Scène V

CHANTECLER, LE MERLE.

CHANTECLER, revenant vers le Merle, avec abandon.

Et ton sifflet ?…

LE MERLE

Et ton sifflet ?…Ça me l'a coupé, d'une gifle !

C'est d'admiration, maintenant, que je siffle.

Comme ceci, tu sais…

Il siffle admirativement.

Comme ceci, tu sais…Hu !… Ça !… hu !

Il hoche gravement la tête.

Comme ceci, tu sais…Hu !… Ça !… hu !Ça, c'est bien !

CHANTECLER, avec naïveté.

Tu n'es pas si mauvais, je le disais au Chien.

LE MERLE, profondément convaincu.

Ça, tu sais, mon petit, c'est très fort !

CHANTECLER, modeste.

Ça, tu sais, mon petit, c'est très fort !Oh !…

LE MERLE

Ça, tu sais, mon petit, c'est très fort !Oh !…Pour plaire

Aux poules…

Il siffle encore admirativement.

Aux poules…Hu !… leur persuader qu'on peut faire

Lever l'aube !…

Mouvement de Chantecler.

Lever l'aube !…Tout simple ?… Il fallait le trouver !

C'est dans l'œuf de Colomb43 qu'on a dû te couver !

CHANTECLER

Mais…

LE MERLE

Mais…Tous les Don Juan, près de toi, sont des ânes

Faire lever le jour pour lever des faisanes !…

Et c'était fait !…

CHANTECLER, d'une voix sourde.

Et c'était fait !…Tais-toi !

LE MERLE

Et c'était fait !…Tais-toi !Joli, le petit toit

Qu'il faut dorer ! Parfait, les Atomes !

CHANTECLER, crispé de souffrance.

Qu'il faut dorer ! Parfait, les Atomes !Tais-toi !

LE MERLE

Et le coup de l'accès modeste !… Oh ! je t'adore !

Non ce qu'il la connaît, celui-là !

CHANTECLER, se contenant, d'une voix brève.

Non ce qu'il la connaît, celui-là !Qui ? l'Aurore ?

Oui, j'ai l'honneur de la connaître.

LE MERLE

Oui, j'ai l'honneur de la connaître.Troubadour !

Tu ne crois pas que c'est arrivé ?

CHANTECLER

Tu ne crois pas que c'est arrivé ?Quoi ? le Jour ?

Mais oui. C'est arrivé. Très bien.

LE MERLE

Mais oui. C'est arrivé. Très bien.Oui, mon prophète !

Tu la fais bien. Il la fait bien. Elle est bien faite !

CHANTECLER

La Lumière ?… Assez bien ! Je suis habitué.

Le Soleil m'obéit.

LE MERLE

Le Soleil m'obéit.Oui, mon vieux Josué44 !

Tu sens venir l'aurore et puis tu coqueriques :

Il n'y a rien de plus roublard que ces lyriques !

CHANTECLER, éclatant.

Malheureux !

LE MERLE, surpris.

Malheureux !Dans ton pont, toi-même, tu coupas45 ?

Clignant de l'œil.

Hein ! nous savons comment ça se fait ?

CHANTECLER

Hein ! nous savons comment ça se fait ?Vous ! Moi pas.

Moi, je chante en m'ouvrant le cœur !

LE MERLE, sautillant.

Moi, je chante en m'ouvrant le cœur !C'est un système.

CHANTECLER

Raille tout, mais pas ça, si tu m'aimes !

LE MERLE

Raille tout, mais pas ça, si tu m'aimes !Je t'aime.

CHANTECLER, amèrement.

À moitié.

LE MERLE

À moitié.Quand on raille un peu ton « Fiat Lux46 »,

On n'est plus qu'un demi-Castor pour son Pollux47 ?

CHANTECLER

Oh ! non, pas ça ! pas ça !

LE MERLE

Oh ! non, pas ça ! pas ça !Mon vieux, c'est pas ma faute,

Moi, je ne marche pas !

CHANTECLER, le suivant des yeux.

Moi, je ne marche pas !C'est juste, il saute, il saute !

Et essayant de l'arrêter dans son sautillement.

Mais vois dans quel état d'émotion je suis,

Ne fuis plus dans des mots !

LE MERLE, passant.

Ne fuis plus dans des mots !Prends-moi comme je fuis !

CHANTECLER, suppliant.

Il s'agit de ma vie, et de la plus profonde !

