Nuit de Noël, 3 heures du matin
Sans se donner le mal de prévenir leur père, ni même se consulter, aucun de ses enfants n’était venu.
Alors Bob était resté seul face à la grande table pleine de victuailles. Puis il avait décidé que ça suffisait. Il avait pris un flingue et avait avalé, comme seul plat de réveillon, une balle de 7,65 mm. Il avait juré à Mallock de ne jamais se suicider avec son arme de service, et il avait tenu parole. Le projectile venait d’une des armes de sa collection, un Browning M1910, le même modèle qui avait déclenché la Première Guerre mondiale en armant le bras de Gavrilo Princip
1, et qui avait permis à Gorgulov de tuer Paul Doumer. Le calibre de ce pistolet à percuteur lancé était modeste, et on avait fait redémarrer par trois fois le cœur de Bob. Le SAMU était parvenu à le stabiliser avant de l’emmener à Cochin. Là, toute une équipe s’était acharnée pour le ramener à la vie.
En vain.
Les larmes de Mallock coulaient encore alors qu’il enfila un manteau pour se rendre au domicile de son ami. Ses fils allaient arriver et ils auraient besoin de lui. Lui qui savait, maintenant.
Ce mec, tout taillé en brosse, il l’avait aimé et il l’aimerait longtemps encore.
Trop souvent, la vie répond à des questions qu’on ne lui a pas posées. Elle nous leurre, nous piège, nous rattrape. Très souvent, on tombe. Mais on se relève, comme on le faisait, enfant. Pouce ! Même pas mal, même pas mort. Dans les jardins, petit, on repartait toujours. Bip, bip ! Même explosé, écrasé sous une armée d’enclumes, on revenait tout propre l’épisode d’après… Devenu grand, on joue encore avec les mêmes idées d’immortalité.
Et puis la vie nous ramène à plus d’humilité.
Amédée sortit, accablé, de son appartement, puis il se retourna pour fermer à double tour. La porte, pourtant refaite récemment, était déjà toute craquelée.
La vie, c’est comme les bateaux, on a beau les repeindre…