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Qui paye décide


Les scientifiques publient donc de plus en plus d’articles. Des articles qui ne font quasiment plus que démontrer l’hypothèse que les chercheurs entendaient tester. Qui tendent de plus en plus à n’obtenir que des résultats positifs. Mais il y a plus troublant encore : ce résultat dépend étroitement du mode de financement de l’étude. Comme aimait à le marteler l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy : « Qui paye décide. » C’est hélas ce que l’on constate aussi dans une bonne part de la littérature scientifique biomédicale.

Bien évidemment, il existe des institutions finançant la recherche qui n’ont pas d’intérêts particuliers à l’obtention de tel résultat plutôt que de tel autre. C’est en particulier le cas des universités, des organismes publics de recherche ou des agences de financement comme l’ANR en France. Peu leur importe le résultat obtenu. Leur seule exigence porte sur la qualité scientifique des travaux menés, même si l’on a eu l’occasion de déplorer leur fâcheuse tendance à assimiler cette dernière au renom des revues dans lesquelles ils sont publiés.

Cependant, rares sont les laboratoires, tout particulièrement en sciences de la vie, à ne pouvoir fonctionner qu’avec ces financements publics. Les contrats passés avec des industriels, grandes firmes ou jeunes entreprises, ces dernières souvent fondées ou dirigées par des chercheurs du laboratoire, ou encore avec des fondations sont devenus en une trentaine d’années omniprésents. Les financements publics et privés sont intimement entremêlés, à tel point qu’il est devenu très difficile de les séparer dans les budgets des laboratoires. Un chercheur à qui l’on demanderait avec quel argent il a financé telle expérience serait en général incapable de répondre, non par volonté de dissimulation, mais parce qu’il ne s’est guère posé la question. Faute d’une comptabilité adéquate, il ne pourra que très rarement dire que x % de la recherche a été financé par le public et y % par le privé. C’est même un usage tacitement admis par les deux partenaires que tout contrat passé par un laboratoire public avec une entreprise privée comprend une part de surfacturation qui permettra aux chercheurs de mener des recherches sur les thèmes qui leur sont chers aux frais de l’industriel. Une entreprise versera ainsi 100 000 euros à un laboratoire public pour qu’il mène des recherches qui ne lui en coûteront que 80 000, la différence servant à financer les projets propres aux chercheurs.

Cet entremêlement des sources de financement n’est, dans le milieu scientifique, guère contesté autrement qu’en paroles et souvent même encouragé par les hiérarchies. Sans parler des dirigeants politiques qui, partout dans le monde, semblent considérer depuis une trentaine d’années que la principale fonction de la recherche est de développer l’innovation, ce qui implique de se rapprocher de l’industrie plus que de créer de nouvelles connaissances. Pourtant, cette pratique est tout sauf anodine.

L’effet financement

On a déjà eu l’occasion au chapitre 2 de commenter les résultats de l’étude de Daniele Fanelli synthétisant toutes les enquêtes menées sur les manquements à l’intégrité scientifique reconnus sous couvert d’anonymat par les chercheurs. Fanelli montre aussi qu’un chercheur sur six admet avoir une fois dans sa carrière changé la conception d’une étude suite à une demande du bailleur de fonds et un sur trois avoir arrêté une étude sur sa requête. Ce sont là de sérieuses raisons de suspecter que, plus ou moins inconsciemment, les scientifiques adaptent leurs résultats, ou tout au moins leurs démarches de recherche, aux intérêts de ceux qui financent leurs travaux. Un phénomène connu sous le nom d’effet financement (funding effect).

