En ce début du XXIe siècle, comme durant le XXe siècle, la Renaissance continue de susciter les écrits d’historiens qui en sont pour la plupart, même si c’est parfois avec des réserves, les laudateurs. Afin de rappeler leurs interprétations et leurs jugements, j’ai essentiellement retenu les approches de Paul Oskar Kristeller, Eugenio Garin, Erwin Panofsky, Jean Delumeau et, en 2011, Robert C. Davis et Elizabeth Lindsmith1.
L’œuvre principale de Paul Oskar Kristeller est Studies in Renaissance Thought and Letters, publié à Rome en 1956. Cette étude considérable est principalement centrée sur l’humanisme, mais étend sa perspective à l’ensemble des productions littéraires et artistiques de ce que, à la suite de Michelet et Burckhardt, Kristeller appelle « Renaissance ». Elle s’intéresse aussi aux rapports entre Moyen Âge et Renaissance.
Kristeller consacre une grande partie d’un premier volume à l’un des grands « humanistes » du XVe siècle : Marsilio Ficino (1433-1499), que nous appelons Marsile Ficin. Il évoque une organisation de la production artistique et littéraire nouvelle, semble-t-il, à la Renaissance : le « cercle » (circle), qui repose sur des relations régulières entre un maître et ses disciples ou amis.
Rappelons ici que, même si le mot est rarement employé dans l’historiographie contemporaine, les grands auteurs du Moyen Âge réunissaient également autour d’eux des groupes de disciples et souvent d’exécutants qui ressemblent fort aux cercles de la Renaissance. Par ailleurs, en matière artistique, si, avec la peinture à l’huile et sur chevalet, se développe alors le travail en atelier, le chantier médiéval rassemblait architectes, maçons, sculpteurs, peintres hors pair : mais ces créateurs étaient, eux, étroitement surveillés et dirigés par l’Église, principale différence avec les ateliers de la Renaissance.
Ce qui peut surprendre les partisans à tout crin d’une Renaissance indépendante et supérieure, c’est que Kristeller consacre le premier chapitre de son étude sur Marsile Ficin à l’arrière-plan scolastique de l’humaniste. Il y démontre que l’aristotélisme de Ficin est l’héritier direct de l’aristotélisme médiéval, qu’il a rencontré lors de ses études philosophiques à l’université de Florence – notons au passage, nous y reviendrons, à quel point les universités ont représenté un haut lieu des liens entre Moyen Âge et Renaissance.
Kristeller souligne également que des rapports étroits ont souvent uni gouvernants et humanistes, et l’intervention fréquente de ces derniers en matière politique. Il est vrai qu’il s’appuie avant tout sur la situation florentine. Les Médicis, qui au XVe siècle passent de la banque au pouvoir politique, avant de revenir à celui-ci sous une forme princière au XVIe siècle, associent certains humanistes à leur gouvernement et s’affichent eux-mêmes à la fois comme dirigeants politiques et humanistes. Kristeller étudie plus particulièrement le cas de Giovanni Corsi, né de famille noble à Florence en 1472 : la vie de Ficin qu’il rédige en 1506 contient d’ardents éloges des Médicis, et quand ceux-ci reconquièrent le pouvoir à Florence en 1512, il est personnellement impliqué dans leur gouvernement.
La question délicate des rapports entre l’humaniste de la Renaissance et la religion est illustrée dans l’ouvrage de Kristeller par ce que Marsile Ficin présente, dans une lettre de 1474, comme sa conversion à la religion, à la suite d’une période de dépression liée à la maladie. L’épisode est assez difficile à interpréter.
J’ai fait allusion à l’aristotélisme que le Moyen Âge aurait légué à la Renaissance. Mais les humanistes italiens des XIVe et XVe siècles se disent avant tout platoniciens. L’Académie platonicienne qui s’ouvre à Florence au XVe siècle et se stabilise au XVIe tient un rôle capital dans la diffusion des idées de Marsile Ficin. Cette redécouverte de la pensée grecque et romaine antique, rediffusée à partir de l’Italie dans une grande partie de l’Europe, est un des éléments considérés comme les plus caractéristiques de ce que l’on appelle la Renaissance. Kristeller consacre un chapitre entier à la présentation de Laurent de Médicis – dit le Magnifique – comme platonicien. Voici ce qu’il en dit :
Un des premiers en qui cette tendance [platonicienne] se montre clairement est précisément Laurent de Médicis qui fut non seulement le protecteur mais aussi le condisciple et l’ami personnel de Ficin. Il faut donc définir l’élément platonicien dans les écrits du Magnifique2.
