SCIENCE ET MAGIE

Les Romains ne furent pas de grands scientifiques : ne cherchant pas l’abstraction, la spéculation désintéressée, ils ne se sont approprié les sciences grecques que quand elles étaient utiles et enrichissaient un quotidien pragmatique où l’on s’offrait parfois le refuge de la magie et de la superstition.

Héritage grec

L’esprit scientifique, c’est-à-dire la capacité à écarter une vision du monde organisée par la mythologie et la religion pour lui préférer une représentation plus rationnelle et organisée, est un héritage grec, malgré la racine latine du mot (du latin scire, savoir, apprendre).

Mathématiques

Les Grecs sont les premiers à étudier des problèmes de constructions géométriques avec pour seuls instruments une règle non graduée et un compas, qui leur permettent de tracer les figures fondamentales de la géométrie grecque : la droite et le cercle.

Malgré ce matériel rudimentaire, ils parviennent à poser des problèmes compliqués, tels la duplication du cube, la trisection de l’angle ou la quadrature du cercle.

Loin de chercher à créer de nouveaux théorèmes comme ceux de Thalès et Pythagore, les Romains mettent à profit ces théories mathématiques dans des applications pratiques : constructions de bâtiments, ingénierie des ponts et des aqueducs, élaboration de sphères célestes destinées aux astronomes…

De la physique à l’ingénierie

Vitruve vulgarise la célèbre poussée d’Archimède (tout corps plongé dans un fluide au repos subit une force verticale, dirigée de bas en haut et opposée au poids du volume de fluide déplacé). Cette théorie ne sera pas explorée par les Romains, qui ne lui trouvent aucune application concrète, contrairement à d’autres prouesses physiques et techniques héritées d’Archimède (treuil, vis, poulies) ou d’autres scientifiques (engrenages, orgues hydrauliques, catapultes à torsion, pompes d’irrigation, roues dentées).

S’ils contribuent à diffuser les acquis grecs, les Romains développent rarement les réflexions des scientifiques grecques si celles-ci ne leur permettent pas d’accéder à de nouvelles avancées technologiques. Ceci explique en partie pourquoi ils ne se sont pas davantage industrialisés.

Magie et sorcellerie

Dès l’Antiquité, la magie et la sorcellerie se présentent comme des alternatives aux sciences ou aux religions officielles : les sorcières se spécialisent dans la guérison des femmes, domaine boudé par les médecins officiels, et les sorciers prennent le relais des augures ou des haruspices pour lire l’avenir.

Sorcières

La sorcière est une guérisseuse, une herboriste et une sage-femme. Maîtrisant les sciences de l’obstétrique et de la gynécologie, elle accompagne la vie des femmes, de l’apparition de leurs premières règles jusqu’à leurs envies de fécondité ou de contraception.

Herboriste hors pair, elle guérit les petites blessures et les maladies honteuses. Relais du pharmacien, elle utilise les mêmes ingrédients que lui : végétaux (aconit, colchique, mandragore…) et animaux (queue de rat, graisse de souris, bave d’escargot…). Ces médicaments improbables guérissent la calvitie, les maux de ventre ou l’impuissance.

C’est une envoûteuse professionnelle : elle invoque la déesse Hécate pour maîtriser les destinées de ses clients. Armée de clous et de plaques de cuivre, elle grave, sur des tablettes de defixio, les mots de pouvoir qui maudiront ses cibles. Elle utilise des figurines de cire bourrées d’aiguilles, ancêtres de nos poupées vaudoues, pour dévouer ses victimes aux dieux infernaux.

Relais des augures officiels, cette diseuse de bonne aventure fait les joies des femmes de l’aristocratie romaine, qui vont chez elle pour égayer un quotidien morne. Pour connaître l’avenir, elle transgresse parfois l’ordre moral : elle devient nécromancienne, sillonnant les cimetières pour piller les tombes et réveiller les morts.

On l’accuse de dérégler le climat et de déchaîner la pluie et la grêle sur les moissons – griefs qui allumeront, des siècles plus tard, bien des bûchers à travers l’Europe. Aide alternative, la sorcière devient donc un bouc émissaire, un ennemi politique et religieux.

Sorciers

Héritier d’une longue initiation intellectuelle et rituelle, le sorcier reçoit son savoir d’un parèdre : ce dieu ou cet être surnaturel lui permet d’exercer la divination ou l’envoi des rêves.

Ses pratiques magiques ressemblent aux cultes à mystères : il les réalise au sein d’un groupe d’initiés, dans des chambres souterraines. Là, il utilise des papyrus magiques, qui le guident vers la sagesse et la maîtrise de son art en lui expliquant comment se purifier, quels rituels respecter pour s’attirer les faveurs des êtres surnaturels ou les mots à prononcer pour les plier à sa volonté.

Parfois considéré comme plus puissant que les prêtres, le sorcier devient un conseiller occulte politique et économique pendant l’Empire. Thaumaturges orientaux, devins et astrologues vont s’enrichir, avant d’être traqués par l’Église, qui voit en eux des concurrents à son prosélytisme.

Médecine

Avant de conquérir la Grèce et sa science, les Romains confiaient l’art de la médecine aux barbiers, aux esclaves ou aux herboristes et préféraient se préoccuper de la santé publique (amélioration des conditions sanitaires et de l’accès à l’eau, encouragements à l’hygiène citoyenne). En cas de maladie, ils s’achetaient des remèdes douteux et priaient dans les temples d’Apollon, de Mercure ou d’Esculape.

L’héritage grec

La médecine scientifique est introduite par les Grecs à Rome vers le IVe siècle avant J.-C.

Alkmaion de Crotone, célèbre pour ses expériences de dissection et de vivisection, transmet sa connaissance de la structure du corps. Hérophile étudie le système nerveux et le cerveau. Héraclide de Tarente prescrit l’utilisation d’opium comme sédatif et analgésique. Thessalos d’Éphèse se spécialise dans la gynécologie et l’obstétrique : il décrit le passage de l’embryon au fœtus et la pratique de l’avortement.

Hippocrate le Grand reste le plus célèbre. Il transmet des pratiques chirurgicales (plaies et fractures), des indications sur l’utilisation des saignées et une pharmacopée complexe. Il crée un serment déterminant les devoirs du médecin : garder le secret médical, ne pas entretenir de relations personnelles avec les patients, ne pas pratiquer l’euthanasie et l’avortement…

Certains médecins grecs font carrière à Rome. Asclépiade de Bithynie, premier médecin à soigner les maladies mentales et partisan d’une solide hygiène de vie, fonde l’Aesculapium, une faculté de médecine privée à Rome en 14 avant J.-C.

Médecins romains

Spécialistes et généralistes

Les chirurgiens servent à réduire les fractures, coudre les plaies, amputer, soigner les hernies, exciser et cautériser les varices, ôter les amygdales, pratiquer des trachéotomies et même des trépanations. Ils disposent d’une trousse à outils contenant des aiguilles, des pinces, des scalpels, des forceps, des crochets chirurgicaux, des cathéters, des scies chirurgicales et des extracteurs de flèches, qu’ils font bouillir dans de l’eau chaude avant de les utiliser. Les plaies sont nettoyées avec du vinaigre et les patients endormis avec des analgésiques (opium, scopolamine).

Les ophtalmologistes savent soigner des problèmes de cataracte ou d’exophtalmie (yeux exorbités). Ils fabriquent des collyres à base de myrrhe, de safran et d’urine.

Les dentistes traitent les carries, posent des bridges et des prothèses dentaires, soignent les problèmes de gencives et les rages de dents.

Quant aux généralistes, ils traitent les maladies de tous les jours en fabriquant des remèdes pour leurs patients, après avoir acheté des herbes à un pharmacopole, sorte d’herboriste ancêtre de notre pharmacien. Leur matériel comporte des balances, des mortiers et des balsamaires pour préparer et conserver les médicaments.

Deux maîtres : Galien et Celse

Rome ne donne naissance qu’à deux médecins innovants, dont les écrits font autorité jusqu’au XVIIe siècle : Galien et Celse. Galien a écrit près d’une centaine de traités médicaux, qui permettent de mieux comprendre l’anatomie humaine, la concordance existant entre l’organe et sa fonction, et le fonctionnement global du système nerveux… Étudiant les causes des maladies, Galien révise les manières d’établir des diagnostics et de diriger les efforts thérapeutiques.

Celse est le premier à écrire un ouvrage complet sur la médecine. Il y classe les maladies en trois catégories : celles guéries par un simple régime, celles guéries par des médicaments et celles nécessitant une action chirurgicale. Certains traités de médecine moderne mentionnent encore le « quadrilatère de Celse » qui énonce les symptômes signalant qu’une plaie est infectée : tumor (gonflement), rubor (rougeur), calor (chaleur, fièvre), dolor (douleur).

Ce n’est pas le seul héritage de la médecine romaine, qui nous a aussi légué tout un vocabulaire spécialisé lié aux parties du corps (tibia, fémur, abdomen, cortex, occiput, index…) ou aux noms de maladie (cancer, angine, tuberculose, lupus…).

Représentation du monde

On aurait tort de penser que les Romains visualisaient le monde de manière étrange : les sciences de la cartographie et de l’astronomie étaient suffisamment développées pour offrir une vision du monde assez proche de la nôtre.

Cartographie

Les cartes romaines servent à illustrer l’expansion du territoire et à fixer de nouveaux objectifs impérialistes : la carte de Vispianus Agrippa construit l’image de Rome comme vaste empire. Exposée sous le portique d’Agrippa à partir de 12 avant J.-C., elle sert la propagande impériale.

Certaines cartes déterminent les distances et les superficies : la Table de Peutinger, réalisée vers 350 après J.-C., représente l’Orbis Romanus de manière schématique, sans respecter la géographie originelle. Les régions et les provinces y sont reliées par un réseau serré de 200 000 kilomètres de routes, indiquant les distances en milles ou en lieues gauloises. Le voyageur souhaitant utiliser les principales routes du service de poste impérial pouvait donc calculer les distances à parcourir et organiser son ravitaillement aux principaux points d’eau.

Astronomie

Rome s’est approprié la distinction que les Grecs opèrent entre les astres (soleil, lune, étoiles, planètes), leurs calendriers stellaires, leurs calculs des mouvements planétaires et celui qu’Ératosthène fit de la circonférence terrestre.

Elle cherche des applications pratiques et concrètes à l’astronomie. Les astres deviennent des éléments essentiels pour mesurer le temps : on observe les lunaisons, les déplacements annuels du soleil et les solstices pour calibrer les mois et les années.

Les paysans associent les constellations à la météorologie : la constellation du Bouvier annonce les tempêtes d’automne, Orion le mauvais temps, les Pléiades le beau temps et Sirius le début de la canicule.

Les navigateurs se servent de la Grande Ourse comme guide, observent les Pléiades pour naviguer en mer apaisée et utilisent Castor et Pollux comme protecteurs.

Les architectes tracent les axes principaux des villes après avoir observé le ciel : le cardo suit l’axe polaire autour duquel pivote la voûte céleste, le decumanus est une perpendiculaire tracée d’après l’observation du soleil. La conception de l’univers comme une sphère encourage la réalisation de dômes symbolisant la voûte céleste.

Les prêtres se soucient des comètes : ils y voient les signes précurseurs d’événements graves (épidémies, famines, guerres, morts) ou le passage des âmes de célébrités (mort de César, naissance du Christ…).

Ces superstitions donnent naissance à une nouvelle forme de divination : l’astrologie. Héritée de Babylone et de Chaldée, elle est considérée comme un instrument d’opposition à la religion officielle, avant d’être adoptée par de grands personnages : César utilise le signe du Taureau pour ses légions.

Cette influence des étoiles dans le quotidien encourage des représentations variées : les globes terrestres et les sphères armillaires et planétaires instruisent le Romain sur la forme de son monde et les mouvements de la lune, du soleil et des cinq planètes qu’il peut percevoir dans le ciel.

Synthèse

Les Romains développèrent essentiellement les sciences qui servaient leurs ambitions. Représenter le monde, soigner l’humain, maîtriser la destinée, construire efficacement : ces savoirs pragmatiques sont le reflet d’un peuple qui, tournant le dos à la spéculation et la recherche, n’a pas cherché à percer les mystères de l’univers, mais seulement à soumettre celui-ci.

LE TEMPS

Tempus irreparabile fugit (le temps s’enfuit irrémédiablement), Vulnerant omnes, ultima necat (toutes les heures blessent, la dernière tue), Tempus edax rerum (le temps détruit toutes choses)… Les Romains nous ont légué des maximes autour du temps, qui ornent nos horloges et cadrans solaires et témoignent d’un rapport complexe à la temporalité.

Âges de la vie

Pueritia

C’est le temps de la formation et des apprentissages.

Infans

L’enfant est d’abord considéré comme un nourrisson ne parlant pas (infans), jusqu’à ses 7 ans. On surveille, dès la naissance, la moindre anomalie physique, source de superstition et d’un contrôle de la natalité. La nourrice modèle le corps de l’enfant pour préparer un adulte conforme à l’esthétique classique. Elle l’emmaillote de manière très serrée, surveille sa diététique et guérit les maladies.

