Si le langage nous distingue des animaux, la communication non verbale nous en rapproche. Le non-verbal regroupe toutes les formes d’expression n’impliquant pas l’usage de la parole. Pour tenter de couvrir l’ensemble des manifestations expressives du corps humain, les muets constituent une excellente source d’information, puisqu’ils communiquent sans l’usage de mots. Il est alors nécessaire de se poser deux questions : à quels moyens ont-ils recours pour se faire comprendre ? Qu’est-ce que leur comportement pourrait révéler malgré eux ?
Pourquoi cette seconde question ? Tout simplement parce que la communication est bidirectionnelle. D’une part, nous projetons ce que nous souhaitons. Il s’agit de l’expression de notre volonté pour satisfaire un objectif précis. D’autre part, nous nous livrons à notre insu. Rougir face à un compliment est un mode de communication. Certes, il n’est pas volontaire, mais il est interprété et compris par celui qui réceptionne ce message physiologique.
À noter
En tâchant de répondre aux deux questions préalablement posées, j’identifie quatre moyens majeurs de communiquer non verbalement :
Comme vous avez pu le constater (cf. encart), j’ai volontairement occulté les vêtements, qui sont un excellent moyen de communiquer son statut, mais qui s’avéreront d’une piètre utilité dans le cadre de la détection du mensonge.
C’est avant tout le cerveau qui donne vie à notre corps. Marcher, parler, se reposer, courir, interpeller ou s’asseoir constitue des directives émanant de notre cerveau. Tous ces verbes d’action, qui vont mettre le corps en mouvement, s’inscrivent dans une démarche réfléchie et préméditée. Le cerveau décide, le corps s’exécute.
Cependant, parfois, le cerveau dicte, tel un autocrate, des ordres qu’il essaie lui-même de réfréner pour des raisons contextuelles. Vous regardez un film d’horreur avec votre amie. Une scène particulièrement violente fait brusquement monter en vous l’effroi. Comme vous êtes un homme, vous décidez de ne pas montrer que vous êtes une poule mouillée, donc vous absorbez cette émotion, en espérant qu’elle ne « fuitera » pas d’une manière ou d’une autre. Quel a été le cheminement cérébral ? Le cerveau a envoyé un signal de peur au corps, lui proposant de détourner la tête ou de fermer les yeux. Puis, quelques dizaines de secondes plus tard, après analyse de la situation (« J’ai de gros bras, qu’est-ce que va penser ma copine de moi ? »), il fait machine arrière et envoie un nouveau signal annulant le précédent. La machinerie était complexe et lourde, le corps a tout de même réagi, laissant échapper un petit sursaut au niveau des pieds et une brève tension musculaire générale.
Cet exemple, parmi tant d’autres, illustre ce que le corps peut parfois révéler malgré vous.
Encore une fois, il n’existe pas d’indice de tromperie universel, comme : « Il se touche le nez, donc il ment. » Ce sont les écarts par rapport à la baseline, au comportement universel ou ce que le contexte impose – CHUC –, qui vous permettront de révéler le mensonge, s’il existe.
La tâche serait titanesque d’essayer de recenser tous les écarts de comportement s’appliquant à chaque situation. J’ai pris la liberté de mettre en évidence un exemple pour chaque partie du corps concernée.
Les pieds sont un formidable amplificateur de comportement. Non pas qu’ils révèlent qu’une personne ment quand ils s’activent, mais ils ont l’immense avantage de réagir honnêtement aux situations. Pourquoi ? Parce qu’ils sont la dernière partie du corps que nous regardons quand nous parlons à quelqu’un. Et d’autant plus quand ils se cachent à l’abri des regards sous une table... Ce qui signifie que nous leur accordons peu d’importance, notamment quand il s’agit de réprimer des émotions. Nous porterons naturellement, et en premier lieu, nos efforts sur notre visage, compte tenu de son exposition. Après le visage, nous ferons attention à notre torse, nos bras et nos mains, qui sont les parties les plus visibles après le visage. Mais les pieds seront toujours relégués au dernier plan. Et c’est une bonne chose pour nous ! Les pieds sont plus honnêtes que le visage !
La position des pieds, en soi, ne signifie rien. Elle est avant tout déterminée par le contexte. De ce fait, si vous êtes capable de comprendre le contexte, vous comprendrez la signification des positions. Si, par exemple, vous vous adressez à une personne dont les deux pieds pointent vers l’extérieur, vous pouvez légitimement vous poser des questions quant à l’intérêt qu’elle vous porte, même si elle sourit poliment. Cette attitude est contraire à ce que les normes imposent habituellement. Deux personnes qui se font face, engagées dans une conversation entraînante, ont également les pieds face à face. Le corps entier reflète l’intérêt de la conversation, en se positionnant droit face à la personne. Que faites-vous quand vous n’êtes pas intéressé par quelque chose, sans contrainte de vernis social ? Vous vous en détournez, tout simplement. Maintenant, quand la situation vous impose de faire bonne figure, vous vous placez face à votre interlocuteur. Mais peut-être avez-vous oublié vos pieds...
Identifier un écart de comportement lié à une partie du corps nécessite de comprendre parfaitement l’utilité de la partie étudiée. À quoi nous servent nos jambes ? À marcher, à courir, à fuir, à s’immobiliser, à s’asseoir, à se lever, à sauter, ou encore à se battre. Les pieds font office de points d’appui, mais ce sont les jambes qui assurent le gros de l’effort. Dans les interactions sociales, nous mobilisons nos jambes essentiellement pour nous déplacer, nous asseoir, nous lever et nous arrêter. Tout le monde les sollicite de la même manière. Maintenant, les positionnons-nous tous de la même manière en fonction de la situation ? Vous évoquez un sujet litigieux avec votre compagnon. Si celui-ci semble à l’aise à l’oral pour vous en parler, ses jambes sont néanmoins écartées. Cette situation comporte-t-elle un écart ? On peut raisonnablement penser que oui.
Je vous livre la réflexion qu’il faudra entreprendre chaque fois que vous serez confronté à une situation nécessitant cette interrogation.
Dans quels cas écartons-nous nos jambes ? Réfléchissez avant de lire la suite. Nous écartons nos jambes pour nous immobiliser fermement dans le sol. Cette action nous permet d’augmenter notre centre de gravité. Toute personne, avant de se battre ou de fuir, écartera les jambes. C’est une réponse adaptative, transmise par nos ancêtres, que nous réalisons sans processus cognitif. Nous sommes naturellement programmés pour nous mettre dans les prédispositions assurant notre survie. Ce qui signifie que l’écartement des jambes est une action d’anticipation face au danger. À l’inverse, des jambes rapprochées ne craignent pas le danger, puisque le centre de gravité est beaucoup plus réduit. Si une personne vous pousse, vous tomberez bien plus facilement que si vos jambes étaient écartées.
À noter
On peut raisonnablement en déduire que l’écartement des jambes est inversement proportionnel au confort.
Revenons à notre exemple. Sauf si c’est inscrit dans sa baseline, pourquoi écarte-t-il les jambes, alors qu’il semble à l’aise sur le sujet évoqué ? Il serait effectivement judicieux de creuser.
Un ami chirurgien m’a un jour dit cette phrase : « Marwan, le torse s’étend du bas du cou au bas du ventre. Il abrite toutes les fonctions vitales : le cœur, les poumons, le foie, le pancréas, l’organe digestif et bien d’autres. Il faut protéger le torse coûte que coûte. » Depuis ce jour, cette phrase est restée gravée dans ma mémoire et m’a permis de démêler bien des situations.
Nous sommes programmés pour assurer la protection de notre torse et ceci, depuis des millénaires. Dès lors que le danger menace, nous l’inclinons légèrement ou très largement sur le côté pour nous préserver. C’est un réflexe de survie. À l’inverse, quand la situation ne présente aucun péril, nous l’exposons. Observez simplement des amoureux quand ils se dévorent du regard. Leurs torses forment une parfaite symétrie axiale.
Dans le cadre d’interrogatoires, le malaise se traduit très souvent par un détournement du torse, qu’il soit lié à l’anxiété ou au mensonge. Ce distancement corporel fait écho au distancement verbal évoqué un peu plus en amont. Posez-vous des questions si une personne, qui vous déclare être ravie de vous voir, oriente légèrement le torse sur le côté.
