Jacques-Marie de Mahieu est un personnage méconnu et très atypique. Malgré ses succès éditoriaux dans les années 1970 en France, sa vie reste connue de manière parcellaire. Pour les uns, il s’agit d’un théoricien raciste du péronisme, voire d’un raciologue nazi. Pour les autres, c’est un archéologue ayant mis au jour la présence de Vikings en Amérique latine. La réalité est plus complexe et surtout moins tranchée. En effet, Jacques de Mahieu (Paris 1915 – Buenos Aires 1990) était à la fois un raciologue français, proche du négationniste suisse Gaston-Armand Amaudruz{330}, et un auteur à succès de la niche éditoriale de l’« histoire mystérieuse ». Il fut aussi un passeur d’idées entre différents milieux et différentes cultures qui eut une influence sur des mouvements de l’extrême droite. Il est donc utile de revenir sur ce personnage avec le peu d’informations données à l’observateur. Nous verrons dans un premier temps quelques repères biographiques, puis nous analyserons son anthropologie raciale et enfin, nous nous pencherons sur ses différents lectorats. Cette mise en problématique est nécessaire pour comprendre les différentes facettes du personnage et surtout ses multiples réceptions.
Jacques de Mahieu, pseudonyme de Jacques Auguste Léon Marie Girault selon l’encyclopédie collaborative wikipédia{331}, était un maurrassien, membre de l’Action française. Dans les années 1930, il fut diplômé en lettres à l’université d’Aix-en-Provence. Durant la Seconde Guerre mondiale, selon l’universitaire argentin Luis Miguel Donatello, il se serait engagé dans la Milice, puis dans la LVF, avant de servir comme volontaire dans la division Charlemagne, une division française de Waffen SS. A priori, Jacques Girault aurait fait partie de ces Français qui ont défendu le bunker d’Hitler lors de l’avancée soviétique pendant la bataille de Berlin{332}. Il s’agirait donc d’un ex-Waffen SS, mais nous pouvons en douter. Pierre Giolitto n’en fait pas mention dans son livre de référence, Volontaires français sous l’uniforme allemand{333}. S’il se prétendait condamné à mort à la Libération – seize fois ! –, Jacques de Mahieu pourtant n’existe pas : ce pseudonyme, qu’il garda jusqu’à la fin de sa vie, n’apparaît qu’à la toute fin de la guerre, en 1944, au moment de sa fuite{334} :
Or, nous dit Jean-Yves Camus, il obtint une carte d’identité à Annecy le 14 novembre 1944 alors que la ville a été libérée le 19 août. Cette région fut l’endroit de France où l’on a fusillé le plus de miliciens… Il obtint ensuite un visa de transit US vers le Nicaragua en avril 1946 à Bruxelles, où sa femme est née. Cela voudrait dire qu’il a réussi à quitter la Savoie incognito, à s’engager dans la Charlemagne fin 1944, à revenir d’Allemagne vers Bruxelles sans se faire prendre. Comme son visa vaut pour ses enfants, on sait donc aussi qu’une de ses filles est née à Armentières en 1941, une autre à Roubaix le 24 août 1944, juste avant la libération de la ville, le 2 septembre 1944. Il aurait donc fallu, qu’il quittât le Nord avec une enfant d’une semaine et sa femme, traversât librement un pays déjà libéré, jusqu’à la Savoie… Enfin, n’oublions pas que les Américains lui ont accordé un permis de transit. Ce qui, Waffen SS ou pas, signifie soit une grosse erreur des Américains ; soit qu’il fut retourné ou qu’il travaillait déjà pour eux{335}.
