Scène VII
LES MÊMES ; PATOU, qui sortira un moment.
CHANTECLER, à Patou.
Toi !…
Avec un reproche.
Toi !…Tu viens le chercher ?
PATOU, honteux.
Toi !…Tu viens le chercher ?Pardon… Ce braconnier
M'oblige…
CHANTECLER, qui s'était jeté devant le corps pour le protéger, le démasque.
M'oblige…Un rossignol !…
PATOU, baissant la tête.
M'oblige…Un rossignol !…Oui. La race méchante
Aime lancer du plomb dans un arbre qui chante !
CHANTECLER
Vois… L'insecte creuseur de tombe est arrivé…
PATOU, reculant doucement.
Je ferai comme si je n'avais rien trouvé !
LA FAISANE, guettant toujours l'aube.
Il n'a pas vu la nuit s'enfuir…
CHANTECLER, penché vers les herbes qui commencent à remuer autour du petit corps.
Il n'a pas vu la nuit s'enfuir…Coléoptère !
Où le corps a frappé viens vite ouvrir la terre !
– Les Nécrophores36 noirs sont les seuls fossoyeurs
Qui savent ne jamais vous emporter ailleurs,
Pensant que la moins triste et plus pieuse tombe
C'est la terre qui s'ouvre à la place où l'on tombe !
Aux Insectes funèbres, tandis que le Rossignol commence doucement à s'enfoncer.
Creusez !
LA FAISANE, à part, regardant l'horizon.
Creusez !Là-bas…
CHANTECLER
Creusez !Là-bas…En vérité, je vous le dis,
Bulbul verra ce soir l'Oiseau du Paradis !
LA FAISANE, à part.
Le fond blanchit…
Coup de sifflet au loin.
PATOU, à Chantecler.
Le fond blanchit…Je vais revenir. On m'appelle.
Il disparaît.
LA FAISANE, qui regarde tantôt l'horizon, tantôt le Coq, avec inquiétude.
Ah ! comment lui cacher ?…
Elle s'avance tendrement vers Chantecler, l'aile ouverte, pour lui cacher le côté qui s'éclaire un peu, et profitant de sa douleur :
Ah ! comment lui cacher ?…Viens pleurer sous mon aile !
Il met, avec un sanglot, sa tête sous l'aile consolatrice… qui se rabat vivement sur lui. Et la Faisane le berce en murmurant :
Tu vois bien que mon aile est douce… tu vois bien…
CHANTECLER, d'une voix étouffée.
Oui…
LA FAISANE, le berçant toujours et regardant de temps en temps derrière elle, d'un rapide mouvement de tête, où en est la lumière.
Oui……Qu'une aile est un cœur déployé…
À part.
Oui……Qu'une aile est un cœur déployé…L'aube vient !
À Chantecler.
Tu vois bien…
À part.
Tu vois bien…L'air pâlit.
À Chantecler.
Tu vois bien…L'air pâlit.… Qu'elle est…
À part.
Tu vois bien…L'air pâlit.… Qu'elle est…Tout l'arbre est rose !
À Chantecler.
… Un bouclier qui berce, un manteau qui repose,
Un baiser qui finit par devenir un toit…
Tu vois bien…
Elle bondit en arrière, et écartant brusquement ses ailes :
Tu vois bien…que le jour peut se lever sans toi !
CHANTECLER, avec le plus grand cri de douleur que puisse pousser un être.
Ah !
LA FAISANE, continuant implacablement.
Ah !… que les mousses vont bientôt être écarlates !
CHANTECLER, courant aux mousses.
Ah ! non, non ! attendez ! pas sans moi !…
Les mousses s'empourprent.
Ah ! non, non ! attendez ! pas sans moi !…Les ingrates !
LA FAISANE
L'horizon…
CHANTECLER, suppliant, à l'horizon.
L'horizon…Non !…
LA FAISANE
L'horizon…Non !…… Se dore !
Tout le fond se dore en effet.
CHANTECLER, chancelant.