Depuis le début des années 2000, alors que plusieurs affaires retentissantes de retrait du marché de médicaments avaient mis sur le devant de la scène l’importance des conflits d’intérêts parmi les experts des agences sanitaires, des dizaines d’études se sont demandé si une source de financement privée influait sur le résultat de la recherche. Synthétisées, ces études conduisent à répondre nettement par l’affirmative. Dans les essais cliniques menés dans différents domaines de la médecine, il apparaît trois choses. La première est que les résultats négatifs, en l’occurrence l’absence d’effet de tel traitement sur telle pathologie, sont très nettement moins publiés lorsque les recherches ont été financées par le secteur privé. Comment est-il possible de savoir que des études sont restées dans le secret des cahiers de laboratoires des chercheurs ou des archives des industriels ? peut-on se demander. Il suffit pour cela de rechercher si les annonces faites dans la presse spécialisée du lancement d’un essai clinique, ou la présentation de résultats préliminaires à l’occasion d’un congrès, ont ou non été suivies de publication dans une revue à comité de lecture60. La deuxième est que les essais financés par l’industrie ont une très nette tendance à trouver davantage de résultats positifs aux effets du traitement testé que ceux financés par des fonds publics ou caritatifs61. La troisième est que la qualité de la méthodologie mise en œuvre dans les différents types d’étude est la même, tant du point de vue de la conception que de la puissance statistique. Cette conclusion est la plus dérangeante, car elle montre que, à méthodes égales, des chercheurs sont plus enclins à trouver un résultat favorable à l’industrie s’ils ont été financés par cette dernière.

Un exemple concret ? Il a été soutenu que le tabagisme diminuerait le risque de développer une maladie d’Alzheimer. L’idée n’est pas totalement saugrenue : le récepteur neuronal auquel se lie la nicotine est précisément l’un de ceux qui sont altérés dans la pathologie. Mais seule une étude épidémiologique peut permettre de conclure… et les quelque 43 qui ont été menées offrent des résultats des plus contradictoires. Elles ont été rassemblées en une méta-analyse62 qui aboutit à un résultat très net : si on enlève des 43 études sur la question les 11 d’entre elles dont les auteurs ont été, à un moment ou à un autre, financés par l’industrie du tabac, le risque de développer une maladie d’Alzheimer est de 72 % plus élevé chez les fumeurs que chez les non-fumeurs. Précisément parce que les facteurs en jeu sont multiples et que ces études, de méthodologies différentes, sont parfois difficiles à comparer, il ne s’agit pas d’en conclure de manière définitive que le tabagisme accroît le risque de développer une maladie d’Alzheimer. Mais assurément que, contrairement à ce qu’affirment les chercheurs qui acceptent les mannes de l’industrie tout en affirmant préserver leur indépendance intellectuelle, le financement d’une recherche influe inéluctablement sur ses conclusions.

L’industrie n’est plus seule en cause

Contrairement à la vulgate selon laquelle les sociétés contemporaines se méfient de plus en plus de la science, l’affichage, dûment médiatisé, d’un article dans une revue scientifique à comité de lecture est un des plus puissants arguments qui soient dans les controverses publiques. L’industrie l’a compris de longue date, celle du tabac ayant en la matière été pionnière. L’exemple de l’étude sur l’effet supposé bénéfique du tabagisme sur le risque de développer une maladie d’Alzheimer n’a pas été pris au hasard. C’est en effet le cigarettier américain Philip Morris qui a, sans doute le premier, compris tout le parti qu’un industriel pouvait tirer d’un généreux financement de la recherche. Sa stratégie menée avec constance depuis les années 1960 peut aujourd’hui être reconstituée depuis que la société a, à la suite d’un procès retentissant, été contrainte en 1998 de rendre publiques ses archives ainsi que celles du Council for Tabacco Research et autres organisations écrans financées par les industriels du secteur. Les dizaines de millions de ces tobacco documents, à présent accessibles sur Internet, révèlent que le financement de la recherche par Philip Morris a obéi à plusieurs logiques successives, à mesure que se renforçaient les politiques publiques de lutte contre le tabagisme.