Les bras, tout comme les jambes, sont multifonctionnels. Sans eux, l’homme serait extrêmement limité dans sa gestuelle. Si nous revenons au temps des premiers hommes pour redécouvrir leurs fonctions originelles, nos bras nous servaient essentiellement à nous nourrir et nous battre. Dès lors que le torse était menacé, en plus du détournement réflexif, les bras servaient de bouclier si besoin. Cette fonction n’a pas évolué, seul le contexte a changé.
Quand la situation peut nous être préjudiciable, nous nous en détournons naturellement. Quand le détournement n’est pas possible ou que l’on souhaite renforcer notre distanciation, nous pouvons avoir recours à nos bras, comme d’un bouclier invisible. Il est coutume d’associer ces mouvements de blocage au mensonge. Encore une fois, c’est avant tout le contexte qui est déterminant. De plus, mon expérience montre que ces bloqueurs surgissent principalement en situation de stress, rarement dans le cadre du mensonge. Et dans bon nombre de cas, ils ne veulent rien dire. Ils sont idiosyncrasiques, ou servent à donner du rythme au discours. Donc, méfiez-vous des raccourcis !
Voici un autre adage populaire : « Tout est écrit sur le visage ! » Et pourtant, les études montrent que les individus qui jugent le mensonge uniquement sur la base des indicateurs faciaux ne font pas mieux que le hasard. Le visage est la partie du corps la moins fiable. Pourquoi ? Simplement parce que, depuis notre plus jeune âge, on nous dicte et on nous apprend à contrôler notre visage. « Fais un sourire à ta grand-mère », « Arrête de faire la gueule ! », « Montre-lui que son cadeau te plaît surtout ! ». Par conséquent, nous devenons des champions de la mascarade. Notre habilité à contrôler nos muscles faciaux ne serait pas aussi développée sans cet apprentissage culturel et éducationnel.
Regardez maintenant les joueurs de poker. Conscients que leur visage pourrait les trahir, ils adoptent le poker face, qui consiste à ne rien laisser transparaître. Le seul problème, c’est qu’un visage dénué d’émotions masque forcément quelque chose.
Le visage est fascinant. Je ne dis pas cela parce qu’il s’agit de ma partie préférée quand je dois lire quelqu’un, mais parce que les possibilités de combinaisons sont presque illimitées. C’est la partie la plus modulable de notre corps, où se réunissent expressions, émotions, réponses physiologiques, activation musculaire, regard et langage. Quoi de mieux que de tels ingrédients pour détecter le mensonge ?
La PNL et la direction du regard | ![]() |
Richard Bandler et John Grinder ont entrepris de modéliser, dans les années 1970, les modes de communication des super-orateurs. Leur objectif était de créer des outils dont chacun pourrait profiter dans le cadre de ses relations interpersonnelles. Ils nommèrent cette méthode révolutionnaire la programmation neurolinguistique, plus connue sous le nom de PNL. Depuis, elle est utilisée par nombre de coaches en tout genre, notamment concernant le développement personnel.
Parmi la panoplie des techniques proposées, Bandler et Grinder se sont intéressés à la direction du regard et son rapport au mensonge. Ils ont ainsi conclu qu’il existait chez l’être humain six directions du regard porteuses de sens :
La construction traduirait donc le mensonge, qu’elle soit auditive ou visuelle, alors que la mémoire refléterait la vérité. J’ai personnellement testé cette grille de lecture sur des centaines de sujets. Malheureusement, le niveau de fiabilité est très faible. Ce constat est également partagé par de nombreux experts sur le mensonge. Donc prudence, si vous décidez d’appliquer à la lettre cette méthode. Vous innocenterez très certainement des coupables, et vice versa.
Si je peux vous donner un conseil, observez simplement la direction du regard, dès lors que vous posez une question. Généralement, une personne porte son regard dans une direction de prédilection quand vous l’interrogez. Si une question provoque un regard dans une direction opposée, alors creusez !
Outre les manifestations de distanciation, proches de celles du torse, qui se traduisent par le détournement, le roulement des lèvres ou l’enfouissement de la tête derrière les cheveux par exemple, le visage est d’une richesse inégalée pour détecter le mensonge. Il sera abordé volontairement plus largement dans la section « Les expressions faciales : distinguer le vrai du faux ? ». Nous verrons que nous pouvons faire bien mieux que le hasard si nous savons quoi et où regarder.
Nous utilisons tous notre gestuelle pour accompagner notre discours. Il peut s’agir d’une paume tournée vers le haut en même temps que nous proposons à quelqu’un de s’asseoir, l’index levé, alors que nous réclamons de l’attention, ou un haussement d’épaules pour accompagner une réponse incertaine. Ces gestes que nous faisons, sans même nous en rendre compte, sont nommés des illustrants. Comme leur nom l’indique, ils permettent d’illustrer le discours.
À noter
Dans l’analyse de la crédibilité des ultimatums et menaces, quand je forme à la négociation complexe, j’invite toujours les participants à porter un regard attentif à cette variable, notamment en projetant des vidéos tournées en caméra cachée. Dans plus de 80 % des cas, les ultimatums ou menaces feints se traduisent par une diminution marquée des illustrants.
Dans le cadre de la lecture comportementale, ces illustrants sont doublement précieux.
Quand vous établissez une baseline, un élément clé à considérer est la gestuelle. Vous devez être en mesure d’évaluer rapidement si la personne use de ses bras et de ses mains régulièrement et amplement, comme le font beaucoup les Italiens, ou très peu, comme les Japonais. Après avoir construit la baseline, ce seront les écarts inférieurs qu’il faudra observer, c’est-à-dire si la gestuelle tend à diminuer par rapport au comportement de base lors de l’exposition de sujets litigieux. Le cas échéant, il est probable que la personne ment.
Ce que nous pouvons également exploiter des illustrants réside dans la coordination entre ce que le sujet exprime et ce qu’il manifeste. Sauf pathologie ou tics comportementaux, quand vous donnez du relief à ce que vous dites, vos bras se meuvent en harmonie avec votre propos ou ce que vous ressentez. Ainsi, si vous êtes en colère, vos mouvements deviendront rapides, secs, voire même saccadés. À l’inverse, quand vous tentez de rassurer quelqu’un, vous faites usage de gestes souples et lents. Quand il existe un manque de coordination entre les deux modes expressifs, alors ce conflit peut être grandement révélateur. À titre d’exemple, lors d’une négociation, mon interlocuteur s’était mis en colère pour prendre le dessus. Ses mots étaient volontairement durs et son visage ridé d’agressivité. Le souci, c’est que sa gestuelle n’avait pas suivi. Elle était restée strictement identique à sa baseline. De plus, les vraies colères qu’il avait pu manifester lors de négociations précédentes s’étaient traduites par des poings serrés, des gestes brusques et des pincements de doigts. La colère était effectivement simulée.
Les emblèmes sont des gestes que nous réalisons, et qui, de par leur signification spécifique, peuvent se substituer aux mots. Ils sont reconnus de tous au sein d’une même culture. Si je me tiens au bord d’une route, que je tends mon bras en fermant le poing et en relevant le pouce, n’importe quel automobiliste saura que je fais du stop. Personne ne s’arrêtera pour me demander pourquoi je fais ce geste. Je n’ai donc pas besoin de l’accompagner de la parole.
Les emblèmes sont modelés culturellement. Un geste issu d’une culture n’aura pas forcément la même signification dans une autre. Ainsi, le zéro, réalisé en joignant le pouce à l’index, signifie « OK » pour les Occidentaux, alors qu’il veut dire « argent » pour les Japonais. La culture doit donc toujours être intégrée avant d’analyser la portée d’un geste.