Dans ses poèmes et ses écrits, Laurent semble avoir emprunté à Platon la définition de l’amour comme désir de beauté, la distinction entre amour céleste et amour terrestre, le schéma de la triple beauté (d’âme, de corps et de voix) et le concept de beauté divine comme source de toute beauté concrète. Surtout, le Magnifique s’intéresse à la théorie platonicienne de l’éternité et de la recherche du vrai bonheur. Cette attention au corps, notamment, semble bien éloigner la Renaissance du Moyen Âge.
Parmi les aspects de la Renaissance évoqués par Kristeller dans la seconde partie de ce premier tome, et susceptibles de nourrir le dossier de la confrontation entre Moyen Âge et Renaissance, je retiendrai quatre thèmes. Le premier, le plus important, concerne le statut de l’homme dans la société et dans l’univers. Kristeller insiste, à juste titre, sur la nécessité de définir le terme « humanisme » associé aux lettrés de la Renaissance. Il n’est pas question de l’homme lui-même, dans sa nature, son existence, son destin, mais du fait que les lettrés de la Renaissance sont imprégnés de ce qu’on appelle les « humanités », c’est-à-dire la culture des grands penseurs et écrivains de l’Antiquité grecque et romaine. Cet humanisme aurait pour initiateur Pétrarque au XIVe siècle. Il se répandit dans diverses professions importantes. La plupart des humanistes en effet n’étaient pas de simples écrivains ou artistes mais pratiquaient aussi d’autres métiers, par exemple professeur d’université ou d’école secondaire, secrétaire de prince ou de ville, riche bourgeois et lettré se livrant à des activités économiques ou politiques. Ce qu’on appelle l’« humanisme de la Renaissance » n’a, pour Kristeller, qu’une influence limitée, sensible en particulier dans les programmes d’éducation, où les ouvrages de l’Antiquité grecque et romaine occupent une large place.
Certains humanistes tendaient cependant à affirmer le pouvoir intellectuel de l’homme avec une assurance excessive. C’est le cas au milieu du XVe siècle du Florentin Giannozzo Manetti (1396-1459) qui écrivit un long traité sur la dignité et l’excellence de l’homme : il s’agissait d’une réponse à celui qu’à l’extrême fin du XIIe siècle le pape Innocent III avait consacré à la condition misérable de l’humanité. Mais il ne faut pas généraliser un tel cas, même si Marsile Ficin eut des successeurs, en particulier Giovanni Pico della Mirandola (1463-1494).
Un deuxième thème abordé par Kristeller susceptible de nourrir le dossier de la confrontation entre Moyen Âge et Renaissance est l’influence de saint Augustin. On sait que son œuvre, si riche et susceptible d’interprétations diverses, fut capitale pour la pensée médiévale pratiquement à toutes les époques et au sein de toutes les tendances théologiques et philosophiques. Or si Augustin avait écrit un traité Contra academicos, il tenait en haute estime Platon et le néoplatonisme. Par ailleurs, la renaissance aristotélicienne qui, sous influence augustinienne, s’était imposée à la pensée médiévale aux XIVe et XVe siècles se poursuivit jusqu’à la fin du XVIe. Les humanistes, après s’être référés aux auteurs antiques, entreprirent la lecture des Pères de l’Église et, lisant eux-mêmes le grec, traduisirent en latin, quand cela n’avait pas été déjà fait, les Pères de l’Église orthodoxe grecque, Basile, Jean Chrysostome, Grégoire de Nysse, Cyrille.
Kristeller s’arrête également sur les rapports entre la pensée, et de façon générale la culture, de la Renaissance et la musique. Incontestablement, la musique européenne a connu deux sommets : au cours du Moyen Âge central d’abord, en France, avec l’école de Notre-Dame de Paris et l’invention de la polyphonie ; puis, après une éclipse, à la Renaissance, au XVe et plus encore au XVIe siècle, c’est d’Italie que la musique a fait vibrer la culture européenne.
Enfin, terminons la brève exploration de ce beau volume de Paul Oskar Kristeller en citant le passage où il évoque ce qu’était une fête de la Renaissance, expression de ces plaisirs collectifs que le Moyen Âge avait connus mais qui prit alors, et en particulier dans les cours et les réjouissances princières, une force et un éclat exceptionnels. Il s’agit d’un document découvert par Kristeller, la description dans une lettre alors inédite de la joute (giostra) offerte aux Florentins par Julien de Médicis en 1475 :
Parmi les fêtes publiques de la Renaissance les joutes [giostre] occupent une place remarquable. Elles furent nombreuses et splendides dans diverses cités italiennes, et particulièrement à Florence. C’était une habitude héritée de la période féodale (et c’est peut-être un élément obligatoire quand on veut expliquer la floraison tardive de l’atmosphère poétique chevaleresque en Italie) mais elles prirent dans le nouvel environnement une forme bien différente perdant peu à peu le caractère sérieux et guerrier pour se transformer en une espèce de spectacle sportif dans lequel l’intérêt des spectateurs se concentra certes sur le comportement des combattants, mais surtout sur l’entrée solennelle des jouteurs richement parés et formant avec leur suite un long cortège bariolé à l’image des autres cours qui furent caractérisées par les fêtes publiques de cette époque3.