L’infans porte autour de son cou une bulla, une capsule contenant des amulettes protectrices ; il est vêtu d’une toge claire signalant qu’il est de naissance libre. Sa vie est surveillée : on lui interdit les repas chauds et les repas couchés, car il ne doit pas s’habituer au plaisir.

La mort du nourrisson ne constitue pas un drame car il n’est pas encore considéré comme un individu à part entière. L’attachement parental, fruit de la piété familiale, naît plus tard.

Puer

Après la chute des dents de lait, on nomme l’enfant puer (pour les garçons, qui reçoivent la toge prétexte, bordée d’une bande pourpre) ou puella (pour les filles).

Cette nouvelle étape (de 7 à 14-16 ans) est le temps des apprentissages : l’enfant apprend à lire, écrire et compter sous la houlette d’un maître sévère. On le prépare à embrasser le métier de son père ou une carrière politique ou, pour les filles, à devenir des épouses sachant tenir leur foyer.

Des hochets, crécelles, jeux de construction, toupies, cerceaux, poupées, jeux de hasard et jeux sportifs lui permettent aussi de se préparer au rôle de mère ou de citoyen-soldat.

Adulescens

Devenu pubère et capable de se reproduire, l’enfant est adulescens (de 16 à 18 ans), apte à intégrer la société romaine. Une cérémonie publique et privée marque la fin de sa pueritia : le jeune homme vêt la toge virile lors de la fête des Liberalia, le 17 mars. La nuit précédente, il dort dans une tunique blanche, que l’on fait revêtir aux vierges avant leur nuit de noces. Dans la matinée, il se dépouille des signes de l’enfance et est conduit au Forum par ses amis et ses parents : le voilà introduit dans la communauté, prêt à voter ou à s’enrôler dans l’armée.

Quant aux jeunes femmes, elles peuvent être mariées pour contribuer à l’élargissement de la communauté. La veille des noces, la future épouse consacre aux dieux sa bulla et ses jouets de fillette. Elle passe ensuite sous l’autorité de son mari, sans changer de nom.

Juventa

C’est le moment où le jeune Romain participe pleinement à la vie de la cité et où la jeune Romaine devient mère.

Jusqu’à ses 25 ou 28 ans, c’est-à-dire jusqu’au développement complet de sa barbe, le Romain est nommé juvenis (jeune homme). Il se forme pour devenir soldat, prêtre, orateur, agriculteur ou magistrat. On le nomme alors vir, homme à part entière… tandis que la jeune fille arbore le titre d’uxor ou de conjux (épouse), de domina (maîtresse de maison) et matrona (mère de famille). Bonne, patiente et dévouée, elle assiste son mari et s’occupe de la gestion de la maison et des enfants.

On distingue, dans la fleur de l’âge masculine, deux étapes : l’apogée physique (35 ans) et la maturité intellectuelle (42 ans).

C’est la fin des passions, vers 56 ans, qui amorce la dernière étape de la vie du Romain.

Senecta

Temps de la sagesse et de la réflexion, la vieillesse est atteinte vers 63 ans à Rome. Les hommes (senex) n’ont plus d’obligations militaires et les femmes (anus) n’ont plus la possibilité de faire les enfants. Ils ne sont pas pour autant exclus de la vie civile : dépositaires des coutumes ancestrales, ces seniores doivent transmettre leur savoir aux jeunes générations.

Division du temps

La vie politique et religieuse fournissait aux Romains des points de repères prédéterminés. Des instruments de mesure leur permettaient de mesurer le passage du temps quotidien.

Une division minutieuse

Les années romaines sont désignées, soient par le nom des consuls en activité, soit par le décompte de l’année par rapport à la fondation présumée de Rome. Elles comptent primitivement 304 jours répartis en dix mois, jusqu’à ce que Jules César réforme le calendrier qui compta alors 365 jours et des années bissextiles.

Année

Chacune de ces années est divisée par des impératifs religieux et agraires, fixés par l’étude des phases de la lune, du soleil et des étoiles.

Le roi Numa fixe, en observant les astres, les trois grands cycles de fêtes dans l’année : le cycle des purifications (des Lupercales du 15 février au Lemuria du 11 mai, apaisant les revenants), le cycle de la guerre (du 1er mars, où les prêtres Saliens sortent les boucliers de Mars, au 19 octobre, temps de purification des armes) et le cycle agraire (des Liberalia du 17 mars, marquant la régénération de la nature et la prise de la toge virile des adolescents, aux Saturnales, se déroulant du 17 au 25 décembre, symbolisant le repos de terre).

Mois

Chaque mois porte un nom lié à une divinité gréco-romaine (Janus pour le mois de janvier, Mars, Aphrodite pour avril, Maia, déesse de la croissance, pour mai, Junon pour juin), à un événement religieux (la purification, februum en latin, pour février), à une personnalité politique (Jules César pour juillet, Auguste pour août) ou à son nombre (septem/sept pour septembre, octo/huit pour octobre, novem/neuf pour novembre, decem/dix pour décembre – ce décalage s’expliquant par le fait que l’année commençait le 15 mars pour les Romains).

Il se divise en trois parties inégales : les Calendes (1er jour du mois, marquant le début d’une nouvelle lune), les Nones (neuf jours avant les Ides, soit le 5e ou le 7e jour du mois) et les Ides (qui correspondaient à la phase de pleine lune, le 13e ou le 15e jour du mois).

Les Romains nomment les jours en comptant à rebours à partir de ces jours-repères : ainsi, notre 23 février ne serait pas le 10e jour après les ides de février, mais le 5e ou le 6e jour avant les calendes de mars, selon que l’année soit bissextile ou non.

Semaine

La semaine se divise en sept jours, dont les noms sont fixés au IIe siècle de notre ère et rendent hommage à des divinités : la Lune/Lunae dies/lundi, Mars/Martis dies/mardi, Mercure/Mercoris dies/mercredi, Jupiter/Jovis dies/jeudi, Vénus/Veneris dies/vendredi, Saturne/samedi (le saturday anglais a mieux gardé que notre langue cette étymologie, qui s’appuie sur le moment où ce jour était réservé au sabbat : sambati dies) et le Soleil : le dimanche ne devient le dominici dies, le jour du seigneur, qu’une fois l’Empire devenu chrétien.

Jour

Ces jours sont divisés en deux catégories : les jours fastes et les jours néfastes, ceux qui sont soumis aux droits religieux et ceux qui ne le sont pas, ceux pendant lesquels on peut rendre la justice et ceux qui, considérés comme funestes, sont réservés aux commémorations des défaites, des catastrophes ou aux fêtes des morts.

Les jours fastes sont eux-mêmes subdivisés en jours ouvrables (profesti), fériés (festi), fériés le matin et le soir mais ouvrables la journée (intercisi) et fériés uniquement le matin (fissi).

La division de la journée dépend de la place du soleil dans le ciel, ce qui implique que la longueur des heures varie pendant l’année : l’hora minima est atteinte le 23 décembre (44 minutes et 30 secondes), l’hora maxima le 25 juin (75 minutes et 30 secondes). On divise généralement la journée en douze heures (avec un point fixe correspondant à la septième heure : le midi, meridies) et la nuit en quatre veilles (avec un point fixe, minuit, media nox).

Des instruments de mesure

Des instruments ont été créés pour diviser le temps avec plus de justesse que ne le faisaient les cadrans solaires. Des horologia (clepsydres, horloges hydrauliques, cadrans solaires plus sophistiqués) font leur apparition sur les places politiques et juridiques de la cité et deviennent de véritables parures urbaines, à l’image de l’Horologium d’Auguste. Ils permettent de mesurer le temps de parole lors d’un jugement, de délimiter des bornes horaires pour les thermes, de minuter le cours des philosophes… Dans le domaine militaire, ils mesurent le trajet des éclaireurs, la longueur d’une veille, ou de fixer un temps imparti aux corvées ou aux formalités administratives.

Les plus riches des citoyens possèdent des horloges privées pour mieux gérer leur vie publique en créant des emplois du temps : lever tôt, salutations (famille, Lares, clients), occupations administratives et politiques jusqu’à la cinquième heure, déjeuner et repos entre la sixième et la septième heure, bain jusqu’à la neuvième heure et repas principal. Des cadrans solaires portatifs, ancêtres de nos montres, les accompagnaient dans leurs déplacements : l’homme civilisé est celui qui maîtrise son temps.

Mort

La mort prend plusieurs formes dans l’esprit romain : le décès héroïque du soldat se mêle à celui, divertissant, du gladiateur. Le martyr des chrétiens bouleverse autant les mentalités que les suicides des stoïciens exprimant, à travers leur acte, leur refus de participer à une société décadente. Les Mânes des ancêtres sont honorés dans chaque maison et lors de grandes fêtes publiques.

Rituels funéraires

Ils commencent par une cérémonie de purification : les Romains pensent que la mort laisse sur le cadavre du défunt une pollution, qu’il faut nettoyer pour qu’elle ne contamine pas le reste de la famille. On appelle solennellement le mort, pour vérifier qu’il est hors de portée de toute voix humaine, avant de le toiletter.

Une fois lavé et habillé, le cadavre est orné de ses plus beaux atours et des insignes des charges officielles occupées de son vivant. On dépose sur ses yeux des pièces, destinées à payer Charon, le passeur des Enfers. Dans les familles de patriciens, on réalise un masque de cire du défunt, qui sera exposé dans l’atrium avec les masques de ses illustres ancêtres.

Le père de famille fait une annonce solennelle des funérailles du citoyen et invite ses amis, parents et clients à venir lui témoigner leur respect en se recueillant auprès de la dépouille, exposée solennellement pendant cinq jours dans l’atrium. La maison est décorée de rameaux de cyprès, de pins teintés de rouge et de guirlandes funéraires.

Puis le corps est emporté, sur son lit funéraire, au lieu de la crémation ou de l’inhumation. Un long cortège le suit, formant un triomphe funèbre : la famille célèbre la gloire atteinte par le mort. Tous ses proches sont vêtus de noirs ; les femmes n’ont pas coiffé leurs cheveux, les hommes ne se sont pas rasés. Ils sont escortés de musiciens, de pleureuses payées pour se lamenter, s’arracher les cheveux et se frapper les seins, et d’acteurs portant les masques des ancêtres du défunt. Ce défilé escorte le corps en dehors de la ville, où il sera conservé, pour des raisons d’hygiène.

Si le mort est célèbre, il est exposé sur le forum et reçoit des hommages publics avant qu’un bûcher d’apothéose lui confère le statut de divinité.

Une fois le corps incinéré ou enterré, on retourne purifier la maison par un ménage vigoureux et par des sacrifices aux Lares et aux Mânes de la famille. Un grand festin familial clôture ces rites : la famille, redevenue pure, peut se préoccuper de l’héritage.

Lieux

Les cendres des cadavres incinérés sont récoltées et placées dans des urnes ; les corps sont enterrés dans des tombes privées ou dans des fosses communes.

Mausolées, columbaria (chambres souterraines où des niches accueillent urnes, plaques commémoratives ou sculptures à l’effigie des morts), nécropoles, cénotaphes et jardins funéraires accueillent le petit peuple des morts. Les vivants reviendront à dates fixes leur offrir des guirlandes votives, du blé, du sel, du vin, pour se concilier les bonnes grâces des morts. Ceux-ci sont célébrés par des épitaphes émouvantes rappelant leurs vertus ou interpellant le passant pour l’inviter à méditer sur la brièveté de la vie.

Synthèse

Structuré et ritualisé, le Temps semble être, chez les Romains, une donnée que l’on aborde sous un angle pratique et non métaphysique. Qu’il calcule des durées ou attribue à la vie des étapes bien spécifiques, qu’il célèbre les dieux ou les défunts, le Romain organise son temps de manière pragmatique et observe la régularité du cycle de la vie et de la mort d’un œil plus résigné qu’angoissé.

LA VIE QUOTIDIENNE

L’expansion romaine s’est accompagnée de la transmission d’un mode de vie : quand ils conquièrent un nouveau territoire, les Romains imprègnent le peuple vaincu des différents aspects de leur quotidien. Ils sèment derrière eux des cités aux structures rigoureuses, des types d’habitation, des modes vestimentaires, mais aussi une certaine idée du fonctionnement de la cellule familiale.

Cité

En reproduisant la structure de leurs cités aux quatre coins de l’Empire, les Romains diffusent leur mode de vie sur le territoire conquis. Lieu de rassemblement des populations, la ville est le cadre des activités qui les intègrent à la nation romaine : une métropole bien conçue est plus efficace que des camps militaires pour faire régner la paix et la sécurité.

Le choix et le découpage d’un lieu

On bâtit une ville selon les qualités de son environnement (présence d’eau, campagne fertile, salubrité des éventuels marécages…) et l’accord des dieux, consultés par les augures.

On fixe la taille et la population maximales qu’atteindra la ville, pour que les urbanistes puissent la quadriller selon un plan en damier. Ils attribuent les espaces nécessaires aux maisons et aux équipements publics et fixent une hauteur limite aux bâtiments pour que les rues soient ensoleillées. Ils déterminent la dimension des rues, des trottoirs et des égouts. Ils évaluent les besoins en eau.

