Scène II

CHANTECLER, LA FAISANE, parfois des LAPINS, de temps en temps LE PIVERT.

CHANTECLER

– Maintenant, la fougère est de lune baignée ;

Maintenant…

UNE PETITE VOIX TREMBLANTE

Maintenant…Soir, espoir !

LA FAISANE

Maintenant…Soir, espoir !Merci, bonne Araignée !

CHANTECLER

Maintenant…

LA FAISANE, tout à fait derrière lui.

Maintenant…Tu pourrais m'embrasser, maintenant !

CHANTECLER

Tous ces lapins qui nous regardent, c'est gênant !

La Faisane bat brusquement des ailes. Les Lapins, effrayés, disparaissent : de tous côtés, des derrières blancs s'engouffrent dans les terriers.

LA FAISANE, revenant à Chantecler.

Voilà !

Ils se becquètent.

Voilà !Tu l'aimes, ma forêt ?

CHANTECLER

Voilà !Tu l'aimes, ma forêt ?Elle m'est chère,

Puisque j'ai retrouvé mon chant dès sa lisière.

– Branchons-nous, car demain je chante très tôt.

LA FAISANE, impérieuse.

– Branchons-nous, car demain je chante très tôt.Mais

Un seul chant !

CHANTECLER

Un seul chant !Oui.

LA FAISANE

Un seul chant !Oui.Depuis un mois, je n'en permets

Qu'un seul !…

CHANTECLER, résigné.

Qu'un seul !…Oui.

LA FAISANE

Qu'un seul !…Oui.Le Soleil monte-t-il moins ?

CHANTECLER, concédant.

Qu'un seul !…Oui.Le Soleil monte-t-il moins ?Il monte !

LA FAISANE

Tu vois qu'on peut avoir l'Aurore à meilleur compte !

– Pour un seul chant le ciel est-il moins cramoisi ?

CHANTECLER

Non.

LA FAISANE

Non.Alors ?…

Tendant son bec.

Non.Alors ?…Un baiser…

Trouvant le baiser trop vague.

Non.Alors ?…Un baiser…Tu n'y es pas… Sois-y !

En revenant à son idée.

Pourquoi te surmener ? Tu gaspillais ton cuivre !

C'est très joli, le jour ; mais enfin, il faut vivre !

Ah ! les mâles ! si nous n'étions pas là, voilà

Comme ils seraient dupés !

CHANTECLER, avec conviction.

Comme ils seraient dupés !Oui, mais vous êtes là !

LA FAISANE

Et, d'ailleurs, quand je dors, c'est de la barbarie

Que de coqueliner cent fois.

CHANTECLER, rectifiant doucement.

Que de coqueliner cent fois.Riquer, chérie.

LA FAISANE

On dit « Coqueliner ».

CHANTECLER

On dit « Coqueliner ».« Riquer ».

LA FAISANE, levant la tête vers le haut de l'arbre, et appelant.

On dit « Coqueliner ».« Riquer ».Monsieur Pivert !

À Chantecler.

Je consulte l'oiseau qui porte un habit vert.

Au Pivert, qui vient d'apparaître à mi-corps dans un trou rond qui est au haut de l'arbre. Il a un frac amande, un gilet tilleul et une calotte rouge.

Dit-on : « Je coqueline », ou bien « Je coquerique ? »

LE PIVERT, abaissant un long bec doctoral.

Les deux !

CHANTECLER et LA FAISANE, se tournant l'un vers l'autre, d'un air triomphant.

Les deux !Ah !

LE PIVERT

Les deux !Ah !« Line » est tendre et « rique » est plus lyrique.

Il disparaît.

CHANTECLER

C'est pour toi que je coque… line.

LA FAISANE

C'est pour toi que je coque… line.Oui, mais quand vous

« Riquez », c'est pour l'Aurore !

CHANTECLER, marchant vers elle.

« Riquez », c'est pour l'Aurore !Oh ! ça, c'est du jaloux !

LA FAISANE, reculant coquettement.

M'aimes-tu plus qu'Elle ?

CHANTECLER, l'avertissant d'un cri.

M'aimes-tu plus qu'Elle ?Ay ! un filet !

LA FAISANE, sautant de côté.

M'aimes-tu plus qu'Elle ?Ay ! un filet !Prêt à s'abattre !

En effet, il y a, contre un arbre, un filet dressé.

CHANTECLER, le considérant.

Diable !

LA FAISANE

Diable !Engin prohibé. Loi de Quarante-Quatre.

CHANTECLER, riant.

Comment, tu sais ça, toi ?

LA FAISANE

Comment, tu sais ça, toi ?Vous semblez oublier

Que vous avez l'honneur d'adorer un gibier !

CHANTECLER, avec un peu de mélancolie.

Nous sommes, il est vrai, de différentes races !

LA FAISANE, revenue d'un saut contre lui

Plus qu'Elle je voudrais que tu m'adores !

LE PIVERT, reparaissant.

Plus qu'Elle je voudrais que tu m'adores !… Rasses !

CHANTECLER, levant la tête.

Oh ! pas dans un duo d'amour !

LA FAISANE, au Pivert.

Oh ! pas dans un duo d'amour !Dites donc, vous !

Tâchez, une autre fois, de frapper vos trois coups !

LE PIVERT, disparaissant.

Bien !

LA FAISANE, à Chantecler.

Bien !Il met trop son bec entre l'arbre et l'écorce

Mais c'est un grand savant, très fort.

CHANTECLER, distrait.

Mais c'est un grand savant, très fort.Sur quoi, sa force ?

LA FAISANE

Sur le langage des oiseaux !

CHANTECLER

Sur le langage des oiseaux !Ah ?

