CHAPITRE X
Vers l’inconnu

Trois personnes seulement étaient venues jusqu’au port saluer le départ d’Eymerich pour la Sicile via la Sardaigne : le frère Bagueny, la sœur Magdalena Rocaberti et un troisième individu. Ce dernier, décrépit, barbu, mais aux traits fins et au regard vif, arborait la pourpre cardinale. Il était entouré de serviteurs et de domestiques, deux d’entre eux étant chargés de le soutenir. Malgré la maladie qui lui déformait les pieds et l’empêchait de se tenir droit, il était arrivé la veille au matin en carrosse, éreintant tellement les chevaux qu’il avait dû en changer trois fois sur un trajet relativement bref entre Valence et Barcelone.

C’était Nicolau, ou Nicolas Rossell, l’ancien inquisiteur général d’Aragon, successeur du frère Puigcercós dans cette charge. Réputé pour sa dureté, il avait été en son temps très frappé par celle, bien plus extrême, de son successeur.

Il avait fini par l’accepter et se ranger de son côté dans les controverses qui agitaient les Prédicateurs de Catalogne.

Il avait passé la nuit à discuter avec son plus jeune confrère des stratégies à suivre, tandis que la fausse mort d’un homme au service du diable provoquait des phénomènes cataclysmiques et hallucinatoires quasi quotidiens.

Rossell fut la première personne qu’Eymerich salua.

— Je vous remercie d’avoir voulu partager vos considérations avec moi, éminence. Un grand enseignement. Vous serez le premier que je viendrai voir à mon retour.

Il était sur le point d’embrasser la main du cardinal, lorsque ce dernier, écartant l’un des domestiques qui le soutenait, serra contre lui l’inquisiteur.

— Je compte sur vous, père Nicolas. L’épreuve est difficile mais vous la surmonterez. Il nous fallait des gens de votre trempe pour faire retrouver à l’Église son ancien esprit militant. Celui qui nous restituera ce continent.

— Je ferai mon possible pour mener ce projet à terme et pour en éliminer le dernier obstacle.

En règle générale, Eymerich détestait les effusions et tout particulièrement les contacts physiques. Il supporta donc l’embrassade du cardinal avec un certain embarras.

À sa grande surprise, il alla cependant lui-même prendre les mains de sœur Magdalena. Il la fixa un moment puis détourna les yeux. Malgré son âge, la perfection des traits de la prieure le mettait mal à l’aise.

— Notre première rencontre fut conflictuelle, mais je reconnais maintenant votre bonne foi. Je m’excuse de ne pas l’avoir constatée plus tôt.

— Vous n’avez pas à vous excuser.

Eymerich, les yeux baissés, ne pouvait pas voir l’expression de la religieuse. Il était cependant convaincu qu’elle souriait.

— Votre courageuse mission, poursuivit-elle, pourrait toutes et tous nous libérer d’un grand tourment. À votre retour, après avoir rendu visite à son éminence le cardinal Rossell, venez me retrouver au Mont de Sion.

— Je n’y manquerai pas.

C’était maintenant au tour du frère Bagueny. Eymerich dévisagea le petit dominicain, qui fronçait les sourcils.

— Pourquoi cet air réprobateur ? lui demanda-t-il. Quelque chose ne va pas ?

— Vous pouvez vous en douter, magister. Vous partez seul, sans moi… après tant d’années de collaboration.

— Vous devriez vous en réjouir ! Vous vous êtes toujours plaint de finir avec moi dans des souterrains puants, pleins de pièges terrifiants. Cette fois-ci, je vous épargne tout ça.

Bagueny hésita un instant avant d’avouer :

— La peur me procure en fait une étrange sensation. Tout compte fait agréable. En tout cas a posteriori. Je redoute beaucoup plus l’ennui.

— Oh, ce ne sera pas une longue séparation.

Eymerich se fendit d’un sourire.

— Elle durera certainement plusieurs mois, mais j’ai bien l’intention de revenir. Nous explorerons alors de nouveau ces conduits souterrains qui vous plaisent tant.