On trace ensuite le pomoerium (enceinte sacrée) de la ville et ses axes principaux, le cardo et le decumanus. Ces lignes fondatrices sont faites à la charrue, par des légionnaires se servant de leur campement comme cœur de la cité, ou par des géomètres et des arpenteurs. Puis on dote la ville de fortifications et de tours de guet qui assurent sa protection, de portes monumentales permettant le contrôle des chars et des piétons, avant de s’intéresser aux constructions utilitaires.

Les constructions utilitaires

On construit rapidement les routes et les ponts pour faciliter le transport des matières premières, avant de s’occuper de l’approvisionnement en eau : dans l’enceinte de la ville, des puits sont creusés. Puis on pose des canalisations détournant l’eau des fleuves et des rivières et construit des aqueducs amenant l’eau des lacs de montagnes. On développe le réseau en alimentation de l’eau (citernes, tuyaux de plomb alimentant fontaines publiques, latrines et thermes) et le réseau d’évacuation (égouts, canalisations, collecteurs d’eau).

Enfin, les rues de la ville sont édifiées. Des trottoirs permettent le déplacement des piétons : surélevés, ils empêchent les véhicules de grimper et d’écraser les marcheurs. Des blocs sont encastrés dans la route pour forcer les chars à respecter les limitations de vitesse et faciliter les déplacements à pied, lors de fortes pluies.

Une vie bien organisée

Pierre, argile, bois et mortier sont ensuite acheminés vers la cité pour créer des structures essentielles : le forum et le marché.

Au croisement du cardo et du decumanus se trouve le forum : centre administratif, politique et religieux de la ville, il est le carrefour des vies des futurs habitants. On y trouve un temple voué à la triade capitoline (Jupiter, Junon, Minerve) qui est le lieu de culte le plus important de la cité, mais aussi la curie, où se réunissent les conseillers municipaux, le tribunal ou la basilique, le tabularium (archives publiques) et les bureaux du Trésor. Le forum est entouré d’un portique (arcades couvertes bordées de colonnades), permettant de séparer les bâtiments (boutiques, écoles) de l’agitation de la rue. Il peut se doter d’autres temples, selon les cultes qu’importent ses habitants.

Le marché central est l’autre cœur de la vie économique : dans cette zone découverte, des marchands dressent leurs étals et proposent aux habitants leurs articles ou les denrées qu’ils ont importées. Il est entouré d’un portique, à l’étage duquel on trouve des bureaux d’hommes d’affaires, des avocats, des banquiers… D’autres marchés spécialisés, des boutiques et des ateliers rendent la ville économiquement dynamique. Des entrepôts, construits en marge, conservent les marchandises importées et le fruit des récoltes locales.

Les rues sont parsemées de bars, d’auberges, de bordels et de thermes, qui offrent plaisirs et délassement aux citoyens, avant que ceux-ci ne regagnent leurs habitations. Théâtres et amphithéâtres sont les dernières constructions à être édifiées. Plus la ville est importante, plus elle comportera de centres de spectacles.

Une fois toutes ces constructions types mises en place, la ville romaine se développe, jusqu’à ce que ses murailles lui rappellent ses propres limites.

Famille

Les Romains accordaient à leur famille une grande importance : honorant leurs ancêtres, tirant fierté de leur nom, remerciant leurs parents de leur avoir offert la citoyenneté romaine, ils exerçaient avec ferveur la piété familiale.

Pater familias

Prêtre de la cellule familiale, unique détenteur de l’autorité, le père est le maître absolu des biens et des personnes. Il marque de son nom, comme d’un sceau, ceux qui résident sous son toit et lui doivent le respect.

Il a alors un droit de vie et de mort sur eux : si un enfant naît infirme, il a le droit de l’abandonner, de le vendre ou de le laisser mourir. S’il reconnaît l’enfant, il le prend dans ses bras et l’élève pour lui conférer sa légitimité. Il peut aussi battre ou mettre à mort sa femme si elle se rend coupable d’adultère.

Représentant légal de ses enfants et de son épouse, il doit donner son autorisation pour qu’ils soient libérés de sa tutelle. Le pater familias peut déshériter un fils indigne : aucun instinct paternel ne le pousse à aider ses enfants ; la tendresse paternelle est un héritage du christianisme. Il n’hésite alors pas à adopter pour transmettre ses biens, son titre et sa place de patriarche.

Le nom romain

Il est divisé en trois parties : prénom, nom, surnom. Un surnom supplémentaire peut être ajouté.

Le surnom supplémentaire vient d’un trait de caractère (Tarquin le Superbe, Antonin le Pieux), d’un succès militaire (Scipion l’Africain, Claude le Gothique) ; il sert aussi à opérer une différence avec un ancêtre (Pline l’Ancien et Pline le Jeune).

Matrone

La femme est considérée comme mineure aux yeux du droit romain : elle reste toute sa vie soumise à la tutelle masculine, celle de son père, de son mari ou, dans le cas de leur décès, d’un autre membre de la famille.

Elle doit obéissance absolue à son époux, qui peut la répudier ou en divorcer en cas de stérilité, de tentative d’avortement ou de falsification des clés de la domus.

Elle doit faire de nombreux enfants, qu’elle élève avant qu’ils aillent à l’école. Elle est la gardienne du foyer : restant à la maison, elle file et tisse la laine, fait le ménage, gère la nourriture, dirige ses servantes et ses esclaves. Les clés de la domus, portées à la taille, lui confèrent de l’autorité et lui valent le titre de domina (maîtresse de maison) ou de patrona (patronne).

Elle assiste son mari dans sa vie publique : elle l’accompagne aux cérémonies et aux jeux et agrémente les banquets de sa conversation aimable. Elle ne doit toutefois pas surpasser intellectuellement les hommes : quoique plus libérée que la femme grecque confinée dans son gynécée, la Romaine conserve une certaine réserve et une douceur passive.

Mariage

Le mariage est un acte solennel réservé aux citoyens. C’est le père qui crée des alliances politiques et économiques : Rome ne connaît pas les mariages d’amour. Peu importe l’affection : chaque époux a un rôle bien défini à tenir et n’éprouve aucune honte à ne pas aimer son conjoint.

Fiançailles

Les fiançailles scellent l’accord politique, économique et religieux conclu entre les deux familles : on prend les augures pour s’assurer de l’accord des dieux, on invite des amis qui servent de témoins, on échange des anneaux marquant physiquement l’engagement entre fiancés et on signe un contrat déterminant la nature et le montant de la dot de la future épousée. Cet acte juridique permet d’intenter une action en justice, si l’une des deux parties ne respecte pas ses engagements.

Formes de mariage

L’âge légal pour se marier est de 12 ans pour les filles, 14 ans pour les garçons, mais ceux-ci se marient vers la trentaine. Il existe plusieurs sortes de mariages : le plus ancien est le mariage cum manu, qui fait passer la jeune épousée de l’autorité (manus) du père à celle du mari et qui évoluera, à partir de 450 avant J.-C., en mariage sine manu, où la jeune fille reste sous la tutelle du pater familias.

La confarreatio rend le mariage indissoluble : après avoir pris les auspices, les nouveaux époux offrent à Jupiter un gâteau de froment (farreum), qu’ils se partagent devant l’autel domestique. Cette union au caractère religieux était réservée aux familles des patriciens.

La coemptio est le mariage plébéien. Il consiste en l’achat symbolique de la jeune fille par le fiancé : une formule rituelle du père sacralise la vente de la tutelle de la mariée.

Le mariage per usum entérine une cohabitation pendant laquelle la jeune fille a vécu, durant un an, dans la famille de son mari : il est déclaré nul si l’épouse a découché plus de trois nuits consécutives.

À la fin de la République, une nouvelle forme de mariage apparait, les nuptiae (du latin nubere, mettre le voile), fondées sur le consentement mutuel.

Cérémonie

La veille des noces, la fiancée revêt une tunique blanche et coiffe ses cheveux à la manière des vestales, en six tresses symbolisant sa virginité et sa pureté.

Le matin, elle endosse un manteau et des sandales couleur de safran – signe de richesse et de fécondité – et se couvre la tête d’un voile orangé sur lequel elle dépose une couronne de fleurs. Ses parents sacrifient sur l’autel domestique et consultent les auspices avant la cérémonie. Les nouveaux époux joignent leurs mains droites en signe d’engagement mutuel, en se plaçant sous l’égide d’une femme n’ayant été mariée qu’une seule fois.

Ils conduisent leurs invités vers un grand festin, qui prend fin lorsque l’étoile Vesper apparaît dans le ciel. Le marié fait alors mine d’enlever sa femme et l’emmène vers son domicile, escorté d’un cortège qui porte des torches symbolisant ses aptitudes sexuelles, chante des hymnes au dieu Hyménée et multiplie les plaisanteries grivoises.

Il demande son nom à son épouse, pour que celle-ci prononce la formule rituelle qui signe sa soumission : « Où tu seras Gaius, je serai Gaia. »

Munie d’une quenouille et d’un fuseau (symboles de ses vertus domestiques), la mariée passe le seuil de la porte dans les bras de son mari, qui lui présente l’eau, le feu et les clés de la maison (symboles de leur vie commune et de son nouveau foyer). L’épouse offre une pièce de monnaie à son époux, une aux Lares de la maison, une au dieu gardant le carrefour le plus proche (symbole de sa destinée), avant que la nuit de noces commence.

Habitations

L’habitat romain est un des vecteurs de la romanisation : il symbolise et transmet un mode de vie.

Domus et villa

Hérités des Étrusques, ces habitats s’organisent autour d’une cour centrale, l’atrium. La domus en est la variation urbaine, la villa la version campagnarde, servant de lieu de repos ou de cœur d’une exploitation agricole.

Elle abrite une seule famille (parents, enfants, proches et esclaves) et reflète le niveau social de son propriétaire, qui peut agrémenter sa maison d’une boutique qu’il loue à un commerçant.

Sa taille peut varier mais la distribution des pièces reste la même. Passé le vestibulum (entrée), on arrive dans l’atrium. Ce centre de la maison est une pièce à ciel ouvert, au centre de laquelle on trouve un impluvium, ce bassin destiné à recueillir les eaux de pluie. L’atrium sert d’accueil aux visiteurs, hôtes et clients. Vitrine du propriétaire, il est luxueusement décoré : quand un banquet est organisé, on y dispose meubles, sculptures et statues pour divertir les invités, avant de passer au triclinium pour le repas.

Une fois accueilli, le visiteur emprunte des corridors pour passer dans le tablinum, le bureau du maître. Le maître reçoit les clients de moindre qualité sociale dans de petites pièces, les alae. Garnies de grandes fenêtres, elles permettent à la lumière de mieux entrer dans la maison.

Certaines pièces restent inaccessibles aux invités, comme les chambres à coucher (cubicula) et leurs procoeton (petites pièces où dort un esclave affecté au service du dominus ou de la domina).

La cuisine (culina) est réservée à la maîtresse de maison et à ses esclaves : cette petite pièce brille par son organisation pragmatique.

Les maisons les plus riches possèdent des bains privés et des jardins (hortus) garnis de péristyles invitant à la promenade méditative, des bassins à poissons et une exèdre, une pièce ouverte sur la verdure faisant office de salon de jardin.

Insula

Sous la République, l’accroissement de la population entraîne la nécessité de développer des logements d’habitations collectives, rapidement constructibles et accessibles à toutes les bourses : les insulae.

Au départ dotées de cinq étages, ces constructions atteindront jusqu’à douze paliers avant que des législations ne limitent leur hauteur à 21 mètres. Elles sont divisées en appartements de taille variée (entre 10 et 100 m²), accueillent des familles entières et abritent parfois des boutiques au rez-de-chaussée.

Ces immeubles ne bénéficient pas de l’eau courante et sont insalubres. Ils sont réalisés dans des matériaux grossiers (briques, bois, tuiles de céramique), qui se détériorent facilement, s’effondrent quand les crues du Tibre attaquent les fondations et sont rapidement consumés en cas d’incendie.

Certains sont entourés d’un portique censé arrêter la propagation du feu, souvent déclenché par la négligence d’un locataire laissant son brasero allumé. La loi impose aux locataires de garder des cruches d’eau dans les appartements pour limiter les départs d’incendie.

Les loyers, au départ raisonnables, flambent au Ier siècle après J.-C., quand les insulae deviennent des logements luxueux et recherchés.

Parure

Premier moyen de se distinguer et de séduire, l’habit est aussi un rempart à la débauche et un signe de civilisation. Il symbolise le statut social du Romain, tout comme le feront ses bijoux ou sa capacité à prendre soin de son corps.

Le vêtement du citoyen

La toge est le vêtement du citoyen, l’instrument de sa dignitas et de son rang social : les esclaves ne portent que des tuniques en toile de jute et les citoyens les plus pauvres des toges sombres. Couvrant le corps, la toge montre la capacité à se maîtriser, à masquer l’intime et à se protéger de ses propres passions.

Le tissu (5,6 mètres sur 2) est drapé de manière architecturale et ajusté avec une ceinture. Il est d’une qualité variée (laine, grosse toile de lin, toile fine venue d’Égypte, coton venu d’Inde et soie importée de Chine) et se porte sur des sous-vêtements (le pagne et le laticlave, une tunique de laine sans manche).

