Eymerich était hors de lui.
— Vous ne savez donc pas qu’au début de cette année 1372 j’ai brûlé avec le frère Arnau de Bucheris les dernières copies en circulation des œuvres de Ramón de Tárrega ? Vous ne savez pas qu’il s’agit d’un juif renégat doublé d’un nécromancien ?
Simone dal Pozzo était totalement hébété.
— Non, je n’en savais rien. J’ignorais même qu’il était juif.
— Et pourtant, il l’est. Canaille, alchimiste, en commerce avec le démon. Quand est-il passé ici la dernière fois ?
— L’automne dernier.
— Au moment de sa mort, donc. C’est bien ce que je pensais.
Un peu calmé, Eymerich dévisagea attentivement le père dal Pozzo. Le vieil homme n’était pas très grand, il avait des sourcils en broussaille, un nez crochu et de grands yeux vifs. Aucune intention malveillante n’occultait ses traits ou son regard. Bien au contraire. Tout en lui trahissait une stupéfaction sincère.
— Je veux bien vous croire, père Simone. Je vais vous dire ce qui m’a conduit à Palerme.
Eymerich lui raconta tout dans le détail, sans omettre sa visite à Pierre le Cérémonieux. Le père Simone dal Pozzo manifesta, durant ce récit, divers états d’âme : l’incrédulité, l’émerveillement, l’inquiétude, la peur que tout ce qu’il entendait soit vrai, l’appréhension.
Il joignit les mains et baissa la tête.
— Pardonnez-moi, car j’ai péché, magister. Je me suis laissé berner par un fils du démon, mort et vivant à la fois.
— Vous n’aurez mon absolution qu’après avoir répondu à certaines questions, répliqua Eymerich. Ramón de Tárrega vous présentait les sciences occultes comme un moyen d’évoquer les démons ?
— Non. Il parlait de philosophie, un sujet qui semblait lui être familier. Il passait de Platon et Aristote à Sénèque, pour arriver à Averroès, à Roger Bacon et Raymond Lulle. Il a cité quelquefois les traités de l’exécrable Michael Scot, mais juste en passant.
— Où se trouve-t-il maintenant ?
— Je l’ignore. Il est parti à pied vers l’intérieur de la Sicile. Après m’avoir confié que vous arriveriez quelques mois plus tard.
Eymerich se massa l’arête du nez. Il réfléchit un instant avant de poser la question suivante.
— Avez-vous entendu parler de créatures gigantesques descendues du ciel vers le centre de l’île ? Capables d’inverser les résultats du conflit entre les Aragonais et les Angevins, et des guerres entre baronnies ?
— Vous voulez parler des Lestrygons ?
Eymerich ne put masquer son trouble.
— Oui, c’est bien d’eux qu’il s’agit.
Un tremblement nerveux l’obligea à retirer son coude de la table.
— Je vois que vous les connaissez. Qu’en savez-vous exactement ?
Simone dal Pozzo fit un geste mimant l’évidence.
— Tous ceux qui ont lu L’Odyssée les connaissent, père Nicolas. Des géants qui se nourrissent de chair humaine. On dit qu’ils habitaient auparavant la Sicile. Régulièrement quelqu’un affirme en avoir vu.
— Et récemment ?
— Oui, dans la région de Caltanissetta. Je n’y ai pas prêté grande attention car les informations que j’ai eues étaient très vagues.
Dal Pozzo s’assit à son tour sur le banc et chercha les mots latins les plus adaptés pour donner une explication compréhensible.
— Au terme d’un siècle de guerres et d’insurrections, magister, la maison aragonaise ne domine la Sicile qu’en théorie. Le roi Frédéric le Simple, dit également le Fou, réside le plus souvent à Catane ou se déplace entre ses différents châteaux. Le pouvoir effectif est exercé par les barons : les Chiaromonte, les Ventimiglia, les Alagona, les Lancia… Ils contrôlent différentes parties de l’île et sont perpétuellement en guerre. Ce sont eux les vrais maîtres de la Sicile. Et l’explication est simple : ce sont leurs milices qui ont eu raison de la tyrannie des Anjou et contraint les Français à se replier sur Naples.
