Scène V

LES MÊMES, TROIS POULETS SAUTILLANTS, qui circulent depuis un moment parmi les Coqs artificiels.

UN POULET SAUTILLANT

À qui donc ?Mais à nous !

DEUXIÈME POULET SAUTILLANT

À qui donc ?Mais à nous !À nous !

TROISIÈME POULET SAUTILLANT

À qui donc ?Mais à nous !À nous !À nous !

TOUS LES TROIS, s'inclinant ensemble.

À qui donc ?Mais à nous !À nous !À nous !Cher Maître !

PREMIER POULET, interrogatif.

La voix ?

DEUXIÈME POULET, de même.

La voix ?Basse ?

TROISIÈME POULET, de même.

La voix ?Basse ?Ténor ?

DEUXIÈME POULET

La voix ?Basse ?Ténor ?Boudouresque69 ?

TROISIÈME POULET

La voix ?Basse ?Ténor ?Boudouresque ?Elleviou70 ?

CHANTECLER, ahuri, regardant la Pintade.

Qu'est-ce que c'est ? Un intermède ?

LA PINTADE

Qu'est-ce que c'est ? Un intermède ?Une interview.

DEUXIÈME POULET

La prenez-vous dans la poitrine ?

TROISIÈME POULET

La prenez-vous dans la poitrine ?Ou dans la tête ?

CHANTECLER

Si je la prends ?…

PREMIER POULET

Si je la prends ?…Parlez ! C'est l'Enquête !

CHANTECLER, voulant passer pour fuir.

Si je la prends ?…Parlez ! C'est l'Enquête !L'Enquête ?

TROISIÈME POULET, lui barrant le chemin.

L'Enquête sur le Mouvement Cocorical !

PREMIER POULET

Votre premier repas, cher Maître, est-il frugal ?

CHANTECLER

Vous dont la question comme un chardon s'agrafe,

Qu'êtes-vous donc ?

PREMIER POULET, saluant.

Qu'êtes-vous donc ?Je suis un Cocoricographe !

DEUXIÈME POULET, même jeu.

Un Cocoricologue !

TROISIÈME POULET, même jeu.

Un Cocoricologue !Un Cocorico…

CHANTECLER, épouvanté.

Un Cocoricologue !Un Cocorico…Bien !

Mais…

Il veut passer.

PREMIER POULET

Mais…On ne passe pas quand on ne répond rien !

CHANTECLER, cerné.

Je…

DEUXIÈME POULET

Je…Vous devez avoir des tendances ?

CHANTECLER

Je…Vous devez avoir des tendances ?Des foules !

DEUXIÈME POULET

Vers quoi vous sentez-vous attiré ?

CHANTECLER

Vers quoi vous sentez-vous attiré ?Vers les poules.

PREMIER POULET, qui ne rit pas.

Sur votre chant, de rien ne nous ferez-vous part ?

CHANTECLER

Mais… je le lance !

DEUXIÈME POULET

Mais… je le lance !Et quand vous le lancez ?

CHANTECLER

Mais… je le lance !Et quand vous le lancez ?Il part !

TROISIÈME POULET, de plus en plus pressant.

Une règle par vous, Maître, est-elle suivie ?

CHANTECLER

Je…

PREMIER POULET

Je…Vous vivez ?…

CHANTECLER

Je…Vous vivez ?…Mon chant !

DEUXIÈME POULET

Je…Vous vivez ?…Mon chant !Et vous chantez ?

CHANTECLER

Je…Vous vivez ?…Mon chant !Et vous chantez ?Ma vie !

TROISIÈME POULET

Mais comment chantez-vous ?

CHANTECLER

Mais comment chantez-vous ?En me donnant du mal.

PREMIER POULET

Mais scandez-vous le tripartite ou le normal ?

Coc-ori-co, ou Co-co-ri…

Il bat furieusement la mesure avec son aile.

CHANTECLER, reculant.

Coc-ori-co, ou Co-co-ri…Il va me battre !

DEUXIÈME POULET

Rythmez-vous : Un-un-deux ? Un-trois ? Trois-un ? Ou quatre ?

Quel est votre schéma dynamique ?

LE MERLE, criant.

Quel est votre schéma dynamique ?Qui n'a

Pas son petit schéma dynamique ?