L'horizon…Non !…… Se dore !Ah ! quelle trahison !
LA FAISANE
On est tout pour un cœur, rien pour un horizon !
CHANTECLER, défaillant.
Ah ! c'est vrai…
PATOU, qui rentre, joyeux et cordial.
Ah ! c'est vrai…Me voilà, c'est moi, je viens te dire
Qu'ils veulent tous ravoir, dans la ferme en délire,
Le Coq qui fait le jour du haut de son talus.
CHANTECLER
Ils le croient maintenant que je ne le crois plus !
PATOU, s'arrêtant, saisi.
Comment ?
LA FAISANE, se serrant âprement contre Chantecler.
Comment ?Tu vois qu'un cœur qui contre vous se serre
Vaut mieux qu'un ciel auquel on n'est pas nécessaire !
CHANTECLER
Oui !…
LA FAISANE
Oui !…Que l'ombre, après tout, vaut bien le jour lorsqu'au
Fond de l'ombre on est deux !
CHANTECLER, égaré.
Fond de l'ombre on est deux !Oui… oui…
Mais, tout d'un coup, il s'écarte d'elle, se redresse et d'une voix éclatante :
Fond de l'ombre on est deux !Oui… oui…Cocorico !
LA FAISANE, interdite.
Pourquoi chantes-tu donc !
CHANTECLER
Pourquoi chantes-tu donc !Pour m'avertir moi-même,
Puisque j'ai par trois fois renié ce que j'aime37 !
LA FAISANE
Et quoi donc ?
CHANTECLER
Et quoi donc ?Mon métier !
À Patou.
Et quoi donc ?Mon métier !Reprenons le sentier !
Allons-nous-en !
LA FAISANE
Allons-nous-en !Que vas-tu faire ?
CHANTECLER
Allons-nous-en !Que vas-tu faire ?Mon métier !
LA FAISANE, avec fureur.
Quelle nuit reste-t-il à vaincre ?
CHANTECLER
Quelle nuit reste-t-il à vaincre ?La paupière !
LA FAISANE, lui montrant la pourpre grandissante de l'Aurore.
Soit ! tu réveilleras les dormeurs…
CHANTECLER
Soit ! tu réveilleras les dormeurs…Et saint Pierre !
LA FAISANE
Mais tu vois que le jour s'est levé sans ta voix !
CHANTECLER
Mon destin est plus sûr que le jour que je vois !
LA FAISANE, désignant le corps du Rossignol, déjà à moitié disparu dans la terre.
Pas plus que ce chanteur ta Foi ne peut renaître !
UNE VOIX, dans l'arbre, au-dessus de leurs têtes, fait tout à coup éclater la note émouvante et limpide.
Tio ! Tio !
LA FAISANE, frappée de stupeur.
Tio ! Tio !Un autre chante ?
PATOU, les oreilles frémissantes.
Tio ! Tio !Un autre chante ?Et mieux encor peut-être !
LA FAISANE, regardant avec effroi dans le feuillage, puis dans la petite tombe qui se creuse.
Un autre chante quand celui-ci disparaît ?
LA VOIX
Il faut un rossignol, toujours, dans la forêt !
CHANTECLER, avec exaltation.
Et, dans l'âme, une foi si bien habituée
Qu'elle y revienne encore après qu'on l'a tuée !
LA FAISANE
Mais si le soleil monte ?
CHANTECLER
Mais si le soleil monte ?Eh bien, c'est que dans l'air
Il avait dû rester de ma chanson d'hier !
À ce moment, des vols mous et gris passent à travers les arbres.
LES HIBOUX, ululant de joie.
Il s'est tu !
PATOU, qui a levé la tête et les suit des yeux.
Il s'est tu !Les Hiboux, fuyant la clarté neuve,
Sont rentrés dans le bois !
LES HIBOUX, regagnant leurs trous dans les vieux arbres.
Sont rentrés dans le bois !Il s'est tu !
CHANTECLER, toute sa force retrouvée.
