Scène IV
LES MÊMES, LA FAISANE.
LA FAISANE, qui vient d'entrer, avec un geste de menace, au Pivert.
Pst !Rentrez !
Le Pivert rentre précipitamment. Elle écoute Chantecler.
CHANTECLER, dans le liseron, de plus en plus intéressé.
Pst !Rentrez !Ah ! tiens ? Qui, tous ?… Oui ?… Non ?… Oh !… Hé !… Ah ?
LE PIVERT, qui a reparu timidement, à part.
Qu'il mette une fourmi sur sa langue !
CHANTECLER, dans le liseron.
Qu'il mette une fourmi sur sa langue !Déjà ?
Le Paon démodé ?
LE PIVERT, essayant de l'avertir par-derrière la Faisane.
Le Paon démodé ?Pst !
LA FAISANE, se retournant furieuse.
Le Paon démodé ?Pst !Vous !
Le Pivert rentre précipitamment en se cognant la tête.
CHANTECLER, dans le liseron.
Le Paon démodé ?Pst !Vous !Un Vieux Coq ?… J'espère
Que les Poules ?…
Avec des intonations progressivement rassurées.
Que les Poules ?…Ah ! bien !… Ah ! bien !… ah ! bien !
Il conclut avec un soulagement évident.
Que les Poules ?…Ah ! bien !… Ah ! bien !… ah ! bien !Un père !
Comme répondant à une question qu'on lui a posée.
Si je chante ? Oui… mais loin d'ici, près des étangs…
LA FAISANE
Hein ?
CHANTECLER, avec un peu d'amertume.
Hein ?Les Faisanes d'or n'admettent pas longtemps
Que d'un effort trop dur une gloire s'achète
Je vais donc travailler à l'aurore en cachette !
LA FAISANE, s'avançant menaçante derrière lui.
Oh !
CHANTECLER, dans le liseron.
Oh !Dès que le bel œil qui m'enivre…
LA FAISANE s'arrête.
Oh !Dès que le bel œil qui m'enivre…Ah !
CHANTECLER
Oh !Dès que le bel œil qui m'enivre…Ah !… se clôt,
Dès qu'elle dort, délicieuse…
LA FAISANE, ravie.
Dès qu'elle dort, délicieuse…Ah !
CHANTECLER
Dès qu'elle dort, délicieuse…Ah !Je file !
LA FAISANE, furieuse.
Dès qu'elle dort, délicieuse…Ah !Je file !Oh !
CHANTECLER
Je vais, dans la rosée, au loin, chanter le nombre
De chants qu'il faut ; et quand je sens vaciller l'ombre,
– Oui, quand il ne me reste à frapper qu'un seul chant, –
Je reviens, et sans bruit, vite, me rebranchant,
J'éveille la Faisane en le chantant près d'elle.
Trahi par la rosée !… Oh ! non,
Il rit.
Trahi par la rosée !… Oh ! non,car d'un coup d'aile
J'époussette mes pieds tout argentés d'aiguail…15.
LA FAISANE, derrière lui.
Vous époussetez ?…
CHANTECLER, se retournant.
Vous époussetez ?…Ay !…
Dans le liseron.
Vous époussetez ?…Ay !…Non… rien… je… plus tard !… Ay !
LA FAISANE, violente.
Ainsi, non seulement tu te réintéresses
À la fidélité de tes vieilles maîtresses !…
CHANTECLER, évasif.
Oh !
LA FAISANE
Oh !Mais encor…
CHANTECLER
Oh !Mais encor…Je…
L'ABEILLE DU LISERON
Oh !Mais encor…Je… Vrrr !
CHANTECLER, mettant son aile sur le liseron.
Oh !Mais encor…Je… Vrrr !Je…
L'ABEILLE DU LISERON, s'obstinant sous l'aile de Chantecler.
Oh !Mais encor…Je… Vrrr !Je… Vrrrr !
LA FAISANE
Oh !Mais encor…Je… Vrrr !Je… Vrrrr !Vous me trompiez
Jusqu'à penser à vous épousseter les pieds !
CHANTECLER
Mais…
LA FAISANE
Mais…Ce rustre, tenez, qu'on a pris sur sa meule…
Et l'on ne pourrait pas dans son âme être seule !
CHANTECLER, se redressant.
Quand on habite une âme, il vaut mieux, crois-le bien,
S'y rencontrer avec l'Aurore – qu'avec rien !
LA FAISANE, révoltée.
Non ! c'est le grand amour que l'Aurore m'enlève !
CHANTECLER
Il n'est de grand amour qu'à l'ombre d'un grand rêve !
Comment ne veux-tu pas qu'il coule plus d'amour
D'un cœur qui par métier doit s'ouvrir chaque jour ?
CHANTECLER
Moi !Qui donc êtes-vous, vous ?
Ils sont maintenant dressés l'un contre l'autre, se bravant du regard.
LA FAISANE
Moi !Qui donc êtes-vous, vous ?Je suis la Faisane
Qui du mâle superbe a pris les plumes d'or !
CHANTECLER
Vous n'en restez pas moins une femelle encor
Pour qui toujours l'idée est la grande adversaire !
LA FAISANE, criant.
Serre-moi sur ton cœur, et tais-toi !
CHANTECLER, dans une étreinte brutale.
Serre-moi sur ton cœur, et tais-toi !Je te serre,
Oui, sur mon cœur de Coq !