La voix du nauxer s’éleva de la galère.

— Père Nicolas, le chargement des marchandises est terminé. Nous n’allons pas tarder à appareiller.

— Je viens tout de suite ! répondit Eymerich en mettant son sac en bandoulière. Mes amis, je vous salue au nom de Dieu !

— Il sera avec vous ! répondit le cardinal Rossell.

En posant le pied sur la passerelle qui reliait le quai à la galère, Eymerich éprouva un bref vertige. Il n’était plus aussi assuré sur ses jambes que par le passé, peut-être à cause de sa grande taille. Il vacilla sur l’appontement privé de main courante. Le nauxer l’agrippa par le coude et l’aida à monter à bord. Eymerich apprécia le geste, mais en fut également un peu humilié.

— Il n’y a pas de véritables cabines, père, expliqua le marin. À part le capitaine qui a une petite pièce dans le château de poupe, on dort sous le pont. En cas de pluie on se réfugie dans la soute. Excepté les rameurs, bien sûr.

Eymerich observa la nau. Elle était grande et ventrue, à trois mâts : grand mât, artimon, trinquet, avec une seule voile pour chacun d’eux. La force motrice réelle était due aux rameurs, répartis sur une trentaine de bancs disposés en arêtes de poisson.

Un rostre était fixé à la proue, pour parer à de fâcheuses rencontres avec des corsaires génois ou des pirates provençaux, événements qui ne se produisaient plus très souvent depuis que l’Aragon avait signé la paix avec Gênes. Cependant il y avait encore en mer quelques aventuriers sans pavillon, et le rostre était là pour les accueillir.

Le comite sortit de la poupe et s’avança vers l’inquisiteur le long de la crujia, le couloir central.

— Je suis mossen Pere Falco et je commande cette galère, la Victoria, qui appartient au noble Ramón des Pla. Vous êtes le bienvenu à bord, père.

Eymerich laissa tomber son sac sur le pont et observa le capitaine. Il était de petite taille, mais arborait un torse et des bras musclés. Il avait le regard franc et le visage ouvert. Il portait des vêtements simples et fonctionnels. Avec pour seule décoration une plume de paon glissée dans son chapeau.

— Je vous remercie pour votre accueil, répondit l’inquisiteur. Dans combien de jours arriverons-nous à Cagliari ?

— Nous n’allons pas à Cagliari, père. Nous allons accoster à Santa Giusta, près d’Oristano. Ce petit port fait partie du Judicat d’Arborea. Il nous faudra plus ou moins quatre jours et cinq nuits si le vent est favorable et si l’équipage rame bien.

— Santa Giusta ? s’étonna Eymerich. Je n’en ai jamais entendu parler. Il est possible d’y embarquer pour la Sicile ?

— Bien sûr, père. Un autre frère me l’a demandé il y a quelques jours. Je ne sais pas à quel ordre il appartenait : il n’avait aucun signe distinctif mais portait des vêtements religieux. Il arrivait de Palerme et a trouvé une place sur la Santa Marta, une galère qui faisait route sans escale vers la Sicile.

Eymerich tressaillit.

— Vous pouvez me décrire ce frère ?

— Je l’ai à peine entraperçu…

Pere Falco réfléchit.

— Un homme à l’allure énergique, mais pas particulièrement intelligent. Des yeux noisette, toujours écarquillés. Il ne battait jamais des paupières. Des mains osseuses, le corps voûté, un long nez. On aurait pu le prendre pour un bossu.

— Qu’est-ce qui vous a fait penser qu’il s’agissait d’un moine ?

— Sous une cape usée, très colorée, on pouvait distinguer des habits semblables à ceux des dominicains. Tout aussi usés. Il tenait en outre des propos très fins, citait les Écritures et adoptait un ton de prédicateur quels que soient ses propos.

Eymerich regarda le sac qu’il avait laissé tomber près du bastingage.

— Je dormirai ici cette nuit.

Le comite lança un coup d’œil au ciel.