CHANTECLER

Pas son petit schéma dynamique ?Dyna ?…

TROISIÈME POULET

Où collez-vous l'accent ? Sur le Co ?…

CHANTECLER

Où collez-vous l'accent ? Sur le Co ?…Si je colle

Sur le Co ?…

TROISIÈME POULET

Sur le Co ?…Sur le ri ?…

CHANTECLER

Sur le Co ?…Sur le ri ?…Sur ?…

PREMIER POULET, s'impatientant.

Sur le Co ?…Sur le ri ?…Sur ?…Quelle est votre École ?

CHANTECLER

Des Écoles de Coqs ?…

DEUXIÈME POULET, avec rapidité.

Des Écoles de Coqs ?…Mais il y en a qui

Chantent Cocorico ! d'autres, Kikiriki71 !

PREMIER POULET, de même.

On est cocoriquiste ou bien kikiriquiste !

CHANTECLER

Coco ?… Kiki ?…

TROISIÈME POULET

Coco ?… Kiki ?…Monsieur, sans compter qu'il existe…

UN COQ, s'avançant.

Le seul vrai chant français, c'est : Cock-a-doodle-doo72 !

CHANTECLER

Mais quel est donc ce coq ?

PREMIER POULET

Mais quel est donc ce coq ?Un coq anglo-hindou !

DEUXIÈME POULET

Et ce Turc, dont, là-bas, la crête a l'air d'un kyste,

Chante Coucouroucou !

LE TURC, s'avançant.

Chante Coucouroucou !Je suis Coucourouquiste !

DEUXIÈME POULET, lui criant dans l'oreille.

Ne remplacez-vous pas, cher Maître, en certain cas,

Votre Cocorico par des Cacaracas ?

CHANTECLER, sursautant.

Cacaraquiste, alors ?

UN AUTRE COQ, surgissant à droite.

Cacaraquiste, alors ?Moi, Monsieur, je supprime

Les voyelles !

Il chante :

Les voyelles !K ! K ! K ! K !

CHANTECLER, voulant fuir.

Les voyelles !K ! K ! K ! K !Suis-je victime

D'un songe ?

UN AUTRE COQ, à gauche, s'avance en chantant.

D'un songe ?O ! O ! I ! O !… Avez-vous fait l'essai,

Quand vous cocoriquez, de supprimer les C ?

CHANTECLER, éperdu.

Qu'est-ce que ces Chinois, ces Turcs et ces Arabes

Sont arrivés à faire avec quatre syllabes ?

UN AUTRE COQ, écartant tous les autres.

Et moi, je mêle tout : Cocaricocacou !

Dans un chant libre et flou !

CHANTECLER

Dans un chant libre et flou !Je deviens fou !

LE COQ, criant.

Dans un chant libre et flou !Je deviens fou !Flou !

CHANTECLER, de même.

Dans un chant libre et flou !Je deviens fou !Flou !Fou !

TOUS LES COQS, autour de lui, se battant entre eux.

– Non, Cacar ! – Non, Kikir ! – Non, Coucour !

CHANTECLER

– Non, Cacar ! – Non, Kikir ! – Non, Coucour !Lequel croire ?

LE COQ QUI MÊLE TOUT

Le Cocorico libre ! Il est obligatoire !

CHANTECLER

Quel est ce coq qui parle avec autorité ?

PREMIER POULET

C'est un coq merveilleux qui n'a jamais chanté !

CHANTECLER, avec un humble désespoir.

Moi, je ne suis qu'un coq qui chante !…

TOUT LE MONDE, avec dégoût, s'écartant.

Moi, je ne suis qu'un coq qui chante !…Oh ! bien ! bien !

CHANTECLER

Moi, je ne suis qu'un coq qui chante !…Oh ! bien ! bien !J'ose

Donner mon chant comme un rosier donne sa rose !

LE PAON, sarcastique.

Oh ! j'attendais la Rose !

Rires de pitié.

CHANTECLER, bas, nerveusement, au Merle.

Oh ! j'attendais la Rose !Eh bien, mon assassin

Me fera-t-il croquer plus longtemps le poussin73 ?

TOUT LE MONDE, avec dégoût.

La Rose !… oh !

LA PINTADE, écœurée de tant de banalité.

La Rose !… oh !Parlez-nous de fleurs plus…

LE PAON

La Rose !… oh !Parlez-nous de fleurs plus…Obsolètes !

Avec la plus dédaigneuse impertinence.

Vous déclinez Rosa74 ?

CHANTECLER

Vous déclinez Rosa ?Mais oui, Paon que vous êtes !