Toutefois, Jean-Yves Camus doute de la véracité des papiers obtenus en Savoie :
Les papiers de Mahieu faits à Annecy en 1944 sont des vrais faux. Il s’agit de la quasi-certitude des anciens résistants policiers et fonctionnaires de cette zone. La clé de l’histoire est sans doute à chercher dans le Nord, où il semble avoir vécu de 1941 à 1944{336}…
La biographie de Jacques de Mahieu durant cette période est pleine d’ombres. En effet, de l’aveu même de l’un de ses fils, le nom de jeune fille de son épouse ne fut pas de Bischopp. Il est aussi avéré qu’ils n’ont jamais vécu à Roubaix, et que leurs filles ne sont pas nées dans le Nord et lui-même n’est pas né à Paris. Jacques Girault et sa famille auraient vécu une partie de la guerre à Marseille, avant de s’installer selon Jean-Yves Camus dans le Nord. Ainsi, il soutint une thèse de lettres à l’université d’Aix-en-Provence, ou du moins la commença. Une certitude : il collabora avec l’occupant durant la guerre.
Quoi qu’il en soit, il se réfugia en 1946 en Argentine avec sa famille, pays dans lequel il eut par la suite une carrière d’universitaire en dents de scie. Ayant suivi des études de philosophie, de sciences économiques et de sciences politiques aux universités de Mendoza et de Buenos Aires, il obtint rapidement la nationalité argentine et devint Jaime María de Mahieu{337}. De fait, il fit partie des réfugiés récupérés par Juan Perón. Il participa ainsi à la commission Peralta (du nom de son responsable, Santiago Peralta, un anthropologue antisémite). Cette officine, dépendante du Bureau des migrations du ministère de l’Intérieur, exfiltrait des nazis européens vers l’Argentine en leur donnant des passeports de la Croix-Rouge.
Marginal du péronisme, il publia, à partir de la fin des années 1940, des essais de science politique « péronienne » dont des textes sur la sociologie (dans un sens aristocratique, c’est-à-dire dans un sens foncièrement inégalitaire), sur le corporatisme, sur le syndicalisme et l’économie « organique », d’essence anticapitaliste, etc.{338}. Il fit paraître aussi durant cette époque des livres marqués à la fois par la pensée contre-révolutionnaire et par le fascisme. Nous pouvons citer, entre autres, La dialéctica de la Revolucion y el movimiento de 1789{339} ; La Tour du Pin. Precursor de la tercera Posición{340}. Il édita enfin un essai inspiré par les Cahiers du Cercle Proudhon intitulé La Contra-enciclopedia contemporánea. Maurras y Sorel{341}. Il fit néanmoins une carrière universitaire dans ce pays : il enseigna à l’université nationale de Cuyo de 1948 à 1955 et à l’université de Buenos Aire de 1953 à 1955.
Lors du renversement du régime péroniste en 1955, Mahieu fut révoqué comme enseignant péroniste. Il changea alors de position idéologique et devint, durant les années 1960, le maître à penser du Movimiento Nacionalista Tacuara (Mouvement nationaliste Tacuara), connu aussi sous le nom d’Organización Tacuara (Organisation Tacuara), un mouvement catholique nationaliste et antisémite argentin d’abord hostile à Perón – il avait participé à son renversement –, mais qui rejoignit plus tard le péronisme. Selon Humberto Cuchetti, il y eut
une branche « noire et rouge » représentée par De Mahieu : noire pour le mythe du fascisme ouvrier, et rouge, pour l’idée de l’État syndicaliste. Plus tard, De Mahieu a été l’un des « professeurs » de l’École de Commandement politique, association de cadres péronistes liée au monde syndical où de jeunes militants péronistes trouvaient un espace de formation{342}.