Oh ! je veux te convaincre, oh ! fût-ce une seconde !

J'ai besoin d'attraper ton âme…

LE MERLE, passant.

J'ai besoin d'attraper ton âme…Ah ?…

CHANTECLER

J'ai besoin d'attraper ton âme…Ah ?…Une fois !

Dans le fond, n'est-ce pas, tu m'as cru ?

LE MERLE

Dans le fond, n'est-ce pas, tu m'as cru ?Je te crois !

CHANTECLER, avec l'angoisse la plus pressante.

Je pense que tu sais ce que ce chant me coûte ?

LE MERLE

Tu penses !

CHANTECLER

Tu penses !Tu m'entends, n'est-ce pas ?

LE MERLE

Tu penses !Tu m'entends, n'est-ce pas ?Je t'écoute !

CHANTECLER

Mais, voyons, pour chanter ainsi que j'ai chanté,

Tu sens bien qu'il fallait avoir…

LE MERLE

Tu sens bien qu'il fallait avoir…Une santé !

CHANTECLER

Ah ! soyons sérieux, car nous avons des ailes !

LE MERLE

Oui, c'est ça, proférons des choses éternelles !

CHANTECLER

Mais pour voir poindre l'aube aux cris de son larynx

Il faut être à la fois…

LE MERLE

Il faut être à la fois…Feu Stentor48 et Feu Lynx49 !

Il s'évade, d'un saut.

CHANTECLER

Cette âme…

Il se domine.

Cette âme…Oh ! mais je tiens à la poursuivre encore !

Et avec une patience désespérée.

Voyons, le comprends-tu ce que c'est que l'Aurore ?

LE MERLE

Mais oui, mon vieux ! c'est l'heure où l'horizon vermeil

– Si j'ose m'exprimer ainsi, – pique un soleil !

Il s'évade, d'un saut.

CHANTECLER

Que dis-tu quand tu vois sur les monts l'aube luire ?

LE MERLE

Je dis que la montagne accouche d'un sourire !

Il s'évade d'un saut.

CHANTECLER, le suivant.

Et que dis-tu quand je chante dans le sillon

Même avant le grillon ?

LE MERLE

Même avant le grillon ?Pends-toi, brave Grillon !

Il s'évade, d'un saut.

CHANTECLER, hors de lui.

Tu n'as pas eu besoin de crier quelque chose

Lorsque j'ai fait lever une aurore si rose

Qu'un héron avait l'air, au loin, d'être un ibis ?

LE MERLE

Mais si, mais si, mon vieux, j'ai failli crier : bis !

Il s'évade, d'un saut.

CHANTECLER, épuisé.

Cette âme !… On est plus las d'avoir couru sur elle

Que d'avoir tout un jour chassé la sauterelle !

Violemment.

Tu n'as pas vu le ciel ?…

LE MERLE, ingénu.

Tu n'as pas vu le ciel ?…Je n'ai pas pu le voir :

On ne voit que le sol par le petit trou noir.

Il montre le pot de terre.

CHANTECLER

Tu n'as pas vu trembler les cimes écarlates ?

LE MERLE

Pendant que tu chantais je regardais tes pattes !

CHANTECLER, douloureux.

Ah !…

LE MERLE

Ah !…Elles esquissaient, sur les mols terre-pleins,

Le pas de l'éveilleur d'aurore !

CHANTECLER, renonçant.

Le pas de l'éveilleur d'aurore !Je te plains !

Va-t'en vers l'ombre, Merle obscur !

LE MERLE

Va-t'en vers l'ombre, Merle obscur !Oui, Coq célèbre !

CHANTECLER

Moi, c'est vers le Soleil que je cours !

LE MERLE

Moi, c'est vers le Soleil que je cours !Tel un Guèbre50 !

CHANTECLER

Car sais-tu ce qui vaut de vivre uniquement ?

LE MERLE

Oh ! non ! n'élevons pas le débat, c'est plumant !

CHANTECLER

L'effort qui rend sacré l'être le plus infime !

C'est pourquoi, vil railleur de tout effort sublime,

Je te méprise. Et ce rose et frêle escargot,

Qui tâche à lui tout seul d'argenter un fagot,

Je l'estime.

LE MERLE, avalant prestement l'escargot que désigne le Coq.

Je l'estime.Et moi, je le gobe.

CHANTECLER, avec un cri d'horreur.