— Tout cela n’a pas grand-chose à voir avec le sujet de notre discussion.
— Permettez-moi de penser le contraire. Le soi-disant « royaume de Trinacrie » est aujourd’hui fragmenté en baronnies qui ne communiquent quasiment pas entre elles. Chaque baron gouverne son territoire comme s’il s’agissait d’une investiture divine et fait souvent la guerre à ses voisins. Il considère que les biens et les âmes qui relèvent de son mandat lui appartiennent. En théorie, la plupart d’entre eux reconnaissent l’autorité du roi Frédéric IV, mais uniquement en parole. Chaque baronnie est refermée sur elle-même, elle encaisse les impôts, elle applique la justice, elle saigne à blanc les campagnes dépeuplées, lève de petites armées. Les différentes régions siciliennes ne communiquent en fait jamais entre elles.
— Et qui gouverne Caltanissetta et la Sicile centrale ?
— Les Chiaromonte, la famille qui contrôle également Palerme.
Simone dal Pozzo anticipa la plus évidente des objections.
— Ne croyez pas que cette situation permet d’avoir des informations régulières sur le centre de l’île, magister. L’état de guerre quasi permanent rend les informations fragmentaires et souvent sans fondement. J’ai pensé qu’il en était de même pour celles qui concernent les Lestrygons.
Eymerich était désormais convaincu de la sincérité et de l’intelligence du vieux frère assis à ses côtés. Il feuilleta distraitement un cahier de brouillon poussiéreux pour prendre le temps de réfléchir. C’était un texte inoffensif : une simple liste d’ordonnances inquisitoriales. Au bout d’un court instant, il demanda :
— Qui commande la maison des Chiaromonte ?
— Manfredi III. Il est à la tête du parti des Latins, adversaire des Aragonais. Il fait parfois alliance avec les Anjous, comme en ce moment, et parfois non. L’essentiel est de combattre la faction des Catalans, aux ordres des Alagona. La lignée des Chiaromonte a été gibeline(5) les décennies passées, mais elle ne l’est plus. Elle n’est même pas guelfe. Elle suit ses intérêts. Il en va de même pour les Ventimiglia et pour les anciennes familles guelfes. Ils s’abandonnent au profit immédiat, que ce soit l’argent ou le pouvoir, sans se soucier du bien-être de la population ou des idéaux que les gens avaient aimés chez eux au début de la révolte contre les Français. Aucun amour ne fut aussi mal placé et aussi peu récompensé.
Eymerich se perdait un peu dans cette géopolitique complexe.
— Peut-on rencontrer Manfredi Chiaromonte ?
— Oui. Si vous le voulez, je peux vous y emmener moi-même.
— Vous avez donc un certain ascendant sur lui ? Vous jouissez de son estime ?
Eymerich était plutôt sceptique.
Simone dal Pozzo afficha de nouveau son sourire sardonique.
— Magister, prenez le temps de lire un peu mieux certaines des ordonnances que vous pressez de votre coude. Tout spécialement les premières, adressées aux barons de toute l’île. Vous vous ferez une idée plus précise de la nature de l’Inquisition sicilienne.
Eymerich s’exécuta. Les toutes premières lignes l’étonnèrent déjà.
— Mais… Vous ordonnez aux seigneurs et aux officiers de détruire toutes les synagogues qui existent en Sicile ! Même à Gérone nous ne ferions pas une chose pareille ! Ni en Provence, Avignon compris !
Le frère Simone se fit encore plus sarcastique, tout en conservant ses bonnes manières.
— C’est parce que là-bas vous êtes trop tolérants.
— Puis vous ordonnez d’emprisonner les juifs et les hérétiques des deux sexes, de tout âge ou condition, et de les interroger sous la torture… Tormentis et quaestionibus prout idem adverterit exponatis…
— Oui. S’ils ne souffrent pas, les ennemis de la vraie religion confessent difficilement les noms de ceux qui partagent leur croyance, surtout s’ils sont de la même famille. Entre juifs, la solidarité est par ailleurs très forte.