Dans quelle mesure un emblème peut-il être utile en lecture comportementale ? Pour y répondre, voici le résultat d’une expérience, des plus intéressantes, réalisée par Paul Ekman. Aux États-Unis, l’entrée en école supérieure requiert un entretien préalable entre les étudiants et leur professeur, au cours duquel ceux-ci sont tenus d’exposer leurs motivations et leurs souhaits. Ekman a demandé à un professeur complaisant de manifester du dégoût lors de chaque entretien qu’il aurait avec ses étudiants. De plus, il était tenu de formuler des commentaires désagréables ou d’interrompre les étudiants chaque fois qu’il le jugeait utile. Le but était de faire monter la colère en eux, sachant qu’ils étaient tous contraints de la réprimer, compte tenu de l’enjeu que représentait l’entretien pour eux. Lors de l’expérience, Ekman aperçut l’un des étudiants faire un doigt d’honneur au professeur. L’étudiant concerné et le professeur, tous deux surpris, nièrent en bloc ce qu’Ekman avait pu observer, pendant la phase de débriefing. La totalité de l’expérience ayant été filmée, les deux protagonistes durent reconnaître que l’étudiant avait bien fait un doigt d’honneur à son propre professeur. Qu’est-ce que nous révèle cette expérience ? Que, par moments, nos sentiments sont tellement forts qu’ils « transpirent » de notre comportement.
Il y a quelques années, j’accompagnais un membre de mon équipe en rendez-vous de négociation. Notre interlocuteur, d’une éducation rare et d’un calme toujours olympien, écoutait sans broncher les propos de mon collaborateur, le sourire aux lèvres accompagné de hochements de tête réguliers. Cependant, sous la table, je pouvais distinguer son poing droit tellement serré que les jointures de ses doigts étaient blanches. Le poing serré est un emblème reconnu de tous, car il accompagne très souvent la colère. En réalité, il masquait son énervement derrière une posture avenante.
Trahi par... ses manipulatoires
Dès lors que nos mains touchent notre corps, nous pouvons parler de « manipulatoires ». Il peut s’agir de se caresser le cou, de se gratter l’avant-bras, ou encore de se curer les ongles. Les exemples sont légion. Nous avons nos propres manipulatoires inscrits dans notre baseline et nous en développons de nouveaux quand nous sommes sous l’effet du stress.
Contrairement aux idées reçues, les manipulatoires ne sont pas des indicateurs de tromperie fiables et ce, pour deux raisons principales. La première, c’est que les individus soumis au stress augmentent, presque sans exception, leurs manipulatoires, au même titre que des personnes particulièrement enjouées. Comparez une personne venant de gagner au loto et une personne honnête passant un interrogatoire. Vous verrez très certainement autant de manipulatoires chez l’une que chez l’autre. La seconde raison tient au fait que, tout comme pour le contact oculaire, il est très aisé d’adopter des contre-mesures pour paraître crédible. Ainsi, pour ce faire, des menteurs feront en sorte de maintenir le contact oculaire et supprimeront leurs manipulatoires. Ces contre-mesures, de par leur facilité de mise en œuvre, rendent les manipulatoires peu exploitables.
Un élément cependant intéressant à considérer est la tentative de blocage des manipulatoires. Quand les personnes sont joyeuses, leurs manipulatoires augmentent et il est rare qu’elles souhaitent les réprimer. Nous sommes rarement punis pour avoir voulu communiquer notre joie. A contrario, des personnes soumises au stress peuvent décider de contenir leurs manipulatoires pour paraître à l’aise. Néanmoins, cette tentative de contrôle produira très souvent des comportements rigides. Cela peut se traduire par des bras trop proches du corps, des mains trop immobiles ou adoptant une position non naturelle. Encore une fois, observez bien le comportement expressif par rapport à sa baseline. Ce sera votre meilleur allié !
C’est dans les années 1990 que naquit mon véritable intérêt pour les expressions faciales. J’étais étudiant le jour et joueur de poker la nuit. Durant ces longues parties privées parisiennes, je tentais d’analyser le comportement de mes adversaires et d’interpréter leurs expressions faciales. Chaque fois que je me couchais (au poker), au lieu de commenter la partie ou d’aller chercher à boire, je fixais les joueurs à la recherche de manifestations universelles. Je m’efforçais surtout de savoir s’il y avait dans le bluff un comportement commun, aussi subtil soit-il, à tous les joueurs que je pouvais affronter. Mes années d’observation me permirent d’obtenir quelques réponses, mais insuffisantes pour étancher ma soif d’apprentissage. À force de persévérer dans cette voie, c’est une autre qui s’ouvrit à moi. Je remarquai alors que, dans les situations de stress important, quand le pot était composé de plusieurs centaines de francs, les joueurs qui ne supportaient pas la pression étiraient la commissure de leurs lèvres vers leurs oreilles. La bouche ne s’ouvrait pas forcément, mais les lèvres se rétractaient nécessairement. Que pouvais-je tirer de cette information ? Honnêtement, je n’en ai pas fait grand-chose, jusqu’au jour où j’ai découvert, des années plus tard, les travaux réalisés par un certain Paul Ekman et Wallace Friesen sur les expressions faciales. Leur ouvrage Unmasking the Face3 me permit, au bout de quelques pages, de répondre à la question que je m’étais posée. Les joueurs manifestaient de la peur malgré eux, en étirant leurs lèvres.
Donnez un pourboire au croupier ! | ![]() |
Repérer les émotions exprimées par le croupier peut considérablement augmenter vos chances de gagner au black jack. Comment est-ce possible ?
Je vais vous révéler une technique que j’ai beaucoup utilisée aux États-Unis, essentiellement dans des cercles de jeux et casinos de seconde zone. Cette méthode me vient de Steve Forte, que je considère comme le plus grand expert de la triche aux jeux et, de loin, le plus grand manipulateur de cartes au monde. Dans son livre Read the Dealer4, il décrit la façon dont certains croupiers au black jack livrent des informations malgré eux. Ainsi, à ce jeu, le croupier prend rapidement connaissance de sa carte cachée à l’insu des joueurs avant de leur distribuer les cartes supplémentaires qu’ils demandent. Connaître la valeur de cette carte cachée constituerait un avantage indicible pour tous les joueurs, puisqu’ils jouent tous contre le croupier.
Un moyen de le découvrir est d’impliquer le croupier émotionnellement dans la partie. Il ne faut pas se le cacher ; être croupier, c’est répétitif et assommant. Que les joueurs gagnent ou perdent, que le casino gagne ou perde, cela ne change rien pour lui. Maintenant, si vous commencez par le complimenter quand il vous bat, que vous lui donnez un pourboire, que vous lui demandez des conseils, que vous êtes bon joueur, une relation privilégiée s’établira entre vous et lui. Le fait d’être avenant et sympathique induira une réciprocité subtile. Et c’est précisément à ce moment-là qu’il est primordial de lire le croupier.
S’il est judicieux pour vous de demander une carte supplémentaire par rapport à ce que détient le croupier, il positionnera sa main de donne au niveau du paquet, comme pour vous signifier « prenez cette carte ». Dans le cas contraire, sa main se positionnera à distance du jeu, au niveau du torse.
Ce qui est génial, c’est que l’inverse fonctionne parfaitement. Vous pouvez décider de vous aliéner le croupier en étant mauvais joueur, en critiquant le casino ou en faisant des remarques déplaisantes. Le croupier adoptera des positions de mains contraires, pour faire en sorte que vous perdiez.
Le livre de Steve Forte est sorti en 1986 et a eu l’effet d’une véritable bombe dans le milieu. Si bien que la plupart des casinos ont décidé de changer leur mode opératoire, en n’autorisant plus le croupier à avoir accès à sa carte cachée.
Il reste encore quelques tables dans des petits casinos et cercles de jeux, tenues par de jeunes croupiers qui ignorent totalement ces techniques. Quand ils veulent vous aider malgré eux, outre la position de leurs mains, leurs visages révèlent des expressions particulièrement identifiables. À bon entendeur, salut !
On ne peut s’attarder sur les expressions faciales sans évoquer les remarquables découvertes de Paul Ekman.
C’est Darwin, au XIXe siècle, qui a conjecturé le premier que les expressions faciales des émotions n’étaient pas le produit de l’acculturation mais, au contraire, de la détermination biologique. Cette thèse insinuait donc que l’activation musculaire faciale, propre aux sentiments, s’effectuait sans la nécessité d’apprendre au contact de l’autre. Autrement dit, que nos expressions faciales, pour traduire nos émotions, étaient innées.
De nombreux anthropologues s’insurgèrent contre cette approche, remettant en cause cette découverte déterminante. L’opinion publique était déroutée.