D'ailleurs, je vous pardonne, à vous d'avoir osé

Mal parler devant moi de la Rose, rosæ ;

Car, pauvre artificier, la lutte est inégale,

Et plus que tous vos feux la Rose est du Bengale75 !

Il regarde autour de lui.

Mais je somme les Coqs, du Dorking au Bantam,

De défendre avec moi…

UN COQ, négligemment.

De défendre avec moi…Qui ?

CHANTECLER

La Rose, rosam ;

De déclarer ici, sur-le-champ…

LE MERLE, ironique.

De déclarer ici, sur-le-champ…Tu te poses

Alors en champion ?…

CHANTECLER

Alors en champion ?…Oui, rosarum, des Roses !

… Que l'on doit adorer…

UN COQ

… Que l'on doit adorer…Qui ?

CHANTECLER, avec une adoration de plus en plus provocante.

… Que l'on doit adorer…Qui ?Les Roses, rosas !

Où dort la pluie ainsi qu'en des alcarazas76,

Et qu'elles sont toujours et seront…

UNE VOIX, froide et coupante.

Et qu'elles sont toujours et seront…Des fichaises !

Tous les Coqs de luxe s'écartent, démasquant le Pile Blanc, qui apparaît long, maigre et sinistre, au fond, entre leurs deux rangées.

CHANTECLER

Enfin !

LE MERLE

Enfin !C'est le moment de grimper sur les chaises !

CHANTECLER, au Pile Blanc.

Monsieur…

LA FAISANE

Monsieur…Vous n'allez pas répondre à ce géant ?

CHANTECLER

Il suffit de parler de haut pour être grand.

Au Pile Blanc, en traversant lentement la scène pour aller vers lui.

Sachez qu'un tel propos ne saurait se permettre,

Et sachez que vous avez l'air…

Un poussin se trouvant entre lui et le Coq de combat, il le met doucement de côté, en lui disant :

Et sachez que vous avez l'air…Pardon, cher Maître !

Au Pile Blanc, en lorgnant avec impertinence sa crête coupée.

… D'un cacatois77 dont on rasa le catacoi78 !

LE PILE BLANC, stupéfait.

Catacoi ?… cacatoi ?… Quoi ? quoi ? quoi ?

CHANTECLER, bec à bec avec le Pile Blanc.

Catacoi ?… cacatoi ?… Quoi ? quoi ? quoi ?Quoi ? quoi ? quoi ?

Un temps. Ils se regardent, les fraises hérissées.

LE PILE BLANC, avec emphase.

Aux Amériques, lors de ma grande tournée,

J'ai tué jusqu'à trois Clayborn dans ma journée.

J'ai tué deux Sherwoods, trois Smoks, un Sumatra.

J'ai tué c'est pourquoi nul ne me combattra

Sans absorber d'abord quelques grains fébrifuges79 –

Cinq Red-Game à Cambridge et dix Brækel à Bruges !

CHANTECLER, très simplement.

Moi, Monsieur, je n'ai rien tué. Mais comme j'ai

Quelquefois secouru, défendu, protégé,

Peut-être suis-je brave à mon humble manière.

Ne prenez pas des airs de tranche-taupinière80 :

Je suis venu sachant que vous deviez venir.

Cette rose à mon bec était pour vous fournir

L'occasion de la stupidité brutale ;

Vous n'avez pas manqué de la prendre au pétale…

Votre nom ?

LE PILE BLANC

Votre nom ?Pile Blanc ! Le vôtre ?

CHANTECLER

Votre nom ?Pile Blanc ! Le vôtre ?Chantecler.

LA FAISANE, courant vers le Chien.

Patou !

CHANTECLER, fièrement, à Patou qui gronde entre ses dents.

Patou !Toi, reste neutre !

PATOU, roulant l'R.

Patou !Toi, reste neutre !Oui, mais c'est dur, mon cher !

LA FAISANE, à Chantecler.

Un coq ne se fait pas tuer pour une rose !

CHANTECLER

Quand on touche à la fleur, le Soleil est en cause !

LA FAISANE, courant vers le Merle.

Tout s'arrange, pourtant, vous me l'aviez promis !

LE MERLE

Tout s'arrange, excepté les duels des amis !

LA PINTADE, poussant des cris de désespoir.

Ah ! c'est affreux ! un five o'clock où l'on se tue !

Quel malheur…

À son fils.

Quel malheur…… qu'il n'y ait pas encor la Tortue.

UNE VOIX, criant, comme on crie une cote.

