Scène IV

LES MÊMES, CHANTECLER, puis LES PIGEONS et LE CYGNE.

L'HUISSIER-PIE toise Chantecler ; puis, avec dédain :

Le Coq.

CHANTECLER, du seuil, à la Pintade.

Le Coq.Excusez-moi, Madame…

Il s'incline.

Le Coq.Excusez-moi, Madame…– Mon hommage… –

D'oser me présenter chez vous dans ce plumage…

LA PINTADE

Entrez ! mais entrez donc !

CHANTECLER

Entrez ! mais entrez donc !Je ne sais si je dois…

C'est que… je n'ai qu'un nombre assez restreint de doigts…

LA PINTADE, indulgente.

Ça ne fait rien !

CHANTECLER

Ça ne fait rien !Jamais je ne fus des Carpathes…

Et… je ne sais comment le cacher… j'ai des pattes…

LA PINTADE

Mais…

CHANTECLER

Mais…… La crête en piment, l'oreille en gousse d'ail…

LA PINTADE

Vous êtes excusé ! costume de travail !

CHANTECLER, avançant.

… Et je n'ai pour habit – pardon d'être si sobre ! –

Que tout le vert d'Avril et que tout l'or d'Octobre !

Je suis honteux. Je suis le Coq, le Coq tout court,

Qu'on trouve encor, parfois, dans une vieille cour,

Ce Coq fait comme un Coq, dont la forme subsiste

Sur le toit du clocher, dans les yeux de l'artiste,

Et dans l'humble jouet que la main d'un enfant

Trouve sous les copeaux d'une boîte en bois blanc !

UNE VOIX, ironique, partie des groupes éclatants.

Le Coq… Gaulois ?

CHANTECLER, doucement, sans même se retourner.

Le Coq… Gaulois ?Ce n'est pas un nom qu'on se donne

Quand on est aussi sûr que moi d'être autochtone ;

Mais je vois, sur vos becs puisque ce nom vola,

Que lorsqu'on dit le Coq tout court, c'est celui-là !

LE MERLE, à Chantecler, bas.

J'ai vu ton assassin !

CHANTECLER, qui voit s'avancer la Faisane.

J'ai vu ton assassin !Tais-toi ! Qu'elle ne sache

Rien.

LA FAISANE, coquettement.

Vous êtes venu pour me voir ?

CHANTECLER, s'inclinant.

Vous êtes venu pour me voir ?Je suis lâche !

LA PINTADE, qui écoute le Cochinchinois lequel chuchote, très entouré des Poules.

Ce Coq Cochinchinois28 dit des horreurs !

CHANTECLER, se retournant.

Ce Coq Cochinchinois dit des horreurs !Assez !

LES POULES autour du Cochinchinois, poussant des petits cris scandalisés.

Oh !

LA PINTADE, avec ravissement.

Oh !C'est le plus pervers de nos gallinacés !

CHANTECLER, plus fort.

Assez !

LE COCHINCHINOIS s'arrête, et, avec un étonnement narquois.

Assez !Le Coq Gaulois ?

CHANTECLER

Assez !Le Coq Gaulois ?Je ne suis pas de Gaule

Si vous donnez au mot un sens vilain et drôle !

Morbleu ! chacune sait que mes claironnements

Sont loin d'avoir été… sopranisés au Mans ;

Mais vos perversités pour petite drôlesse

Qui se fait dans les coins pincer les sot-l'y-laisse29

Révoltent mon amour de l'Amour ! Il est vrai

Que je tiens un peu plus à rester enivré

Que ces Cochinchinois qui mêlent, pour qu'on rie,

De la chinoiserie à leur… cochinerie,

Que mon sang court plus vite en un corps moins mastoc,

Et que je ne suis pas un… Cochin, – mais un Coq !

LA FAISANE, à mi-voix.

Viens dans les bois. Je t'aime !

CHANTECLER, qui regarde autour de lui.

Viens dans les bois. Je t'aime !Oh ! voir enfin paraître

Un être véritable, un être simple, un être…

L'HUISSIER-PIE, annonçant.

Les Deux Pigeons !

CHANTECLER, n'en pouvant croire ses oreilles, à la Pintade.

Les Deux Pigeons !Ce sont les Deux ?…

LA PINTADE

Les Deux Pigeons !Ce sont les Deux ?…Je les attends !

CHANTECLER, respirant.

Enfin ! Les Deux Pigeons30 !

Il court vers l'entrée.

LES PIGEONS, entrant avec des sauts périlleux.

Enfin ! Les Deux Pigeons !Hop !

CHANTECLER, qui recule.

Enfin ! Les Deux Pigeons !Hop !Ils sont culbutants !

LES PIGEONS, se présentant entre deux culbutes.

Les Tumblers31 ! Clowns anglais !

CHANTECLER

Les Tumblers ! Clowns anglais !Ô La Fontaine ! où suis-je ?

LA PINTADE, bondissant derrière les acrobates, qui se perdent dans la cohue des invités.