— Les barons suivent vos ordres ?
Dal Pozzo soupira.
— Pratiquement jamais, hélas. Ils promettent pourtant tous de le faire, sur-le-champ ou plus tard. Les Latins de leur propre initiative, les Catalans, ex-gibelins, pour se faire pardonner d’avoir un temps désobéi à l’Église. Mais ce ne sont que des mots. Et comme si cela ne suffisait pas, je dispose de peu de serviteurs armés, et aucun à cheval. Certains vassaux de rang inférieur ont une milice plus importante que la mienne. En fait, à Palerme, Messine (je suis messin), Catane et Syracuse je ne contrôle quasiment rien. Mais je ne renonce pas pour autant à hausser le ton.
Eymerich ne savait plus que penser. Un vieillard fragile dans un prieuré minuscule et quasiment désert, prétendait vouloir exercer un pouvoir au-dessus de ses moyens. S’il avait cherché à lui mentir, Eymerich l’aurait découvert. S’il disait la vérité, les Siciliens s’avéraient être beaucoup moins simples et sans défense que ce qu’il pensait.
— Qu’est-ce qui vous fait croire que vous pouvez obtenir une telle influence ?
— Jusqu’à il y a une dizaine d’années, l’Église de la Sicile a souffert de l’excommunication de la papauté et a dû se débrouiller toute seule avant de s’appuyer sur les rois d’Aragon, ce qui l’a rendue solide et enracinée dans la réalité territoriale. Elle restait le seul pouvoir unitaire tandis que tous les autres se fragmentaient. Elle a obtenu ainsi le respect du peuple comme celui des barons.
Eymerich acquiesça.
— Je comprends. Et vous pensez que cela va continuer ainsi, maintenant que l’attitude de la papauté est en train de changer ?
— Grégoire XI a adopté une attitude plus neutre que ses prédécesseurs et, sans cesser de soutenir les Anjou, il cherche à renouer avec les Aragonais. S’il oublie les anciennes controverses, il trouvera enraciné ici un clergé fort et autoritaire. Bien qu’il soit bien sûr directement lié à ceux qui règnent à Saragosse.
La dernière phrase sonna désagréablement aux oreilles d’Eymerich. Il ne s’y arrêta guère. Il se réjouissait pour l’instant d’avoir trouvé en dal Pozzo un interlocuteur plus raisonnable qu’il ne l’imaginait.
— Eh bien, allons trouver ce Manfredi, père Simone.
— Volontiers, magister. Je vais demander un carrosse pour nous conduire au palais Chiaromonte.
Eymerich retrouva Béatrice, qui cueillait des fleurs, par une chaleur plus estivale que printanière. Elle en avait rassemblé un gros bouquet.
— Attendez-moi ici, lui dit-il. Je vais rencontrer quelqu’un d’important et vous ne pouvez pas m’accompagner.
La femme lui sourit.
— J’ai bien peur d’être obligée de venir avec vous. C’est un couvent masculin. Des frères sont déjà venus me demander ce que je faisais ici. Certains en braillant, d’autres en pleurnichant. Ils se sont finalement tous cachés, pour éviter de me voir.
— J’ai assez d’autorité pour imposer votre présence, que cela plaise aux frères ou pas… Vous allez voir ça.
Simone dal Pozzo était de retour.
— Le carrosse est prêt, magister.
— Bien. Je vous demanderai juste de trouver une cellule pour cette servante. Je ne veux pas l’emmener avec moi.
Le Sicilien marqua son étonnement.
— Le règlement n’autorise pas la présence d’une femme à l’intérieur du prieuré. J’ai déjà fait un écart en lui permettant de rester dans le cloître pendant plus d’une heure. Je ne peux pas en faire plus. Ce serait un scandale.
— Risquons le scandale.
Eymerich commençait à être agacé.
— Je vous dis que je ne veux pas l’emmener avec moi. Je vous ordonne de l’héberger jusqu’à mon retour.