Dans les années 1960, lorsque paraissaient les premières études démontrant un lien entre tabagisme et cancer, il s’agissait pour la firme de démontrer que d’autres facteurs pouvaient aussi expliquer cette association statistique. Il y a ainsi plus de fumeurs dans les milieux ouvriers, davantage exposés, de par leurs conditions de travail, à des substances toxiques. Ne pouvait-on y voir une explication alternative au tabagisme du plus fort taux de cancer observé chez les ouvriers ? L’écran de fumée ainsi déployé fit effet un certain temps, avant que la totalité des épidémiologistes ne s’accorde à penser que le tabagisme est sans conteste un facteur majeur de risque du cancer du poumon, toutes classes sociales confondues. Les premières lois limitant le tabagisme dans les lieux publics étant adoptées dans les années 1980, Philip Morris changea de stratégie. La nouvelle menace pour ses intérêts était l’idée que le tabagisme passif pouvait avoir des conséquences néfastes pour la santé. Elle était susceptible de déboucher sur un renforcement des législations contre le tabac. La firme dépensa alors des millions de dollars pour financer des recherches tendant à démontrer l’innocuité du tabagisme passif. Mais en vain, le tabac étant progressivement banni de tous les lieux publics. Face à ce nouvel échec, elle réorienta sa politique scientifique vers le soutien aux recherches visant à démontrer des effets potentiellement bénéfiques de la nicotine. Plusieurs célébrités de la recherche française, dont le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux qui s’intéressait de longue date aux récepteurs neuronaux sur lesquels se fixe la nicotine, profitèrent, soit dit en passant, de la manne de Philip Morris. C’est de cette réorientation que naquit l’hypothèse de l’effet protecteur du tabagisme contre la maladie d’Alzheimer, dont on a dit combien elle est spécieuse.

Ces décennies d’action souterraine des industriels du tabac pour influencer l’activité scientifique sont aujourd’hui bien connues grâce aux livres de l’historien américain Robert N. Proctor63 et, pour le volet français de cette affaire mondiale, du journaliste Stéphane Foucart64. Il y a fort à parier que bien d’autres industriels ont mené des actions comparables, celles des firmes du tabac n’étant bien connues que parce qu’elles ont été contraintes par la justice américaine de rendre publiques leurs archives. Mais la grande nouveauté de la dernière décennie est que des groupes associatifs ont repris ces méthodes peu estimables de l’industrie. Avec certes des moyens bien moindres, mais toujours le parti pris de s’appuyer sur l’onction conférée par la publication d’articles dans des revues scientifiques, ou paraissant telles, pour faire avancer leurs vues dans l’opinion.

Un détour conspirationniste

Le Journal of Studies, fondé en 2006, présente tous les signes extérieurs d’une revue scientifique. À en croire son site Internet, un comité de lecture décide, après examen du manuscrit proposé par d’autres chercheurs spécialistes de la discipline, de la publication. Soit la pratique de revue par les pairs en vigueur « depuis l’époque de sir Isaac Newton » comme le rappellent fièrement les deux éditeurs du journal, Graeme Mac Queen, qui se présente comme diplômé de Harvard, et Kevin Ryan, chimiste de l’Underwriters Laboratory. Tout travail, quelle que soit sa spécialité, portant sur les attentats du 11 septembre 2001 est annoncé comme a priori recevable. Feuilletons quelques numéros de The Journal of 9/11 Studies. Les articles semblent afficher tous les signes extérieurs de scientificité : une introduction soignée, un plan solidement affiché, d’innombrables références bibliographiques, des graphiques, des auteurs disposant de titres universitaires.

Derrière la façade de scientificité, le parti pris fort peu objectif du Journal of 9/11 Studies saute pourtant aux yeux. Un onglet « for beginners » du site de la revue propose des liens sur Internet visant à convaincre que l’effondrement des tours de New York n’est pas dû à l’impact des deux avions qui s’y sont écrasés. Si elle se prétend disposée à accueillir toute étude sur le 11 septembre, la revue recommande tout particulièrement celles portant sur les agissements du FBI et de la CIA, les failles du contrôle de l’espace aérien des États-Unis, les maladies dont ont souffert les secouristes arrivés sur le lieu de la catastrophe, et enfin l’analyse des bénéficiaires des attentats. Difficile de croire, à lire cet inventaire d’obsessions complotistes, que The Journal of 9/11 Studies aborde les thèmes qu’il étudie avec rigueur et neutralité !

