Scène II

LES MÊMES, UN PIGEON sur le toit, puis CHANTECLER.

LA POULE BLANCHE, regardant autour d'elle par mouvements de tête saccadés.

Qui m'appelle ?

LA VOIX

Qui m'appelle ?Un pigeon !

LA POULE BLANCHE, cherchant.

Qui m'appelle ?Un pigeon !Où ?

LE PIGEON

Qui m'appelle ?Un pigeon !Où ?Sur le toit qui penche !

LA POULE BLANCHE, levant la tête et l'apercevant.

Ah !

LE PIGEON

Ah !Bien que d'un billet pressé je sois porteur,

Je m'arrête. Bonjour, poule.

LA POULE BLANCHE

Je m'arrête. Bonjour, poule.Bonjour, facteur.

LE PIGEON

Oui, puisque mon service aux Postes de l'Espace

Fait qu'en ce soir d'été par votre ciel je passe,

Je serais bien heureux de pouvoir…

LA POULE BLANCHE, qui aperçoit un grain.

Je serais bien heureux de pouvoir…Un moment !

UNE AUTRE POULE, courant curieusement vers elle.

Que croquez-vous ?

TOUTES LES POULES, accourant.

Que croquez-vous ?Que croque-t-elle ?

LA POULE BLANCHE

Que croquez-vous ?Que croque-t-elle ?Du froment.

LA POULE GRISE, reprenant sa conversation, à la Poule Blanche.

Donc, ce soir, sur le seuil il faut que je demeure…

Elle montre la porte de la maison.

LA POULE BLANCHE, regardant la porte.

La porte est close !

LA POULE GRISE

La porte est close !Oui, mais j'entendrai sonner l'heure

Et pour voir le Coucou je passerai le cou…

LE PIGEON, appelant, impatienté.

Poule Blanche !

LA POULE BLANCHE

Poule Blanche !Un moment !

À l'autre Poule.

Poule Blanche !Un moment !Et pour voir le Coucou

Tu passeras le cou par où ?…

LA POULE GRISE, désignant le trou rond qui est au bas de la porte.

Tu passeras le cou par où ?…Par la chatière !

LE PIGEON, criant.

Vous me laissez le bec dans l'eau de la gouttière !

Hé ! la plus blanche des poules !

LA POULE BLANCHE, sautillant vers lui.

Hé ! la plus blanche des poules !Tu me disais ?…

LE PIGEON

Que je serais…

LA POULE BLANCHE, avec une révérence.

Que je serais…Quoi donc, le plus bleu des bisets9 ?

LE PIGEON

Bien heureux si… – mais non, l'audace est indiscrète… –

Je pouvais voir…

LA POULE BLANCHE

Je pouvais voir…Quoi ?

LE PIGEON, ému.

Je pouvais voir…Quoi ?Rien qu'un instant…

TOUTES LES POULES, impatientées.

Je pouvais voir…Quoi ?Rien qu'un instant…Quoi ?

LE PIGEON

Je pouvais voir…Quoi ?Rien qu'un instant…Quoi ?Sa crête !

LA POULE BLANCHE, aux autres, en riant.

Ah ! il veut voir…

LE PIGEON, très excité.

Ah ! il veut voir…Mais oui, je veux voir…

LA POULE BLANCHE

Ah ! il veut voir…Mais oui, je veux voir…Calme-toi !

LE PIGEON

J'attends en trépignant !

LA POULE BLANCHE

J'attends en trépignant !Il abîme le toit !

LE PIGEON

C'est que nous l'admirons !

LA POULE BLANCHE

C'est que nous l'admirons !Tout le monde l'admire !

LE PIGEON

Et j'ai promis à ma pigeonne de lui dire

Comment il est.

LA POULE BLANCHE, tout en picorant.

Comment il est.Superbe, on ne peut le nier.

LE PIGEON

Nous l'entendons chanter de notre pigeonnier !