Il existe différents types de toge : la prétexte, bordée de pourpre, est portée par les magistrats en exercice ; la picte, bordée de pourpre et d’or, par le général triomphant ; et la laena, sorte de robe d’apparat, par le Roi ou les flamines lors de sacrifices. La trabée est une toge d’apparat : pourpre, elle est destinée aux empereurs ou aux statues de dieux ; safran, aux augures ; blanche à bande pourpre, aux consuls et aux chevaliers.

Le citoyen porte des manteaux : le pallium grec laisse une grande liberté de mouvement ; le lacerna, léger et élégant, est signe de richesse.

À ses pieds, des sandales ou des bottes de cuir : celles des patriciens sont rouges et ornementées d’une boucle d’ivoire en forme de croissant.

Le vêtement féminin

Les femmes romaines portent la stola, une tunique à courtes manches tombant jusqu’aux pieds, agrémentée d’une ceinture pour souligner la taille. Sous cette tenue, un strophium sert de soutien-gorge bandeau : il est porté sur la tunique faisant office de sous-vêtement. À partir du IIe siècle avant J.-C., la stola se teinte de vives couleurs, sous l’influence gréco-orientale.

Pour sortir, les matrones revêtent une palla munie de grandes coudées et de plis qui leur permettent de se voiler et de signaler leur statut d’honnête femme. Ce manteau peut être complété par une écharpe voilant la tête (mitra) et une ombrelle, pour se protéger le teint.

Aux pieds des Romaines, de jolis souliers fins, blancs ou de couleur, s’ornent de broderies, de pierres et de perles.

Coiffure

La mode de se raser a été introduite lors des guerres puniques. On offre sa première barbe aux Lares avant d’entretenir une légère barbe jusqu’à ses 40 ans. Un homme cesse de se raser quand il porte le deuil.

Les cheveux du citoyen romain sont courts et plats ; ils dégagent le front et la nuque. Le fer à friser (une tige creuse de roseau dans laquelle on glisse une autre tige chauffée dans de la cendre) et le parfum sont mal vus : ils sont l’apanage des femmes.

Sous la République, celles-ci portent de simples chignons. Seul le mariage exige une coiffure complexe : six tresses enroulées au sommet du crâne symbolisent la chasteté de la fiancée.

Les cheveux frisés se développent sous l’Empire : encadrant le visage féminin, ils forment des diadèmes et des chignons extravagants.

Au IVe siècle après J.-C., les femmes rassemblent leurs cheveux dans des filets d’or tissé et portent parfois des postiches, emmêlés de perles et de pierres fines. Elles se teignent les cheveux en blond avec de la graisse de chèvre mêlée de cendre de hêtre.

Maquillage

La noble Romaine entretient son teint de lait avec une crème aux ingrédients douteux (excréments de crocodile, résidu de plomb en pâte, craie), à laquelle elle rajoute un soupçon de nitre rouge pour rehausser ses pommettes. Elle maquille ses lèvres en rouge vermillon, ses sourcils avec de la purée de mouches et d’œufs de fourmis et ses paupières avec du safran, pour souligner sa richesse.

Elle prend soin de sa peau grâce à du lait d’ânesse ou des cataplasmes nocturnes composés de farine d’orge, d’œufs séchés, de corne vive de cerf, de gravelle de vin, de bulbes de narcisse, de farine et de miel. Elle dissimule ses boutons et ses rougeurs sous de la fiente d’oiseau.

Elle se lave les dents avec de la pierre ponce en poudre, mélangée à des pétales de roses broyées, de la noix de Galle, de la myrrhe et de l’urine de jeune garçon. Elle maintient son haleine fraîche en suçant des pastilles de myrrhe pétrie dans du vin vieux avec des baies de lierre.

Les odeurs sont fondamentales, pour séduire : la femme romaine se ruine en parfums – jusqu’à 300 deniers le flacon (soit environ 1 000 € aujourd’hui) !

Bijoux

Les hommes portent des fibules décoratives sur leur toge et un anneau-sceau à l’annulaire gauche. Leur carrière militaire peut les amener à recevoir des torques ou des bracelets.

Quant aux femmes, elles rêvent de bijoux en or égyptien ou en argent espagnol, incrustés de pierres fines. Elles portent des boucles faisant résonner des sardoines, des émeraudes, des cornalines ou des perles à leurs oreilles. Elles agrémentent de breloques de cuivre ou de cristal leurs châles, ornent leurs bras de bracelets à l’orfèvrerie délicate et soulignent la finesse de leurs mains par de lourdes bagues en or serties de pierres précieuses ou de verre travaillé.

Synthèse

La vie quotidienne semble ponctuée d’une série de codes : structure rigoureuse du tracé de la cité, organisation de la maison autour de l’atrium, vêtements distinguant le citoyen de l’esclave, hiérarchie familiale imposante, rituels du mariage… Charpente de la société romaine, ces éléments sont transmis aux peuples conquis et constituent les fondations de leur romanisation.

L’ÉCONOMIE

Certaines crises politiques romaines sont liées à son économie. Pour comprendre l’histoire romaine et sa civilisation, il faut se pencher sur ses ressources : l’agriculture, le développement de son industrie et de son commerce, la naissance et l’évolution de sa monnaie ou la relation économico-politique qui unit patrons et clients.

Agriculture

La fertilité des terres italiennes et la douceur des températures permettent la culture des céréales, des vignes, des oliviers et des arbres fruitiers. Les plateaux et les montagnes offrent des pâturages de choix pour l’élevage. Les forêts favorisent la construction.

À la fin de la République, la modification du climat et du paysage (recul de la forêt, modification chimique du sol) a rendu la cultivation plus difficile, encourageant le développement de l’élevage, la multiplication de canaux d’irrigation, puis l’agrandissement des territoires, pour retrouver des terres fertiles aptes à nourrir une population croissante.

Un lieu et ses habitants

Les Romains nomment villae rusticae leurs domaines agricoles et leurs fermes. Ils les construisent en tenant compte de l’exposition des terres au soleil.

On y trouve deux types de bâtiments, les habitations et les constructions utilitaires : huilerie, pressoir, cellier, granges, magasin à viande, greniers à blé, chambre à bouillir le vin, réservoir de bois, bassins…

Des intendants ou des maîtres informés par des traités surveillent le travail des ouvriers, les stimulant ou les punissant en fonction des besoins. Ces ouvriers peuvent être des esclaves, des employés extérieurs spécialisés (maçons, charpentiers, cueilleurs, bouviers, porchers) ou des aides auxiliaires (vignerons).

Productions

Les fermes diversifient leur production pour faire face à la demande du marché agricole : légumes (raves, carottes, oignons, betteraves, salades et choux), cosses (fèves, lentilles, pois chiches), céréales (lupin, orge, blé, épeautre). Certaines se spécialisent dans les fruits : les Romains connaissent quarante-quatre variétés de figuiers, trente-deux de pommiers, seize de pruniers, quarante de poiriers…

D’autres se tournent vers l’élevage : bœufs, chevaux, brebis, chèvres, moutons, porcs, poules, canards et oies sont exploités pour leur viande, leur lait, leur laine, leurs plumes ou leurs œufs. Certaines fermes se dotent même de ruches ou de viviers de poissons.

Organisation

Un calendrier agricole est affiché dans la ferme : les paysans utilisent la marche des astres pour faire fonctionner leur exploitation. Ils font des prévisions météorologiques, observent les vents et déterminent des périodes de culture.

Ils lisent les Géorgiques de Virgile ou les traités de Varron ou Columelle afin d’y trouver des conseils pour améliorer leurs techniques de labourage, de moissonnage, de vannage, de bouturage et de marcottage, mais aussi des recettes de fabrication de vin aromatisé ou de médicaments naturels.

Ces traités permettent aux propriétaires de maîtriser les mécanismes du marché agricole (subsister, ravitailler, approvisionner), de calculer le prix de revient de leur propriété et de réfléchir aux aspects techniques de la propriété terrienne (fermage, métayage, nombre d’employés, choix des productions…).

Pilier d’une Rome aux pieds fichés dans la glaise, l’agriculture est la seule puissance économique à avoir sa place dans le calendrier des fêtes religieuses : ses dieux tutélaires (Tellus, Cérès, Palès, Liber…) sont célébrés tout au long de l’année.

Artisanat

Le dépeuplement des campagnes a permis le développement de l’industrie et de l’artisanat.

Métallurgie

La métallurgie romaine est au départ limitée : outils de fer pour les travaux agricoles et pour la guerre, bronze façonné pour des produits de luxe, économie monétaire reposant sur la frappe de l’or, de l’argent et du cuivre.

L’Italie étant pauvre en minéraux, elle se tourne vers la Gaule, l’Espagne et les Balkans pour s’approvisionner et découvrir comment développer sa maîtrise de la fonte du bronze, son orfèvrerie et son drainage des mines. La vaisselle en métal, les appliques décoratives et les statuettes métalliques font leur apparition dans les demeures romaines. Les techniques d’utilisation des métaux sont assez limitées : les Romains ne ferrent pas leurs chevaux et ne raffinent pas leur attelage. Ils ne pensent pas à rentabiliser cette force animale car l’essentiel de leur puissance industrielle repose sur la force de la main d’œuvre esclave.

Céramique

L’urbanisme grandissant encourage le développement de la céramique : celle-ci sert dans de nombreux matériaux de constructions (tuiles, briques, tuyaux des canalisations, carreaux de pavement).

Elle envahit le quotidien romain : récipients pour transporter des produits (amphores et jarres) en céramique claire et sombre d’origine italienne, sigillée gauloise (céramique fine, à vernis rouge) donnant naissance à des lampes à huile et à de la vaisselle (assiettes, plats, bols, mortiers, pichets) et sigillée africaine façonnant des masques de théâtre et des statuettes.

Verrerie

Moins développé que la poterie, le travail du verre est réservé, jusqu’au Ier siècle avant J.-C., aux objets de luxe. Découvrant comment le souffler dans des moules, les Romains se lancent dans la fabrication en série de toutes sortes de récipients utilitaires (bouteilles, flacons, pots, coupes et urnes funéraires) et développent une forme de verrerie décorative (tesselles de mosaïques, colonnes recouvertes de pâte de verre, imitation de gemmes).

Le verre à vitre reste rare : il est réservé aux établissements thermaux (le double vitrage permettait de conserver la chaleur des pièces), à certains temples et aux demeures des plus riches.

Bois

L’importation de bois exotique encourage le travail de cette matière. Jusque-là réservé à des objets de la vie quotidienne (manches de couteaux, vaisselle), à la fabrication d’outils (manche de faux, pivot de presse à olives ou de moulin à blé) ou à la charpenterie, le bois sert désormais à produire des meubles de luxe ou des objets raffinés (peignes, coffres, instruments de musique).

Tannerie et tabletterie

Les Romains aiment travailler d’autres matières organiques : le cuir de bœuf, de mouton ou de chèvre est réservé au domaine vestimentaire (ceintures et chaussures naissent dans les tanneries italiennes) et l’os aux petits objets sculptés (boutons, aiguilles, épingles à cheveux, dés, pions de jeux, et parfois gardes d’épées).

Textile

Les matrones romaines tissent, filent et cardent la laine et le lin. Le commerce avec les provinces orientales permet aux aristocrates de découvrir le coton et la soie. D’autres fibres végétales peuvent être utilisées pour la fabrication des draps (chanvre, ortie) ; le crin de cheval renforce les coutures des sacs et des ceintures.

La laine est tissée pour former des trames fines, légères et presque transparentes l’été ou épaisses, chaudes et superposables l’hiver. Le lin sert à fabriquer des tuniques légères pour l’été ainsi que la tunica intima, ancêtre du sous-vêtement à porter sous les tuniques en laine.

Les matrones utilisent des quenouilles et des fuseaux pour filer les fibres, puis des métiers à tisser et leurs navettes pour réaliser la longueur voulue pour le vêtement. Le tissu est ensuite teinté ou foulé pour être rendu plus souple ou plus blanc. On le tond pour faire disparaître les fils qui ressortent.

Puis les matrones ou des tailleurs professionnels cousent les extrémités en laissant un trou pour la tête et les bras : sous l’Empire, des manches courtes sont tissées avec le reste de la tunique. On rajoute des bandes de tissus colorés, des broderies, des perles et parfois de la fourrure pour agrémenter le vêtement.

Mesures

À Rome, on utilise son corps comme utilité de mesure : doigt, pouce, pied, coudée et pas sont les premières indications permettant d’élaborer un système de mesure sophistiqué. La diversité des récipients sert à mesurer les volumes des liquides et des solides. C’est une masse monétaire grecque qui sert de point de repère pour calculer les poids.

Les longueurs et les surfaces

Le pied sert d’unité de base pour mesurer les longueurs.

Unité

Équivalent en pieds

Équivalent en mètres

Digitus / Doigt

1/16

0,0185 m

Palmus / Paume

1/4

0,0739 m

Pes / Pied

1

0,2957 m

Cubitus / Coudée

1 1/2

0,4436 m

Gradus / Degré

2 1/2

0,739 m

Passus / Pas

5

1,479 m

Pertica / Perche

10

2,957 m

Actus / Arpent

120

35,439 m

Stadium / Stade

625

184,812 m

Milliarum / Mille

1000

1478 m

Leuga / Lieue

7500

2223 m

Les surfaces se calculent avec le pied carré comme unité de base.