Le physicien américain à la retraite Steven E. Jones, par ailleurs membre du comité éditorial du Journal of 9/11 Studies, est allé plus loin encore en publiant, avec des coauteurs danois et australiens, en 2009, dans The Open Chemical Physics Journal, une étude prétendant identifier des résidus de thermites dans les décombres des tours jumelles de New York65. Les thermites, composés très réactifs, peuvent, à l’état nanométrique, servir d’explosifs. À en croire Jones et ses huit coauteurs, des nanothermites auraient délibérément été placées dans les tours jumelles pour accroître la température de l’incendie déclenché par l’impact des avions, permettre la fusion de l’acier de ses structures et donc leur effondrement. Soit une nouvelle version particulièrement sophistiquée des théories complotistes des attentats du 11 septembre, selon laquelle quelque mystérieux comploteur aurait à dessein fragilisé les tours du World Trade Center pour précipiter leur effondrement.

Cette étude est un incroyable tissu d’âneries, que l’on ne prendra pas la peine de réfuter ici, renvoyant sur ce point au patient et louable travail de Jérome Quirant66, chercheur au laboratoire de mécanique et génie civil de l’université Montpellier 2. Le pedigree de Steven E. Jones incitait du reste à douter de sa rigueur. On vit ainsi le chercheur prétendre démontrer que le Christ s’était, après sa mort, rendu chez les Mayas ou que le tremblement de terre en Haïti en janvier 2010 avait été causé par des forages de prospection pétrolière américains.

Comment un article aussi absurde a-t-il pu être publié dans une revue scientifique ? The Open Chemical Physics Journal n’est, en fait, pas n’importe quelle revue scientifique. C’est une de ces revues dites en accès libre sur lesquelles nous reviendrons longuement au chapitre 12 qui reposent sur un changement de modèle économique de l’édition scientifique : ce n’est plus le lecteur qui paye pour lire la revue, à travers l’abonnement de sa bibliothèque universitaire, mais l’auteur, ou l’institution qui l’emploie, qui paie pour publier. Pas moins de 800 dollars par article dans le cas de The Open Chemical Physics Journal. Ces revues en accès libre, éditées par des entreprises privées (le groupe Bentham, pour notre cas, basé aux Émirats arabes unis et publiant plusieurs centaines de revues), ont économiquement intérêt à accepter le plus d’articles possible. Point n’est besoin d’être exagérément suspicieux pour se dire qu’elles sont alors tentées de diminuer leurs exigences de qualité scientifique des articles qu’elles publient. Surtout, comme c’était le cas pour Jones dans The Open Chemical Physics Journal, quand la revue, créée l’année précédente, doit faire rentrer à tout prix de l’argent pour se développer. La publication de l’article de Jones a entraîné la démission de la rédactrice en chef, qui s’étonnait du reste que les manuscrits des articles paraissant dans la revue ne passent jamais entre ses mains. Son successeur à la tête de The Open Chemical Physics Journal a lui aussi démissionné au bout de quelques mois, écœuré de constater que l’appât du gain primait sur toute exigence de rigueur dans la politique éditoriale de la revue. Laquelle a cessé de paraître en 2013, après n’avoir publié qu’un seul article dans toute l’année.

L’homme aux rats

Un illuminé que ce Steven E. Jones ? Certes astucieux, sachant jouer de la caisse de résonance que peut constituer pour quiconque entend défendre une thèse des plus improbables une publication dans une revue scientifique à comité de lecture ? Assurément. Et on est en droit de penser que l’argument d’autorité ainsi obtenu ne convainquit que les convaincus. Mais que dire alors de l’étude, très largement médiatisée, dans laquelle le biologiste Gilles-Éric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen, et ses collaborateurs entendaient démontrer que les plantes génétiquement modifiées sont d’épouvantables poisons ?

Cette étude, publiée en septembre 2012 dans la revue Food and Chemical Toxicology, plutôt réputée dans son domaine, avait en particulier étudié l’effet sur la santé de rats d’une alimentation au maïs génétiquement modifié autant que du traitement aux herbicides. Lesquels s’avéraient désastreux : d’épouvantables tumeurs apparaissaient chez les animaux nourris à ce régime. Leurs photos furent complaisamment reprises dans la presse et firent le tour du monde. Les images de ces tumeurs étaient tellement plus parlantes que la froideur des statistiques.