C'est Celui dont le chant tient plus au paysage

Qu'à la pente d'un mont la blancheur d'un village,

Car toujours au lointain sa voix se mêle un peu ;

C'est Celui dont le cri perce l'horizon bleu

Comme une aiguille d'or qui toujours enfilée

Coudrait au bord du ciel le bord de la vallée.

C'est le Coq !

LE MERLE, allant et venant dans sa cage.

C'est le Coq !Pour lequel tous les cœurs font toc-toc !

UNE POULE

Notre Coq !

LE MERLE, passant sa tête entre les barreaux.

Notre Coq !Mon, ton, son, notre, votre et leur Coq !

LE DINDON, au Pigeon.

Il va bientôt rentrer de sa ronde champêtre.

LE PIGEON

Ah ! vous le connaissez, Monsieur ?

LE DINDON, important.

Ah ! vous le connaissez, Monsieur ?Je l'ai vu naître.

Ce poussin – car pour moi c'est toujours un poussin ! –

Venait prendre chez moi sa leçon de buccin10.

LE PIGEON

Ah ! vraiment, vous donnez des leçons de ?…

LE DINDON

Ah ! vraiment, vous donnez des leçons de ?…Sans doute.

Je peux apprendre à coqueriquer : je glougloute !

LE PIGEON, avidement.

Où donc est-il né ?

LE DINDON, désignant un vieux panier à couvercle, usé et percé.

Où donc est-il né ?Dans ce vieux panier.

LE PIGEON

Où donc est-il né ?Dans ce vieux panier.Et la

Poule qui l'a couvé vit encore ?

LE DINDON

Poule qui l'a couvé vit encore ?Elle est là.

LE PIGEON

Où ?

LE DINDON

Où ?Dans ce vieux panier.

LE PIGEON, de plus en plus intéressé.

Où ?Dans ce vieux panier.De quelle race est-elle ?

LE DINDON

C'est une bonne, vieille et traditionnelle

Poule gasconne, née aux environs de Pau.

LE MERLE, passant sa tête.

C'est celle qu'Henri Quatre a voulu mettre au pot.

LE PIGEON

Avoir couvé ce Coq… qu'elle doit être fière !

LE DINDON

Oui, d'une humble fierté de maman nourricière.

Son cher poussin – c'est là tout ce qu'elle comprend –

Devient grand !… et quand on lui dit qu'il devient grand,

Sa raison presque éteinte un instant se réveille.

Il crie vers le panier.

Hé ! la vieille, il grandit !

TOUTES LES POULES

Hé ! la vieille, il grandit !Il grandit !

Aussitôt, on voit se soulever le couvercle du panier et surgir une vieille tête ébouriffée.

LE PIGEON, à la Vieille Poule, avec attendrissement.

Hé ! la vieille, il grandit !Il grandit !Hé ! la vieille,

Ça vous fait donc plaisir qu'il grandisse ?

LA VIEILLE POULE, hochant la tête, et sentencieusement.

Ça vous fait donc plaisir qu'il grandisse ?Pardi !

Le blé de mercredi fait honneur à mardi !

Elle disparaît. Le couvercle retombe.

LE DINDON

De temps en temps, elle ouvre, et, crac ! avant de clore,

Elle laisse tomber une fleur de folk-lore11,

Un dicton qu'elle invente et qui sent le patois…

LE PIGEON, à la Poule Blanche.

Poule Blanche !

LE DINDON, en remontant.

Poule Blanche !… Et qui tombe assez bien quelquefois !

LA VIEILLE POULE, qui a reparu un instant derrière lui.

Quand le paon n'est pas là, le dindon fait la roue.

Le Dindon se retourne : le couvercle est déjà retombé.

LE PIGEON, à la Poule Blanche.

Est-ce vrai que jamais Chantecler ne s'enroue ?

LA POULE BLANCHE, picorant toujours.

C'est vrai !

LE PIGEON, avec un enthousiasme croissant.

C'est vrai !Vous êtes fiers d'avoir sous ces ormeaux

Un coq qui comptera parmi les Animaux

Illustres, dont le nom vivra dans plusieurs lustres !