Le visage ridé de Simone dal Pozzo afficha une certaine condescendance mais également de l’obstination.
— Il y a peut-être une autre solution, magister. Nous l’emmenons avec nous et la déposons au passage dans un couvent de religieuses. Nous soulagerons ainsi mes confrères, déjà fortement perturbés par la présence d’une femme dans leur jardin, et nous offrirons à la jeune fille un hébergement qui convient à son sexe.
Eymerich jugea cette proposition raisonnable.
— Soit. Allons-y.
Béatrice prit place sur le marchepied arrière et le cocher fit démarrer le carrosse, une grosse voiture découverte tirée par deux chevaux. Le véhicule longea la rivière Papireto, des marais de la périphérie vers le centre de la ville. Chassés par la chaleur, les marchands et les passants se faisaient rares dans le labyrinthe des ruelles qui conduisait aux églises et aux principaux bâtiments de la ville. Les femmes, en revanche, étaient plus nombreuses. La plupart d’entre elles étaient vêtues « à la sarrasine », avec des tuniques noires qui leur descendaient jusqu’aux chevilles et leur voilaient les cheveux et le visage, ne laissant à découvert que les yeux. On se serait cru dans une des capitales de l’Afrique du Nord.
— Nous voici dans le Cassaro, la partie centrale, lança Simone dal Pozzo. Son nom est dérivé de celui qu’il avait lors de l’occupation arabe : al-Qasr, « le château ». Les familles les plus illustres habitent dans ce périmètre.
— Inutile de commenter ce que j’ai sous les yeux si je ne vous le demande pas, grommela Eymerich. Je ne me promène pas ici pour le plaisir.
Le Sicilien ne s’avoua pas vaincu.
— Il y a un détail qui échappe au regard et que vous vous devez de connaître. La Palerme visible en cache une autre invisible. Les rues que nous parcourons cachent dans leur sous-sol le labyrinthe des qanat.
— Les qanat ? De quoi s’agit-il ?
— Des galeries souterraines creusées par les Arabes. Il s’agissait peut-être d’un système d’égouts jamais achevé. Palerme repose sur une forêt de galeries qui s’étendent au-delà de Mondello.
Simone dal Pozzo gonfla la poitrine.
— Quand le peuple s’est révolté contre les Français, l’accès aux souterrains a permis de sauver plusieurs vies des massacres qui avaient lieu à la surface.
— Ça ne m’intéresse pas. Je n’y descendrai jamais, répondit Eymerich. Un de mes confrères de Gérone, le frère Pedro Bagueny, a raison. J’ai passé toute ma vie à fouiller des souterrains, au milieu de canaux puants. Pour une fois, je dois combattre un ennemi qui descend du ciel, au lieu de sortir des égouts. J’en profiterai pour ne pas me salir.
Le père Simone ne fit plus aucun commentaire, sauf pour annoncer qu’ils passaient dans le faubourg des Grecs, petite colline qui surplombait le vieux port. Ils avancèrent sur une grande place entourée d’arbres, surveillée par des « ribauds », les mercenaires au service des barons. Ils avaient l’air de bien connaître l’inquisiteur de Palerme car ils ouvrirent leurs rangs pour le laisser passer. Ils ôtèrent leurs chapeaux en guise de salut et inclinèrent leurs lances.
— Ces hommes sont au service de Guglielmo de Romagne, expliqua Simone dal Pozzo. Le condottiere que Manfredi Chiaromonte a engagé pour constituer et entraîner ses troupes.
— Vous voulez dire que cet énorme bâtiment au fond du parc n’est pas le palais royal ? demanda Eymerich.
— Non. La demeure du roi, qui du reste habite ailleurs, est moins imposante et se trouve dans le quartier de la Galca. Ce que vous preniez pour le palais royal est la demeure des Chiaromonte, les vrais maîtres de la ville et pratiquement d’un bon tiers de la Sicile.
Eymerich, bien qu’impressionné par l’opulence de la demeure qui se dressait devant lui – fontaines, sentiers gravillonnés, bancs de pierre cachés derrière des buissons, d’un style plus arabe que chrétien –, n’oubliait pas les détails secondaires.