Le témoin suivant, exemple de l’historien moderne de la Renaissance, est l’Italien Eugenio Garin pour ses deux principaux livres traduits en français : L’Humanisme italien. Philosophie et vie civile à la Renaissance (1947) et Moyen Âge et Renaissance (1954). Dans le premier de ces deux ouvrages, Garin commence curieusement par constater que, à l’inverse de Michelet et de Burckhardt au XIXe siècle, la majorité des historiens du XXe a réévalué le Moyen Âge et rabaissé la réputation de la Renaissance. Garin éprouve au contraire la nécessité – à la suite d’ailleurs de Kristeller – de détruire les « grandes cathédrales d’idées » et les « grands systèmes logiques et théologiques »4 qui ont dominé le Moyen Âge.
La Renaissance a quant à elle promu les studia humanitatis : l’homme occupe désormais la première place, à comparer au poids écrasant de Dieu sur la pensée et la société médiévales. Le platonisme, en particulier, devient modèle et source d’inspiration, considéré comme
une philosophie de toutes les ouvertures et de toutes les convergences, méditation morale d’une vie traversée par l’espoir. C’était aussi une pensée aidant à s’évader du monde et à rechercher la contemplation5.
Ainsi, dans la tradition de Pétrarque qui a combiné le renouvellement de la pensée avec l’évolution du gouvernement et de la société florentine, le mouvement platonicien florentin considère Cosme de Médicis (1389-1464), chef de la nouvelle famille dominante, comme un nouveau Platon. Et le grand penseur de la Renaissance florentine Marsile Ficin place toujours au premier plan la lumière, la beauté, l’amour et l’âme. Avec ses disciples, il met en avant l’homme, ce qui a conduit à définir ce type de pensée comme un humanisme. Garin va jusqu’à intégrer dans ce mouvement le « réactionnaire » Savonarole qu’il voit « occupé à créer sur cette terre une cité humaine digne de l’homme6 » – contraste étonnant avec l’image historique habituelle de cette quintessence de l’hérésie médiévale.
Dans son épilogue, Eugenio Garin redit à quel point l’humanisme de la Renaissance fut un « regain de la confiance en l’homme et dans ses possibilités et une compréhension de son activité dans toutes les directions7 ». Il énonce également deux idées qui vont fortement influencer l’évaluation contemporaine des rapports entre Moyen Âge et Renaissance. Il affirme d’une part que l’Italie est le centre et le foyer de la Renaissance, d’autre part que l’homme nouveau qu’elle forme « réunit sur ce territoire tous les conflits8 ».
Dans Moyen Âge et Renaissance, exploration de la Renaissance sous son aspect culturel, Garin commence par une évocation de « la crise de la pensée médiévale9 ». Il cite en particulier l’épuisement de la scolastique à partir du début du XIVe siècle. Mais il cherche en même temps dans le Moyen Âge à la fois des traits modernes (par exemple les rapports entre Abélard et Héloïse) et la renaissance d’éléments de la pensée antique10.
Garin insiste davantage dans cet ouvrage sur l’intérêt particulier de la Renaissance pour le pouvoir créateur de l’homme. Elle tente de conférer à l’humanisme un sens quasi universel, englobant poésie et philologie, mais aussi vie morale et politique, au point de devenir une nouvelle philosophie.
Si les deux historiens du XXe siècle que je viens de présenter s’intéressent surtout aux lettres et à la pensée – à l’humanisme –, celui que je vais évoquer maintenant est avant tout historien de l’art, un des principaux du XXe siècle : l’Américain Erwin Panofsky. Le titre de son livre indique déjà que nous avons affaire à une conception de la Renaissance différente de celles de Paul Oskar Kristeller et d’Eugenio Garin : Renaissance and Renascences in Western Art (1960) en anglais, La Renaissance et ses avant-courriers dans l’art d’Occident (1976) dans la traduction française. L’art y est affirmé comme domaine fondamental de recherche et de réflexion ; la Renaissance passe du singulier au pluriel, il n’y a pas eu « une » mais « des » renaissances ; les autres renaissances sont antérieures à la Renaissance proprement dite, ce sont des « avant-courriers ».