— Il risque de pleuvoir. Je vous céderai volontiers ma cabine de capitaine.

— Ce n’est pas nécessaire, mossen. Partez vite et faites accélérer la cadence. Je ne demande rien d’autre.

— Faites attention, père, vous n’êtes plus un gamin. Le mauvais temps pourrait vous provoquer des douleurs aux os et aux articulations.

La remarque surprit Eymerich. Elle coïncidait avec les considérations qu’il portait lui-même sur son propre corps depuis quelque temps. Il pensait qu’un regard extérieur ne pouvait pas deviner les transformations qu’il percevait. Il était convaincu que les surnoms que lui donnaient ceux qui l’aimaient ou le redoutaient – « homme de fer », « homme de marbre », etc. – étaient en phase avec son aspect, qu’il ne pouvait évaluer. Mais il n’en était rien.

— Ne vous inquiétez pas pour moi, mossen, grommela-t-il. Je suis encore capable de me tenir debout et je suis habitué à dormir à la belle étoile.

— Comme il vous plaira.

Le comite s’éloigna pour donner les ordres que le nauxer allait transmettre à l’équipage. Eymerich écarta les bras et s’appuya au bastingage. Il regarda les marins larguer les amarres, lever les ancres et plier les voiles. Un tambour indiqua le rythme aux rameurs.

La Victoria se libéra du quai et vogua vers le large. L’après-midi touchait à sa fin ; le vent et le crépuscule imminent atténuaient la chaleur. Quand l’inquisiteur regarda le port, il vit sœur Magdalena, restée seule, qui agitait la main. Il répondit à son salut, mais baissa aussitôt le bras. Ces épanchements étaient superflus. Il ne savait même pas s’il allait la revoir : il affrontait un danger potentiellement mortel.

Une fois la nuit tombée, il envisagea la possibilité de ne pas sortir vivant de la confrontation avec son ennemi. Quand ils furent au large, l’obscurité tomba de but en blanc. Il n’y avait ni lune ni étoile. Le nauxer fit allumer les deux lanternes, l’une à la proue, l’autre à la poupe.

Les rameurs s’activèrent pendant deux bonnes heures dans la nuit noire, puis ils eurent la permission de se reposer. Tout en restant enchaînés, ils tirèrent les sacs de sous les bancs et s’y laissèrent tomber, morts de fatigue. Un servicial passa alors pour les libérer de leurs chaînes. Avant de dormir, ils durent cependant retirer les rames et les poser devant leurs pieds. Seules les voiles propulsaient encore la galère. Les timoniers, contraints de veiller, manipulaient les deux barres grinçantes pour orienter le navire dans la bonne direction.

Eymerich, épuisé, se laissa choir sur le sac informe qui contenait ses biens et y posa la tête. Il ne s’endormit pas facilement. La température était tombée, il avait mal aux pieds et des courants d’air froid le fouettaient. Toute la galère grinçait bruyamment. Cela faisait pourtant des dizaines d’années qu’il dormait à même le sol, qu’il soit de pierre, de bois ou de terre battue. Et pour la première fois il ne le vivait pas très bien.

En attendant le sommeil, il passa en revue les événements qui s’étaient succédé ces derniers jours. Pas grand-chose, en fait. Des illusions ordinaires, sans grandes retombées, le tremblement de terre excepté. Ramón de Tárrega avait remplacé son propre cadavre par un corps hybride, moitié homme moitié animal, avant de le faire également disparaître. Eymerich avait vu pire : des hommes à tête d’âne dans la Vallée d’Aoste par exemple, une dizaine d’années plus tôt.

Mais les paroles du roi – une Sicile en proie à des créatures gigantesques – avaient donné à cette hallucination une dimension plus ample. Tous les livres interdits de Ramón avaient été rédigés par un auteur sicilien ou ayant vécu dans l’île. La seule exception était le Liber Vaccae, mais dans une certaine mesure seulement. Il s’agissait en fait de la traduction latine d’un texte grec, basé lui-même sur un manuscrit arabe. Arabes, Latins et Grecs cohabitaient depuis des siècles en territoire sicilien. Ce livre était en outre attribué à Platon qui avait entretenu des rapports d’amitié avec le tyran de Syracuse.