— Ne devions-nous pas confier Béatrice à un couvent de religieuses ?
— Oui, mais les Mantelées ont leur demeure plus au nord, sous les ordres d’Angiola Chiaromonte, la sœur de Manfredi. Votre servante restera dans le carrosse pendant la durée de l’entrevue. Nous la conduirons ensuite à Santa Chiara.
Eymerich tourna la tête vers Béatrice, agrippée au marchepied. Le gravier faisait tressauter le véhicule, et elle risquait de dégringoler sur le sentier.
— Vous avez entendu ? Vous attendrez la fin de l’entretien, puis on vous conduira là où vous pourrez passer la nuit.
La servante acquiesça.
— Je cueillerai d’autres fleurs. Saluez Manfredi Chiaromonte de ma part. Nous nous sommes déjà rencontrés.
Cette dernière phrase était si absurde qu’Eymerich se demanda si la jeune femme n’avait pas perdu l’esprit. Il l’ignora, descendit du carrosse et se dirigea en compagnie du père Simone vers le palais. Il ressemblait à un bloc de pierre avec une tour qui surplombait les chemins de ronde. Il ne présentait aucun élément décoratif en dehors d’une rangée de fenêtres géminées dans sa partie supérieure. Une muraille nue en constituait la base. Il évoquait un croisement monstrueux entre un palais royal et une forteresse, et contrastait totalement avec les jardins qui l’entouraient.
Là aussi, les ribauds qui gardaient l’entrée reconnurent Simone dal Pozzo. Ils se découvrirent puis firent glisser leurs chapeaux emplumés devant la poitrine. Dans la cour carrée, entourée d’imposantes colonnes et d’arcades en ogive, les religieux furent accueillis par un homme en livrée, probablement un chambellan, qui leur fit une ample révérence.
— C’est toujours un plaisir de vous recevoir, père Simone.
— L’amiral Manfredi est dans ses appartements ?
— Oui, je crois qu’il travaille ou se repose. Mais il vous recevra sans difficulté. Commencez à monter, pendant que je m’en vais le prévenir. Qui est le bon prédicateur qui vous accompagne ? Dois-je l’annoncer ?
Le père Simone haussa un peu le ton, comme pour rendre sa voix plus solennelle.
— Il s’agit du père Nicolas Eymerich, inquisiteur général du royaume d’Aragon et magister de philosophie et de théologie. Il nous a accordé le privilège de sa visite et désire conférer avec le seigneur de Chiaromonte.
— Je le préviens tout de suite.
Le chambellan parti, Eymerich et le père Simone gravirent le grand escalier de marbre qui conduisait du portique à l’étage. L’inquisiteur d’Aragon était étonné par ce qu’il voyait. Tout n’était que faste, rideaux de velours, fresques aux murs présentant des scènes de chasse. Les serviteurs, qui allaient et venaient, étaient très nombreux. Et les clientes venus quémander une quelconque faveur l’étaient tout autant.
— Figurez-vous, magister, qu’une ordonnance royale de 1309 toujours en vigueur interdit aux barons d’avoir des domestiques en livrée, murmura Simone dal Pozzo. Vous pouvez constater combien cette dernière est appliquée. La baronnie a échappé à tout contrôle sous les Anjou, mais également sous les Aragonais. Ils n’ont ni foi, ni pitié, ni convictions. Ils n’ont pour toute loi qu’une avidité effrénée.
Eymerich se renfrogna mais ne dit rien. À l’étage supérieur, la salle des audiences abritait plusieurs dizaines de personnes – du simple paysan au riche bourgeois, avocat ou notaire – venues réclamer justice. Un chambellan se fraya un passage jusqu’aux deux dominicains.
— Suivez-moi. Manfredi Chiaromonte va vous recevoir tout de suite.
— Je viens avec vous ? demanda le père Simone.
— Vous non, répondit grossièrement le chambellan. Vous n’êtes pas attendu.