Unité

Équivalent en mètres carrés

Pied carré

0,08 m2

Scripulum / Perche carrée

8,74 m2

Actus Minimus / Aune

41,97 m2

Clima / Quaterlée

314,78 m2

Actus Quadratus / Arpent carré

1258 m2

Jugerum / Jugère

2518 m2

Centuria / Centurie

50,4 ha

Saltus / Quadruplex

201, 5 ha

Liquides et solides

C’est le setier (le sixième d’un conge, représentant lui-même le huitième d’une amphore) qui sert d’unité de base pour mesurer les liquides et les solides.

Pour les matières sèches, on parle de boisseaux (8,76 L) et on utilise souvent les mêmes unités que pour les liquides.

Unité

Équivalent en setiers

Équivalent en litres

Cyathus / Coupette

1/12

0 ,046 L

Hemina / Hémine

1/2

0,274 L

Sextarius / Setier

1

0,547 L

Congius / Conge

6

3,283 L

Urna / Urne

24

13,132 L

Amphora / Amphore

48

26,263 L

Culleus / Outre

960

525,27 L

Poids

L’unité de mesure pour le poids est la drachme grecque.

Unité

Valeur

Équivalent en grammes

Chalcus / chalque

1/48

70,3 mg

Siliqua / Silique

1/18

0,19 g

Obolus / Obole

1/6

0,56 g

Scrupulum / Scrupule

1/3

1,125 g

Drachma / Drachme

1

3,375 g

Sicilicus / Sicle

2

6,75 g

Uncia / Once

8

27 g

Libra / Livre

96

324 g

Mina / Mine

128

432 g

Monnaie

Les Grecs ont fait découvrir aux Occidentaux l’usage de la monnaie et les Romains l’ont inscrite dans les habitudes et les usages de la population.

Un système qui se développe

Sous la République

Avec la structuration des sociétés occidentales, la monnaie se développe, remplace le troc et gagne sa fonction d’évaluation, de réserve de valeur et de règlement des dettes. Dès le IIIe siècle avant J.-C., les formes de monnaie se standardisent et les poids se normalisent : la valeur d’une pièce est associée à son poids.

La deuxième guerre punique accélère l’évolution économique : les réserves monétaires sont mises à contribution pour régler la solde des troupes et financer les campagnes. Grâce à la capture des mines de métaux carthaginois, les Romains multiplient les ateliers monétaires.

Sous l’Empire

Le système monétaire romain devient un ensemble hiérarchisé et compatible. Les grands ateliers monétaires de Lyon et Rome refondent les anciennes monnaies pour obtenir des pièces unifiées, mises au service de la propagande de l’empereur.

Le denier et le sesterce se diffusent alors dans tout le monde méditerranéen, les métiers financiers se multiplient (changeurs, banquiers, encaisseurs…) et de multiples échanges financiers (emprunts, prêts, hypothèques) s’organisent.

Au IIIe siècle après J.-C., Rome connaît une crise monétaire : on multiplie la frappe de certaines pièces (deniers, sesterces) et on en fait disparaître d’autres (as), on dévalue les frappes locales et on refond les pièces pour les rendre plus légères.

La monnaie ne cesse de perdre de la valeur : au IVe siècle après J.-C., la nécessité de repousser les Barbares et de restaurer les capacités militaires de l’armée pose la question du financement de ces opérations. Comment payer correctement les soldes, avec une monnaie affaiblie ? L’empereur Aurélien (270-275) crée le solidus, le sou d’or (4,5 g d’or), pour satisfaire ses soldats.

Celui-ci sera dévalué sous Constantin (310-337) : c’est le retour à une économie d’échanges, avant que la monnaie romaine disparaisse complètement, au Ve siècle, sous le règne d’Honorius (395-423). Seul l’Orient, évité par les Barbares, prospère et continue à frapper de la monnaie.

Pièces romaines

On peut classer les différentes pièces de monnaie selon le métal dans lequel elles ont été frappées.

Système monétaire sous Auguste

Métal servant à la frappe

Pièce

Équivalence en as

Or

Aureus

400

Or

Quirinaire

200

Argent

Denier

16

Argent

Quinaire

8

Laiton

Sesterce

4

Laiton

Dupondius

2

Cuivre

As

1

Cuivre

Semis

1/2

Cuivre

Quadrans

1/4

Negotium

Ce terme donne en français un abondant champ lexical : négoce, négocier, négociation… Il désigne, à Rome, le domaine des affaires publiques et particulièrement le commerce.

Propriétaires et commerçants

Deux catégories de citoyens bénéficient du droit de commerce :

La question du marché

Il n’existe pas de conglomérat de marchés interdépendants ou de pensée économique autonome à Rome. L’oeconomica antique désigne la gestion de la fortune personnelle, et non une économie plus globale.

Celle-ci existe au sens factuel (production, échanges, consommation de biens) mais n’est pas coordonnée par l’État ou régie par une doctrine particulière. Elle n’est pas enseignée et ne donne pas lieu à une littérature spécifique (sauf l’agriculture).

Les prix du marché varient donc en fonction de l’approvisionnement ou de la raréfaction des produits : en cas de disette, le prix du blé s’élève.

La part de l’État

Sous la République, l’État n’intervient dans les affaires économiques qu’à trois occasions : l’approvisionnement de l’armée, l’annone et l’entretien des infrastructures. Les provisions militaires sont à la charge de l’État : il choisit, parmi la nuée de marchands qui entourent l’armée, ceux qui la fourniront en blé, viande, garum (voir p. 135), olives, huile, poisson, sel et vinaigre.

Un préfet est chargé de l’annone : il gère l’approvisionnement de Rome en grains et la distribution du blé à la plèbe à bas prix. Pour assurer la substance quotidienne de Rome et des grandes villes de l’Empire, l’État s’infiltre dans le contrôle des importations et réglemente le prix du blé pour ménager les intérêts des agriculteurs, des commerçants et du peuple.

L’entretien des infrastructures, des moyens de transports, des canaux et des égouts est l’œuvre des pouvoirs publics : les édiles engagent des ouvriers pour assurer le bon fonctionnement de l’urbanisme du territoire et payent les potentielles réparations.

Le rôle de l’État grandit sous l’Empire : il contrôle l’afflux des marchandises, le taxe à son passage en douane, prélève des dîmes sur les exportations de ses provinces et établit une géographie contrôlée de la production, de la consommation et des échanges. En prétextant intégrer politiquement les provinces qu’il a soumises, il les pille économiquement et s’enrichit sur leur dos.

Acheminer et ravitailler

Une partie du commerce romain repose sur l’acheminement de produits faisant défaut : on colporte sur terre et sur mer ce que la géographie locale n’apporte pas. On entrepose dans de gigantesques entrepôts les produits des provinces, que l’on fait remonter le long du Tibre.

Les routes impériales favorisent ce type d’échanges en désenclavant les régions et en accélérant les liaisons commerciales : les réseaux gaulois, espagnols, britanniques, balkaniques, africains et asiatiques offrent aux caravanes de marchands des voies faciles à emprunter.

Les routes maritimes sont réglementées : du 12 novembre au 10 mars, elles sont fermées (mare clausum) et ne s’ouvrent qu’après la Navigium Isis, fête qui célèbre la réouverture de la mer. Les convois maritimes sont alors accompagnés pour les protéger des pirates.

Patrons et clients

La relation patron/client aurait été fondée par Romulus, qui avait ordonné que chaque plébéien se choisisse un protecteur patricien.

Une protection économique

Pauvre, dépourvu de terres à cultiver, endetté, le client veut éviter l’esclavage. S’il est étranger et vient d’obtenir le droit de cité, il cherche comment s’intégrer dans l’activité économique et politique de sa région.

Un noble et riche patron décide alors de lui venir en aide : il lui fait signer un contrat l’engageant, lui et sa famille, à lui apporter les contreparties politiques et juridiques, en échange de quoi il l’entretient.

Il lui assure une sécurité et une protection économique : il lui donne un repas quotidien, des terres, lui prête de l’argent, lui offre un vêtement neuf le jour de l’an, offre une dot à sa fille, paye ses funérailles…

Un appui politique

Le client s’engage à offrir son soutien à son patron dans sa carrière politique. Chaque matin, il vient le saluer dans sa demeure. Puis il l’escorte sur le forum et aux thermes : plus le cortège de clients est important, plus la popularité et la réputation du patron sont affirmées.

Le client soutient sa candidature à travers la cité par des graffitis électoraux ou des applaudissements nourris, et lui donne sa voix au moment des votes.

Le clientélisme étant un lien héréditaire, cela explique pourquoi certaines familles riches, qui se sont attaché de nombreux groupes familiaux, accèdent régulièrement au pouvoir. Le terme patron n’a pas donné naissance à notre « parrain » mafieux en vain : c’est un véritable trafic politique qui voit le jour.

Un pacte juridique

Patron et client sont unis par une loyauté réciproque, la fides : ils ne s’attaquent pas en justice, ne témoignent ou ne votent pas l’un contre l’autre et se soutiennent en cas de plainte contre l’un des deux.

Le patron peut aussi lever des troupes parmi ses clients et se constituer une garde personnelle, qui palliera l’absence de police en cas d’agression ou de guerre civile.

L’État ne veillant pas sur les individus mais seulement sur la communauté, patrons et clients forment ainsi des cellules de citoyens veillant les uns sur les autres, assurant leur propre survie économique, juridique et politique.

Synthèse

L’économie romaine se distingue par son absence d’industrialisation. Reposant essentiellement sur l’agriculture, l’artisanat et le commerce, elle a créé des relations économico-politiques modernes (patrons et clients) et un système monétaire dont l’évolution est le reflet de son expansion ou de sa décadence.

L’ESCLAVAGE

L’esclavage s’est développé avec les conquêtes romaines. Les Romains n’inventent pas ce système social, en place depuis la plus haute Antiquité, mais lui font atteindre un niveau inégalé : sous l’Empire, l’esclavage est l’institution sur laquelle reposent les besoins et le développement exponentiel de la société romaine.

Servus et dominus

Sous la Royauté, l’esclavage est quasi inexistant : les grands propriétaires terriens exploitent eux-mêmes leurs terrains pour nourrir leur famille. La République voit naître le servus (esclave) et son dominus (maître).

Devenir esclave

La majeure partie des esclaves est fournie par les prisonniers de guerre. Ils sont offerts aux soldats ou vendus pour renflouer le Trésor. L’Espagne, l’Épire, la Numidie, la Sardaigne, la Syrie et la Germanie offrent de larges contingents de main d’œuvre servile.

Les pirates et les brigands s’emparent des gens libres des côtes et des routes qu’ils razzient et les revendent aux enchères sur des marchés aux esclaves – celui de Délos en écoule chaque jour des milliers.

Enfin, les orphelins de criminels continuent à payer le forfait de leurs parents en perdant la liberté. Les fils et filles d’esclaves sont dépourvus, dès la naissance, de toute autonomie civique.

Achat

Les esclaves sont amenés au marché les pieds enduits de craie blanche. On les expose au public sur un échafaudage ou dans des cages, entièrement nus pour favoriser l’examen des acheteurs.

Une pancarte, pendue autour de leur cour, leur sert de label : y sont listés leur origine, leurs qualités, leurs défauts et leurs aptitudes. Ces informations sont lues à voix haute avant la mise aux enchères. Si le vendeur tentait de frauder en oubliant de déclarer un vice, il pouvait être forcé par la loi à racheter l’esclave ou s’en voir dépossédé par l’État.

Les esclaves sont vendus individuellement ou par lots – ce qui permet aux vendeurs de se débarrasser des vieillards. Leur prix varie selon leurs aptitudes, leur âge et leur rareté.

Fonctions

Il y a quatre catégories d’esclaves : publics, impériaux, privés et gladiateurs (pour ceux-ci, voir : Plaisirs, Divertissement, p. 140). Les esclaves publics sont la propriété de l’État : ils assurent des travaux d’intérêt général (travaux de voirie, service des eaux, réparation des bâtiments publics, service des pompiers) ou sont affectés aux travaux forcés dans les mines.

Les esclaves impériaux sont voués à l’État et aux bureaux de l’administration impériale. Certains sont au service de l’empereur et assurent sa toilette, sa santé, l’éducation des enfants, l’alimentation, la sécurité, le culte domestique…

Les esclaves privés sont la propriété des particuliers et servent la familia rustica (à la campagne) ou la familia urbana (à la ville). Le travail servile rustique s’est développé avec l’apparition des grandes propriétés agricoles et l’accroissement du besoin de main d’œuvre à moindre coût. Sous la direction d’un intendant, les esclaves sont chargés de la culture, de l’élevage, de la mise en forme et de la transformation des produits récoltés, mais aussi de l’entretien des terres, des biens et des outils. Certains surveillent la prison de l’exploitation, où l’on enferme les esclaves ayant tenté de s’enfuir. À la ville, le sort des esclaves est plus enviable car la pénibilité du travail est amoindrie. Certains assurent les corvées de la domus (ménage, lessive, cuisine, provisions de bois et d’eau) et sa sécurité ou assistent la maîtresse dans certaines de ses tâches domestiques (tissage, couture).