Chantecler, dix contre un !

LA PINTADE, plaçant son monde, faisant grimper les Poules sur les pots de fleurs, sur les citrouilles, sur les chaises.

Chantecler, dix contre un !Vite !

LE MERLE

Chantecler, dix contre un !Vite !Elle est au bonheur :

Elle fait les honneurs d'une affaire d'honneur !

Un grand cercle se forme. Au second rang, les Coqs bizarres ; au premier, avides du spectacle, toutes les Poules, tous les Poulets, tous les Canards de la basse-cour.

PATOU, à Chantecler.

Sois vainqueur ! Ce public voudrait voir tes entrailles !

CHANTECLER, tristement.

Je n'ai fait que du bien.

PATOU, lui montrant le cercle d'attente et de haine.

Je n'ai fait que du bien.Regarde !

Tous les cous sont tendus. Tous les yeux luisent. C'est hideux. Chantecler regarde, comprend, et baisse la tête.

LA FAISANE, avec un cri de mépris.

Je n'ai fait que du bien.Regarde !Ah ! les volailles !

CHANTECLER, se redressant.

Soit ! On saura du moins qui j'étais, aujourd'hui ;

Et mon secret, je vais…

PATOU, vivement.

Et mon secret, je vais…Non ! pas si c'est celui

Qu'a deviné mon cœur de vieil idéaliste !

CHANTECLER, s'adressant à tous d'une voix éclatante, la poitrine offerte, comme celui qui va confesser sa foi.

Sachez tous que c'est moi…

Un silence terrible se fait. Au Pile Blanc qui a un geste d'impatience.

Sachez tous que c'est moi…Pardon, cher duelliste !

Mais je veux faire, avant de me faire tuer

Quelque chose de brave !…

LE PILE BLANC, surpris.

Quelque chose de brave !…Ah ?

CHANTECLER

Quelque chose de brave !…Ah ?Me faire huer !

LA FAISANE

Non !

CHANTECLER

Non !Je tiens à mourir sous les rires !

À la foule.

Non !Je tiens à mourir sous les rires !Déferle,

Blague ! Préparez-vous, les élèves du Merle !

D'une voix qui monte encore et qui martèle.

C'est moi qui, de mon chant, vous rallume les cieux !

Stupeur. Puis, un rire immense secoue la foule.

Tout le monde rit bien ? En garde !

LE PADOUE DORÉ, inclinant son colback.

Tout le monde rit bien ? En garde !Allez, Messieurs !

Le combat commence.

ON ENTEND AU MILIEU DE LA TEMPÊTE DES RIRES

C'est tordant ! – C'est torsif81 ! – Je me tords ! – Je suis torte82 !

LE MERLE

Cette vieille gaîté française n'est pas morte !

UN POULET

Il allume en chantant !

UN CANARD

Il allume en chantant !Il chante en allumant !

CHANTECLER, tout en évitant les coups que le Pile lui porte.

Oui, c'est moi qui vous rends la lumière !

UN POUSSIN

Oui, c'est moi qui vous rends la lumière !Et comment !

CHANTECLER, d'une voix solennelle, tout en parant et ripostant.

Parce qu'il ne veut rien détruire ou faire éclore,

Le chant des autres coqs n'est qu'un rhume sonore !

Le mien…

Il reçoit une blessure.

UNE VOIX

Le mien…Pan ! sur le cou !

CHANTECLER

Le mien…Pan ! sur le cou !… fait lever…

Il reçoit une blessure.

LE DINDON

Le mien…Pan ! sur le cou !… fait lever…Cet orgueil !

CHANTECLER

… La Lum…

Il est encore frappé.

UNE VOIX

… La Lum…Pan ! sur le bec !

CHANTECLER

… La Lum…Pan ! sur le bec !… la Lumi…

UNE VOIX

… La Lum…Pan ! sur le bec !… la Lumi…Pan ! sur l'œil !

CHANTECLER, hagard, aveuglé de sang.

… La Lumière !

UNE VOIX, gouailleuse.

… La Lumière !C'est à se faire obscurantiste !

CHANTECLER, qui répète machinalement sous les coups.

C'est moi qui fais lever l'Aurore !

PATOU, aboyant.

C'est moi qui fais lever l'Aurore !Oui ! oui !

LA FAISANE, sanglotant.

C'est moi qui fais lever l'Aurore !Oui ! oui !Résiste !

UN POULET

Mes enfants, un surnom pour l'Aurore !