LE DINDON

Très fiers ! très fiers !

À un petit poussin.

Très fiers ! très fiers !Quels sont les Animaux Illustres ?

LE POUSSIN, récitant.

Le pigeon de Noé, le barbet de Saint-Roch12,

Le cheval de Cali…

LE DINDON

Le cheval de Cali…Cali ?…

LE POUSSIN, cherchant.

Le cheval de Cali…Cali ?…Cali…

LE PIGEON

Le cheval de Cali…Cali ?…Cali…Ce coq,

Est-ce vrai que son chant rythme, active, guerroie,

Fait rire le travail et fuir l'oiseau de proie ?

LA POULE BLANCHE, picorant.

C'est vrai !

LE POUSSIN, cherchant toujours.

C'est vrai !Cali… Cali…

LE PIGEON

C'est vrai !Cali… Cali…Poule Blanche, est-ce vrai

Que son chant, défenseur de l'œuf tiède et sacré,

Empêcha bien souvent l'onduleuse belette

D'avoir à son plastron13 des taches…

LE MERLE, passant sa tête entre les barreaux.

D'avoir à son plastron des taches…D'omelette ?

LA POULE BLANCHE

C'est vrai !

LE POUSSIN, cherchant toujours.

C'est vrai !Cali…

LE DINDON, pour l'aider.

C'est vrai !Cali…Gu ?…

LE POUSSIN

C'est vrai !Cali…Gu ?…Gu…

LE PIGEON

C'est vrai !Cali…Gu ?…Gu…Poule, est-ce vrai…

LE POUSSIN, bondissant de joie d'avoir trouvé.

C'est vrai !Cali…Gu ?…Gu…Poule, est-ce vrai……Gula14 !

LE PIGEON

… Que, pour chanter si bien, on suppose qu'il a

Un secret… un secret qui rend sa voix si rouge

Qu'à son cocorico le coquelicot bouge

Comme s'il s'entendait appeler par son nom ?

LA POULE BLANCHE, un peu fatiguée par ces questions.

C'est vrai !

LE PIGEON

C'est vrai !Ce grand secret, nul ne le connaît ?

LA POULE BLANCHE

C'est vrai !Ce grand secret, nul ne le connaît ?Non !

LE PIGEON

Il ne le dit pas même à sa poule ?

LA POULE BLANCHE, rectifiant.

Il ne le dit pas même à sa poule ?À ses poules !

LE PIGEON, un peu scandalisé.

Ah ! il en a plusieurs ?

LE MERLE

Ah ! il en a plusieurs ?Il chante. Tu roucoules !

LE PIGEON

Même à sa favorite, alors, il ne dit rien ?

LA POULE DE HOUDAN, vivement.

Oh ! rien !

LA POULE BLANCHE, aussi vivement.

Oh ! rien !Rien !

LA POULE NOIRE, aussi vivement.

Oh ! rien !Rien !Rien !

LE MERLE, passant sa tête entre les barreaux.

Oh ! rien !Rien !Rien !Silence : un drame aérien !

Le Papillon, piaffant comme un petit Pégase,

N'a pas vu…

On aperçoit, dépassant le mur, un grand filet vert, qui s'approche tout doucement du Papillon posé sur une des fleurs.

UNE POULE

N'a pas vu…Qu'est cela ?

LE DINDON, solennel.

N'a pas vu…Qu'est cela ?C'est le Destin !

LE MERLE

N'a pas vu…Qu'est cela ?C'est le Destin !En gaze !

LA POULE BLANCHE

Oh !… un filet !… au bout d'un bambou…

LE MERLE

Oh !… un filet !… au bout d'un bambou…Ce bambou

Se termine par un bambin à l'autre bout !

À mi-voix, en regardant le Papillon.

Muscadin15 qui toujours vers d'autres roses cingles,

Tu vas être tiré ce soir à quatre épingles !

TOUT LE MONDE, suivant par-dessus le mur l'approche lente du filet.

