Wilhelm Landig (1909-1997) est un ancien SS autrichien et un auteur de science-fiction, connu à l’extrême droite pour son cycle thuléen (Götzen gegen Thule, Wolfszeit um Thule, Rebellen für Thule{424}), devenu designer d’intérieur après-guerre. Il est un personnage intéressant pour l’historien des idées car il est devenu une figure importante de la contre-culture néonazie occidentale dès le début des années 1970. Le premier volume de ce cycle, Götzen gegen Thule (« Les petits dieux contre Thulé », en français Combat pour Thulé), fut en effet publié en 1971. Depuis leur parution, ses livres furent traduits, notamment en français{425}, en anglais et en espagnol. De ce fait, Landig doit être vu comme un personnage clé dans cette subculture. Il doit être aussi perçu comme le pendant germanique des autres théoriciens de l’« occultisme nazi » tels que Miguel Serrano ou Savitri Devi, avec qui il fut d’ailleurs en contact.
Ce cycle thuléen est important pour son contenu, qui exprime une vision du monde construite et cohérente, ce que les anthropologues appellent une « cosmologie ». Il doit aussi être analysé comme un vecteur de diffusion d’idées, ainsi qu’un moyen de banalisation de thèmes conceptuels dans des milieux éloignés politiquement : Götzen gegen Thule, de fait, est un ouvrage ouvertement révisionniste qui attira les amateurs d’« histoire mystérieuse », comme nous le verrons dans ce texte. En effet, ce cycle romanesque se proposait d’enseigner (et d’expliciter) à un certain public la vision völkisch du monde, comme les mythes aryanistes et la politique de la Thulé arctique, auxquels Landig adjoint d’autres mythes modernes qui se sont greffés sur un néonazisme hétérodoxe, comme les ovnis (construits ou non par l’homme), le Royaume souterrain, les cathares et les albigeois, le Saint Graal, la survivance du nazisme, les maîtres himalayens et le complot international à la fois politique et occulte, etc., le tout baignant dans un antisémitisme et un négationnisme assumés.
Wilhelm Landig naquit à Vienne en 1909. Il est mort dans cette ville en 1997. Il fut très tôt un militant pangermaniste. Ce designer s’engagea en effet dans les corps francs, qui se multiplièrent à la suite de la défaite des puissances centrales en 1918. Il fut ainsi membre (à 10 ans !) du mouvement de jeunesse du Freikorps Rossbach, puis de la Deutsche Wehr. Cet engagement précoce ancra en lui un anticommunisme viscéral. Membre du parti nazi autrichien, il travailla à Berlin dans un institut universitaire du IIIe Reich l’année précédant l’Anschluss. Puis il retourna à Vienne et travailla dans un service gouvernemental jusqu’en 1941. Durant la guerre, il servit dans la Waffen SS et se fit remarquer dans la lutte anticommuniste dans les Balkans : il participa en effet, entre 1942 et 1944, à la lutte contre les partisans. Pour cette raison, il fut médaillé par les autorités oustachies croates ainsi que par ses supérieurs allemands. Il retourna à Vienne en 1944. En 1945, il fut arrêté par les autorités britanniques d’occupation et fut interné jusqu’en 1947. Après cette date, il fut utilisé par les services secrets anglais dans la lutte anticommuniste{426}. Par la suite, il retourna à la vie civile, mais il continuera de combattre le communisme. Ainsi, il devint en 1970 le représentant autrichien de la World Anti-Communist League (Ligue mondiale anticommuniste). Cette structure fut aussi connue pour avoir recyclé d’anciens nazis comme Otto Skornezy, ou des fascistes comme Horia Sima.