Au siècle suivant, Paul Ekman entreprit de prouver les révélations de l’homme qu’il avait toujours admiré. Il conduisit une première expérience auprès d’étudiants américains et japonais, en leur projetant des films d’horreur. Les deux cultures réagirent en activant les mêmes muscles faciaux, lors des séquences particulièrement effrayantes. Puis, il sollicita différentes nationalités (des Américains, des Brésiliens, des Chiliens, des Argentins et des Japonais), en leur demandant d’identifier les expressions faciales d’individus photographiés. Tous reconnurent les émotions exprimées au travers des expressions faciales. Pour aller encore plus loin, il rencontra les membres d’une tribu reculée de Papouasie-Nouvelle-Guinée, de tradition orale. Ils identifièrent également les émotions des individus photographiés. Ils en conclurent que certaines émotions étaient donc universelles.
Paul Ekman a identifié sept expressions faciales d’émotion, universellement reconnues de tous : la peur, la colère, la joie, le dégoût, la surprise, le mépris et la tristesse. Quels que soient votre éducation, votre âge, votre culture, votre nationalité, votre environnement, votre genre, ou encore votre religion, vous activerez les mêmes muscles faciaux pour produire une de ces sept émotions.
En quoi l’expression faciale peut-elle trahir le mensonge ?
Avant toute chose, les expressions faciales ne sont pas des indicateurs de mensonge. Il n’existe aucune expression faciale que l’on puisse lier au mensonge et ceci, même si vous avez pu lire le contraire. Nos expressions faciales traduisent simplement notre état émotionnel, c’est-à-dire ce que nous ressentons au moment de leur expression. La pointe interne de mes sourcils remonte, ma lèvre est tremblante et mon visage semble s’affaisser ? Si vous en concluez que c’est de la tristesse, vous avez raison. Je n’ai pas besoin de verbaliser mon ressenti pour que vous soyez en mesure de déterminer mon émotion. Maintenant, si je vous dis que je suis triste, mais que mon visage ne semble pas relayer cette émotion, compte tenu d’une mauvaise activation musculaire, me croirez-vous ? J’en doute. C’est précisément ce manque de coordination entre ce que je peux exprimer verbalement et mon empreinte émotionnelle faciale qui traduit le manque de sincérité.
La fiabilité d’une émotion se reflète par une activation coordonnée et groupée des muscles faciaux concernés. Le manque de fiabilité s’exprime, a contrario, soit par une mauvaise activation musculaire, soit par la non-sollicitation de certains muscles. Au regard de ce constat, il est primordial de connaître l’activation musculaire de chaque expression faciale universelle pour pouvoir évaluer sa crédibilité.
Je vous propose de couvrir l’ensemble des sept émotions à l’aide de photographies. Pour chaque émotion, vous trouverez les compléments d’information spécifiques suivants.
À noter
Comprendre l’activation musculaire de chaque émotion permet de contrôler sa fiabilité quand elle est exprimée au niveau du visage.
Expression faciale intense
Nous allons décrire, de façon exhaustive, les muscles et leur activation, qu’il convient d’observer pour attester la véracité d’une émotion. Les photos révèlent volontairement des expressions faciales correspondant à une émotion intense, pour mettre en valeur et de façon prononcée l’ensemble du groupe musculaire. Même si ces expressions faciales sont rarement complètes dans des situations à forts enjeux – nécessité de les réprimer ou de les neutraliser, de peur de trop se livrer –, il est primordial de les connaître par cœur. D’une part, cela vous permet d’identifier n’importe quelle émotion de base en moins d’une seconde. D’autre part, en connaissant la zone expressive d’une émotion, si l’expression faciale est réprimée, souvent elle est tout de même perceptible par l’activation d’un des muscles de l’émotion concernée. À titre d’exemple, la pointe interne des sourcils qui remonte, est une fuite émotionnelle propre uniquement à la tristesse. Si vous savez que la tristesse se manifeste, entre autres, par l’activation de ce muscle, en constatant une expression faciale contenue (uniquement la pointe interne des sourcils), vous confirmerez en un coup d’œil qu’il s’agit bien de la tristesse.
Les fuites émotionnelles
Parfois, nous exerçons un contrôle sur notre visage en vue de réprimer totalement ou partiellement une expression faciale naissante qui accompagne une émotion forte. C’est souvent le contexte qui ne permet pas à l’expression faciale de s’exprimer en totalité. Vous assistez alors à une expression faciale incomplète par rapport à ce qu’elle devrait être pour traduire l’émotion ressentie. Ainsi, vous pourrez, par exemple, observer une ou deux activations, au lieu des quatre normalement affichées s’il n’y avait pas volonté de les contenir.
À noter
Contrairement aux micro-expressions, ces expressions faciales incomplètes sont durables et beaucoup plus faciles à détecter.
Nous allons faire état des fuites émotionnelles, c’est-à-dire les indices visibles les plus communément observés.
Les indices de tromperie
Les personnes qui cherchent à simuler certaines émotions activent de mauvais muscles faciaux, omettent de solliciter certains muscles déterminants, ou affichent simplement une désynchronisation entre ce que le corps exprime et ce que le visage reflète. En règle générale, ce sont les mêmes erreurs qui reviennent.
Nous allons recenser les zones et les muscles qu’il convient d’observer pour vérifier la véracité des émotions affichées, et nous attarder sur la notion de timing quand elle est particulièrement pertinente pour certaines émotions.
Une expression neutre est un visage dénué d’émotion. C’est la photo qui figure sur votre carte d’identité. N’hésitez pas à comparer les sept expressions faciales universelles à l’expression neutre afin d’apprécier l’activation musculaire propre à chaque émotion.
Expression faciale intense
La tristesse s’exprime par un affaissement général du visage. Les lèvres peuvent être tremblantes, ou les commissures tirées vers le bas. Tout dépend de l’intensité de l’émotion et de la manifestation idiosyncrasique. Les narines, quant à elles, se dilatent par intermittence. En continuant de remonter sur le visage, les yeux perdent généralement le contact oculaire et tendent à fixer le sol. Les paupières supérieures tombent, ce qui a tendance à obstruer le champ de vision. La pointe interne des sourcils remonte, provoquant des rides verticales entre ces derniers et des rides horizontales au milieu du front.
Les fuites émotionnelles
Dans les situations à forts enjeux, les fuites émotionnelles sont fréquentes. Envisager les conséquences de ses actes lors d’un interrogatoire, ne pas prendre le recul nécessaire face aux insultes de la partie adverse en négociation, ou encore découvrir, lors d’un entretien, qu’un autre candidat a été sélectionné peut provoquer de la tristesse. Dans tous ces exemples, la tristesse sera dissimulée pour des raisons évidentes de crédibilité. Cependant, il n’est pas rare d’observer des fuites émotionnelles. La première, communément observée, se situe au niveau de la bouche. Les commissures des lèvres pointent alors légèrement plus bas que la baseline, comme si elles épousaient un subtil arc de cercle. Également, il est nécessaire de regarder les sourcils, de précieux indicateurs. Très peu de personnes sont capables de remonter la pointe interne de leurs sourcils volontairement. Ce qui signifie que ce muscle est fiable, puisque difficilement simulable. Dès lors que les pointes internes des sourcils remontent, interrogez-vous sur la raison d’une telle émotion par rapport au contexte. Et, enfin, une augmentation de la fréquence de déglutition, associée à une dilatation des narines plus régulière, peut traduire une tristesse réprimée.
Les indices de tromperie
Les individus, en recherche active de compassion dans le but d’adoucir un jugement ou d’attirer les regards, peuvent avoir recours à la tristesse simulée. C’est solliciter le cœur, au lieu de la raison. Les muscles buccaux étant les plus simples à activer (testez vous-même), ce seront les premiers qui se mettront en route. Généralement, la lèvre inférieure tentera de s’archer, sous la pression musculaire. Habituellement cette pression est trop marquée, ce qui déforme la lèvre de façon exagérée.
À noter
Attention à certains sujets dont le front ne se marque pas de rides, même sous l’effet intense de la tristesse.
Cela correspond simplement à leur morphologie.
La tristesse véritable se traduit par la production de rides horizontales au milieu du front. En cas de tristesse feinte, les rides sont très souvent absentes, le front ne présentant aucune différence par rapport à un visage sans émotion.