Palpitant ! – Ça s'approche ! – Oui ! – Poco a poco16 !

Chut ! – Prendra ! – Prendra pas ! – Prendra !…

Le Papillon va être pris. Mais

ON ENTEND TOUT À COUP AU LOIN

Chut ! – Prendra ! – Prendra pas ! – Prendra !…Cocorico !

Averti par ce cri, le Papillon s'envole. Le filet se balance un moment désappointé, puis disparaît.

PLUSIEURS POULES

Hein ? – Quoi ? – Qu'est-ce ?

UNE POULE, qui, sautée sur une brouette, suit le vol du Papillon.

Hein ? – Quoi ? – Qu'est-ce ?Il est loin déjà dans la prairie !

LE MERLE, avec une emphase ironique.

C'est Chantecler qui fait de la chevalerie !

LE PIGEON, très ému.

Chantecler !

UNE POULE

Chantecler !Sur le mur… il vient !

UNE AUTRE POULE

Chantecler !Sur le mur… il vient !Il est tout près !

LA POULE BLANCHE, au Pigeon.

Oh ! tu vas voir, c'est un beau coq !

LE MERLE, passant sa tête entre les barreaux.

Oh ! tu vas voir, c'est un beau coq !D'ailleurs, c'est très

Facile à faire, un coq !

LE DINDON, plein d'admiration.

Facile à faire, un coq !Ce Merle est d'une force !

LE MERLE

Vous prenez un melon, de Honfleur, pour le torse.

Pour les deux jambes, deux asperges, d'Argenteuil.

Pour la tête, un piment, de Bayonne. Pour l'œil,

Une groseille, de Bar-le-Duc. Pour la queue,

Un poireau, de Rouen, tordant sa gerbe bleue.

Pour l'oreille, ô Soissons ! un petit haricot.

Ça y est. C'est un coq !

LE PIGEON, doucement.

Ça y est. C'est un coq !Moins le cocorico !

LE MERLE, lui montrant Chantecler qui paraît sur le mur.

Oui. Mais sauf ce détail tu vois que ça ressemble ?

LE PIGEON

Pas du tout !

Et regardant Chantecler d'un œil tout autre que celui du Merle.

Pas du tout !Moi, je vois, sous un cimier qui tremble

Venir le Chevalier superbe de l'Été,

Qui pour se draper d'or semble avoir emprunté

À quelque char du soir où la moisson vacille

Sa cape, qu'il retrousse avec une faucille !

CHANTECLER, sur le mur, dans un long soupir guttural.

Cô…

LE MERLE

Cô…Quand il fait ce bruit dans sa gorge, en marchant,

C'est qu'il aime une poule ou qu'il médite un chant.

CHANTECLER, immobile sur le mur, la tête haute.

Flambe !… Illumine !…

LE MERLE

Flambe !… Illumine !…Il dit des mots sans suite !

CHANTECLER

Flambe !… Illumine !…Il dit des mots sans suite !Embrase !…

UNE POULE

Il s'arrête, une patte en l'air…

CHANTECLER, avec une sorte de râle de tendresse.

Il s'arrête, une patte en l'air…Cô…

LE MERLE

Il s'arrête, une patte en l'air…Cô…C'est l'extase !

CHANTECLER

Ton or est le seul or qui soit de bon conseil !

– Je t'adore !

LE PIGEON, à mi-voix.

– Je t'adore !À qui donc parle-t-il ?

LE MERLE, d'un ton gouailleur.

– Je t'adore !À qui donc parle-t-il ?Au soleil !

CHANTECLER

Toi qui sèches les pleurs des moindres graminées,

Qui fais d'une fleur morte un vivant papillon,

Lorsqu'on voit, s'effeuillant comme des destinées,

    Trembler au vent des Pyrénées

    Les amandiers du Roussillon,

   

Je t'adore, Soleil ! ô toi dont la lumière,

Pour bénir chaque front et mûrir chaque miel,

Entrant dans chaque fleur et dans chaque chaumière,

    Se divise et demeure entière

    Ainsi que l'amour maternel !