Tous ces indices convergents représentaient un embryon de preuve. Ramón avait une influence sur la Sicile. Il s’était évadé, où pouvait-il s’être réfugié ? La réponse était évidente, même si l’enchaînement des événements ne fonctionnait pas. Saint Augustin n’avait-il pas démontré combien la notion de temps était éphémère ?

Eymerich n’avait pas voulu exposer ce raisonnement à Bagueny, espérant que son confrère y parviendrait seul. Ça n’avait pas été le cas : patience. Le frère Pedro n’aurait de toute façon pas été le compagnon de voyage idéal pour affronter des pièges qui s’annonçaient fort complexes. L’inquisiteur regrettait son ami le père Corona, capable de partager sa logique et de tempérer sa rudesse. Et Lambert de Toulouse, et Simon de Paris…

L’attente du sommeil attisait chez Eymerich des élans de nostalgie qui ne lui étaient pas familiers. D’ordinaire, il détestait le fardeau du passé : c’était comme chercher des objets perdus au fond d’un lac boueux. La dernière image qui imprima son esprit avant qu’il s’endorme était cependant récente : Magdalena Rocaberti. Et avec elle une autre femme qui s’appelait Myriam. Un souvenir étrange et douloureux.

Quand il se réveilla, il eut la sensation d’avoir dormi trop longtemps et d’avoir perdu un temps précieux. La nuit était cependant encore épaisse. Les servicials parcouraient le pont pour enchaîner les rameurs, les officiers s’activaient nerveusement. Il faisait très froid.

Le comite vit Eymerich se lever et se dirigea vers lui.

— Père ! Il se passe quelque chose d’horrible ! L’aube aurait dû être là depuis longtemps, mais le soleil ne se lève pas !

— Que voulez-vous dire ? demanda l’inquisiteur en se redressant péniblement. Il avait les pieds enflés et douloureux.

— Nous sommes presque à l’heure Seconde. Le soleil devrait être levé. Et il n’est toujours pas là.

Eymerich regarda le ciel. La voûte était entièrement noire. Un cercle lumineux au contour très fin se détachait dans un coin. Impossible de le regarder en face car il brûlait les yeux.

— Le soleil est à sa place, mossen Falco, mais quelque chose le cache. Ce doit être la Lune. Il s’agit d’une éclipse.

— Non, protesta le comite. Il n’y a pas d’éclipse prévue ce mois-ci. Ce doit être autre chose.

— Nos instruments pour prévoir les phénomènes célestes ne sont pas parfaits et nos astronomes sont approximatifs.

Eymerich mentait sciemment et essayait de cacher le trouble qui le gagnait. Il se souvenait du chapitre du Liber Aneguemis qui enseignait comment produire une hallucination qui masquait le soleil : quando tu suffimigabis con ea in die, manifeste obtenebrabit mundus ex eo…(4) Gardez votre cap en suivant votre itinéraire habituel. La lumière va revenir.

— Comment pouvez-vous dire ça ? objecta Pere Falco. Je pense que c’est de la magie noire. Ça ne peut pas être un phénomène naturel.

— Il n’y a là rien de magique, mentit Eymerich. Et celui qui vous parle en sait sur le sujet beaucoup plus que vous. Faites ce que je vous dis. Dans un moment je dirai une messe, ici, sur le pont. Si le diable est dans les parages, il s’enfuira. Avant l’offertoire, le soleil brillera de nouveau.

L’inquisiteur n’était pas entièrement convaincu par ses promesses. Il savait cependant qu’une messe était capable de dissiper des pièges sataniques. Ramón de Tárrega ne pouvait pas être plus fort qu’une religion qui avait déjà dominé le judaïsme corrompu et teinté de satanisme que le dominicain renégat avait cultivé en secret.