Un dernier indice : observez les pointes internes des sourcils. Si elles ne se relèvent pas quand la personne manifeste de la tristesse, il est très probable que l’émotion est fausse.
Expression faciale intense
La joie est une émotion liée au plaisir. Contrairement à certaines idées reçues, elle ne se manifeste pas uniquement par l’activation du muscle buccal, le zygomatique majeur, qui provoque le sourire en remontant les commissures des lèvres et les pommettes. Il est également nécessaire d’activer le muscle oculaire, l’orbiculaire de l’œil, qui plisse les yeux et génère des pattes-d’oie aux coins des yeux.
C’est précisément la contraction simultanée de ces deux muscles qui révèle un véritable sourire. Le premier à l’avoir identifié est le neurologue français Guillaume-Benjamin Duchenne, plus connu sous le nom de Duchenne de Boulogne, via des expérimentations électriques réalisées sur le visage d’un sujet paralysé. Le véritable sourire est ainsi nommé « sourire de Duchenne » en son honneur.
Les fuites émotionnelles
La joie est l’expression faciale la plus aisée à reconnaître. En effet, le haussement des commissures des lèvres est mondialement associé à une émotion positive. L’identification est tellement forte que le sourire entraîne la contagion, provoquant des sourires en retour, sauf si le sujet est aliéné.
À noter
Certains faux sourires peuvent tout de même provoquer des pattes d’oie aux coins des yeux, quand ils sont fortement prononcés. Ce qui permet de les distinguer des vrais sourires, c’est l’affaissement des sourcils. Dans les véritables sourires, les sourcils s’abaissent pour accompagner le plissement des paupières. Ce n’est pas le cas dans les faux sourires marqués.
La fuite émotionnelle la plus courante se manifeste par une légère remontée des commissures. Dans la plupart des cas, les dents ne sont pas exposées, la personne tâchant de réduire son empreinte faciale. Ce n’est pas pour autant que la bouche reste fermée. Elle peut très bien être ouverte légèrement. C’est l’idiosyncrasie qui est déterminante dans ce cas. Certains individus ont une propension plus importante à garder la bouche ouverte que d’autres.
Les indices de tromperie
Quand le sourire est marqué, sans que la zone oculaire soit activée, le sourire est faux. Ce sont les plissements au niveau des yeux qui déterminent la fiabilité d’un sourire. Le faux sourire est l’expression faciale la plus communément utilisée pour masquer certaines émotions ou faire passer des messages spécifiques. C’est sa simplicité d’activation, le zygomatique majeur uniquement, qui fait de lui un outil à la portée de tous. Comme le sourire est universellement associé à une émotion positive et, qui plus est, provoque en retour l’empathie, il est largement employé par les arnaqueurs et prédateurs en tout genre, pour mettre de l’huile dans les rouages des relations sociales.
Et, enfin, observez le timing. Un sourire qui apparaît aussi vite qu’il disparaît est un faux sourire. C’est le fameux « sourire commercial ». Comme toute véritable émotion, le sourire se forme et se ferme en douceur.
Expression faciale intense
La colère est une émotion négative. Elle se manifeste par l’abaissement des sourcils, qui se rejoignent au niveau de la naissance du nez. Ceci provoque des rides verticales entre les sourcils et réduit le champ de vision. Le regard est fixe et figé. Au niveau de la bouche, la colère peut se traduire de deux façons différentes. Soit les lèvres se pressent l’une contre l’autre, ce qui les enroule pour les faire légèrement disparaître ; soit elles s’ouvrent violemment, en s’étirant verticalement de façon diamétralement opposée, provoquant un carré grossier et laissant apparaître les dents.
À noter
Attention cependant à ne pas confondre cette activation subtile des sourcils avec de la détermination ou de l’interrogation, lesquelles se traduisent exactement de la même manière. Il sera alors nécessaire de considérer le contexte et le cœur de la discussion pour comprendre la raison de ce froncement de sourcils.
Les fuites émotionnelles
Il est nécessaire d’observer en priorité les lèvres pour démasquer une colère réprimée. Bon nombre de personnes sont capables de contrôler l’ensemble de leur visage, surtout quand elles ne sont pas amenées à parler. C’est le fameux poker face. Cependant, quand les gens sont en colère et qu’ils doivent s’exprimer sans pour autant la montrer, les lèvres tendent à se rétrécir et à se replier sur elles-mêmes. Cette action étant difficilement simulable, l’indice de fuite émotionnelle est par conséquent considéré comme fiable.
Également, dans une moindre mesure, l’abaissement involontaire des sourcils peut traduire la colère. Celle-ci cherchant àêtre réprimée par le sujet, ce mouvement sera discret et de faible intensité.
Les indices de tromperie
Il existe deux indices de tromperie majeurs. Le premier émane d’une contraction musculaire exagérée et trop rapide. En effet, le sujet souhaitant exposer aux yeux de tous sa colère peut choisir d’abaisser fortement ses sourcils et de presser tout aussi fortement ses lèvres l’une contre l’autre. Au-delà de la tonicité musculaire importante, c’est la soudaineté qui révèle la tromperie. Au même titre que le véritable sourire, la colère prend naissance doucement pour s’estomper lentement.
Le second indice de tromperie est lié au verbal. Quand vous vous mettez en colère et que vous la laissez s’exprimer verbalement, l’expression faciale se dessine avant le flot de paroles. Mécaniquement, l’émotion vous submerge, elle « transpire », entre autres, sur votre visage, puis vous la verbalisez pour vous soulager. Dans le cas d’une colère feinte, l’expression faciale se forme après les premiers mots sortis de la bouche. J’observe fréquemment cette disharmonie en négociations sensibles, où la partie adverse simule la colère pour prendre l’ascendant. En interrogatoires, je l’ai également souvent observée auprès de sujets qui usaient de la fausse colère pour générer le doute et s’acheter de la crédibilité.
Expression faciale intense
La surprise se manifeste par le haussement involontaire des sourcils, qui adoptent individuellement la forme d’une arche. La zone du front se rétrécit. Des rides horizontales courent sur toute la zone frontale. Les yeux sont grands ouverts sous la pression musculaire de la paupière supérieure qui s’étire vers le haut, et de la paupière inférieure qui s’étire vers le bas. Ceci permet de rendre la sclère encore plus visible. Dans certains cas, elle est observable au-dessus et en dessous de l’iris. La bouche s’ouvre, sans aucune pression musculaire. Elle est bée.
Les fuites émotionnelles
Il existe deux fuites émotionnelles majeures, permettant de révéler une surprise contenue ou masquée. La première se produit généralement au niveau de la bouche. Pour réprimer une surprise, il est aisé d’exercer un contrôle total au niveau de la partie supérieure du visage. Certes, le visage pourra paraître figé, mais, en tout cas, la surprise ne sera pas visible. C’est l’abaissement discret et lent de la lèvre inférieure, ouvrant légèrement la bouche, qui peut trahir la surprise ressentie. Le mouvement est subtil, mais suffisamment significatif pour provoquer une bouche bée.
À noter
Attention néanmoins à certains sujets atteints de cataplexie, dont le visage peut se figer longuement sur une expression de surprise. Cela reste relativement rare, fort heureusement.
La seconde fuite se trouve au niveau des yeux. En tentant de dompter la surprise, et ainsi de ne rien laisser paraître, surtout au niveau des sourcils et de la bouche, éléments significatifs de la surprise, les yeux peuvent se « gonfler », sous l’étirement opposé des paupières. Ainsi, la sclère se fait plus visible et le champ de vision est élargi. Ici encore, le mouvement est léger, mais il peut trahir une surprise volontairement contenue.
Les indices de tromperie
La surprise est facilement simulable. Faites l’exercice vous-même. Activer les muscles relatifs à la surprise ne requiert aucun apprentissage. Cependant, tout comme pour le faux bâillement, la durée est déterminante. La surprise est une émotion brève, liée à la soudaineté des informations reçues. Ainsi, une empreinte faciale durable de surprise est très probablement feinte.
Je constate également, régulièrement, dans le cadre des surprises simulées, une activation musculaire buccale. Contrairement à la peur, la surprise ne sollicite pas les muscles liés à la bouche. Ainsi, certains individus forcent l’ouverture de leur bouche, en actionnant la mâchoire inférieure, pour paraître surpris.