Au début des années 1950, il créa avec un autre ancien SS, Rudolf Mund, lui aussi interné dans un camp, américain celui-ci, et avec un ingénieur suisse passionné par les ovnis, Erich Halik (de son vrai nom Claude Schweikhart), un groupe connu sous le nom de Cercle Landig (ou Groupe de Vienne ou Loge de Vienne). En fait, cette ville, haut lieu de l’occultisme depuis le xixe siècle, tint un rôle important dans le renouveau ariosophe de l’après-Seconde Guerre mondiale, du fait de sa situation géopolitique, de son histoire et de la relative indulgence des autorités d’occupation vis-à-vis de certains nazis. Landig et son groupe y vulgarisèrent les textes les plus occultistes de l’Ahnenerbe, l’institut de la SS. Ce groupe est connu en outre pour avoir élaboré une synthèse doctrinale entre le mysticisme völkisch et les thèses de l’ésotérisme traditionaliste, en particulier les points concernant la « Tradition primordiale » hyperboréenne. Ce groupe soutint aussi la thèse polaire de l’origine des Indo-Européens. Il fut enfin le principal vulgarisateur de la mythologie ariosophique de Thulé dans les milieux de l’extrême droite néo- ou postnazie. Ce dernier point n’est pas toutefois novateur : il fut un point important du renouvellement doctrinal de ces milieux de cette époque. En France, par exemple, ce fut l’écrivain Jean Mabire qui le fit avec son ouvrage, capital pour cette mouvance, intitulé Thulé. Le soleil perdu des Hyperboréens{427}.
Comme plusieurs personnes évoluant dans cette mouvance, Wilhelm Landig mélangeait dans ses livres fiction et éléments véridiques ; n’oublions pas que le sous-titre de Combat pour Thulé est « Un roman plein de réalités » (« Ein Roman voller Wirklichkeiten »), citant un grand nombre d’auteurs dont l’ésotériste Julius Evola, l’archéologue Herman Wirth, le raciologue Arthur de Gobineau, le militant nationaliste indien Bâl Gangâdhar Tilak, le théoricien de l’âge de glace Hans Hörbiger, le climatologue Alfred Wegener et l’écrivain, et ex-SS, Otto Rahn{428}, afin que le lecteur puisse vérifier par lui-même les propos développés dans le livre. Landig reprenait aussi dans ses livres des éléments de l’idéologie antichrétienne de son chef Heinrich Himmler. Cela est manifeste dans son premier ouvrage, Götzen gegen Thule, le christianisme relevant évidemment de la catégorie des « petits dieux », où il reprend les thèmes de la religion « néo-germanique » de la SS. Cette religion bricolée, cette foi germanique, se retrouva après-guerre chez certains SS, dont Landig. Ce dernier fit donc le lien entre la SS et une nouvelle génération de militants nazis.
L’idée hyperboréenne, développée tout au long de l’œuvre de Landig et qui sous-tend sa cosmologie, est la conséquence de l’interprétation évolienne du mythe hyperboréen d’une très ancienne tradition d’analyse de poèmes des différents peuples indo-européens antiques, qui prouveraient l’existence d’un foyer indo-européen originel, situé au niveau circumpolaire{429}. Les thèses hyperboréennes de Landig furent aussi très influencées par les spéculations de l’archéologue völkisch Herman Wirth, dont les travaux furent condamnés par l’ensemble du monde universitaire{430}. Enfin, les postulats ésotérico-racistes de Landig furent tributaires de Jörg Lanz von Liebenfels.
Wilhelm Landig développa différents thèmes dans son cycle thuléen, mêlant uchronie, ésotérisme, thèses racistes et anticipation. Dans Combat pour Thulé, publié en 1971, il soutint que des groupes de SS survécurent à la défaite du nazisme et à la mort d’Adolf Hitler, et reprit certaines idées développées par Jacques Bergier et Louis Pauwels dans Le Matin des magiciens. Il reprit en particulier l’idée que les nazis créèrent une nouvelle civilisation. D’ailleurs, c’est à cette période précise que Landig décida de publier son livre, sentant une atmosphère favorable à ses thèses. Combat pour Thulé raconte en effet l’histoire de deux aviateurs allemands dont l’avion s’est écrasé en Arctique. Là, ils sont secourus par un officier SS, Gutmann (« l’homme bon »), qui devient leur guide. Après avoir été initiés aux secrets de Thulé et avoir pris conscience de la nécessité du combat occulte contre Israël, justifiant ainsi l’antisémitisme, les deux aviateurs vont parcourir le monde dans le but d’unifier différents groupes thuléens, c’est-à-dire néonazis, dont les idéaux sont en accord avec ceux des nazis réfugiés en Antarctique. Comme le souligne l’universitaire britannique Joscelyn Godwin, Combat pour Thulé est « un énorme travail de révisionnisme, ou disons-le, de blanchiement [sic] des nazis{431} » ainsi qu’une reprise de la philosophie antimoderne d’Evola. En adaptant ces thèses en roman, Landig échappa à la législation sur les textes racistes. En effet, ce livre est un manifeste ouvertement révisionniste et antisémite : les personnages principaux, les héros du roman, participent au combat des derniers SS contre l’empire « judéo-américain ». Cette forme romanesque permit à Landig de divulguer à ses lecteurs une série de sujets relevant des répertoires à la fois occultiste et néonazi, au travers de ses romans à clé qui expriment une vision du monde : les mythes et la politique de la Thulé arctique ; les ovnis (alors à la mode) ; les thématiques provenant du Matin des magiciens (l’Agartha, les maîtres himalayens et la politique occulte, etc.) ; les livres du SS Otto Rahn (en particulier les liens entre catharisme et le Graal) ; la littérature conspirationniste d’extrême droite sur le complot international de forces occultes (forcément juives…), etc.