Le retournement de position de Jacques de Mahieu fut facilité par son maurrassisme, dont le nationalisme intégral catholique fascinait les membres de Tacuara, en particulier le futur prêtre Alberto Ezcurra Uriburu{343}, un cadre influent de l’Alliance anticommuniste argentine, qui exécuta nombre de communistes et gauchistes dans les années 1970. Toutefois, il est important de garder à l’esprit qu’une partie de ce mouvement scissionna en Movimiento Nacionalista Revolucionario Tacuara (Mouvement nationaliste révolutionnaire Tacuara, MNRT) qui rompit rapidement avec le nationalisme, le catholicisme, l’antisémitisme et l’extrême droite pour adopter un discours péroniste de gauche marxisant, qui devint à son tour le Mouvement péroniste révolutionnaire. Une autre devint un groupe péroniste de droite, qui combattit les péronistes de gauche et les marxistes. Une dernière resta fidèle à l’antisémitisme (elle commit des attentats contre des magasins juifs). C’est cette dernière scission que Mahieu influença{344}. Il eut son heure de gloire pendant la période des dictatures militaires entre 1966 et 1976. Il devint alors le « maître à penser » sur les questions sociale et syndicale de jeunes professeurs de droit et de sciences politiques, proches des dirigeants militaires. D’ailleurs, il fut conférencier entre 1961 et 1971 auprès des forces armées de la République. Jacques de Mahieu devint donc un intellectuel de l’extrême droite argentine, un statut facilité par le fait qu’il était docteur en sciences politiques, licencié en philosophie, membre de l’Académie argentine de sociologie et docteur honoris causa en médecine, bien qu’il ne fît jamais aucune étude dans ce domaine. Il redevint alors universitaire : il enseigna de nouveau, notamment à l’université argentine des sciences sociales entre 1963 et 1968, à l’université du Salvador en 1964-1965 et de nouveau à l’université de Buenos Aire de 1972 à 1976. Il fut ainsi le vice-recteur de l’université des sciences sociales, le doyen de la faculté de sciences politiques et le directeur du département d’anthropologie de l’université de Buenos Aires.
Jacques de Mahieu est surtout connu auprès du lectorat français pour avoir soutenu dans les années 1960 et 1970 l’idée d’une implantation en Amérique, à une date très reculée, de Vikings. Ceux-ci, selon lui, auraient été les fondateurs des grands empires précolombiens, notamment inca. Cette affirmation se fondait sur des « recherches archéologiques » qu’il avait menées en Amérique du Sud. Il concluait, en faisant siennes les spéculations de certains archéologues de l’Ahnenerbe, en particulier celles du völkisch Edmund Kiss (1886-1960){345}, que toutes les civilisations précolombiennes étaient issues de cette implantation, voire d’une implantation « thuléenne » fort ancienne, c’est-à-dire d’une population aryenne issue de la région circumpolaire arctique{346}. Mahieu reprit en fait l’idée, très classique dans certains milieux de l’extrême droite nordiciste, selon laquelle des populations indo-européennes, qu’il appelle « Troyens » dans quelques textes{347}, avaient pu se réfugier dans ce continent et civiliser les populations locales. Il était en outre influencé par le raciologue allemand Hans F. K. Günther, chantre du nordicisme et figure importante de l’anthropologie raciale nazie. L’intérêt pour ces questions devint de plus en plus fort chez lui et l’incita à changer de champ d’étude. En effet, à la fin des années 1960, Mahieu abandonna ses recherches habituelles pour se concentrer sur ce sujet et sur les questions anthropologiques afférentes. Il se mit à réfléchir sur l’importance de la ségrégation raciale en Argentine :
La ségrégation, même dans sa forme actuelle imparfaite, a, de plus, et surtout, pour résultat de sauver l’importante minorité blanche qui, peu à peu, aurait été submergée par la masse noire quatre fois plus nombreuse{348}.
Il publia ainsi une quinzaine d’ouvrages, traduits en plusieurs langues (français, espagnol, allemand, italien, anglais) sur cette question, qui eurent un succès éditorial. Les livres les plus importants ont été publiés en français entre 1971 et 1980 : Le Grand Voyage du Dieu Soleil (1971) aux Éditions et publications premières ; L’Agonie du Dieu Soleil. Les Vikings en Amérique du Sud (1974) et Les Templiers en Amérique (1980), chez Robert Laffont ; Drakkars sur l’Amazone (1977) et L’Imposture de Colomb. La géographie sacrée de l’Amérique (1979) chez Copernic. Tous ces ouvrages cherchent à démontrer le rôle civilisateur des Vikings dans la naissance de civilisations complexes dans le continent latino-américain et à expliquer la construction de monuments cyclopéens par une présence « blanche ». Cet ethnocentrisme fut condamné pour son évident racialisme et tourné en dérision par les spécialistes de la question. Cela a été d’autant plus facile que Mahieu, à la même époque, publiait des ouvrages de raciologie, comme son Précis de biopolitique, paru en 1969{349} chez un éditeur canadien proche du mouvement néonazi et négationniste Nouvel ordre européen (NOE). D’ailleurs, Jacques de Mahieu, docteur honoris causa en médecine d’une université argentine, était le fondateur, cette même année, avec Gaston-Armand Amaudruz et le docteur Jacques Baugé-Prévost (tous deux néonazis et négationnistes, membres du NOE), d’un « Institut supérieur des sciences psychosomatiques, biologiques et raciales », créé à Barcelone et basé à Montréal. À la fin de sa vie, il fut aussi le correspondant argentin du CEDADE (Círculo Español de Amigos de Europa ou Cercle espagnol des amis de l’Europe), une organisation néonazie espagnole.