Expression faciale intense
La peur se traduit par le haussement involontaire des sourcils qui se rejoignent. Des rides apparaissent sur le front. La paupière inférieure est tendue, alors que la paupière supérieure est relevée, exposant la sclère au-dessus de l’iris. Les yeux sont ainsi écarquillés et figés. La bouche est ouverte, et les commissures des lèvres sont tirées latéralement vers les oreilles.
Les fuites émotionnelles
Les fuites émotionnelles liées à la peur apparaissent très souvent au niveau des lèvres et de la zone oculaire. La peur cherchant à être contenue, le visage tend à être tendu et figé. La bouche cependant, même fermée, peut s’étirer vers l’arrière, latéralement ou vers le bas. Les lèvres ont ainsi une forme un peu plus épatée, voire sont déformées.
Il est également nécessaire d’observer les yeux. Si les sourcils peuvent être facilement contenus pour réprimer la peur, la paupière supérieure peut se relever, alors que la paupière inférieure se tend. Ce mouvement est généralement accompagné d’un regard fixe et d’une diminution de la fréquence du clignement des yeux.
À noter
Attention cependant aux individus qui, compte tenu de leur morphologie, ne produisent jamais de rides horizontales, même quand ils sont réellement sous l’emprise de la peur. Cela fait simplement partie de leur répertoire idiosyncrasique.
Les indices de tromperie
Afin de simuler la peur, les individus activent généralement les muscles buccaux pour étirer les lèvres vers l’arrière, et les muscles oculaires pour remonter les sourcils. Cette opération est à la portée de n’importe quel être. Cependant, dans de nombreux cas, les individus oublient de produire des rides horizontales sur le front. Par conséquent, le front est vierge, comme dans le cas d’une expression neutre. Paradoxalement, certains sont conscients de la nécessité de « manufacturer » des rides frontales, mais sont incapables de le faire délibérément. Ce manquement ou cette défaillance peut être un précieux indicateur de fiabilité.
Au même titre que la surprise, il est courant de voir des peurs feintes se manifester par une accentuation démesurée des muscles faciaux, notamment l’étirement excessif des lèvres. Regardez simplement des films de série B interprétés par des acteurs médiocres. L’expression faciale est très souvent disproportionnée par rapport au caractère de l’événement déclencheur.
Expression faciale intense
Le mépris est la seule expression faciale universelle unilatérale. C’est également très certainement l’expression faciale la plus facile à reconnaître, dès lors que l’on a intégré les manifestations singulières de chaque émotion. Le mépris se traduit par le relèvement d’une des deux commissures des lèvres, ce qui produit un demi-sourire en coin. Le reste du visage reste inerte, ou il est possible d’assister à un léger plissement des yeux.
Les fuites émotionnelles
Le mépris accompagne très souvent la fierté, la vanité ou l’arrogance. Toutes ces expressions reflètent la supériorité ou la prise de hauteur recherchée. Le sujet s'évertue avant tout à s’élever au-dessus de l’autre. C’est la tête qui est très fréquemment sollicitée, par l’action du relèvement du menton, pour afficher la condescendance. Ce mouvement peut être volontaire ou involontaire. Quelle que soit son origine, le haussement de la tête, aussi subtil soit-il, est un précieux indicateur de mépris, s’il est interprété dans un contexte significatif. Bien entendu, un individu qui lève la tête pour regarder vers le ciel ou réfléchir n’a rien à voir avec le mépris. Encore une fois, le contexte social doit être considéré en premier lieu.
Une seconde fuite émotionnelle peut se traduire par la rapidité d’apparition et de disparition du relèvement de la commissure. C’est ce que l’on appelle une micro-expression. Le muscle est activé en une fraction de seconde, puis se remet en place aussitôt. Sachant que cette expression faciale ne sollicite qu’un seul muscle, il est très facile de réprimer l’émotion quand elle surgit. Cependant, elle laisse toujours une empreinte faciale rapide, tel un flash, qu’il convient de capturer.
Les indices de tromperie
Comme vous vous en doutez, le mépris est l’expression faciale la plus simple à simuler. Dès son plus jeune âge, un enfant qui comprend vos propos peut remonter l’une des commissures de ses lèvres. Par conséquent, il est impossible de distinguer, du point de vue facial, le mépris véritable du mépris feint. Si le visage ne peut être fiable, il est toujours nécessaire de considérer l’émotion par rapport au contexte ou au discours. Lors d’une audition à laquelle j’assistais dans le cadre d’une fraude financière, le suspect affichait de la peur, perceptible dans sa diction et sur son visage. Cependant, par moments, dans l’objectif de reprendre la main et de montrer qu’il était insensible aux conséquences de ses actes, il adoptait des expressions de mépris. Dans son cas, le mépris était utilisé comme expression faciale de substitution pour masquer la peur. Son activation musculaire était parfaite mais, du fait d’être hors contexte, elle était tout simplement simulée.
Expression faciale intense
Le dégoût se traduit par le relèvement de la lèvre supérieure et des ailes du nez. Ce dernier est retroussé, ce qui laisse apparaître des rides sur toute sa longueur. Les sourcils s’abaissent simultanément, contribuant à plisser les yeux et à réduire le champ visuel. La bouche peut être ouverte, ou les lèvres simplement restées collées. Dans les deux cas, c’est le muscle releveur de la lèvre supérieure qui remontera l’ensemble de la partie buccale.
Les fuites émotionnelles
La fuite émotionnelle la plus couramment observée se situe au niveau de la zone buccale. La lèvre supérieure remonte involontairement, élargissant les ailes du nez. Nombre de personnes utilisent la parole pour masquer le dégoût. Conscientes que le visage active des muscles faciaux insignifiants pour ponctuer le discours et lui donner du relief, elles « noient » leur dégoût dans le flot musculaire et verbal. Cependant, sauf si cela fait partie de leur idiosyncrasie, personne ne remonte sa lèvre supérieure pour illustrer son discours. C’est une fuite émotionnelle du dégoût. Observez simplement une personne qui refuse les avances d’une autre poliment. Si le visage peut marquer des sourires feints pour adoucir le message, vous verrez très certainement aussi des signes de dégoût.
Il est également nécessaire d’observer la zone oculaire, notamment quand le sujet n’est pas amené à parler. Les sourcils s’abaissent légèrement, alors que les pommettes remontent. Les yeux sont, du coup, faiblement plissés. Dans de nombreux cas, la main est portée au niveau de la bouche, pour dissimuler la distorsion de la lèvre.
Les indices de tromperie
Le dégoût est aisément simulable. Tout le monde associe un pont nasal déformé et des rides sur le nez à du dégoût. C’est un emblème, comme nous avons pu le voir précédemment. Quand le dégoût est simulé, certaines personnes peuvent forcer l’action musculaire de la partie inférieure du visage, mais cependant en oubliant d’abaisser les sourcils. La bouche et le nez sont ainsi déformés, sans pourtant que la zone oculaire soit affectée.
Le dégoût peut également être utilisé pour masquer une émotion négative, telle que la colère ou la peur. Ce seront alors les empreintes faciales des émotions dissimulées qui révéleront le dégoût simulé. Ainsi, par exemple, il conviendra de s’interroger en observant la pointe interne des sourcils relevée (tristesse) associée à des lèvres rehaussées qui distordent le pont nasal. Il est très peu probable que cela soit du dégoût.
À noter
Attention cependant aux émotions mixtes (tristesse et dégoût dans ce cas précis), qui peuvent cohabiter dans un contexte où le sujet est à la fois triste et dégoûté.
Les micro-expressions : révélatrices de l’état émotionnel
Une micro-expression est l’expression brève et involontaire d’une émotion. Ces micro-expressions résultent d’émotions fortes que le sujet essaie de dissimuler ou de neutraliser. Quand la tentative échoue, une subtile empreinte apparaît sur le visage pour disparaître tout aussi rapidement. Une micro-expression dure entre 1/15e et 1/25e de seconde.
Les premiers à avoir prononcé le terme de « micro-momentary expressions » furent Haggard et Issacs, lors de l’analyse d’enregistrements de sessions psychothérapeutiques à la recherche d’indicateurs non verbaux entre thérapeutes et patients. Paul Ekman et Wallace Friesen ont repris le flambeau, en y apportant une approche scientifique et structurée. Par la suite, la série télévisée Lie to Me a fait la part belle aux micro-expressions.