L’historien de l’art considère d’abord, pour les écarter, deux conceptions diffusées au XXe siècle qui concernent plus généralement la périodisation en histoire, et qui relèvent donc de notre réflexion : d’une part celle qui voudrait que les périodes historiques distinctes n’existent pas et Panofsky cite ici The Oxford Dictionary11 ; d’autre part celle du grand historien, son contemporain, Lynn Thorndike, selon qui « la nature humaine tend à rester pratiquement la même en tout temps12 ». On ne peut que louer Panofsky d’avoir refusé de prendre en considération ces deux approches négatrices, l’une partiellement l’autre complètement, de toute possibilité de faire de l’histoire.
À l’instar de tous les penseurs et écrivains qui se sont intéressés à l’émergence de la Renaissance comme période, Panofsky remonte à Pétrarque qui avait conçu celle-ci comme un renouveau purifié des littératures grecque et romaine, et étudie comment cette définition restreinte s’est élargie vers 1500 en un « concept de grand renouveau comprenant presque tous les domaines de l’activité culturelle13 ».
Erwin Panofsky cite la remarque du philosophe américain George Boas selon qui « ce que nous appelons périodes correspond simplement aux innovations influentes qui se produisent constamment en histoire14 ». Les périodes de l’histoire devraient porter le nom d’un grand personnage : on aurait ainsi l’âge de Beethoven, comme on a eu celui de Périclès dans l’Antiquité ou de Louis XIV à l’époque moderne15.
Panofsky montre ensuite les faiblesses du peintre et historien de l’art très influent à Florence au XVIe siècle Giorgio Vasari et de son ouvrage Les Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes italiens (1550), dédié à Cosme de Médicis. Vasari considérait que, depuis Giotto (vers 1266-1337), et surtout depuis le XIVe siècle, avait commencé une nouvelle période de l’humanité, qu’il nommait « Renaissance » (Rinascita) et dont le moteur essentiel était un retour à l’Antiquité classique. Nous et nos contemporains avons, selon Panofsky, une idée plus nuancée de la période dite « Renaissance » que l’élite artistique, littéraire et politique – du moins en Italie – de l’époque : celle-ci était en effet emportée par une vague de retour à l’Antiquité, période idéale après laquelle ce qu’on appelait de plus en plus « Moyen Âge » ne pouvait que correspondre à un affaiblissement des valeurs.
Le grand historien français Jean Delumeau nous fournira le dernier témoignage d’ensemble sur la Renaissance, à travers deux de ses principaux ouvrages, le premier écrit en 1996 en collaboration avec Ronald Lightbown16, le second rédigé seul en 199917. Jean Delumeau insiste sur la double émergence du mot « Renaissance ». Le terme et l’idée de rénovation par retour à l’Antiquité qu’il implique se rencontrent d’abord en Italie, en particulier à Florence. Le « lanceur », si on peut dire, en est Pétrarque au XIVe siècle, et le « synthétiseur » Vasari au milieu du XVIe siècle. Mais, comme nous l’avons vu, le mot et la période qui lui est associée ne s’imposent qu’au XIXe siècle avec le romantisme et Michelet. Il déborde alors le domaine des arts pour s’appliquer aux principaux aspects de la période qui s’étend du ténébreux Moyen Âge jusqu’aux Temps modernes dont il est le premier moment.
Dans son volume Une histoire de la Renaissance, Jean Delumeau décrit la diffusion de l’art nouveau à partir de Florence en Italie, puis à partir de l’Italie dans le reste de l’Europe. Il termine son tour d’horizon de la Renaissance en Europe par une glorieuse exception : le grand peintre des Pays-Bas Bruegel l’Ancien (vers 1527-1569) ignore totalement à la fois l’Antiquité et l’Italie.
Jean Delumeau évoque les évolutions et les ruptures dans les domaines de l’instruction et de l’éducation : rôle de l’imprimerie, scolarisation croissante, déclin des universités et importance des cours, femmes savantes et auteurs de plus en plus nombreuses, apparition dans la peinture d’une nouvelle organisation, l’atelier, surtout lié à la peinture à l’huile, et du travail sur chevalet, inventé aux Pays-Bas au XVe siècle, sociétés savantes reprenant sous une forme inédite le terme grec ancien d’« académies ». Parmi les progrès techniques que Jean Delumeau attribue à la Renaissance, il retient en particulier l’horloge mécanique et l’artillerie : je les considère pour ma part comme des inventions médiévales. Jean Delumeau caractérise ensuite la Renaissance par son dynamisme économique. Ce jugement me semble exagéré mais je noterai – j’y reviendrai – deux phénomènes neufs et importants : l’approvisionnement en métaux précieux (or et argent) venus d’Amérique, découverte à l’extrême fin du XVe siècle et au début du XVIe ; les perfectionnements de la navigation maritime depuis Christophe Colomb et les caravelles de la fin du Moyen Âge.