NOE et CEDADE
Le Nouvel ordre européen est né en 1954 des cendres du Mouvement social européen, lui-même né en 1951 de la conférence à Malmö (Suède) d’anciens nazis, surtout d’anciens SS, de militants néonazis et de néofascistes. Son siège est à Lausanne, sous la responsabilité d’Amaudruz. L’idéologie du NOE est suprémaciste blanche, violemment raciste, anticolonialiste, anticommuniste, antisémite, négationniste et, dans une certaine mesure, différentialiste{350}.
Le CEDADE est né en 1966, à la suite d’une scission en 1962 de la section espagnole, Joven Europa, de Jeune Europe, la structure européenne du militant néofasciste belge Jean Thiriart. On y retrouvait d’anciens nazis : Otto Skornezy et Léon Degrelle en firent partie. Plusieurs membres du CEDADE deviendront dans les années 1990 des figures importantes de la mouvance identitaire espagnole, comme Ernesto Mila, qui s’est rapproché de Terre et peuple Espagne.
Son Précis de biopolitique est très intéressant pour comprendre ses thèses. Il y affirmait l’idée que les facteurs raciaux et biologiques sont liés. Selon lui, il n’est pas possible de comprendre le monde actuel sans prendre en compte ces facteurs. À l’instar des raciologues du début du xxe siècle, il postulait l’importance de la géographie sur la race et les mentalités. En ce sens, il ne fit que reprendre les thèses völkisch (l’idéologie du Blut und Boden – « du sang et du sol ») des raciologues nationaux-socialistes. Il n’a cessé de condamner le métissage, qui ne serait selon lui qu’une dégénérescence des races, à l’origine du chaos social de son époque. Comme ses collègues nazis puis de l’extrême droite occidentale, il insista sur la nécessité de préserver la pureté de la race blanche, race supérieure par excellence, la « race noire » étant évidemment dévalorisée :
Personne ne met en doute les faits : la grande race noire n’a produit ni science, ni littérature, ni philosophie, ni théologie ; son art ne peut pas se comparer à ceux de l’Europe, de l’Asie et l’Amérique ; son organisation politique est restée rudimentaire{351}.
En cas de cohabitation de plusieurs races, les habitants de « race blanche » devaient diriger, car « les Blancs, partout où ils sont apparus, [ont] constitué un puissant facteur d’ordre et de progrès{352} ». Selon lui, la « communauté polyethnique hiérarchisée possède, en effet, la valeur de son composant supérieur augmentée des possibilités de l’inférieur{353} ». Elle doit donc réserver organiquement certaines fonctions à
tel ou tel ensemble racial qui témoignerait de particulières aptitudes à leur endroit. La race inférieure, ou simplement inassimilable, trouverait ainsi sa place dans la société politique et jouirait des droits correspondants, et seulement ceux-ci{354}.
De fait, Jacques de Mahieu fit l’éloge de la ségrégation raciale : « Il n’y a que deux solutions valables : l’apartheid géographique ou l’intégration des éléments ethniquement inférieurs à une société organique{355}. » À l’instar des autres théoriciens de l’extrême droite, Mahieu était un nostalgique des « sociétés fermées » théorisées en son temps par Karl Popper{356}.