Et avec un regret infini.
Oui, sur mon cœur de Coq !Mais c'eût été meilleur
De te serrer contre mon âme d'Éveilleur !
LA FAISANE
Me tromper pour l'Aurore ! – Eh bien, quoi qu'il t'en coûte,
Trompe-la pour moi !
CHANTECLER
Trompe-la pour moi !Moi ! Comment ?
LA FAISANE, frappant le sol du pied, et d'un ton capricieux.
Trompe-la pour moi !Moi ! Comment ?Je veux…
CHANTECLER, épouvanté.
Trompe-la pour moi !Moi ! Comment ?Je veux…Écoute…
LA FAISANE
… Que tu restes un jour sans chanter !
CHANTECLER
… Que tu restes un jour sans chanter !Moi !
LA FAISANE
… Que tu restes un jour sans chanter !Moi !Je veux
Que tu restes un jour sans chanter !
CHANTECLER
Que tu restes un jour sans chanter !Mais, grands dieux !
Laisser sur la vallée, au loin, l'ombre installée ?…
LA FAISANE, boudeuse.
Oh ! quel mal cela peut-il faire à la vallée ?
CHANTECLER
Tout ce qui trop longtemps reste dans l'ombre et dort
S'habitue au Mensonge et consent à la Mort !
LA FAISANE
Reste un jour sans chanter,
D'une voix mauvaise.
Reste un jour sans chanter,ça m'ôtera des doutes !
CHANTECLER, tressaillant.
Je vois ce que tu veux !
LA FAISANE
Je vois ce que tu veux !Moi, ce que tu redoutes !
CHANTECLER, vivement
Je chanterai toujours !
LA FAISANE
Je chanterai toujours !Et si tu te trompas ?
Si l'aube vient sans toi ?
CHANTECLER, avec une résolution farouche.
Si l'aube vient sans toi ?Je ne le saurai pas !
LA FAISANE, larmoyant soudain.
Tu peux oublier l'heure, une fois, si je pleure ?
CHANTECLER
Non !
LA FAISANE
Non !Rien ne peut jamais te faire oublier l'heure ?
CHANTECLER
Rien ! Je sens trop sur moi peser l'obscurité !
LA FAISANE
Tu sens peser ?… Veux-tu savoir la vérité ?
Tu veux chanter pour l'aube, et c'est pour qu'on t'admire !
Chanteur, va !…
Avec une pitié méprisante.
Chanteur, va !…Mais tes pauvres notes font sourire
La forêt qui connaît les bémols du bouvreuil17 !
CHANTECLER
Oui, tu crois maintenant me prendre par l'orgueil,
Mais…
LA FAISANE
Mais…Ton chant ne doit pas réunir les suffrages
De quatre champignons et de trois saxifrages18
Quand l'ardent loriot19 lance aux buissons épais
Son « pirpiriol ! »…
LE PIVERT, reparaissant.
Son « pirpiriol ! »…Du grec : « Pur, puros » !
CHANTECLER
Son « pirpiriol ! »…Du grec : « Pur, puros » !Vous, la paix !
Le Pivert disparaît précipitamment.
LA FAISANE, insistant.
Et l'Écho peut sur toi faire quelques réserves
Lorsqu'il entend le grand Rossignol…
CHANTECLER
Lorsqu'il entend le grand Rossignol…Tu m'énerves !
Il remonte.
LA FAISANE, le suivant.
Tu l'entendis !
CHANTECLER
Tu l'entendis !Jamais.
LA FAISANE
Tu l'entendis !Jamais.Ses chants sont si puissants
Que la première fois…
Elle s'arrête, frappée d'une idée.
Que la première fois…Oh !…
CHANTECLER
Que la première fois…Oh !…Quoi !
LA FAISANE
Que la première fois…Oh !…Quoi !Rien.
À part.
Que la première fois…Oh !…Quoi !Rien.Ah ! tu sens
Peser la nuit !…
CHANTECLER, redescendant.
Peser la nuit !…Quoi ?
LA FAISANE, avec une petite révérence ironique.
Peser la nuit !…Quoi ?Rien.
D'un ton détaché.
Peser la nuit !…Quoi ?Rien.Branchons-nous.
Chantecler remonte pour se brancher. Alors, elle, à part.
Peser la nuit !…Quoi ?Rien.Branchons-nous.Il ignore
Que lorsqu'un rossignol chante en un bois sonore
Et qu'on croit l'écouter cinq minutes chanter,
On a passé la nuit entière à l'écouter,
Trompé comme en un bois de légende allemande.
CHANTECLER, ne la voyant pas revenir, redescend.
Que dis-tu ?
LA FAISANE, lui riant au bec.
Que dis-tu ?Rien…
UNE VOIX, dehors.
Que dis-tu ?Rien…L'Illustre Coq ?
CHANTECLER, regardant autour de lui.
Que dis-tu ?Rien…L'Illustre Coq ?On me demande ?
LA FAISANE, qui est allée du côté d'où vient la voix.
Là, dans l'herbe…
Et soudain elle recule.
Là, dans l'herbe…Ah ! mon Dieu ! ce sont les…
Avec un haut-le-cœur.
Là, dans l'herbe…Ah ! mon Dieu ! ce sont les…Ce sont les…
Elle se cache d'un bond dans l'arbre creux, en disant :
Reçois-les !