TOUS, trépignant.

Mes enfants, un surnom pour l'Aurore !Oui !…

Le Pile Blanc se rue sur Chantecler.

LA FAISANE

Mes enfants, un surnom pour l'Aurore !Oui !…Quel choc !

LE MERLE, servant le surnom demandé.

La Grande Horizontale !

UNE VOIX

La Grande Horizontale !Un surnom pour le Coq !

TOUS, trépignant.

Oui !

LE MERLE

Oui !Le Chef de Rayons !

UNE AUTRE VOIX

Oui !Le Chef de Rayons !Voyez Clarté Latine83 !

CHANTECLER, qui se défend pied à pied.

Merci ! – Un quolibet encor ! car je piétine !

UNE VOIX

Le Réveille-Latin !

CHANTECLER, qui ne semble plus soutenu que par les insultes.

Le Réveille-Latin !Encore un calembour !

Et moi qui n'ai jamais fait d'armes qu'en la cour

D'une ferme…

UNE VOIX

D'une ferme…Ton bec !

CHANTECLER

D'une ferme…Ton bec !Merci !… Je…

Ses plumes, arrachées, volent autour de lui.

CRI DE JOIE

D'une ferme…Ton bec !Merci !… Je…On le plume !

CHANTECLER

…Je sens… – Une ineptie encore !

UN POUSSIN

…Je sens… – Une ineptie encore !Allume ! allume !

CHANTECLER

Merci !… – Je sens que plus on va parodiant,

Injuriant, criant, riant, niant…

UN ÂNE, passant sa tête par-dessus la haie.

Injuriant, criant, riant, niant…Hi-han !

CHANTECLER

Merci !… – mieux je saurai me battre !

LE PILE BLANC, ricanant.

Merci !… – mieux je saurai me battre !Il sait se battre !

Mais il s'épuise !

LA FAISANE, suppliante.

Mais il s'épuise !Assez !

UNE VOIX

Mais il s'épuise !Assez !Le Pile, on paye quatre !

LA FAISANE, voyant la gorge ensanglantée de Chantecler.

Du sang !

UNE POULE, se dressant sur la pointe des pattes, derrière le Padoue Doré.

Du sang !Je voudrais voir le sang !

LE PILE BLANC, fonçant furieusement.

Du sang !Je voudrais voir le sang !J'aurai ta peau !

LA POULE QUI VEUT VOIR

Le chapeau du Padoue est devant moi !

LE MERLE

Le chapeau du Padoue est devant moi !Chapeau !

On sent que Chantecler est perdu. Il se met en boule, comme pour mourir.

UNE VOIX

Quel coup ! C'est à la crête !

CRIS PERÇANTS DE LA FOULE EN DÉLIRE

Quel coup ! C'est à la crête !Arrache ! – Égorge ! – Assomme !

– Tue !

PATOU, dressé dans la brouette.

– Tue !Avez-vous fini de pousser des cris d'homme ?

CRIS CADENCÉS, rythmant férocement les coups reçus par Chantecler.

C'est à l'œil – C'est au front ! – C'est à l'aile – C'est à…

Brusque silence.

CHANTECLER, surpris.

Tiens ! le cercle se brise et le bruit s'arrêta ?…

Il regarde autour de lui. Le Pile, cessant de l'attaquer, a reculé contre la haie. Un mouvement étrange se produit dans la foule. Chantecler, épuisé, sanglant, trébuchant, ne comprenant pas ce qui se passe, murmure :

Que préparent-ils donc contre mon agonie ?…

Et tout d'un coup, ému.

– Ah ! Patou, quel bonheur !

PATOU

– Ah ! Patou, quel bonheur !Quoi ?

CHANTECLER

– Ah ! Patou, quel bonheur !Quoi ?Je les calomnie !

Car tous, cessant de rire et de m'injurier,

Se rapprochent de moi, maintenant !

PATOU, voyant que tous, en se rapprochant de Chantecler, observent le ciel avec inquiétude, lève la tête, regarde, et dit simplement :

Se rapprochent de moi, maintenant !L'Épervier !

CHANTECLER

Ah !

Une ombre passe avec lenteur sur la foule bariolée, qui se serre et qui se baisse, en se rapprochant de plus en plus, instinctivement, de Chantecler.

PATOU

Ah !On ne compte pas quand sa grande ombre passe,

Sur les Coqs étrangers pour chasser le Rapace !