Ce roman se place aussi dans la continuité des livres des néonazis et écrivains Miguel Serrano et Savitri Devi, qui commencent à publier à la même époque{432}. L’idée d’une survivance secrète du nazisme se retrouva fréquemment dans la littérature néonazie de l’immédiat après-guerre. À l’instar de plusieurs autres auteurs de cette époque et de cette mouvance, tels Saint-Loup ou Ladislas Szabo, il soutint que ces SS se réfugièrent dans une base antarctique. Ces réfugiés SS se seraient appuyés sur les ultimes découvertes des scientifiques nazis de Peenemünde, qui auraient conçu le V7, sous forme de soucoupe volante, qui serait apparu ainsi, ici ou là, dans les ciels de la planète après la guerre. Les V7 auraient permis, selon Landig, à certains nazis de quitter les bases antarctiques pour d’autres situées en Amérique du Sud. Il s’agit en fait d’un mythe technologique{433} lancé par un article du journal Der Spiegel du 30 mars 1950{434}, qui s’enrichit pendant cette décennie pour devenir un mythe agglutinant associant occultisme nazi, soucoupe volante, survivance dans l’Antarctique…
Le deuxième volume (Wolfszeit um Thule, en français Le Temps des loups), paru en 1980, reprit la même trame et la même période chronologique, mais l’auteur y ajouta le combat anticommuniste et surtout insista sur le combat contre le christianisme et le judaïsme (les « petits dieux » du titre original du premier livre) : il insista fortement sur le combat à mort entre « l’étoile de David » et « Thulé ». Nous voyons donc un entrelacement entre les thématiques développées par le roman et la vie de l’auteur : il ne faut pas oublier qu’à la même époque, il s’impliqua dans l’action de la Ligue anticommuniste mondiale (World Anti-Communist League – WACL), une structure créée en 1967 par le régime nationaliste et anticommuniste de Taïwan, qui recycla un nombre non négligeable d’anciens nazis, en particulier d’ex-SS. À l’instar du livre précédent, Landig mélangea allègrement dans ce volume trame romanesque et digressions idéologiques portant à la fois sur l’intérêt de l’ésotérisme thuléen, sur la nécessité de combattre le « judaïsme mondial » et sur celle de combattre le péril communiste, par la création d’internationales anticommunistes. Nous retrouvons donc dans ce livre la défense du combat nazi contre le « judéo-bolchevisme » dans lequel il excella pendant la guerre.
Le dernier volume (Rebellen für Thule, Rebelles de Thulé en français) fut publié en 1991. Contrairement aux précédents, il s’agit plus ici d’un testament politique romancé que d’un roman. En effet, l’histoire se déroule en République fédérale allemande, en 1979. Des élèves se rebellent contre l’enseignement de l’« histoire officielle ». Progressivement, ils prennent conscience de la véritable histoire et de l’enjeu de la « métaphysique thuléenne » et de l’antisémitisme. Ils seront aidés dans leur quête par un enseignant en histoire, qui lui-même est épaulé par certains de ses amis, d’anciens de la SS, tel l’ex-major Eyken. Dès ce moment, ces élèves, les « rebelles de Thulé » du titre, adhèrent à la vision du monde de Landig, des ariosophes et de l’Ahnenerbe et combattent le rôle des sociétés secrètes capitalistes dirigées, évidemment, par l’empire judéo-américain. L’objectif de Landig était limpide : il souhaitait transmettre ses idéaux via les nombreuses « conférences », en fait les digressions de l’auteur, retranscrites dans le livre. En effet, il n’y a pas dans ce livre de V7, ni d’aventures picaresques. Il s’agit plutôt d’une sorte de bréviaire alternatif d’extrême droite.