Malgré tout, ou plutôt à cause de ses « connaissances » raciologiques, il fut nommé directeur du département d’anthropologie de l’université de Buenos Aires. Ses « recherches », dans ce domaine, consistaient avant tout en une étude physique des corps de peuples indigènes (longueur des membres, morphologie, physionomie, forme du crâne, traits du visage, couleur de la peau, des cheveux et des yeux, pilosité, etc.), ainsi que l’étude sérologique des groupes observés. Elles comprenaient aussi une crâniométrie de ces populations (indice céphalique){357}. Le but de ces observations raciales était de prouver la dégénérescence de ces descendants de métissages entre les Vikings et les Indiens, principalement Guyakis, qu’il appelait les « Indiens blancs du Paraguay », et de montrer implicitement les ravages du métissage sur les groupes « purs », ces groupes vikings qui commirent selon lui le crime de s’accoupler avec des races inférieures, en l’occurrence autochtones. Ces postulats plurent au président du Paraguay, le général Alfredo Stroessner. Mahieu publia ainsi plusieurs articles et ouvrages richement illustrés de photos qui servaient, comme Günther le fit en son temps, à montrer les différences raciales (« types » et « sous-types raciaux »). Il fut d’ailleurs aussi le directeur de l’Institut des sciences de l’homme de Buenos Aires (Instituto de Ciencia del Hombre), qu’il avait fondé en 1968. À partir de cette époque, il délaissa ses recherches d’organisation maurrassienne pour se consacrer à la recherche des origines des civilisations d’Amérique latine.
Comme il s’intéressait à toute une thématique nordiciste (il étudia des inscriptions « runiques » découvertes en Amérique du Sud, des cartes maritimes scandinaves, des mégalithes, etc.), il devint fort logiquement, dans les années 1970, une référence à la fois dans les milieux intéressés par l’« histoire mystérieuse » et l’« occultisme nazi »{358}, milieu dans lequel il eut un succès éditorial avec ses livres publiés chez Robert Laffont et J’ai Lu. Ses thèses furent reprises par une autre personne évoluant comme lui à l’intersection des milieux de l’« histoire mystérieuse » et de la droite radicale : Miguel Serrano, sur lequel nous reviendrons dans le prochain chapitre.
Mahieu eut aussi du succès dans certains courants de la droite radicale française, en particulier pour la Nouvelle Droite, et plus précisément pour les écrivains Jean Mabire et Jean-Claude Valla, ancien cadre français de la World Union of National Socialists{359} :
Jean-Claude Valla, ce n’est pas faire injure à sa mémoire, avait la passion de l’histoire secrète, celle que l’on nous cache derrière l’histoire « officielle ». […] Jean-Claude s’était ainsi convaincu que la civilisation des Incas était le fruit d’une colonisation du Pérou par les Vikings et que leur organisation sociale était parfaitement représentative de la trifonctionnalité indo-européenne{360}.
Valla développa cette idée dans un ouvrage publié en 1976, La Civilisation des Incas{361}. Alain de Benoist, l’intellectuel « organique » de la Nouvelle Droite, cita aussi Mahieu comme référence scientifique dans sa notice sur « Les Viking en Amérique », publiée dans Vu de droite, sa célèbre « Anthologie des idées contemporaines », soutenant des thèses similaires à celles développées par ce dernier{362}, tandis que Michel Marmin signait en 1977 un article intitulé « Les Vikings en Amérique du Sud ? » dans Éléments{363}. Les thèses de Mahieu furent aussi reprises par l’écrivain identitaire Jean Mabire. Celui-ci l’édita dans les années 1970, dans la collection « Réalisme fantastique »{364} qu’il dirigeait chez l’éditeur d’extrême droite Copernic, la maison d’édition du GRECE, une école de pensée d’extrême droite, aussi connue auprès du grand public sous le nom de Nouvelle Droite. Mahieu y publia Drakkars sur l’Amazone, et L’Imposture de Colomb. Par ailleurs, Jean Mabire utilisa les thèses de Jacques de Mahieu dans Thulé. Le soleil retrouvé des Hyperboréens{365}. Son nom, malgré