CHANTECLER, soudain relevé, grandi, ses blessures oubliées, gagne le milieu, et de sa voix de commandement :

Oui ! tous autour de moi !

Et tous, aussitôt, la tête rentrée dans les ailes, viennent précipitamment s'écraser autour de lui.

LA FAISANE

Oui ! tous autour de moi !Cher être brave et doux !

L'ombre passe une seconde fois. Le Coq de combat lui-même se fait petit. Il n'y a plus que Chantecler debout au milieu d'un tas de plumes ébouriffées et tremblantes.

UNE POULE, suivant des yeux l'Épervier.

Deux fois déjà son ombre a mis du noir sur nous !

CHANTECLER, appelant les Poussins qui courent affolés.

Par ici, les Poussins !

LA FAISANE

Par ici, les Poussins !Tu les prends sous ton aile ?

CHANTECLER

Il faut bien… Leur maman est artificielle !

L'ombre de l'Épervier, qui décrit des cercles toujours plus bas, passe une troisième fois, plus noire.

LA FAISANE, les yeux levés.

Il plane !

TOUS, dans un gémissement de terreur.

Il plane !Oh !

CHANTECLER, criant vers le ciel, d'une voix éclatante.

Il plane !Oh !Je suis là !

PATOU

Il plane !Oh !Je suis là !Il entend ton clairon…

LA FAISANE

S'éloigne…

L'ombre a passé.

TOUS se redressent dans un cri joyeux de délivrance :

S'éloigne…Ah !

Et vont en courant reprendre leur place, pour voir la fin du combat.

PATOU

S'éloigne…Ah !Et l'on voit se reformer le rond !

CHANTECLER, tressaillant.

Tu dis ?

Il regarde. C'est vrai, le cercle s'est instantanément reformé. Les cous sont tendus, les yeux luisent.

LA FAISANE

Tu dis ?Et maintenant, tous veulent qu'on te tue,

Pour se venger sur toi de la peur qu'ils ont eue !

CHANTECLER

On ne me tuera plus ! Je me suis redressé

Quand l'Ennemi de tous dans le ciel a passé !

Il marche sur le Pile.

Et j'ai repris courage en tremblant pour les autres !

LE PILE BLANC, stupéfait d'être vigoureusement attaqué.

Mais ses forces, soudain ?…

CHANTECLER

Mais ses forces, soudain ?…Valent trois fois les vôtres !

Car m'excitant au noir comme au rouge un taureau,

J'ai vu trois fois la nuit dans l'ombre d'un oiseau !

Le Pile Blanc, acculé contre la haie, se prépare à faire usage de ses couteaux.

LA FAISANE, criant.

Gare ! il a deux ergots d'acier tranchant, la brute !

CHANTECLER

Je le savais !

LE CHAT, du haut de son arbre, au Pile Blanc.

Je le savais !Sers-toi de tes rasoirs !

PATOU, prêt à s'élancer de la brouette.

Je le savais !Sers-toi de tes rasoirs !Minute !

S'il s'en sert, je l'étrangle !

LA FOULE, déçue.

S'il s'en sert, je l'étrangle !Oh !

PATOU

S'il s'en sert, je l'étrangle !Oh !Malgré les clameurs !

LE PILE BLANC, se sentant perdu,

Tant pis !

LA FAISANE, qui ne le quitte pas des yeux.

Tant pis !Il fait tourner un des rasoirs !

LE PILE BLANC, frappant de son ergot tranchant.

Tant pis !Il fait tourner un des rasoirs !Tiens, meurs !

Il pousse un cri terrible, cependant que Chantecler, sautant de côté, a évité le coup.

Ah !

Il s'effondre. Cri de stupéfaction.

PLUSIEURS VOIX

Ah !Qu'est-ce ?

LE MERLE, qui est allé regarder en sautillant.

Ah !Qu'est-ce ?Rien. Il s'est, d'une façon adroite,

Coupé la patte gauche avec la patte droite.

LA FOULE, poursuivant d'une huée le Pile, qui, s'étant péniblement relevé, se sauve à cloche-pied.

Hu !

PATOU et LA FAISANE, riant, pleurant, parlant à la fois autour de Chantecler, qui est demeuré immobile, exténué, les yeux fermés.

Hu !Chantecler ! – C'est nous ! – La Faisane ! – Le Chien !

– Que nous dis-tu ?

CHANTECLER, rouvrant les yeux, les regarde et dit doucement :

– Que nous dis-tu ?Le jour se lèvera demain !