J’ai conduit, assisté et mené des centaines de négociations complexes, interrogatoires et entretiens, toujours animé d’une même volonté : connaître la vérité. Comment en suis-je arrivé là ?
Tout a commencé en octobre 1994 chez mon oncle en Oregon, aux États-Unis. Nous regardions les news à la télévision, assis confortablement dans son canapé en tissu, quand un flash spécial creva l’écran, entièrement dédié à une jeune femme implorant son ravisseur de lui ramener ses deux enfants. Mon oncle accusa le coup, devant l’horreur du témoignage. Curieusement, habituellement sensible aux faits divers, je restai de marbre et ces quelques mots sortirent de ma bouche, sans même que je le réalise : « What a liar... » Quelle menteuse. Mon oncle me foudroya du regard, pour ensuite me faire la morale. Cette fois-ci, c’est moi qui accusai le coup, et je m’excusai platement. Quelques jours plus tard, l’actualité me donna raison. Elle avait tué ses propres enfants. Depuis ce jour, j’ai toujours regardé le monde différemment. Je n’avais que 18 ans.
Les années étudiantes s’enchaînèrent. Je jouais beaucoup au poker le soir, notamment pour payer mes études, mes sorties et mes vacances. Je n’étais ni un fin stratège ni un brillant tacticien. Loin de là, d’ailleurs. Je savais, par contre, observer les joueurs et repérer, dans la plupart des cas, quand ils bluffaient, ce qui me permettait de gagner plus que raisonnablement.
Parallèlement, je manipulais les cartes et les dés au moins deux heures par jour. J’étais fasciné par le monde de la triche, comme beaucoup peuvent l’être. J’ai rencontré par la suite des tricheurs professionnels, auprès desquels j’ai beaucoup appris. Tout le savoir acquis, je le gardais pour moi. Parfois, je donnais des représentations publiques, mais je ne révélais à personne les techniques des tricheurs professionnels. Même si l’apprentissage nécessite des années de pratique quotidienne, je ne souhaitais pas que ces méthodes tombent dans de mauvaises mains. J’aurais pu tricher dans toutes les parties de poker ou de black jack auxquelles j’ai participé, mais jamais je ne fus tenté. Sûrement l’éducation de ma mère.
Ensuite, je fus approché par des casinos et des cercles de jeux, en France et à l’étranger, pour les aider à se protéger des tricheurs professionnels. Mon job était simple. Regarder des écrans, directement reliés aux caméras présentes dans les salles de jeux. Je visionnais des centaines d’heures de bandes pour repérer des mouvements suspects. Avec le temps, je réalisai que la triche ne rimait pas nécessairement avec dextérité. Souvent, il était nécessaire d’observer le comportement global du tricheur, notamment avant le passage à l’acte. C’est alors que je commençai à modéliser certains comportements suspicieux, communs à la plupart des tricheurs. Je croisais sans cesse des données, pour trouver un dénominateur commun. J’appris beaucoup sur le comportement humain.
Les tricheurs qu’on repérait étaient soit expulsés des salles, soit interrogés dans des salles sombres, avant d’être remis aux autorités compétentes. Notre première préoccupation était de s’assurer qu’il n’y ait pas de collusion interne, c’est-à-dire qu’un membre du personnel ne soit impliqué dans l’arnaque. J’assistais aux interrogatoires pour émettre un avis sur la véracité des propos, en fonction des modèles que j’avais construits. Parfois, je menais directement l’interrogatoire. C’était passionnant et je progressais de jour en jour sur la compréhension des ressorts psychologiques humains. En me documentant et en élargissant mes recherches, je parvins à la conclusion qu’il existait des similitudes comportementales chez un tricheur et un voleur à l’arraché avant le passage à l’acte. Ces découvertes intéressèrent des amis policiers et gendarmes. Ils sollicitèrent alors mon avis dans le cadre d’interrogatoires sensibles. Les enjeux étaient différents, souvent des crimes, mais le mensonge s’exprimait de la même manière.
Si le monde du jeu a toujours été ma passion, parallèlement dans la « vraie vie », j’avais un « vrai métier ». Après mes études, j’ai eu la chance d’intégrer de grands groupes internationaux, où j’ai occupé diverses fonctions liées à la négociation et à l’encadrement d’équipes de négociateurs. Mes compétences, liées au comportement et à la détection du mensonge, je les appliquais directement dans mon métier. J’ai même utilisé des caméras boutons (caméras cachées dans le bouton de la chemise), matériel saisi auprès de tricheurs, pour filmer discrètement certaines négociations, et ainsi m’assurer que rien ne m’échappait. Bien sûr, j’ai détruit ces films, sauf certains, que je présente en séminaires ou en conférences, dans lesquels les visages ont été volontairement rognés pour préserver l’identité de mes interlocuteurs.
Quand il fallait évaluer la crédibilité des menaces, des ultimatums, des profils difficiles ou des insultes en négociation complexe, j’utilisais mes grilles de lecture, ce qui me permettait de voir au travers de la brume. Mes trois plus belles négociations, je les dois à l’analyse comportementale.
Lors des entretiens d’embauche, de revue de performance, de recadrage, de mobilité ou de licenciement, je fonctionnais de la même manière. Apprécier les motivations réelles de mes collaborateurs, déceler les enjeux cachés, déterminer la véracité d’un CV, connaître le fin mot d’un conflit, tout se prêtait à l’usage de mes compétences.
Au final, l’humain est au cœur de tout.
Je vous propose de partager sans retenue les méthodes que j’ai pu bâtir au travers de mon expérience de négociateur, de manager, d’interrogateur et de consultant en casinos. Bonne lecture.