   

Je te chante, et tu peux m'accepter pour ton prêtre,

Toi qui viens dans la cuve où trempe un savon bleu,

Et qui choisis souvent, quand tu vas disparaître,

    L'humble vitre d'une fenêtre

    Pour lancer ton dernier adieu !

LE MERLE, passant sa tête entre les barreaux.

Nous n'y couperons pas, mes enfants : c'est une ode17.

LE DINDON, regardant Chantecler qui, par les degrés d'un tas de foin, descend du mur.

Il avance, plus fier…

UNE POULE, s'arrêtant devant une petite pyramide de fer-blanc.

Il avance, plus fier…Tiens ! l'abreuvoir !

Elle boit.

Il avance, plus fier…Tiens ! l'abreuvoir !Commode.

LE MERLE

…Plus fier qu'un Toulousain qui chante : O moun Pais !

CHANTECLER, qui commence à marcher dans la cour.

Tu fais tourner…

TOUTES LES POULES, courant vers la Blanche.

Tu fais tourner…Que croque-t-elle ?

LA POULE BLANCHE

Tu fais tourner…Que croque-t-elle ?Du maïs.

CHANTECLER

Tu fais tourner les tournesols du presbytère,

Luire le frère d'or que j'ai sur le clocher,

Et quand, par les tilleuls, tu viens avec mystère,

    Tu fais bouger des ronds par terre

    Si beaux qu'on n'ose plus marcher !

   

Tu changes en émail le vernis de la cruche ;

Tu fais un étendard en séchant un torchon ;

La meule a, grâce à toi, de l'or sur sa capuche,

    Et sa petite sœur la ruche

    A de l'or sur son capuchon !

   

Gloire à toi sur les prés ! Gloire à toi dans les vignes !

Sois béni parmi l'herbe et contre les portails !

Dans les yeux des lézards et sur l'aile des cygnes !

    Ô toi qui fais les grandes lignes

    Et qui fais les petits détails !

   

C'est toi qui, découpant la sœur jumelle et sombre

Qui se couche et s'allonge au pied de ce qui luit,

De tout ce qui nous charme as su doubler le nombre

    À chaque objet donnant une ombre

    Souvent plus charmante que lui !

   

Je t'adore, Soleil ! Tu mets dans l'air des roses,

Des flammes dans la source, un dieu dans le buisson !

Tu prends un arbre obscur et tu l'apothéoses !

    Ô Soleil ! toi sans qui les choses

    Ne seraient que ce qu'elles sont !

LE PIGEON

Bravo ! J'en parlerai longtemps à ma pigeonne !

CHANTECLER l'aperçoit, et avec une noble courtoisie.

Jeune inconnu bleuâtre et dont le bec bourgeonne18,

Merci ! – Vous me mettrez à ses pieds de corail19 !

Le Pigeon s'envole.

LE MERLE

Il faut soigner les admirateurs !

CHANTECLER, d'une voix cordiale, à la Basse-Cour.

Il faut soigner les admirateurs !Au travail.

Tous, gaîment !

Une mouche passe en bourdonnant.

Tous, gaîment !Mouche active et sonore, je t'aime !

Regardez-la : son vol n'est qu'un don d'elle-même.

LE DINDON, supérieur.

Oui, mais dans mon estime elle a beaucoup perdu

Depuis l'histoire de…

CHANTECLER, allant vers lui.

Depuis l'histoire de…De ?…

LE DINDON

Depuis l'histoire de…De ?…De la Mouche du…

CHANTECLER

Mais cette histoire-là m'a toujours paru louche !

Et qui sait si le coche eût monté sans la mouche ?

Tu crois qu'il valut moins qu'un « hue ! » ou qu'un « dia ! »

Le psaume de soleil qu'elle psalmodia ?

Tu crois à la vertu d'un juron qu'on décoche

Et que c'est le cocher qui fit monter le coche ?