Le comite n’avait pas l’air convaincu mais ne pouvait pas faire grand-chose d’autre qu’obéir. Sur la galère régnait le chaos. Les rameurs, effrayés par l’obscurité, avaient recommencé à ramer, mais sans coordination. La galère donnait de la gîte. Le nauxer et les officiers arpentaient le pont en réclamant de la discipline, sans trop savoir quels ordres donner. Les timoniers gardaient la barre droite, mais n’avaient aucune idée de la direction dans laquelle ils allaient. La peur était tangible, insoutenable. La plupart des marins fixaient les lanternes, redoutant qu’elles ne s’éteignent. Ils étaient tous terrifiés à l’idée de sombrer dans une obscurité sans espoir.

Heureusement mossen Falco se révéla à la hauteur de la tâche. Il soufflait d’habitude ses ordres au porte-parole, mais il le fit cette fois-ci en personne.

— Le père Nicolas Eymerich de Gérone, que nous avons l’honneur d’avoir à bord, m’a confirmé que nous sommes en présence d’une simple éclipse de soleil. Il dira plus tard une messe. Il n’y a pour l’instant qu’à suivre la direction habituelle. Le cap est bon. Nous devons continuer à faire voile droit devant nous jusqu’à ce que la lumière revienne.

Eymerich se rinça le visage dans le seau placé sous l’arbre de misaine. Les marins, les rameurs et les timoniers avaient l’air en partie rassurés, et l’activité reprit son cours. Eymerich se demandait où installer un autel lorsque l’obscurité se déchira brusquement et le soleil se remit à briller normalement. Il n’était cependant pas l’heure Seconde mais au moins Sexte.

La lumière fit retrouver aux rameurs leur énergie, rythmée par le tambour de proue ; il régnait cependant une étrange atmosphère. Le ciel était plein de mouettes, et une longue langue de terre barrait l’horizon.

Pere Falco revint en courant vers l’inquisiteur. Il suait tellement qu’il avait ôté son manteau et le tenait sur son bras droit. Il avait la bouche sèche et avait du mal à parler.

— Comment expliquez-vous ça, père ? Une éclipse ne se déroule pas ainsi. Et si je ne me trompe pas, nous avons en face de nous la côte sarde. Atteinte en quelques heures !

Eymerich finissait d’essuyer son visage avec un torchon. Il se sentait inquiet mais pas particulièrement troublé. Il savait désormais que le voyage qu’il avait entrepris allait être à chaque étape la cible de brusques attaques.

— Monsieur, la notion du temps est un des principaux rouages de la pensée avec lesquels joue Satan dans ses illusions. Il bouleverse les esprits et sème la confusion. Ce que nous voyons est probablement la Sardaigne. Il ne nous reste plus qu’à débarquer après avoir trouvé Santa Giusta.

— Vous êtes si sûr de vous… murmura mossen Falco. Un phénomène aussi étonnant de contraction du temps ne vous bouleverse-t-il pas ?

— Non. J’ai vu de tout dans ma vie : des créatures démentielles, des monstres incroyables, des silhouettes de pierre qui prenaient vie, des êtres qui se nourrissaient de sang. Derrière chaque étrangeté il y avait le diable. Je suis payé pour le débusquer, en admettant qu’ils se décident à me donner ce qui me revient. Avec moi il y a le Dieu un et trin, bien plus puissant que n’importe quelle force vouée au mal. Avec moi, on est en sûreté, pourvu qu’on obéisse à mes ordres.

— Je veux bien vous croire.

Falco manifestait simultanément crainte et admiration.

— Que dois-je faire ?

Eymerich était satisfait. Plus son interlocuteur était indécis, plus sa détermination se renforçait.

— Rien de spécial. Installer un autel sur le pont pour que je puisse célébrer un office qui réconforte l’équipage, y compris les esclaves attachés aux rames. Et entre-temps chercher la crique pour accoster à Santa Giusta… avant que la nuit ne tombe de nouveau, cette fois-ci plus naturellement.

L’événement paraissait lointain : le soleil du début d’après-midi faisait miroiter les eaux, et les ténèbres n’étaient plus qu’un souvenir.