Tout comme les expressions faciales, les micro-expressions ne révèlent pas la tromperie. Elles font cependant part de l’état émotionnel de la personne. L’émotion, isolément, apporte peu dans le cadre de la détection du mensonge. Toutefois, s’il existe un écart entre ce que peut exprimer une personne et ce que révèlent ses micro-expressions, alors ces dernières deviennent de véritables indicateurs de mensonge. Un individu manifestant de l’excitation apparente à l’idée de faire du saut en parachute, mais qui se trahit par des micro-expressions de peur chaque fois qu’il en parle, sera peu crédible face à des personnes capables de repérer ces micro-expressions. Néanmoins, dans près de 99 % des cas, la performance de cette personne sera jugée crédible, tout simplement parce que nous sommes peu ou pas formés pour les détecter.
Il existe deux prérequis chronologiques à l’apprentissage des micro-expressions. D’une part, il est nécessaire de connaître la manifestation musculaire de chaque expression faciale d’émotion, et, d’autre part, d’apprendre à les détecter.
J’ai volontairement abordé les expressions faciales universelles des émotions avant de plonger dans les micro-expressions. Ceci afin de se familiariser avec l’expressivité musculaire de chaque émotion. Il est primordial de connaître parfaitement la manifestation d’une émotion sur un visage pour pouvoir ensuite interpréter ce que l’on perçoit en l’espace d’une fraction de seconde. Si, par exemple, vous détectez des lèvres qui se pincent subrepticement, mais que vous n’êtes pas capable d’en conclure qu’il s’agit très probablement de la colère, alors votre compétence visuelle sera réduite à néant. Donc, encore une fois, apprenez par cœur les expressions faciales des émotions.
Une fois cette phase appropriée, il faut simplement aguerrir l’œil, c’est-à-dire le former à repérer ces micro-expressions qui nous passent sous le nez la plupart du temps. J’appelle ce phénomène d’apprentissage le « calibrage oculaire ». Bien évidemment, l’expérience est le meilleur moteur pour progresser. Et l’expérience s’acquiert dans des situations à forts enjeux. Plus les enjeux sont importants, plus le visage sera enclin à produire des micro-expressions. Il existe également des outils spécifiques, dont je parlerai plus en détail dans le dernier chapitre, notamment ceux développés par Paul Ekman et présentés sur son site www.paulekman.com. À force de solliciter l’œil, il gagne en confiance et en précision, ce qui nécessite par la suite moins de concentration pour détecter les micro-expressions.
Observer la bouche pour éviter de confondre certaines expressions | ![]() |
Au cours de mes séminaires, j’ai fait le constat qu’au moins 40 % des participants tendent à confondre certaines expressions faciales. Étrangement, ce sont toujours les trois mêmes groupes d’émotions qui prêtent à confusion.
Je me suis donc autorisé ce petit encart afin de mettre en exergue les différences majeures qu’il convient d’observer pour éviter tout écueil.
La colère et le dégoût
Ces deux émotions sont dites « négatives » puisqu’elles traduisent des sentiments liés au déplaisir. Elles se manifestent respectivement par l’affaissement des sourcils, l’élément majeur provoquant la confusion. Si la zone oculaire est, en réalité, sollicitée différemment pour ces deux expressions (voir le détail des expressions faciales), il est surtout recommandé d’observer la bouche pour distinguer la colère du dégoût. Dans la colère, la lèvre supérieure ne remonte pas, le pont nasal n’est pas déformé et il n’y a pas de rides sur le nez, contrairement au dégoût. La bouche est donc le premier indicateur de différenciation.
La peur et la surprise
Si ces deux émotions sont distinctes, les individus tendent à les confondre parce qu’il n’est pas rare de les voir apparaître simultanément. Quand nous sommes apeurés, nous pouvons également montrer de la surprise, si nous sommes pris en défaut. C’est à la fois le haussement involontaire des sourcils et l’ouverture de la bouche qui peuvent être trompeurs. Dans le cas de la peur, il y a une activation musculaire au niveau de la bouche, que l’on ne retrouve pas en situation de surprise. Et la surprise se manifeste par le haussement des sourcils en forme d’arche, alors qu’en situation de peur, les sourcils sont relevés également, mais se rejoignent. Tout comme le binôme colère/dégoût, la bouche se révèle être le meilleur indicateur de différenciation.
Le mépris et le dégoût
Contrairement aux deux binômes présentés ci-avant, la confusion provient avant tout de la définition des émotions, et non pas de leur manifestation. Étrangement, certaines personnes confondent dégoût et mépris, associant des visages hautains à du dégoût, et des visages écœurés à du mépris. Le mépris est synonyme de dédain ou de condescendance. Le sujet affiche sa supériorité par le relèvement d’une commissure des lèvres. Le dégoût, quant à lui, signifie l’écœurement ou la répugnance. Il se manifeste par la contraction simultanée du muscle releveur de la lèvre supérieure et du muscle releveur des ailes du nez, ce qui déforme le nez et produit des rides nasales. Ici encore, il est nécessaire d’observer la bouche pour éviter toute confusion.
Pendant des siècles, et aujourd’hui encore, l’homme a toujours pensé que le corps ne pouvait mentir. Ainsi, au temps des premières civilisations chinoises et hindoues, il était coutumier de demander aux suspects de mâcher un grain de riz et de le cracher. En Inde, un grain de riz sec était synonyme de mensonge et un grain de riz coincé dans la gorge signifiait la culpabilité. Si ces méthodes étaient primitives, elles montraient cependant à quel point les réponses physiologiques étaient associées au mensonge.
Ces deux cas historiques reposent sur le fait que le mensonge est lié au stress. Une des manifestations de l’anxiété étant la bouche sèche, si le grain de riz ne présentait pas d’humidité, alors le sujet était jugé coupable. Comme nous l’avons vu plus tôt, ces raccourcis sont à la fois aléatoires et dangereux.
Les réponses physiologiques, au même titre que les expressions faciales, traduisent un état émotionnel particulier. Par conséquent, et encore une fois, c’est l’écart entre ce que peut exprimer un individu et sa manifestation physiologique qui pourra le trahir. Si quelqu’un vous certifie qu’il a peur, alors que son visage rougit, il sera très peu crédible, la peur se manifestant par un blêmissement, et non un rougissement.
Nictation, bâillement et déglutition | ![]() |
Pourquoi aborder ces trois manifestations du visage ? Tout simplement parce qu’elles trahissent aisément l’anxiété, même quand une personne tente de la masquer.
La nictation
La nictation, ou clignement des yeux, est un acte réflexe régulier. Si un nouveau-né cligne des yeux 1 ou 2 fois par minute, un adulte le fait en moyenne toutes les 5 secondes.
Les paupières, en se fermant rapidement, libèrent des larmes sur la cornée, qui contribuent à l’hydrater. La nictation réagit en fonction de votre activité. Au calme, la fréquence de vos clignements se ralentira. A contrario, en période de stress, ils seront plus nombreux.
Sachez également que le contexte peut altérer la fréquence. Ainsi, la chaleur, le travail sur écran, le chlore, la luminosité, les allergies ou un insecte dans les yeux peuvent dérégler le fonctionnement régulier.
Le bâillement
Le bâillement s’exerce par la contraction des muscles du visage et du diaphragme, entraînant une inspiration profonde, suivie d’une courte expiration. Les études montrent que nous bâillons 5 à 10 fois par jour, avec une fréquence accrue au réveil et au coucher. Le bâillement est une action déclenchée par le corps, mais, contrairement à la nictation, nous sommes conscients et alertes de la naissance d’un bâillement.
Certains individus, soumis au stress, provoquent de faux bâillements pour simuler le confort et le bien-être, comme nous ne bâillons qu’en situation de sécurité et que cet acte est reconnu comme tel. Trois éléments permettent cependant de mettre en évidence un faux bâillement :
La déglutition
La déglutition à vide, c’est-à-dire qui ne fait pas suite à la mastication, s’effectue automatiquement une fois par minute chez l’adulte. Elle permet, entre autres, l’humidification des muqueuses buccales et pharyngiennes. En cas de stress, notre besoin en oxygène augmente, ce qui nécessite d’accroître notre rythme respiratoire. Cette action provoque alors un assèchement de la bouche, qui nous pousse à déglutir plus fréquemment.