Non, non ! elle a plus fait que le gros fouet claqueur,

La petite musique où bourdonnait un cœur20 !

LE DINDON

Oui… mais…

CHANTECLER, lui tournant le dos.

Oui… mais…De nos travaux, tous, faisons-nous des joies !

C'est l'heure de conduire au bord de l'eau vos oies,

Messieurs les Jars !

UN JARS, nonchalant.

Messieurs les Jars !Vraiment, vous croyez ?

CHANTECLER, marchant sur lui.

Messieurs les Jars !Vraiment, vous croyez ?Donc, les Jars,

Trêve aux cacardements oisifs et pataugeards !

Les Jars sortent vivement.

Toi, vieux Poulet, tu sais qu'il faut que tu ramasses

Avant ce soir au moins tes trente-deux limaces !

– Toi, futur Coq, va-t'en chanter « Cocorico »

Quatre cents fois devant l'écho !

LE JEUNE COQ, un peu vexé.

Quatre cents fois devant l'écho !Devant l'écho ?

CHANTECLER

C'est ainsi que j'appris à m'assouplir la glotte

Quand ma coquille encor me servait de culotte !

UNE POULE, prétentieuse.

Tout ça n'a pas beaucoup d'intérêt…

CHANTECLER

Tout ça n'a pas beaucoup d'intérêt…Tout en a !

Veuillez aller couver les œufs qu'on vous donna !

La Poule sort vivement. – À une autre Poule :

Toi, va sous la verveine et sous la potentille21

Gober tout ce qui ronge ! Ah ! ah ! si la chenille

Croit qu'on va de nos fleurs lui faire des cadeaux,

Elle peut se brosser le ventre… avec son dos !

La Poule sort. À une autre :

Toi, va sauver les choux qu'en de vieux coins incultes

La sauterelle assiège avec ses catapultes !

La Poule sort.

À toutes les Poules qui restent :

Vous…

Il aperçoit la Vieille Poule, dont la tête vient de soulever le couvercle du panier.

Vous…Tiens : bonjour, nounou !…

Elle le regarde avec admiration.

Vous…Tiens : bonjour, nounou !…J'ai grandi ?

LA VIEILLE POULE

Vous…Tiens : bonjour, nounou !…J'ai grandi ? Tôt ou tard

Il faut que la grenouille émerge du têtard !

CHANTECLER

Oui.

Le couvercle retombe. Aux Poules, reprenant son ton de commandement :

Oui.Vous, alignez-vous ! Vous irez, d'un pas preste,

Picorer dans les prés.

LA POULE BLANCHE, à la Grise.

Picorer dans les prés.Viens-tu ?

LA POULE GRISE

Picorer dans les prés.Viens-tu ?Tais-toi ! Je reste,

Moi, pour voir le Coucou !

Elle se cache derrière le panier.

CHANTECLER

Moi, pour voir le Coucou !La petite Houdan !

Vous avez l'air de vous aligner en boudant ?

LA POULE DE HOUDAN, s'approchant.

Coq…

CHANTECLER

Coq…Quoi ?

LA POULE DE HOUDAN

Coq…Quoi ?Moi que vous préférez…

CHANTECLER, vivement.

Coq…Quoi ?Moi que vous préférez…Chut !

LA POULE DE HOUDAN

Coq…Quoi ?Moi que vous préférez…Chut !Ça m'irrite

De ne pas savoir…

LA POULE BLANCHE, qui s'est avancée de l'autre côté.

De ne pas savoir…Coq…

CHANTECLER

De ne pas savoir…Coq…Quoi ?

LA POULE BLANCHE, câline.

De ne pas savoir…Coq…Quoi ?Moi, la favorite…

CHANTECLER, vivement.

Chut !

LA POULE BLANCHE

Chut !Je voudrais savoir…

LA POULE NOIRE, qui s'est approchée doucement.

Chut !Je voudrais savoir…Coq…

CHANTECLER

Chut !Je voudrais savoir…Coq…Quoi ?

LA POULE NOIRE, câline.