Cette affaire Séralini a suscité une forte polémique portant sur d’éventuels dangers des OGM pour la santé humaine. Pour les uns, Séralini avait le mérite, quelles que soient les imperfections de son étude, d’aborder pour la première fois la question des effets à long terme de la consommation d’OGM. Il est vrai que la réglementation stipule que leurs effets sur la santé doivent être évalués sur une période de quatre-vingt-dix jours, alors que Séralini l’étendait sur plus de deux ans. Pour les autres, la publication de Séralini, entachée d’innombrables erreurs méthodologiques (la souche de rat utilisé est ainsi encline à développer, à partir d’un certain âge, des tumeurs, et l’étude menée sur dix rats par groupe ne permettait aucune conclusion statistiquement fiable), ne démontrait strictement rien, si ce n’est le prosélytisme anti-OGM maintes fois exprimé de son auteur. L’étude finit par être, à la demande de l’éditeur, rétractée de Food and Chemical Toxicology, ce qui n’empêcha pas ses auteurs de la republier sous une forme à peine remaniée quelques mois plus tard dans une autre revue67.

Cette affaire des rats de Séralini nous semble surtout exemplaire de la manière dont des groupes militants entendent aujourd’hui se saisir de la légitimité que confère dans le débat public une publication scientifique favorable à la cause que l’on entend défendre. Mais, ce faisant, ces groupes militants s’exposent, sans sembler s’en rendre compte, aux mêmes suspicions que Philip Morris finançant des recherches allant dans le sens de ses affaires d’industriel du tabac : la suspicion du « qui paye décide ». Il est piquant de constater, tout au cours de l’affaire Séralini, le silence assourdissant des voix, en particulier dans la mouvance écologiste, qui nous avaient habitués à dénoncer violemment l’absence de transparence et les conflits d’intérêts dans les recherches menées par les industriels des OGM. Or, sur ces deux points, l’étude Séralini est tout aussi contestable. Il a fallu la longue enquête du journaliste Michel de Pracontal pour apprendre que Séralini n’avait en fait mené aucune recherche dans son laboratoire, sous-traitant toutes les expériences à une petite société privée de Saint-Malo, travaillant d’ordinaire pour l’industrie pharmaceutique, dont le P-DG n’est autre qu’un ancien étudiant de Séralini68. Quant au financement de l’étude, il a été apporté par Auchan et Carrefour, à hauteur de trois millions d’euros. Or, ces groupes de grande distribution développent une gamme de produits garantis sans OGM et ont donc tout autant intérêt à suggérer leur toxicité que les industriels des biotechnologies l’ont à en démontrer l’innocuité.

Comme il écrit dans le livre69 que, en bon communicant, il a pris soin de faire paraître le même jour que son étude dans Food and Chemical Toxicology, Gilles-Éric Séralini ne nie pas ce dernier problème :

Pour éviter tout rapprochement disqualifiant avec les méthodes des industriels, il fallait un cloisonnement net entre les scientifiques, qui menaient cette expérience dans le respect d’une éthique de l’indépendance et de l’objectivité, et les associations qui la subventionnaient […]. Nous ne pouvions nous exposer à apparaître aux yeux de nos détracteurs comme des scientifiques financés directement par le lobby de la grande distribution – d’une façon symétrique aux experts influencés par celui de l’agroalimentaire.

La transparence du montage financier ne saute cependant pas aux yeux : avant d’abonder les caisses du laboratoire de Séralini, les fonds d’Auchan et Carrefour, transitant par des associations écrans, sont passés par celles du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie GENétique (CRIIGEN) dont Séralini est membre tant du conseil d’administration que du conseil scientifique. Un CRIIGEN qui nous semble mener en matière de recherche sur les OGM le même rôle que le défunt Council for Tobacco Research, financé par les cigarettiers américains : celui de procureur, instruisant à charge une question scientifique sans le moindre souci d’impartialité.

S’il est une conclusion à tirer de l’affaire Séralini, c’est assurément que, pour la première fois, un groupe associatif a recouru aux méthodes de l’industrie, convaincue depuis des décennies que rien ne vaut une publication scientifique pour défendre sa cause, et que peu importe la qualité du travail de recherche mené.