Dans les années 1980, Wilhelm Landig fut en contact avec ce que nous pouvons appeler des lunatic fringes, c’est-à-dire des néonazis excentriques, peu sérieux et passablement illuminés. Il entretint aussi des relations avec des militants néonazis « classiques » si nous pouvons utiliser cette expression. En effet, durant cette décennie, Landig devint une figure importante de jeunes générations du néonazisme, une véritable référence intellectuelle, auréolée de son passé de combattant Waffen SS. Mais cela n’est pas propre à cet auteur : d’autres ex-SS furent aussi considérés comme des références intellectuelles à cause de leur engagement passé. Nous pouvons citer parmi les Français Saint-Loup ou Robert Dun, etc. Des générations de néonazis allèrent en Espagne rencontrer le Belge Léon Degrelle, l’ancien responsable de la division SS Wallonie… Nous pourrions multiplier les exemples.
De ce fait, certains de ses livres furent traduits de par le monde par des militants n’ayant pas connu le IIIe Reich, montrant implicitement à la fois l’intérêt pour ces questions de la part de jeunes néonazis et leur absence de culture historique, le nazisme de Landig n’ayant rien à voir avec la réalité. Au-delà de ces milieux, les thèses de Landig intéressèrent tout un monde évoluant aux marges du New Age et de l’extrême droite la plus radicale. Il intéressa aussi des personnes éloignées de ces milieux. Cette contamination peut s’expliquer par l’intérêt dans ces milieux pour l’« histoire secrète », c’est-à-dire pour une interprétation alternative de l’histoire à forte tendance complotiste, en particulier en ce qui concerne le nazisme.
Parmi ces personnes évoluant à la fois aux marges du New Age et de l’extrême droite hétérodoxe, nous pouvons citer Jan van Helsing. Landig fait partie des références explicites du Livre jaune no 5. Van Helsing cite d’ailleurs l’ex-SS de nouveau. L’influence de Landig se ressent, en particulier dans la thématique occultisto-ariosophique. Comme Landig toujours, Jan van Helsing fit l’éloge des extraordinaires capacités de la « science nazie ». L’influence de Landig s’est aussi ressentie, mais de façon indirecte cette fois-ci, dans certains textes de l’auteur négationniste germano-canadien Ernst Zündel, en particulier dans deux ouvrages, Secret Nazi Polar Expedition et German Secret Weapon of World War II, qu’il signa du pseudonyme Christof Friedrich{435}. Enfin, selon Nicholas Goodrick-Clarke, Landig fut à l’origine de la diffusion, dans les milieux néonazis, du symbole du « Soleil noir », un symbole tiré d’une mosaïque du château de Wewelsburg{436}. Il devint un symbole-clé dans les milieux des jeunes néonazis allemands et autrichiens des années 1990{437}. Il fut aussi repris par le groupuscule identitaire Thule Seminar, fondé et dirigé par Pierre Krebs, un ex-membre de la Nouvelle Droite. Au-delà de cela, comme nous l’avons dit ci-dessus, les thèses de Wilhelm Landig furent reprises par différents groupuscules et revues parmi les plus radicaux de l’extrême droite, comme l’association française Terre et peuple et la revue Réfléchir & Agir, qui évoluent toutes deux dans la frange völkisch/néonazie de la mouvance identitaire. Les éditions Auda Isarn, qui ont publié en français ces livres de Landig, sont d’ailleurs une émanation de l’équipe du magazine Réfléchir & Agir.
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Wilhelm Landig reste donc une référence importante de la mouvance néonazie, comme nous l’avons montré. Si son groupe et lui-même sont restés confidentiels durant les années 1950 et 1960, le succès éditorial des « mystères nazis » leur a donné une opportunité de s’exprimer et de diffuser leurs idées. Toutefois, il ne faut pas oublier que le cycle thuléen de cet auteur est un système mythologique très construit qui véhicule un antisémitisme et un négationnisme radicaux s’exprimant au grand jour. Cette radicalité a aussi fait qu’il est encore très lu et traduit par les milieux extrémistes de droite.