D’autres sont affectés au service particulier de leurs maîtres (coiffure, maquillage, rasage, massage, port de la litière, aide médicale) et de leurs enfants (nourrice, pédagogue). Les plus cultivés sont assignés à la tenue des livres de comptes, au secrétariat du maître et à la tenue de sa bibliothèque. Ils peuvent l’assister, lors de banquets, en jouant le rôle d’appariteur, chargé de rappeler l’identité et la fonction de chaque convive.

Les banquets romains sont l’occasion pour le maître de déployer sa collection d’esclaves : certains sont réservés aux plaisirs de la table (cuisinier, sommelier, maître d’hôtel, serveurs, goûteurs), d’autres au bien-être des convives et à leurs divertissement : danses, chants, musiques, bouffonneries mais aussi plaisirs sexuels.

Des relations difficiles

Considéré comme un outil doué de parole, l’esclave est dépourvu de droits. Il dépend de la volonté de son maître, qui a sur lui une autorité illimitée et le transmet, comme ses autres biens, par héritage. Il peut être loué, échangé ou mis en gage.

Simple chose, il s’expose à tous les châtiments s’il se rend coupable d’une faute. Les maîtres n’abusent pas de ces punitions : il faut maintenir l’instrument en état de marche pour l’exploiter et rentabiliser son achat. Certains récompensent même leurs esclaves en leur permettant de se constituer un petit pécule.

Affranchissement

On ne sort de l’esclavage que par la mort, la fuite ou l’affranchissement. Les fuyards sont traqués par des enquêteurs professionnels, puis revendus à un prix soldé.

Il existe trois modes d’affranchissement à Rome : libération par testament, rachat par l’esclave de sa liberté et vindicta, un simulacre de procès au cours duquel un magistrat reconnaît, sur demande du maître, la liberté de l’esclave.

Le dominus organise une cérémonie, durant laquelle l’affranchi reçoit les noms et prénoms de son ancien maître. Son nom d’esclave devient son surnom. Il devient le client de son ancien maître.

Les fils et petits-fils de l’affranchi ne sont pas considérés comme des citoyens. Ils le deviendront sous l’Empire grâce au rôle grandissant des affranchis dans les cités (médecins, architectes, grammairiens, soldats).

Vers une amélioration du sort des esclaves

Ces amendements au statut d’affranchi s’accompagnent d’arrêtés réformant celui des esclaves. On accorde peu à peu la liberté aux enfants d’esclaves, on interdit leur achat, on prohibe la mise en esclavage de citoyens endettés et on proscrit le vol d’esclaves. La loi exclut de séparer les familles, leur assure un pécule minimum, empêche la torture et condamne la mise à mort : l’esclave perd son statut de chose.

L’arrêt des conquêtes romaines et l’impact du christianisme impulsent ces modifications et font disparaître l’esclavage. La servitude pénale est abolie et la condition de l’esclave se modifie pour donner naissance au serf médiéval.

Révoltes serviles

Les esclaves représentaient entre un et deux tiers de la population dans certaines régions sous la République : la supériorité numérique et la dureté de certains maîtres pouvaient les inciter à la révolte.

Révoltes siciliennes

Entre 135 et 132 avant J.-C., un esclave syrien, Eunous, déclenche une révolte dans la région d’Enna. Il se fait proclamer roi sous le nom d’Antiochus et constitue un véritable État doté d’institutions, qui juge et met à mort des propriétaires terriens. Avec ses 200 000 fidèles, il renverse Taormina, Catane et Messine avant que le consul Calpurnius Pison n’écrase la rébellion et ne crucifie les esclaves rebelles.

La révolte reprend en 104 avant J.-C., quand le préfet de Sicile refuse de libérer les 800 hommes libres des peuples alliés mis en esclavage par la violence ou la piraterie. Ceux-ci s’insurgent et se choisissent un roi, Salvius, un devin joueur de flûte, couronné sous le nom de Tryphon. Il est aidé par un autre chef d’esclaves, Athénion. Leurs 40 000 hommes conquièrent une partie de la Sicile. La révolte ne cesse qu’avec l’intervention du consul Marius Aquilius Nepos, en 101 avant J.-C. Les prisonniers capturés sont envoyés à Rome pour nourrir les fauves du cirque : ils se suicident dans leurs cellules pour échapper à ce sort.

Spartacus

En 73 avant J.-C., soixante-quatre gladiateurs thraces, gaulois et germains s’évadent de l’école de Lentulus Batiatus à Capoue et se réfugient sur les pentes du Vésuve. Menés par Spartacus, un Thrace qui a servi comme auxiliaire dans l’armée romaine, les révoltés rallient les pâtres de l’Apennin et pillent l’Italie du Sud. Le Sénat romain dépêche deux légions pour écraser la révolte. Elles sont écrasées et humiliées : les soldats prisonniers doivent combattre comme gladiateurs lors des jeux funèbres organisés par Spartacus.

Celui-ci prend ensuite le chemin des côtes maritimes pour rallier les pirates et rassemble ses forces dans le Bruttium, à l’extrémité de l’Italie. Il se fixe à Thurii pendant l’hiver 72-71 pour échanger son butin contre des armes et permettre à ses hommes de se reposer avant d’engager le combat contre Rome.

Ce répit permet à Rome de se réorganiser : le Sénat confie à Crassus un commandement exceptionnel et dix légions. Il écrase l’armée de Spartacus et fait crucifier six mille prisonniers le long des 195 kilomètres de la via Appia menant de Rome à Capoue.

Spartacus, un symbole

Spartacus est un exemple pour les révoltés du monde entier. Pendant la révolution allemande de 1918-1919, un mouvement révolutionnaire naît : le spartakisme. Mené par Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, ce groupe d’extrême gauche marxiste croit à l’action révolutionnaire, défend les droits ouvriers et veut créer une république socialiste. L’œuvre d’Howard Fast, Spartacus (1951) est moins un roman historique qu’une invitation à se rebeller contre des systèmes politiques injustes et répressifs, comme le gouvernement maccarthyste et sa chasse aux communistes.

Synthèse

Véritable support de la société et de l’économie romaine, l’esclavage a longtemps répondu aux besoins liés à l’expansion de celles-ci. Le christianisme réussira là où les révoltes serviles ont échoué : si l’esclavage ne disparaît pas en tant que tel, il s’adoucit quelque peu, permettant aux servi de quitter le statut d’objets pour devenir des hommes à part entière… et d’incarner une nouvelle figure, sur laquelle reposera l’économie médiévale : le serf.

LES PLAISIRS

L’idée de plaisir semble assez étrangère à la morale romaine : pragmatique, austère, le Romain républicain est bien loin de la représentation décadente du Romain de la fin de l’Empire, qu’on montre volontiers dans des banquets ou des orgies sans fin.

Il existe un juste milieu entre ces images : celui d’une Rome qui sait se délasser de la vie civile et s’abandonner à une certaine jouissance. Celle-ci peut tirer ses racines d’un certain plaisir charnel ou intellectuel, du délassement physique ou moral.

Alimentation

On fantasme les banquets des Romains, oubliant que, derrière l’image décadente de mets à l’exotisme improbable, se cache à l’origine une alimentation bien plus simple et saine.

Repas quotidiens

Trois repas

Les Romains prennent trois repas quotidiens : le jentaculum est un petit déjeuner très frugal, se limitant à une coupe d’eau accompagnée de pain et de fromage de brebis. Le prandium, le déjeuner du midi, n’est pas plus consistant : une galette de céréales ou un morceau de pain, quelques olives, un morceau de fromage et des fruits.

La cena ou dîner est donc le seul repas chaud important de la journée : il comporte des hors-d’œuvre (œufs durs, laitues, figues, olives), différents plats (poissons, viandes, légumes) et des desserts (fruits, pâtisseries, confitures, miel).

Bases alimentaires

Les bases de l’alimentation romaine sont essentiellement des céréales (blé, orge, sésame, millet) transformées en bouillies ou en pains, et des légumes (fèves, pois chiches, choux, navets, carottes, courges, betteraves, concombres…) consommés frais, frits, en bouillie, en purée, ou vinaigrés.

La viande, réservée aux sacrifices ou aux jours de fêtes, ne représente qu’une petite part dans leur alimentation et n’est accessible qu’aux plus aisés. On la bouillit pour l’attendrir, on la prépare en ragoût avec des légumes (plumentum), on la hache avec des abats et des fruits (minutal) et on la sert en brochettes cuites au four (offela). Les Romains consomment essentiellement du porc, sous forme de jambon, de saucisses, d’andouilles ou de terrines.

Assaisonnement

Tous ces ingrédients sont relevés d’huile d’olive (le beurre est connu mais sert de médicament), d’ail, d’oignons, d’échalotes, d’herbes aromatiques, d’épices, de saveurs aigres-douces (dattes, figues et pruneaux compotés et vinaigrés), de miel et de garum.

Cette mixture célèbre, équivalent antique de notre nuoc-mâm, est produite à partir d’entrailles de petits poissons macérées dans du sel et fermentées au soleil, et de diverses herbes aromatiques. Utilisée comme sauce ou comme remplacement au sel (considéré comme un produit de luxe), le garum existe en diverses qualités (liquamen, muria, allec), en fonction de son degré de décantation ou de la nature des poissons.

Boisson

L’eau accompagne tous ces repas, même si le vin lui supplée agréablement : le vin blanc a la préférence des Romains. Ils le coupent d’eau et de miel pour le rendre moins fort et moins épais. Les classes moins aisées et les légionnaires boivent de la posca, un vin de moindre qualité ayant presque le goût de vinaigre, dans lequel ils diluent des herbes et des épices.

Banquets

Le repas du soir étant le seul vrai grand repas pris par les Romains, il se transforme en banquet. Tout en admirant danseuses, bouffons et musiciens, le Romain déguste un repas entouré d’amis dont le nombre est fixé de manière symbolique : trois pour honorer les Grâces, neuf en hommage aux Muses… Ces invités sont accueillis par des esclaves, qui leur lavent et parfument les mains et les pieds, avant de leur faire enfiler une tunique spéciale, la synthesis, qui leur sert de serviette ou de bavoir, et de les couronner de fleurs.

Ils s’installent sur des triclinia, s’appuient sur leur coude gauche (manger de la main gauche porte malheur) et attendent que les esclaves les servent, dans l’ordre des aiguilles d’une montre.

Ils mangent avec leurs doigts, n’hésitant pas à jeter à terre leurs restes, qui nourriront les chiens ou les Mânes de leur hôte. Ils profitent de la véritable géographie gourmande que celui-ci ne manquera pas de leur offrir, pour prouver sa richesse et satisfaire ses fantaisies gastronomiques.

Thermopolium et bars

Cette sorte de fast-food antique se retrouve dans toutes les villes romaines et offre aux voyageurs de quoi manger rapidement quelques plats simples, assis sur des banquettes de bois. Soupes, ragoûts de viande, charcuteries variées, pain, fromage, œufs durs, légumes frais et secs leur sont proposés dans des menus peints sur les murs.

Ces modestes restaurants sont parfois des auberges proposant des chambres où les attendent la femme de l’aubergiste ou quelques esclaves prostituées – un phallus de pierre, fixé au-dessus de l’entrée de l’établissement, protége le thermopolium du mauvais œil et signale ses activités secondaires.

On y vient aussi pour consommer du vin parfumé d’herbes, de miel et de résine, avant d’aller poursuivre la beuverie dans un autre bar – Pompéi en compte plus de deux cents !

L’art d’aimer

Comme pour l’alimentation, l’art d’aimer à la romaine nous a légué des images contradictoires : celles d’êtres psychorigides incapables de tendresse ou celles d’orgies débridées.

L’amour (extra)conjugal

Le corps féminin est perçu comme pur et reproducteur : confinées dans leur rôle de matrone vertueuse, les femmes ne connaissent guère de plaisir et sont souvent délaissées par leurs maris pour des esclaves et des courtisanes : ces relations ne sont pas considérées comme adultérines. Seules le seront les relations avec d’autres femmes de « bonne société ».

Pour parvenir à les séduire, les hommes s’inspirent de L’Art d’aimer d’Ovide. Ce manuel de drague antique présente la conquête amoureuse comme un service militaire : l’amant y devient un soldat multipliant les stratégies d’approche pour dompter son ennemie. La dernière section de l’ouvrage offre quelques conseils aux femmes en quête d’amants.

Pratiques sexuelles

Le citoyen romain se doit d’être un corps pénétrant et non pénétré, dominant et non dominé, actif et non passif. Le baiser est le seul moment où la bouche participe aux jeux érotiques : le cunnilingus et la fellation sont considérés comme infâmants. Un citoyen n’est toutefois pas déconsidéré s’il reçoit une fellation ou sodomise son ou sa partenaire : tant qu’il assume la position de dominant, son identité morale n’est pas mise à mal.

Sont condamnées et jugées comme déviantes des pratiques comme l’exhibitionnisme, le voyeurisme, la bestialité, la masturbation, les fantasmes impliquant un dieu ou une déesse, la pédophilie et l’homosexualité entre citoyens.

Châtiées, ces expériences sexuelles sont présentes dans les biographies des empereurs fous : ces récits donnent naissance au cliché voulant que les Romains se rendent tous coupables d’orgies dépravées – alors que celles-ci se limitaient à quelques débauches sexuelles lors des Bacchanales. Engoncés dans une morale encourageant la pudeur et la répression des passions, les Romains sont des puritains avant l’heure.