Sont rentrés dans le bois !Il s'est tu !Et la preuve
Que je servais à la clarté quand je chantais,
C'est que tous les Hiboux sont gais quand je me tais !
Et marchant vers la Faisane, avec une sorte de défi.
Je fais venir l'Aurore !… et je fais plus !
LA FAISANE, suffoquée.
Je fais venir l'Aurore !… et je fais plus !Vous faites ?…
CHANTECLER
Car, dans les matins gris où tant de pauvres bêtes,
S'éveillant sans y voir, n'osent croire au réveil,
Le cuivre de mon chant remplace le soleil !
Et il remonte en disant :
Allons chanter !
LA FAISANE
Allons chanter !Comment reprend-on du courage
Quand on doute de l'œuvre ?
CHANTECLER
Quand on doute de l'œuvre ?On se met à l'ouvrage !
LA FAISANE, avec une colère obstinée.
Mais si tu ne fais pas se lever le matin ?
CHANTECLER
C'est que je suis le Coq d'un soleil plus lointain !
Mes cris font à la Nuit qu'ils percent sous ses voiles
Ces blessures de jour qu'on prend pour des étoiles !
Moi, je ne verrai pas luire sur les clochers
Le ciel définitif fait d'astres rapprochés ;
Mais si je chante, exact, sonore, et si, sonore,
Exact, bien après moi, pendant longtemps encore,
Chaque ferme a son Coq qui chante dans sa cour,
Je crois qu'il n'y aura plus de nuit !
LA FAISANE
Je crois qu'il n'y aura plus de nuit !Quand ?
CHANTECLER
Je crois qu'il n'y aura plus de nuit !Quand ?Un Jour !
LA FAISANE
Va-t'en donc oublier notre forêt !
CHANTECLER
Va-t'en donc oublier notre forêt !Non certe,
Je n'oublierai jamais la noble forêt verte
Où j'appris que celui qui voit son rêve mort
Doit mourir tout de suite ou se dresser plus fort !
LA FAISANE, d'une voix qui veut être insultante.
Rentre à ton poulailler, le soir, par des échelles !
CHANTECLER
Les oiseaux m'ont appris qu'on monte avec ses ailes !
LA FAISANE
Va voir ta vieille Poule au fond de son panier !
CHANTECLER
Ah ! forêt des Crapauds, forêt du Braconnier,
Forêt du Rossignol, forêt de la Faisane,
Quand elle me verra, ma vieille paysanne,
Revenir de ton ombre où l'on souffre en aimant,
Que dira-t-elle ?
PATOU, imitant la vieille voix attendrie.
Que dira-t-elle ?« Il a grandi »…
CHANTECLER, avec force.
Que dira-t-elle ?« Il a grandi »…Certainement !
Il va pour sortir.
LA FAISANE
Il part !… Pour les garder quand ils sont infidèles,
Des bras ! des bras ! des bras ! – Nous n'avons que des ailes !
CHANTECLER s'arrête, et la regarde, troublé.
Elle pleure ?
PATOU, vivement…
Elle pleure ?Va-t'en !
CHANTECLER, à Patou.
Elle pleure ?Va-t'en !Reste un peu !
PATOU
Elle pleure ?Va-t'en !Reste un peu !Je veux bien !
Rien ne sait regarder pleurer comme un vieux chien !
LA FAISANE, criant, à Chantecler, avec un bond vers lui.
Emmène-moi !
CHANTECLER se retourne, et d'une voix inflexible.
Emmène-moi !Veux-tu passer après l'Aurore ?
LA FAISANE, dans un recul sauvage.
Jamais !
CHANTECLER
Jamais !Alors, adieu !
LA FAISANE
Jamais !Alors, adieu !Je te hais !
CHANTECLER, qui déjà s'éloigne à travers les broussailles.
Jamais !Alors, adieu !Je te hais !Je t'adore !
Mais je servirais mal l'œuvre qui me reprend
Près de quelqu'un pour qui quelque chose est plus grand !
Il disparaît.