Jean Delumeau consacre ensuite un chapitre à la vie quotidienne dominée par les fêtes. Une nouvelle atmosphère se diffuse en effet, liée au développement du luxe et des festivités dans les cours princières et parfois même de la haute bourgeoisie18. Enfin, et cela semble couronner le phénomène, Jean Delumeau traite de la modernité dans le domaine religieux sous le titre : « De grandes transformations religieuses ». Bien sûr, il pense avant tout à la Réforme et à cette naissance d’une branche séparée du christianisme, le protestantisme, avec ses deux formes principales, le luthéranisme et le calvinisme. C’est à l’évidence une évolution majeure pour les hommes et les femmes de ces époques où l’athéisme demeure rare.
Dans le « Regard d’ensemble sur la Renaissance » que Jean Delumeau présente à la fin de son ouvrage, il relève « les limites de la Renaissance », mais définit surtout celle-ci comme « un grand pas en avant ». Ce grand pas, Jean Delumeau le justifie par le développement des œuvres artistiques et littéraires qui auraient « atteint des sommets ». Mais ce qui fait pour lui de la Renaissance une période à part entière, ce sont « deux grandes nouveautés qui ont changé le cours de l’histoire » : la découverte de l’Amérique et la réalisation d’une circumnavigation mondiale ; la coupure de la chrétienté latine entre protestantisme et catholicisme.
Il me faut à présent me consacrer à deux essais de démonstration. D’une part, si importante qu’elle ait été, si fondée qu’elle soit à mériter une individualisation dans la durée historique, la Renaissance ne représente pas selon moi une période particulière : elle constitue la dernière renaissance d’un long Moyen Âge. D’autre part, alors que, du fait de la mondialisation des cultures et du décentrement de l’Occident, le principe de la périodisation en histoire est mis en cause aujourd’hui, je voudrais montrer qu’elle est un instrument nécessaire à l’historien. Mais la périodisation doit être employée avec plus de souplesse qu’elle ne l’a été depuis qu’on a commencé à « périodiser l’histoire ».
Parmi les plus intéressants ouvrages que j’ai laissés de côté, je citerai P. Burke, La Renaissance en Italie : art, culture, société, trad. P. Wotling, Paris, Hazan, 1991 ; J. R. Hale, La Civilisation de l’Europe à la Renaissance, trad. R. Guyonnet, Paris, Perrin, 1998.
P. O. Kristeller, Studies in Renaissance Thought and Letters, Rome, Ed. di Storia e Letteratura, 1956, p. 213.
Ibid., p. 437.
E. Garin, L’Humanisme italien, 1947, trad. S. Crippa et M. A. Limoni, Paris, Albin Michel, 2005, p. 11.
Ibid., p. 20.
Ibid., p. 167.
Ibid., p. 323.
Ibid., p. 324.
E. Garin, Moyen Âge et Renaissance, trad. C. Carme, Paris, Gallimard, 1969, p. 18 sq.
Voir J. Seznec, La Survivance des dieux antiques. Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l’humanisme et dans l’art de la Renaissance (1940), Paris, Flammarion, « Champs », 2011.
E. Panofsky, La Renaissance et ses avant-courriers dans l’art d’Occident, trad. L. Meyer, Paris, Flammarion, 1976, p. 13.
Ibid., p. 13.
Ibid., p. 19.
Ibid., p. 13.
G. Boas, « Historical Periods », Journal of Aesthetics and Art Criticism, XII, 1953, p. 253-254. La vue d’ensemble la plus complète et la plus étonnante par le nombre des systèmes de périodisation proposés au cours des siècles se trouve dans le livre de Johan Hendrik Jacob van der Pot : De Periodisering der geschiedenis. Een overzicht der theorieën, W. P. van Stockum en zoon, La Haye, 1951.
J. Delumeau et R. Lightbown, La Renaissance, Paris, Seuil, 1996.
J. Delumeau, Une histoire de la Renaissance, Paris, Perrin, 1999.
Étudiée pour le milieu royal et princier par T. F. Ruiz : A King Travels. Festive Traditions in Late Medieval and Early Modern Spain, op. cit., 2012.