Plaisirs des bas-fonds

Les dépressions naturelles de Rome donnent naissance à des quartiers chauds où l’on pouvait s’adonner au vice : paris, jeux, visites à des charlatans et des astrologues, et sexe tarifé. Le Transtévère fournit les prostituées les moins chères et l’Aventin propose des courtisanes de luxe. Les portiques, les alentours des temples d’Isis, les passages près du Grand Cirque permettent aussi au Romain de trouver son bonheur auprès des louves – lupa désignant en latin l’animal et la prostituée.

Les bordels sont signalés par des oiseaux-phallus accrochés au-dessus de leurs portes et par des graffitis qui en indiquent la direction. À l’intérieur, le client trouve une liste des prostituées disponibles, leurs prix et leurs spécialités. Il attend son tour en lisant les commentaires des autres clients, avant de rejoindre une des petites chambres où, sur un lit de pierre, il tente de reproduire les frasques sexuelles représentées sur les murs.

Les femmes ne sont pas en reste : sous le règne de Tibère, certaines matrones profitent de la libération des mœurs pour s’inscrire comme prostituées sur les registres de certains lupanars. L’impératrice Messaline les imitera plus tard. D’autres cherchent à rencontrer des gladiateurs, véritables fantasmes ambulants des nobles romaines.

Avec la montée en puissance du christianisme, les bas-fonds disparaissent : les bordels se vident, sont brûlés, les prostituées traquées et l’ordre sexuel puritain s’instaure.

Divertissements

Parmi les plus grands plaisirs des Romains, on compte les divertissements qu’offrent les courses de chars, les combats de gladiateurs et le théâtre. Ceux-ci nous ont laissé des édifices (théâtres, amphithéâtres, stades, hippodromes) à travers toute l’Europe.

Les courses de chars

La passion des courses de chars ne cessera jamais chez les Romains, qui accourent dans les hippodromes jusqu’à la fin de leur Empire et ont transmis leur enthousiasme aux Byzantins.

Un lieu de rassemblement : l’hippodrome

Les cirques romains – le plus célèbre est le Circus Maximus – se présentent comme de larges espaces rectangulaires terminés, à l’une de leurs extrémités, par un arc de cercle, et ouvert, à l’autre extrémité, sur les stalles d’où les chars s’élancent. Au centre de cette étendue sableuse à ciel ouvert, la spina, l’épine autour de laquelle tourneront les chars, est décorée d’œuvres d’arts et d’une borne surmontée de sept dauphins que l’on abaisse pour compter le nombre de tours courus.

Tout autour, on trouve des gradins, d’où les spectateurs encouragent toute la journée leurs équipes préférées : ils parient sur les couleurs de leurs casaques, encourageant les Rouges, les Blancs, les Verts (préférés des empereurs) ou les Bleus (préférés des classes populaires) et, sous Domitien, les Ors et les Pourpres. Ils échangent dans les tribunes des anecdotes sur les cochers ou les chevaux célèbres. Leur enthousiasme peut tourner à la fureur : des émeutes se déclenchent parfois pour défendre leurs idoles. L’empereur Théodose dut réprimer, en 390, sept mille supporters déchaînés ne supportant pas que leur cocher préféré soit condamné pour outrage aux mœurs.

Le déroulement d’une course

Chaque course s’ouvre sur la pompa, une procession religieuse conduite par le magistrat ayant organisé les jeux et parfois par l’empereur lui-même.

« En grande pompe »

Cette expression populaire, qui signifie « avec luxe, abondance, solennité » est l’héritière du cortège ouvrant les courses de chars. Des images des dieux et des empereurs, portés par des chars décorés, des collèges de prêtres et de figurants, défilent devant les spectateurs, pour rappeler l’origine sacrée des jeux et les placer sous la protection des dieux.

Une fois la procession terminée, les chars sortent des stalles et s’installent sur la ligne de départ : les courses réunissent des biges (chars tirés par deux chevaux), des triges (trois chevaux), ou des quadriges (quatre chevaux).

Les cochers attendent un signal pour s’élancer : celui-ci est donné par le magistrat présidant les jeux, qui agite puis jette une mappa, une serviette blanche. La course commence alors, dans le sens des aiguilles d’une montre : les auriges (conducteurs de chars) doivent réaliser le plus rapidement possible leurs sept tours d’hippodrome.

Ils sont prêts à tous les dangers : frôler la spina, éviter le char d’un concurrent trop pressant, détourner leur attelage pour qu’il ne s’écrase pas sur les débris d’un char, et, s’ils ne parviennent pas à l’éviter, couper les rênes de leurs chevaux.

Il arrive que des accidents soient causés par des spectateurs qui, pour soutenir leur favori, jettent sur la piste des paniers ou des objets sous les sabots de ses adversaires.

La promesse d’une forte récompense nourrit le courage des auriges : ces hommes libres peuvent toucher, en plus de la palme de la victoire, jusqu’à 60 000 sesterces lors d’un succès.

Les combats de gladiateurs

Ces cruels divertissements seraient nés en Étrurie et auraient été liés à des rituels religieux : verser le sang apaise les divinités étrusques, avant de devenir un amusement propre à égayer les banquets, puis une sorte d’institution nationale, financée par les magistrats ou par l’État pour susciter la faveur du peuple.

Un divertissement codé

Les gladiateurs ne s’affrontent pas de manière aléatoire. Chacun possède un rôle, un équipement et un adversaire particuliers : le Rétiaire se distingue par son trident et son filet et le Thrace par son coutelas à lame recourbée et son bouclier carré. Ils s’opposent au Gaulois, au Mirmillon et au Secutor, bardés de fer, portant glaives et longs boucliers rectangulaires. En face d’eux, l’Hoplomaque, bien protégé par sa cuirasse et son large bouclier de fantassin, est muni d’une épée longue. Tous s’affrontent selon un ordre prédéfini.

Le public aime découvrir de nouvelles méthodes de lutte et de défense : les conquêtes romaines lui font découvrir les bottes secrètes des Maures, les sauvages Germains ou les rusés Calédoniens, tous parés de leurs armes et costumes nationaux. De nouvelles catégories de gladiateurs apparaissent : Vélites armés de leurs javelots, Éssédaires montés sur des chars de guerre celtiques, Pagnarii (combattants nains), Dirnachères combattant avec deux poignards, Bestiaires affrontant des fauves avec un épieu ou un glaive…

Avant de combattre, les gladiateurs saluent le président des jeux ou l’empereur, s’il est présent, par une formule rituelle, à l’authenticité contestée : « Ave, Caesar, morituri te salutant ! » (Ceux qui vont mourir te saluent). Les combats n’aboutissent pas toujours à la mort : certains s’arrêtent au premier sang, sur demande du propriétaire des gladiateurs, qui souhaite ménager ses hommes. D’autres sont interrompus par les clameurs du public, qui réclame grâce pour un combattant exceptionnel. Il arrive parfois qu’un gladiateur obtienne de son entraîneur et de son public la liberté : une épée de bois est remise à ce champion pour symboliser son affranchissement.

Un public déchaîné

Le public, sur les gradins, encourage ses favoris et parie sur l’issue des combats. Il lit le programme qu’il a acheté dans la rue avant de rentrer dans l’amphithéâtre et qui lui permet de reconnaître les différents guerriers.

À l’abri du velum, ce voile tendu au-dessus des gradins pour protéger les spectateurs du soleil, il passe la journée à voir s’enchaîner les combats et leurs intermèdes : chasses aux animaux exotiques, numéros comiques, exécutions de criminels, crucifixion de chrétiens… De temps à autre, on le rafraîchit à grands coups d’eau et de parfum libérant l’atmosphère de l’odeur du sang et des fauves. On lui propose d’acheter boisson et nourriture : le spectacle dure du matin jusqu’au soir et nécessite des pauses, pendant lesquelles les spectateurs se restaurent alors que le sable de l’arène est retourné et renouvelé, pour cacher le sang.

Le public s’investit dans le spectacle : encourageant ses champions, il joue un rôle crucial au moment de l’issue du combat. Le gladiateur victorieux n’a pas le droit de mettre à mort son dernier adversaire, quand il a réussi à le mettre à terre : il doit attendre la décision du donateur des jeux, qui se rallie souvent à l’avis du public. Celui-ci agite son mouchoir pour réclamer grâce et baisse le pouce pour signifier la mort. Sénateurs, femmes et gens de toutes origines s’unissent pour réclamer le versement du sang.

Le président des jeux est prompt à accorder ce que le public réclame : du pain et des jeux (« panem et circenses », selon la formule du poète Juvénal), pourvu que ceux-ci lui permettent d’asseoir sa crédibilité politique. La dynastie des empereurs flaviens l’a bien compris, elle qui a laissée à Rome cet amphithéâtre elliptique qui reste son emblème : le Colisée.

Les combats de gladiateurs ne connaissaient pas que des adeptes : réprouvés par certains philosophes, qui ne comprenaient pas ce goût immodéré pour la violence, ils sont supprimés par les Chrétiens, qui ne pouvaient que réprouver de pareils déchaînements de cruauté. Seules les chasses d’animaux perdurèrent jusqu’au VIe siècle.

Batailles navales

La gladiature pouvait prendre une forme exceptionnelle, celle de la naumachie. Ce spectacle est offert au peuple pour célébrer un grand personnage. Il a lieu sur des étendues d’eau naturelles, comme le lac Fucin, dans des bassins creusés spécialement sur le Champ de Mars ou dans des stades ou amphithéâtres inondés pour l’occasion.

Il reconstitue de grandes batailles navales : des gladiateurs, des prisonniers de guerre et des criminels, revêtus de costumes historiques, revivent pour le public des combats opposant des puissances maritimes célèbres.

La naumachie offre un spectacle plus sanglant que celui des combats de gladiateurs traditionnels, où les vaincus n’étaient pas systématiquement mis à mort : les effectifs plus importants et le combat par troupes teintent le bassin de sang.

Grandioses et coûteuses, les naumachies semblent avoir disparues à l’époque flavienne (69-96 après J.-C.) et n’avoir été organisées que ponctuellement, avant de réapparaître comme divertissement à la Renaissance.

Le théâtre

Héritier des jeux scéniques étrusques et du théâtre grec, le théâtre romain rassemble le peuple dans des enceintes hémicycliques en pierres pour lui offrir des spectacles d’une journée, à l’occasion de solennités religieuses ou de célébrations publiques (triomphe, funérailles nationales). Payées par l’État, présidées par un magistrat assisté d’un curateur et d’un chef de troupe, ces représentations lui permettent de découvrir des tragédies, des comédies, des drames satiriques, des pantomimes ou des farces.

Face à lui, des acteurs méconnaissables sous leurs perruques, leurs masques de théâtre ou leur maquillage important, s’avancent sur scène, juchés sur des cothurnes (sandales à semelles épaisses) et vêtus de costumes emblématiques (robe jaune pour les courtisanes, tunique courte pour les esclaves, toge blanche pour les citoyens, manteau pour les voyageurs), et lui jouent des histoires à l’humour grossier, au réalisme effrayant (des condamnés à mort prennent la place des acteurs dans les scènes d’exécution) ou aux émotions exaltées. Usant de techniques vocales et de gestes parfaitement chorégraphiés, ces acteurs, tous masculins, esclaves et stars, enchantent le public par leur performance ou s’attirent, au contraire, des commentaires grossiers, si la représentation est mauvaise.

Dans l’orchestra, des musiciens et des chanteurs agrémentent parfois l’action d’une dimension musicale et soulignent les aspirations surnaturelles de fantômes jaillissant de trappes ou de dieux, dont les statues semblent descendre du ciel grâce à une habile machinerie (le fameux deus ex machina, qui résout toutes les intrigues).

Le dernier acteur en scène demande aux spectateurs d’applaudir la troupe : ceux-ci, encouragés par le chef de la claque, saluent parfois sa performance, ou l’insultent jusqu’à ce qu’il sorte de scène, si celle-ci a déplu.

Ces réactions étonnantes s’expliquent sans doute par le fait que le théâtre est un loisir accessible à toutes les couches de la population : hommes, femmes, enfants, esclaves, affranchis et prostituées se pressent sur les gradins, sans que les classes sociales se mélangent pour autant. Des réseaux de galeries permettent à chacun d’accéder à la place qui correspond à sa caste sociale.

Otium intellectuel

Dans une Rome gouvernée par des impératifs pragmatiques, la vie intellectuelle était réservée à l’otium, c’est-à-dire au temps libre, où, abandonnant le monde des affaires (politiques, économiques et religieuses), on se consacre à ses loisirs : thermes, spectacles ou activités intellectuelles.

Une distinction sociale

Le développement de la société romaine fera de la littérature un otium de choix : dès le Ier siècle après J.-C., les critères traditionnels du monde romain (honneurs, simplicité, dévouement) s’effacent au profit du développement de nouvelles valeurs (richesse, ambition, réussite). Les barrières sociales deviennent tangentes : les classes sociales riches sont concurrencées par les affranchis, l’anneau d’or sénatorial est attribué à certains plébéiens, la citoyenneté romaine est plus facilement accordée.

Les classes élevées cherchent comment conserver leur prestige et se distinguer des petites bourgeoises municipales : la littérature devient l’otium privilégié de l’homme respectable.

Écrivain, un métier ?