Hop ! Hop !

CHANTECLER

Hop ! Hop !Les Deux Pigeons qui font de la voltige !

– Oh ! qu'une vérité ferait plaisir à voir !

Qu'une candeur…

L'HUISSIER-PIE, annonçant.

Qu'une candeur…Le Cygne !

CHANTECLER, s'élançant avec joie.

Qu'une candeur…Le Cygne !Ah ! un Cygne !…

Reculant.

Qu'une candeur…Le Cygne !Ah ! un Cygne !…Il est noir !

LE CYGNE NOIR, se dandinant avec satisfaction.

J'ai laissé la blancheur et j'ai gardé la ligne !

CHANTECLER

Et vous n'êtes plus rien que l'ombre du vrai cygne !

LE CYGNE, interdit.

Mais…

CHANTECLER, l'écartant pour sauter sur un banc d'où il peut voir, par une brèche de la haie, la prairie, au loin.

Mais…Laissez-moi grimper sur ce banc. J'ai besoin

De voir si la Nature existe encore… au loin !

Ah ! l'herbe est verte, une vache broute, un veau tète…

Et, bénissons le Ciel, ce veau n'a qu'une tête !

Il redescend auprès de la Faisane.

LA FAISANE

Viens dans les bois naïfs, sincères et mouillés,

Où nous nous aimerons !

LE MERLE, à la Pintade, lui montrant Chantecler et la Faisane qui se parlent de très près.

Où nous nous aimerons !Ça marche !…

LA PINTADE, émoustillée.

Où nous nous aimerons !Ça marche !…Vous croyez ?

Elle ouvre ses ailes pour leur faire un paravent.

Ah ! j'aime tant couver une intrigue secrète !

LE MERLE, passant son bec sous l'aile de la Pintade pour suivre le manège de la Faisane.

Oui, je crois qu'elle songe à s'annexer la Crête32 !

LA FAISANE, à Chantecler.

Viens !

CHANTECLER, reculant avec effroi.

Viens !Non ! Je dois chanter où le sort me plaça !

Ici, je suis utile, on m'aime.

LA FAISANE, qui se souvient de ce qu'elle a entendu, la nuit dans la cour de ferme.

Ici, je suis utile, on m'aime.Tu crois ça !

– Non, non ! Viens dans les bois où nous pourrons entendre

Deux vrais Pigeons encor s'adorer d'amour tendre33 !

LE DINDON, au fond.

Mesdames, le grand Paon…

LE PAON, modestement.

Mesdames, le grand Paon…Le Surpaon… qui surprend !…

LE DINDON

… Va nous faire la roue !… – à nos vœux il se rend… –

On se groupe. Tous les Coqs aux plumages inouïs sont en corbeille autour de leur Patron.

LE PAON, s'apprêtant à faire la roue.

Mon Dieu, je suis – talent qui s'ajoute à ma liste ! –

Nonchalamment.

Dirai-je artificier ?

LA PINTADE, effervescente.

Dirai-je artificier ?Oui !

LE PAON

Dirai-je artificier ?Oui !Non. Pyroboliste34 !

Car ils sont moins cuprins35, prasins36 et smaragdins37,

Les ruggiéresques38 jeux des citadins jardins,

Quand pleuvent de tes ciels quatorze-juillettistes,

Capitale ! les capitules39 d'améthystes40

Des chandelles41 dodécagynes…42.

CHANTECLER

Des chandelles dodécagynes….Sarpejeu43 !

LE PAON

… Que, j'ose dire, moi, Mesdames, lorsque je…

LA FAISANE

Ah ! j'ai compris le dernier mot.

LE PAON

Ah ! j'ai compris le dernier mot.… Je, dis-je, éploie

L'éventaire-éventail, l'écrin-écran…

ON ENTEND UN CRI D'ADMIRATION

L'éventaire-éventail, l'écrin-écran…Ah !

CHANTECLER, à la Faisane.

L'éventaire-éventail, l'écrin-écran…Ah !L'Oie44 !

LE PAON

… Sur quoi j'offre au rayon qui rosit le roseau

Tous ces joyeux joyaux !

CHANTECLER

Tous ces joyeux joyaux !Ah ! quel oiseux oiseau !

Le Paon a ouvert son éventail.

UN COQ, au Paon.

Maître, lequel de nous mettrez-vous à la mode ?

UN PADOUE, s'avançant en hâte.

Moi ! – J'ai l'air d'un palmier !

UN CHINOIS, repoussant le Padoue.

Moi ! – J'ai l'air d'un palmier !Et moi, d'une pagode !

UN ÉNORME PATTU, repoussant le Chinois.

Moi ! – Je porte un chou-fleur à mon calcanéum45 !

CHANTECLER

Chacun est à la fois le Monstre et le Barnum46 !

TOUS, paradant et défilant sous les yeux du Paon.

Voyez mon bec ! – Voyez mes pieds ! – Voyez mes plumes !

CHANTECLER, leur criant tout d'un coup.