Je l'estime.Et moi, je le gobe.Ah ! c'est infâme !

Pour faire un mot, éteindre une petite flamme !

Tu n'as pas plus de cœur que d'âme. Assez. Je romps.

Il s'éloigne.

LE MERLE, sautant sur le fagot,

Oui, mais j'ai de l'esprit.

CHANTECLER, se retournant avec mépris.

Oui, mais j'ai de l'esprit.Nous en reparlerons.

LE MERLE, qui devient acide.

Soit ! je t'offrais gaîment quelques grains d'ellébore51.

Je m'en lave après tout les pattes52. Corrobore

Ce que tes ennemis vont racontant.

CHANTECLER, se rapprochant.

Ce que tes ennemis vont racontant.Qui ? Quoi ?

LE MERLE

Joue à l'Oiseau-Soleil qui dit : « L'Éclat, c'est moi53 ! »

CHANTECLER

Tu fréquentes donc ceux qui me tiennent en haine ?

LE MERLE

Ah ! ça te vexe ?

CHANTECLER

Ah ! ça te vexe ?Oh ! non, pauvre Calembredaine54 !

L'habitude t'emporte, et ce n'est plus exprès

Que même en amitié tu fais des à-peu-près.

Marchant sur lui.

Quels sont mes ennemis ?

LE MERLE

Quels sont mes ennemis ?Les Hiboux.

CHANTECLER

Quels sont mes ennemis ?Les Hiboux.Imbécile !

Mais croire à mon destin me devient trop facile

Si les Hiboux sont contre moi !

LE MERLE

Si les Hiboux sont contre moi !Sois donc heureux :

Ils veulent – l'éclairage étant trop fort pour eux –

Faire couper…

CHANTECLER

Faire couper…Quoi donc ?

LE MERLE

Faire couper…Quoi donc ?Le compteur !

CHANTECLER

Faire couper…Quoi donc ?Le compteur !Le ?…

LE MERLE

Faire couper…Quoi donc ?Le compteur !Le ?…Ta gorge !

CHANTECLER

Par qui ?

LE MERLE

Par qui ?Par un confrère.

CHANTECLER

Par qui ?Par un confrère.Un Coq ?

LE MERLE

Par qui ?Par un confrère.Un Coq ?Un vrai saint George55 !

Qui doit t'attendre…

CHANTECLER

Qui doit t'attendre…Où donc ?

LE MERLE

Qui doit t'attendre…Où donc ?Chez la Pintade.

CHANTECLER

Qui doit t'attendre…Où donc ?Chez la Pintade.Ah ! bah !

LE MERLE

C'est un de ces oiseaux dressés pour le combat

Qui ne feraient de nous qu'une capilotade56

Si nous allions…

Voyant Chantecler remonter brusquement.

Si nous allions…Où donc vas-tu ?

CHANTECLER

Si nous allions…Où donc vas-tu ?Chez la Pintade !

LE MERLE

Ah ! c'est vrai, j'oubliais qu'on est des chevaliers !

Il feint de vouloir empêcher Chantecler de passer.

N'y va pas !

CHANTECLER

N'y va pas !Si !

LE MERLE

N'y va pas !Si !Non !

CHANTECLER, s'arrêtant devant le pot, comme étonné.

N'y va pas !Si !Non !Tiens !

LE MERLE

N'y va pas !Si !Non !Tiens !Quoi donc ?

CHANTECLER

N'y va pas !Si !Non !Tiens !Quoi donc ?Vous ne teniez

Pas dans ce pot ?

LE MERLE

Pas dans ce pot ?Mais si !

CHANTECLER, incrédule.

Pas dans ce pot ?Mais si !Comment ?

LE MERLE, rentrant vivement dans le pot.

Pas dans ce pot ?Mais si !Comment ?Je réitère !

Il passe son bec par le trou qui est au fond.

Par ce petit trou noir je regardais…

CHANTECLER

Par ce petit trou noir je regardais…La terre ?

Tiens ! regarde le ciel par un petit trou bleu !

Et d'un formidable coup d'aile, il rabat le pot sur le Merle, qu'on entend se débattre sous ce chapeau d'argile, avec des sifflets étouffés.

Car vous fuyez l'azur, Empotés ! mais on peut,

Pour vous forcer d'en voir au moins une rondelle,

Retourner votre pot, quelquefois, – d'un coup d'aile !

Il sort.

Le rideau tombe.