LA FAISANE

Sur le langage des oiseaux !Ah ?Car, tu sais,

Les oiseaux, pour prier, parlent en vers français ;

Mais ils ont, pour parler entre eux dans les cépées8,

Un patois cristallin fait d'onomatopées.

CHANTECLER

Ils parlent japonais.

Le Pivert frappe de son bec trois petits coups : Toc ! toc ! toc ! sur le bois de l'arbre.

Ils parlent japonais.Entrez !

LE PIVERT, apparaissant indigné.

Ils parlent japonais.Entrez !Japonais ?

CHANTECLER

Ils parlent japonais.Entrez !Japonais ?Oui

Les uns disent : « Tio ! tio ! » et les autres « Tzoui ! tzoui ! »

LE PIVERT

Les oiseaux parlent grec depuis Aristophane !

CHANTECLER, s'élançant vers la Faisane.

Ah ! pour l'amour du grec !…

Ils se becquètent.

LE PIVERT

Ah ! pour l'amour du grec !…Sachez, jeune profane,

Que le cri du traquet9 rieur « Oui-ouis-tra-tra »,

Est la corruption du mot Lysistrata10 !

Il disparaît.

LA FAISANE, à Chantecler.

Tu n'aimeras jamais que moi ?

On entend : Toc ! toc ! toc !

CHANTECLER

Tu n'aimeras jamais que moi ?Entrez !

LA FAISANE, à Chantecler.

Tu n'aimeras jamais que moi ?Entrez !Parole ?…

LE PIVERT apparaît, hochant son bonnet.

« Tiri-Para ! » chante aux roseaux la rousserolle11.

Du grec Para, « le long ». Sous-entendu : « De l'eau ».

Il disparaît.

CHANTECLER, à la Faisane.

Il est coiffé du grec !

LA FAISANE

Il est coiffé du grec !Dame ! il a pour calot12

Un petit bonnet grec !

Revenant à son idée.

Un petit bonnet grec !Suis-je tout pour toi ?

CHANTECLER

Un petit bonnet grec !Suis-je tout pour toi ?Certes !

Mais…

LA FAISANE

Mais…Dans ma robe orientale à manches vertes,

Je t'apparais comment ?

CHANTECLER

Je t'apparais comment ?Comme un ordre vivant

De toujours adorer ce qui vient du Levant !

LA FAISANE, qui commence à s'énerver.

Laisse un peu ton aurore incertaine, et préfère

Celle que dans mes yeux tu es plus sûr de faire !

CHANTECLER

Je n'oublierai jamais, cependant, qu'un matin

Nous avons été deux à croire à mon destin,

Et qu'à l'heure héroïque où l'amour vient d'éclore

Tu me passais ton or pour l'Aurore !

LA FAISANE, impatientée.

Tu me passais ton or pour l'Aurore !Ah ! l'Aurore !

Prends garde ! Je ferai des bêtises !…

Elle remonte.

CHANTECLER, sèchement.

Prends garde ! Je ferai des bêtises !…Fais-en !

LA FAISANE

J'ai rencontré dans la clairière…

Elle s'interrompt, à dessein.

CHANTECLER la regarde, pousse un cri.

J'ai rencontré dans la clairière…Le Faisan ?

Et avec une violence subite.

Jure-moi de ne plus aller dans la clairière !

LA FAISANE, qui sent qu'elle le tient, bondissant vers lui.

Et jure-moi de m'aimer plus que la Lumière !

CHANTECLER, douloureusement.

Oh !…

LA FAISANE

Oh !…De ne plus chanter…

CHANTECLER

Oh !…De ne plus chanter…Qu'un chant ! Ça, c'est promis.

On entend : Toc ! toc ! toc !

Entrez !

LE PIVERT, apparaissant, et, du bec, désignant le filet.

Entrez !Le piège ! c'est le fermier qui l'a mis !

Il a dit qu'il prendrait la Faisane.

LA FAISANE

Il a dit qu'il prendrait la Faisane.Il se vante !

LE PIVERT, à la Faisane.

Et qu'il vous garderait à la ferme…

LA FAISANE, indignée.

Et qu'il vous garderait à la ferme…Vivante !…

À Chantecler, d'un ton de reproche.

À ta ferme !…

CHANTECLER, voyant un Lapin qui a reparu sur le seuil de son terrier.

À ta ferme !…Allons, bon ! un lapin qui ressort !

LE LAPIN, criant à la Faisane, en lui montrant le filet.

Vous savez, quand on met le pied sur le ressort…

LA FAISANE, d'un ton supérieur, au Lapin.

Je connais les filets, mon petit… ça se ferme

Et d'ailleurs, je n'ai peur que des chiens…

À Chantecler.

Et d'ailleurs, je n'ai peur que des chiens…À ta ferme…

Que tu regrettes !

CHANTECLER, du ton de l'innocence outragée.

Que tu regrettes !Moi ?

LA FAISANE, au Lapin, en lui donnant une tape de son aile pour le faire rentrer.

Que tu regrettes !Moi ?Que des chiens ! – Et, tenez !

Il faut que j'aille un peu, pour leur brouiller le nez,

Croiser mes pas dans l'herbe et dans les vinaigrettes13 !

CHANTECLER

Oui, va brouiller le nez des chiens !

LA FAISANE remonte pour sortir, puis revenant.

Oui, va brouiller le nez des chiens !Tu la regrettes,

Ta ferme ?

CHANTECLER

Ta ferme ?Moi ?… Moi ?…

Elle sort. Il répète encore, avec indignation :

Ta ferme ?Moi ?… Moi ?…Moi ?…

En la suivant des yeux. Puis, à mi-voix, au Pivert.

Ta ferme ?Moi ?… Moi ?…Moi ?…Elle ne revient pas ?

LE PIVERT, qui voit au loin du haut de son arbre.

Non !