Ah ! puisque vous ouvrez un tournoi de costumes,

Le vent vous fait bénir par un Épouvantail !

En effet, derrière eux, le vent a soulevé les bras de l'Épouvantail, qui, mollement, s'étendent au-dessus de cette mascarade.

TOUS, reculant.

Hein ?

CHANTECLER

Hein ?Et ce Mannequin parle à cet Éventail !

Et, tandis que le vent passe, en leur prêtant une vie étrange, dans les loques vides et trouées :

Que dit le pantalon en dansant une gigue ?

Mais… « Je fus à la mode ! » – Et, terreur du becfigue,

Que dit le vieux chapeau qu'un pauvre refusa ?

Mais… « Je fus à la mode ! » – Et l'habit ?… « Je fus à

La mode ! » – Et ses deux bras que nul ne raccommode

Veulent saisir le vent qu'ils prennent pour la mode…

Et retombent ! – Le vent est loin !

LE PAON, aux animaux qui restent un peu effrayés.

Et retombent ! – Le vent est loin !Mais, pauvres fous !

L'Objet ne parle pas !

CHANTECLER

L'Objet ne parle pas !L'Homme dit ça de nous !

LE PAON, à mi-voix, à ses voisins.

Il m'en veut de ces Coqs que je viens d'introduire !

À Chantecler, ironiquement.

Que pensez-vous de ces beaux Messieurs qu'on voit luire ?

CHANTECLER

Je pense que tout ça c'est des coqs fabriqués

Par des négociants aux cerveaux compliqués

Qui, pour élucubrer un poulet ridicule,

À l'un prennent une aile, à l'autre un caroncule47 ;

Je pense qu'en ces coqs rien ne reste du Coq ;

Que tout ça c'est des coqs faits de bric et de broc

Qui montent mieux la garde au seuil d'un catalogue

Qu'au seuil d'une humble cour, à côté d'un vieux dogue ;

Que tout ça, c'est des coqs frisottés, hérissés,

Convulsés, que n'a pas apaisés et lissés

La maternelle main de la calme Nature,

Et que tout ça n'est rien que de l'Aviculture !

Et que ces papegais48 aux plumages discords,

Sans style, sans beauté, sans ligne, et dont les corps

N'ont pas même de l'œuf gardé la douce ellipse,

Semblent sortir d'un poulailler d'Apocalypse !

UN COQ

Mais, Monsieur…

CHANTECLER, s'exaltant.

Mais, Monsieur…Et je dis que – n'est-ce pas, Soleil ? –

Le seul devoir d'un coq est d'être un cri vermeil !

Et lorsqu'on ne l'est pas, cela n'est pas la peine

D'être buboniforme ou révolutipenne49,

On disparaît bientôt sans avoir rien été

Que la variété d'une variété !

UN COQ

Mais…

CHANTECLER, allant maintenant de l'un à l'autre.

Mais…Oui, Coqs affectant des formes incongrues,

Coquemars50, Cauchemars, Coqs et Coquecigrues51,

Coiffés de cocotiers supercoquentieux…52.

– La fureur comme un Paon me fait parler, Messieurs !

J'allitère53 !… –

Et s'amusant à les étourdir d'une volubilité caquetante et gutturale :

J'allitère !… –Oui, Coquards54 cocardés de coquilles55,

Coquardeaux56, Coquebins57, Coquelets, Cocodrilles58,

Au lieu d'être coquets de vos cocoricos,

Vous rêviez d'être, ô Coqs ! de drôles de cocos !

Oui, Mode ! pour que d'eux tu t'emberlucoquasses59,

Coquine ! ils n'ont voulu, ces Coqs, qu'être cocasses !

Mais, Coquins ! le cocasse exige un Nicolet60 !

On n'est jamais assez cocasse quand on l'est !

Mais qu'un Coq, au coccyx, ait plus que vous de ruches61,

Vous passez, Cocodès62, comme des coqueluches !

Mais songez que demain, Coquefredouilles63 ! mais

Songez qu'après-demain, malgré, Coqueplumets64 !

Tous ces coqueluchons65 dont on s'emberlucoque,

Un plus cocasse Coq peut sortir d'une coque,

– Puisque le Cocassier66, pour varier ses stocks,

Peut plus cocassement cocufier des Coqs !

– Et vous ne serez plus, vieux Cocâtres67 qu'on casse,

Que des Coqs rococos68 pour ce Coq plus cocasse !

UN COQ

Et le moyen de ne pas être rococo ?

CHANTECLER

C'est de ne penser qu'au…

UN COQ

C'est de ne penser qu'au…Qu'au ?…

TOUS LES COQS

C'est de ne penser qu'au…Qu'au ?…Qu'au ?…

CHANTECLER

C'est de ne penser qu'au…Qu'au ?…Qu'au ?…Cocorico !

UN COQ, avec hauteur.

Nous y pensons, Monsieur, et l'avons fait connaître !

CHANTECLER

À qui donc ?