son décès, figure toujours parmi les membres du comité de patronage de Nouvelle École, la revue scientifique du GRECE : il y était entré au début des années 1970. Il y était d’ailleurs encore considéré en 1995 comme un « esprit original et audacieux » et « amical »{366}. D’ailleurs, Alain de Benoist le rencontra dans les années 1970 en Argentine, montrant ainsi implicitement l’importance de Mahieu pour la Nouvelle Droite. Toutefois, sa présentation dans cette revue s’est modifiée au fil du temps : s’il est présenté en tant qu’« historien et écrivain » dans le numéro 59 (années 2010-2011) de cette revue, il était au contraire présenté dans le numéro 24 (hiver 1973-1974) en tant que « Docteur ès Sciences politiques, Docteur ès Science économique, licencié de Philosophie, docteur en médecine honoris causa, ancien recteur de l’Université argentine des Sciences sociales, ancien doyen de sa faculté des Sciences politiques, directeur de l’Institut de Science de l’Homme de Buenos-Aires ». À la même époque, Mahieu se mit à participer à la revue belge d’« histoire mystérieuse » Kadath, proche dans les années 1970 de la Nouvelle Droite, à laquelle il donna plusieurs articles sur la supposée présence de Vikings en Amérique. Il figure encore dans son comité d’honneur.
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Jacques de Mahieu est donc un auteur aux multiples facettes, lu par différents lectorats qui ne se rejoignent que très peu. D’un côté, ses thèses furent, et le sont encore, reprises par toute une série d’auteurs passionnés par les thèses de l’« histoire mystérieuse », mais souvent ignorants des discours raciaux. Ainsi, les postulats quant à la présence en Amérique des chevaliers du Temple, c’est-à-dire les Templiers, trouvèrent des échos populaires dans des bandes dessinées de grande qualité, et au grand succès auprès du public : l’une est Mû, le dernier volume des aventures de Corto Maltese, le personnage créé par le dessinateur italien Hugo Pratt{367} ; l’autre est Thorgal, écrite par Jean Van Hamme et dessinée par Gzregorz Rosinski, qui narre les aventures d’un Viking descendant des Atlantes (qui eux-mêmes s’installèrent sur une planète avant de revenir sur la Terre). Dans cinq épisodes (les tomes 9 à 13), connus sous le titre générique de « Cycle du pays Qâ », il affronte son père, devenu le dieu blanc et vivant d’une civilisation précolombienne{368}.
De l’autre, l’intérêt de l’extrême droite la plus dure pour les thèses racistes et pseudo-scientifiques de Mahieu ne s’est pas démenti. Il est encore lu et discuté. Ainsi, le trimestriel identitaire Réfléchir & Agir {369} lui consacra un article hommage en 2001, tandis que l’un de ses textes inédits, La Fabuleuse Épopée des Troyens en Amérique du Sud, a été publié en 1998, huit ans après son décès, par les éditions Pardès, une maison d’édition influencée par les thèses de Julius Evola{370}. En Amérique latine, le groupe Acción Chilena (Action chilienne) se réfère encore à lui, ainsi que des groupes néonazis les plus folkloriques les uns que les autres. De fait, il fascine toujours les nostalgiques de « l’Ordre Nouveau » nazi, pour reprendre l’excellente expression de Cristian Buchrucker{371}. Cette multiplicité des réceptions fait que les livres de Jacques de Mahieu furent, et sont encore, traduits dans plusieurs langues (français, italien, allemand, anglais, espagnol) par des éditeurs allant de l’extrême droite la plus dure, telles les éditions Grabert, par exemple, en Allemagne{372}, à la nébuleuse New Age. Ainsi, son livre sur les Templiers en Amérique a été réédité en 1999 chez J’ai Lu, dans la collection « L’aventure mystérieuse », réservée à l’occultisme, à l’« histoire mystérieuse » et au New Age. Néanmoins, malgré sa carrière universitaire et ses succès éditoriaux, Jacques de Mahieu est mort en 1990 à Buenos Aires dans une relative pauvreté. Il était toujours à la recherche de la preuve qui assoirait scientifiquement ses postulats sur les origines des civilisations précolombiennes.