On voit alors émerger à Rome une nouvelle catégorie d’écrivains, chez qui l’écriture n’est pas le prolongement d’une action dans le domaine public, mais une distraction raffinée sauvant du désœuvrement. L’otium leur permet de composer vers, lettres, œuvres dramatiques, discours recomposés et traités philosophiques. La littérature devient une passion distrayant des affaires de l’État.

Ces nouveaux écrivains doivent faire face à des préjugés et à des railleries : l’art est considéré comme un principe amollissant par les anciens tenants d’une république aux principes rigoristes. Il les transforme aux yeux du public en hommes paresseux, inutiles, décoratifs.

Ces remarques n’ont aucune incidence sur ceux dont la position sociale est assurée, mais elles créent une existence précaire pour ceux qui ne peuvent composer à leur guise et réclament une vraie place dans la société pour les intellectuels.

En effet, la plupart des créations de l’esprit n’aboutissent pas à des profits financiers : il faut attendre la naissance de cénacles littéraires, comme celui de Mécène, ce riche ami de l’empereur Auguste dont le nom signifie encore aujourd’hui « patron des artistes », pour que certains auteurs puissent accéder à une forme d’indépendance financière et donc de liberté créative, même si celle-ci est limitée par leur position de courtisan.

Sport

Les sommets du sport antique ont-ils été atteints avec la Grèce et les Jeux olympiques ? Le sport romain n’est-il qu’une pâle imitation de l’athlétisme grec et représente-t-il un déclin des valeurs sportives ?

Il semble, au contraire, que Rome ait récupéré le patrimoine gymnique de la Grèce pour lui donner plus d’ampleur en l’internationalisant et en professionnalisant les concours, et pour en faire un des plaisirs du quotidien.

Deux formes de sport

Il existe à Rome deux manières de pratiquer le sport : individuellement, l’entraînement physique est une des pierres angulaires de la formation militaire et la garantie d’une bonne santé. Collectivement, élevé au rang de spectacle, il ressemble à notre sport moderne : comment ne pas penser aux supporters de foot en imaginant l’atmosphère survoltée du Circus Maximus, avec ses 150 000 spectateurs déchaînés encourageant leur faction fétiche ?

Ce sont les Étrusques qui ont introduit cet aspect festif du sport, par l’intermédiaire des jeux funéraires. Ceux-ci étaient voués à revitaliser le défunt, à restaurer le cercle familial et à permettre à la société de se perpétuer. On annonçait en musique un combat de boxe, un pugilat, une course à pied ou un lancer de javelot et on encourageait la famille à se réjouir, malgré tout, du spectacle offert.

Des sportifs sans gymnase… et sans tenue ?

Le sport se pratique souvent nu ou vêtu d’un pagne muni d’une cordelette relevant le sexe.

En bon citoyen-soldat, le Romain s’entraîne vigoureusement à l’exercice des armes sur le Champ de Mars, avant de piquer une tête dans le Tibre pour se purifier de sa sueur. Qu’il joue à la balle, au cerceau ou se laisse aller à des démonstrations hippiques, le but n’est pas d’offrir un spectacle ou de jouer les éphèbes, mais d’entretenir une forme physique qui reflète sa droiture de citoyen, prêt à mettre sa force au service de sa patrie.

Au début de l’Empire, les thermes se dotent de palestres (lieux d’entraînement), de gymnases couverts, mais aussi de mosaïques aux motifs sportifs, pour encourager les habitués du lieu à se surpasser. Les thermes offrent aussi un équipement prisé par les Romains, amoureux de la natation : la piscine.

La folie du sport se développant, les Romains recherchent des entraîneurs spécialisés pour les former, les encadrer, les soigner, les initier à différents sports ou leur offrir des spectacles privés.

Pratiques

Outre la nage, les Romains pratiquent le pentathlon des Grecs (course, javelot, disque, saut en longueur, lutte) et se distinguent par leur goût pour les jeux de ballon. Il en existe plusieurs sortes : en cuir cousu autour d’un noyau de paille ou de crin (pila), en peau gonflée d’air (follis), en peau remplie de plumes de basse-cour (pila paganica). Les Romains jouent au volley, à la balle au prisonnier ou à se faire des passes. Les femmes goûtent parfois ce divertissement, ce qui les expose à de sévères critiques.

La boxe, cette forme atténuée de gladiature, est également un sport fétiche, permettant aux Romains d’assumer leur goût proverbial pour le sang. Les gants de boxe sont au départ de simples lanières de cuir protégeant les articulations des mains et des poignets. Ils se transforment par la suite en anneau de cuir dur entourant la main, sur lequel on rajoute des parties métalliques et des pointes.

La lutte ou pugilat ne jouit pas du même prestige, mais entraîne au combat au corps à corps : il s’agit de s’entraîner à projeter l’adversaire, le bloquer au sol grâce à des prises d’étranglement et le forcer à l’abandon.

Les Romains pratiquent aussi une combinaison de pugilat et de boxe : le pancrace, un art martial olympique très chorégraphié qui autorise tous les coups… sauf l’arrachage d’yeux et les morsures !

Thermes

Les Romains éprouvent une forte fascination pour l’eau : fontaines et impluvia ornementant les villas des privilégiés, aqueducs ponctuant le paysage… L’eau est un élément quotidien de l’imaginaire romain.

Une hygiène accessible

Si les premiers bains sont des établissements simples, ouverts et gérés par des entrepreneurs privés, les thermes deviennent rapidement des lieux publics somptueux à l’ingénierie impressionnante. Les Romains, qui ne se lavaient intégralement qu’une fois par semaine et se contentaient de frotter rapidement leur visage, leurs bras et leurs jambes, découvrirent au Ier siècle avant J.-C. la joie de l’hygiène quotidienne, héritage grec par excellence.

L’entrée est peu coûteuse : un quadrant ou un quart d’as ; les enfants de moins de quatre ans ne paient pas. Elle est parfois même gratuite, quand les empereurs cherchent à s’attirer les faveurs du peuple en offrant l’accès aux thermes ou en bâtissant des thermes gigantesques, comme le fera Caracalla avec son complexe de dix hectares et de soixante-quatre citernes contenant 80 000 litres d’eau, pouvant accueillir jusqu’à 1 500 baigneurs à la fois.

Un rituel bien orchestré

Chaque soir, avant le dîner, hommes et femmes s’y rendent, à des horaires différents et dans des zones séparées où l’on prendra soin d’eux pendant deux délicieuses heures.

Ils sont accueillis par un esclave, qui recueille leurs affaires, les range dans un vestiaire (apodyterium) et, contre une pièce, s’engage à les surveiller des vols.

On les invite ensuite à transpirer, soit en faisant du sport sur la palestre, soit en se rendant dans le sudatiorium, une pièce chauffée à 60 °C, légèrement arrondie et voûtée pour mieux conserver la chaleur. Dans un coin, une cuve laisse échapper la vapeur par une ouverture que l’on peut agrandir ou diminuer à l’aide d’une soupape, pour contrôler la température.

Après avoir copieusement sué, le Romain ou la Romaine se chaussent de sandales et se rendent dans le caldarium (salle très chaude, dont le sol pouvait brûler la voûte plantaire), où des esclaves les débarrassent de leur sueur à l’aide d’un strigile (grattoir en fer ou en ivoire) et de soude (l’ancêtre du savon). Cette sueur était précieusement recueillie dans un seau : si le client était célèbre, elle pouvait être vendue aux enchères.

Débarrassés de leur crasse, le Romain ou la Romaine passent par le tepidarium (salle tiède, jouant un rôle de transition de température et permettant d’éviter l’hydrocution) avant de finir au frigidarium (piscine froide), pour raffermir leur peau. Ils alternent ainsi le chaud et le froid, pour mieux apprécier la pureté vivifiante de l’eau glacée et s’exercer dans la piscine.

Les plus riches peuvent se faire masser avec de l’huile parfumée, se faire épiler et coiffer avant de rentrer chez eux.

Un lieu d’exception

Les distractions sont nombreuses : échoppes, buvettes, bibliothèques, salles d’exposition, jardins, terrasses et autres promenades permettent de s’attarder aux thermes et d’en faire un lieu de divertissement ou de rencontres. Une fois les bains devenus mixtes, les rencontres ont pris un tour plus sulfureux et les thermes ont fait concurrence aux meilleurs lupanars de Rome.

Le temps file vite, dans ces lieux si ornementés qu’ils finissent par ressembler à des palais : mosaïques délicates, tableaux de maître, peintures murales exquises, colonnes de marbre et sculptures agrémentent les thermes du sol au plafond.

Outre leur ornementation luxueuse, les thermes se distinguent par une technologie révolutionnaire : le chauffage par hypocauste. Il s’agit d’un système complexe de conduits d’air chaud produit par de grands foyers alimentés en charbon par des esclaves. L’air chaud circule entre des piles de briques qui supportent les pièces chaudes ou tièdes, se répand sous le carrelage et s’échappe par des tubulures en terre cuite situées dans les parois des salles. La chaleur enveloppe ainsi la salle jusqu’au plafond.

Les bienfaits des thermes

Lieux de détente et de rencontre, les thermes sont aussi réputés pour la santé. Certaines sources chaudes sont appréciées pour leurs vertus contre l’arthrose, les muscles endoloris. D’autres permettent de favoriser la perte de poids, la guérison des blessures reçues à la guerre ; soigner la gravelle, les rhumatismes, la stérilité et même la gueule de bois, embellir la voix ou provoquer le changement spontané de couleur de cheveux !

Villégiature

L’attrait mythique pour la campagne a transformé les domaines agricoles en villas de luxe. Ces grands complexes architecturaux liés à un paysage bucolique permettent désormais au riche citoyen lassé du bruit de la ville de venir se ressourcer à la campagne.

Une vie conforme à la nature

Un lieu ouvert

La villa est surélevée et terrassée pour que son propriétaire puisse profiter du paysage et y trouver inspiration poétique et délassement intellectuel. Construite selon l’orientation du soleil, elle s’ouvre vers l’extérieur : des portiques et des péristyles invitent à se promener pour profiter du panorama ; les pièces sont munies de larges fenêtres dévoilant les beautés de l’extérieur. Plusieurs salles à manger, différemment exposées, permettent de profiter au maximum de la lumière.

Une nature luxuriante

Délaissant l’intérieur de cette retraite silencieuse, le propriétaire sort profiter des jardins. Ce qui était autrefois le champ du pauvre est devenu un lieu raffiné. Les buis, les cyprès, les pins et les myrrhes sont taillés pour flatter le regard et conserver la fraîcheur. Les grottes sont tapissées de mousse pour mimer une adorable sauvagerie et les plantes choisies pour créer des harmonies de couleurs et d’odeurs. Le jardin romain comporte toutefois peu de fleurs : celles-ci sont réservées à un usage religieux.

L’eau crée un spectacle à part entière : jets d’eau, cascades et fontaines artificielles ravissent le regard et créent une atmosphère paisible, qui n’est entrecoupée que par les chants des oiseaux que le propriétaire de la villa laisse se promener dans le jardin ou qu’il exhibe dans une volière.

Divertissements et bienfaits

Pour varier les joies de la promenade, le riche propriétaire profite de son parc à gibiers, parcourt la campagne à cheval ou s’adonne aux joies de la natation dans sa piscine. S’il vit en bord de mer, il possède une jetée personnelle, reliant sa villa à l’océan, où est amarré un navire lui permettant de se promener sur l’eau, de pêcher, de nager ou de faire des régates. Il peut découvrir les charmes de l’hydrothérapie et bénéficier des bienfaits de l’eau de mer.

Une vie riche

Les pièces d’une villa sont un véritable étalage de luxe et de volupté. Des colonnes de marbre, emblèmes de richesse, décorent l’atrium. Le mobilier est rare, mais d’excellente qualité : il est rehaussé de décorations en argent et porte des vases délicats en cristal, des bustes ouvragés ou des statuettes de bronze à la finesse exquise. Les armoires regorgent des tissus de Pergame et d’Orient. Quant aux murs, ils se font véritables galeries d’art, à l’image des bibliothèques, garnies de rouleaux de papyrus et de statues prouvant la richesse et le bon goût intellectuel de leur propriétaire. Celui-ci utilise sa villa comme lieu pour impressionner ses amis et pour abriter son otium.

La villa devient donc un paroxysme de l’art de vivre et un symbole de réussite sociale. Cette aspiration à l’évasion luxueuse et au bien-être physique et intellectuel ne faiblit pas au cours de l’histoire romaine et se perpétue à travers les siècles.

Synthèse

Ni austère, ni décadent, le Romain sait bien se délasser de la vie civique en s’adonnant à divers types de plaisirs. Fuyant le stress de la vie publique, il se prélasse dans les thermes, profite des joies des banquets et se retire dans sa luxueuse villa pour composer des œuvres littéraires ou assister à des représentations poétiques et théâtrales. Ces jouissances connaissent toujours une certaine mesure : certaines audaces sexuelles lui restent interdites et le sport lui permet avant tout de s’entraîner à la guerre. Sa seule démesure, il la connaît à l’hippodrome ou à l’amphithéâtre : oubliant son maintien rigide, il hurle avec la foule pour encourager les chars et les gladiateurs, s’autorisant enfin, dans ses débordements de supporter, quelques excès sanguins.