Chut !Je voudrais savoir…Coq…Quoi ?Votre penchant

Pour moi…

CHANTECLER, vivement.

Pour moi…Chut !

LA POULE NOIRE

Pour moi…Chut !Dis-le-moi…

LA POULE BLANCHE

Pour moi…Chut !Dis-le-moi…… Le secret…

LA POULE DE HOUDAN

Pour moi…Chut !Dis-le-moi…… Le secret…… De ton chant ?

Elle se rapproche de lui, et d'une voix curieuse :

Je crois que vous devez avoir dans la trachée

Une petite chose en cuivre.

CHANTECLER

Une petite chose en cuivre.Oui, bien cachée.

LA POULE BLANCHE, même jeu.

Vous devez, comme on dit que font les grands ténors,

Avaler des œufs frais.

CHANTECLER

Avaler des œufs frais.Fichtre ! Ugolin22, alors !

LA POULE NOIRE, même jeu.

Peut-être que, vidant leurs coques en spirales,

Tu mets les escargots en pâtes…

CHANTECLER

Tu mets les escargots en pâtes…Pectorales ?

Oui.

TOUTES LES TROIS

Oui.Coq !…

CHANTECLER, brusquement.

Oui.Coq !…Allez !

Toutes les Poules vont pour sortir : il les rappelle.

Oui.Coq !…Allez !Deux mots !

Elles s'arrêtent.

Oui.Coq !…Allez !Deux mots !Quand vos crêtes de sang,

Apparaissant, disparaissant, reparaissant,

Auront, là-bas, parmi la sauge et la bourrache,

L'air de coquelicots jouant à cache-cache,

Ne faites pas de mal aux vrais coquelicots !

Les bergères, comptant les mailles des tricots,

Marchent sur l'herbe, sans savoir qu'il est infâme

D'écraser une fleur même avec une femme :

Vous, mes Poules, soyez pleines de soins touchants

Pour ces fleurs dont le crime est de pousser aux champs.

La carotte sauvage a le droit d'être belle.

Si sur la plate-forme exquise d'une ombelle

Marche un insecte rouge et pointillé de noir,

Cueillez le promeneur, mais non le promenoir !

Les fleurs d'un même champ sont des sœurs, il me semble,

Qui doivent sous la faux tomber toutes ensemble.

Allez !

Elles vont pour sortir. Il les rappelle.

Allez !Et, vous savez, quand les poules vont aux…

UNE POULE, s'inclinant.

Champs…

CHANTECLER

Champs…La première…

TOUTES LES POULES, s'inclinant.

Champs…La première…Va devant !

CHANTECLER

Champs…La première…Va devant !Allez !

Elles vont pour sortir. Les rappelant brusquement :

Champs…La première…Va devant !Allez !Deux mots :

D'une voix grave.

Jamais en traversant la route on ne picore !

Les Poules s'inclinent.

– Vous pouvez traverser !

UNE TROMPE, au loin.

– Vous pouvez traverser !Pouh ! Pouh ! Pouh !

CHANTECLER, se précipitant devant elles, les ailes ouvertes.

– Vous pouvez traverser !Pouh ! Pouh ! Pouh !Pas encore !

LA TROMPE, tout près, au milieu d'un ronflement terrible.

Pouh ! Pouh ! Pouh !

CHANTECLER, leur barrant le passage pendant que tout tremble.

Pouh ! Pouh ! Pouh !Attendez !

LA TROMPE, très éloignée, dans le ronflement qui décroît.

Pouh ! Pouh ! Pouh !Attendez !Pouh ! Pouh ! Pouh !

CHANTECLER, leur laissant la route libre.

Pouh ! Pouh ! Pouh !Attendez !Pouh ! Pouh ! Pouh !À présent !

LA POULE GRISE, cachée.

On n'a pas pu me voir !

LA POULE DE HOUDAN, en sortant la dernière.

On n'a pas pu me voir !Comme c'est amusant !

Tout ce qu'on va manger va sentir le pétrole !