ quatre heures après il est remonté comme une vapeur, et en redescendra peut-être, un jour ou l'autre, lorsqu'il aura quelque nouveau, agréable ou amusant badinage à faire avaler à la ville ; ce à quoi il réussira, cela est fort probable, aussi souvent qu'il sera disposé à en faire l'épreuve, c'est-à-dire aussi longtemps qu'il pourra garder un parfait mépris pour son temps et pour l'intelligence des autres, et qu'il sera résolu à ne pas prendre moins d'un million de gens pour objet de ses sarcasmes.