Scène VIII
LA FAISANE, PATOU, puis LE PIVERT, LES LAPINS et toutes les voix de la forêt qui s'éveille.
PATOU, à la Faisane.
Pleurez !
L'ARAIGNÉE, dans sa toile, qui tamise maintenant l'or d'un rais de soleil.
Pleurez !Matin, chagrin !
LA FAISANE, furieuse, et cassant la toile d'un coup d'aile.
Pleurez !Matin, chagrin !Tais-toi, sale Araignée !
– Ah ! puisse-t-il mourir pour m'avoir dédaignée !
LE PIVERT, qui, de sa fenêtre, suit le départ de Chantecler, tout d'un coup, avec effroi :
Le Braconnier l'a vu !
LES HIBOUX, dans les arbres.
Le Braconnier l'a vu !Le Coq est en danger !
UN JEUNE LAPIN, qui se dresse pour voir ce que fait le Braconnier.
Il casse son fusil en deux !
UN VIEUX LAPIN
Il casse son fusil en deux !Pour le charger !
PATOU, terrifié.
Va-t-il, cet assassin aux guêtres de basane,
Tirer sur un Coq ?
LA FAISANE, ouvrant ses ailes pour se lever.
Tirer sur un Coq ?Non, s'il voit une Faisane !
PATOU, se jetant devant elle.
Qu'allez-vous faire ?
LA FAISANE
Qu'allez-vous faire ?Mon métier !
Elle s'envole vers le danger.
LE PIVERT, voyant que dans son élan elle va toucher en passant le ressort du piège oublié.
Qu'allez-vous faire ?Mon métier !Gare au filet !
Trop tard, le réseau s'abat.
LA FAISANE, avec un cri de désespoir.
Ah !
PATOU
Ah !Elle est prise !
LA FAISANE, se débattant dans les mailles.
Ah !Elle est prise !Il est perdu !
PATOU, affolé.
Ah !Elle est prise !Il est perdu !Elle est… il est…
Tous les Lapins ont sorti la tête pour voir ce qui se passe.
LA FAISANE, criant une ardente prière.
Aube, protège-le !
LES HIBOUX, sautant de joie sur leurs branches.
Aube, protège-le !Le canon luit ! luit !
LA FAISANE
Aube, protège-le !Le canon luit ! luit !Touche
De ton aile mouillée, Aurore, la cartouche !
Fais le pied du chasseur sur l'herbe dévier !
C'est ton Coq ! Il a chassé l'ombre et l'épervier !
Il va mourir ! – Toi, Rossignol, dis quelque chose !
LE ROSSIGNOL, dans un sanglot suppliant.
Il s'est battu pour une amie à moi, la Rose !
LA FAISANE, solennellement.
Qu'il vive ! Et je vivrai dans la cour, près du soc !
Et j'admettrai, Soleil ! abdiquant pour ce Coq
Tout ce dont mon orgueil le tourmente et l'encombre,
Que tu marquas ma place en dessinant son ombre !
Le jour grandit. Murmures de tous les côtés.
LE PIVERT, chantant.
L'air est bleu !
UN CORBEAU passe en croassant.
L'air est bleu !Un jour croît !
LA FAISANE
L'air est bleu !Un jour croît !Tout s'éveille à l'entour…
TOUS LES OISEAUX, se réveillant dans la feuillée.
Bonjour ! Bonjour ! Bonjour ! Bonjour ! Bonjour ! Bonjour !
LA FAISANE
Tout chante…
UN GEAI, passant comme un éclair bleu.
Tout chante…Ha ! Ha !
LE PIVERT, hochant la tête.
Tout chante…Ha ! Ha !Ce Geai rit d'un rire homérique !
LA FAISANE, criant au milieu de toutes les rumeurs matinales.
Qu'il vive !
LE GEAI, repassant.
Qu'il vive !Ha ! Ha !
UN COUCOU, au loin.
Qu'il vive !Ha ! Ha !Coucou !
LA FAISANE
Qu'il vive !Ha ! Ha !Coucou !Moi, j'abdique !
PATOU, levant les yeux au ciel.
Qu'il vive !Ha ! Ha !Coucou !Moi, j'abdique !Elle abdique !
LA FAISANE
Lumière à qui j'osai le disputer, pardon !
Éblouis l'œil cruel qui cherche le guidon38 !
Et que ce soit, Rayons du matin, la victoire
De votre poudre d'or…
Une détonation. Elle pousse un cri bref.
De votre poudre d'or…Ah !
Puis achève d'une voix éteinte :
De votre poudre d'or…Ah !… sur leur poudre noire !
Silence.
LA VOIX DE CHANTECLER, très éloignée.
Cocorico !
CRI DE TOUS
Cocorico !Sauvé !
LES LAPINS, jaillissant gaiement de leurs terriers.
Cocorico !Sauvé !Culbutons sur le thym !
UNE VOIX, fraîche et grave, dans les arbres.
Dieu des oiseaux… !
LES LAPINS, cessant leurs culbutes, et brusquement immobiles et recueillis.
Dieu des oiseaux… !C'est la prière du matin !
LE PIVERT, criant à la Faisane.
On vient pour le filet !…
LA FAISANE ferme ses yeux, et résignée :
On vient pour le filet !…Soit !
LA VOIX, dans les arbres.
On vient pour le filet !…Soit ! Dieu par qui nous sommes…
PATOU
Chut ! Baissez le rideau, vite ! Voilà les hommes !
Il sort. Tous les animaux se cachent. La Faisane reste seule. Et, dans le filet, les ailes ouvertes, la gorge haletante, écrasée par terre, sentant le géant qui approche, elle attend.
Le rideau tombe.