Se passer la langue sur les lèvres, demander de l’eau ou avaler plus souvent sa salive sont donc des indicateurs de stress.
Je vous propose de parcourir les principales manifestations physiologiques. Une fois que vous les aurez apprises, vous pourrez non seulement évaluer la crédibilité d’une information transmise, mais également détecter des émotions cachées.
Démasqué par... son blêmissement
Le blêmissement est une réaction physiologique due à la peur.
L’activité du système nerveux sympathique provoque une accélération du rythme cardiaque et une augmentation des battements du cœur. Ces changements préparent l’organisme à agir. Le sang est alors détourné des parties du corps où sa présence est moins importante. Il est chassé des extrémités pour se diriger vers les grands muscles, tels que les cuisses ou les biceps, préparant l’organisme à l’action. Le visage devient pâle, au même titre que les mains ou les pieds.
Si le blêmissement peut traduire la peur, il peut également traduire la colère.
À noter
Une erreur fréquemment constatée est de n’associer le blêmissement facial qu’à la peur, et de tirer ainsi des conclusions hâtives.
Démasqué par... son rougissement
Le rougissement facial est la réaction physiologique la plus simple à interpréter, puisqu’elle est reconnue par la plupart des personnes interrogées, dont les enfants. Une personne qui rougit peut traduire de la gêne, de la honte, de la culpabilité ou encore de la colère. Ces causes émotionnelles pouvant être diamétralement opposées, il est nécessaire de les considérer dans un contexte social approprié, de peur de confondre la honte et la colère, par exemple. La colère se manifeste par une augmentation du rythme cardiaque et une sécrétion massive d’adrénaline qui procure au corps l’énergie nécessaire avant le passage à l’action.
Démasqué par... la température de son épiderme
Quand vous avez peur, votre sang est chassé de la surface de la peau pour affluer vers les grands muscles. Le sang constituant la principale source de chaleur de l’épiderme, une fois qu’il a été drainé, la surface de la peau blanchit et devient plus froide.
À l’inverse, dans le cas de la colère, le sang afflue vers les poings, notamment en vue de la préparation au combat. L’épiderme rougit alors pour devenir plus chaud.
Démasqué par... la dilatation et la contraction de ses pupilles
La pupille se dilate et se contracte au gré de la lumière, tel le diaphragme d’un appareil photo. La température extérieure peut également influer dans ce sens.
Certaines études montrent que les pupilles se dilatent davantage et plus fréquemment quand les gens mentent. Personnellement, je n’ai jamais constaté un tel phénomène.
La dilatation de la pupille traduit avant tout l’excitation, donc généralement des émotions positives. Si une chose vous stimule, votre pupille se dilatera très certainement. Ainsi, observer votre homme politique préféré, ouvrir un cadeau tant attendu, contempler une personne magnifique de sexe opposé dilatera sûrement vos pupilles. Mais la dilatation peut également se produire dans des cas de colère, de peur. Donc, encore une fois, il est nécessaire de contextualiser les réactions.
Une pupille dilatée peut atteindre trois fois sa taille normale. Elle est visible jusqu’à 1,50 mètre sur un sujet aux yeux foncés et jusqu’à 2,50 mètres sur un sujet aux yeux clairs. En négociation, je fais toujours en sorte d’établir ma proxémie en fonction de deux critères : la distance imposée par mon interlocuteur, et la distance que je cherche à établir entre mes yeux et ses yeux. Si la distance imposée est plus longue que celle entre nos yeux, j’essaie de la forcer pour, de nouveau, entrer dans un rayon propice.
La contraction de la pupille intervient davantage dans le cas d’émotions négatives, notamment le dégoût. Cependant, il est également possible d’observer la pupille se dilater pour des émotions de peur ou de colère. J’ai tout de même pu remarquer, dans le cas d’émotions négatives, d’abord une dilatation brève, puis une contraction plus longue. Je pense que la pupille est, dans un premier temps, excitée par l’aversion ou le déplaisir de la situation, et, une fois l’information traitée et intégrée par le cerveau, c’est-à-dire la prise de conscience du caractère négatif ou nuisible, la pupille se contracte en réaction de défense. Mes recherches sont toutefois, à ce jour, insuffisantes pour tirer une conclusion intangible.
Démasqué par... la dilatation de ses narines
La tristesse ou la colère s’accompagnent régulièrement de la dilatation des narines. La fiabilité de cet indicateur reste liée à la capacité de la personne à gonfler délibérément ses narines. Certains, en quête de crédibilité, peuvent en jouer pour feindre une émotion, notamment la tristesse. A contrario, ceux qui ne savent pas activer volontairement ce muscle facial trahissent leurs émotions.
Le passage à l’action se traduit également par une oxygénation plus importante, dilatant, par voie de conséquence, les narines.
La proxémie est la distance physique qui sépare deux individus. C’est Edward Hall qui, à travers ses recherches, a observé que la proxémie différait selon les cultures. Dans les pays latins où le contact physique est fortement marqué, les distances entre les personnes sont plus courtes que dans les pays nordiques ou au Japon.
Hall a établi une territorialité basée sur la combinaison de deux facteurs : la faculté perceptive et la dimension socioculturelle de l’individu. Ainsi, nos interactions sont régies par des bulles ou sphères invisibles, reconnues de tous. Elles sont au nombre de quatre :
Cette hiérarchisation territoriale doit, bien évidemment, être relativisée par la spécificité du contexte. Prendre l’ascenseur avec des étrangers, par exemple, ne peut être considéré comme relevant de la sphère intime. La promiscuité émane de la cabine d’ascenseur, non de la volonté des individus de se rapprocher.
Dans le cadre de la lecture comportementale, il est primordial de définir la proxémie d’une personne lors de la détermination de sa baseline. Certains individus ont une proxémie très courte, comparable à la sphère intime moyenne, quand ils ont des conversations avec d’illustres inconnus. Cela fait partie de leur mode de fonctionnement. Maintenant, si certains sujets provoquent un rétrécissement de la distance, il conviendra de s’interroger sur les raisons de ce « rapprochement ». La réciprocité s’applique également. Il n’est pas rare d’observer des individus qui recherchent la crédibilité, réduire volontairement la proxémie. La proximité étant associée à la confiance, ils espèrent ainsi paraître plus honnêtes qu’ils ne le sont.
Toutes les méthodes évoquées dans ce chapitre reposent sur la faculté humaine à détecter des indices ou des signaux pouvant trahir le mensonge.
Je ne pourrai clôturer ce chapitre sans aborder les outils techniques, développés par l’homme dans sa quête sans relâche de vérité. Si le cinéma a fait la part belle à certains d’entre eux, d’autres, tout aussi ingénieux, sont restés dans l’ombre de leurs créateurs.
Le polygraphe a été inventé par William Moulton Marston, un psychologue et écrivain américain. Cet illustre monsieur n’est autre que le créateur de Wonder Woman, la femme aux super-pouvoirs. On comprend maintenant aisément pourquoi il avait doté son héroïne d’un lasso de vérité !
Moulton débuta en utilisant le sphygmomanomètre, appareil médical pour mesurer la pression artérielle, pendant la Première Guerre mondiale dans des cas d’espionnage. Il rapporta alors 96 % de justesse dans la détection du mensonge, simplement grâce au suivi du pouls. Plus tard, il ajouta l’enregistrement de la transpiration pour améliorer la précision de ces analyses.
Aujourd’hui, le polygraphe que nous connaissons, et tel qu’il est employé dans les pays où son usage est autorisé – à savoir dans le cadre d’investigations criminelles en Belgique, au Canada, en Israël, au Japon, en Turquie, à Singapour, en Corée du Sud, au Mexique, au Pakistan, aux Philippines, à Taïwan, en Thaïlande et aux États-Unis –, comprend deux électrodes en métal, placées sur deux doigts, pour mesurer la transpiration, une strap autour des biceps pour mesurer la tension, et des lacets pneumatiques autour du torse et de l’estomac pour mesurer les changements de respiration.
Par conséquent, quelle est la précision d’un polygraphe ? Les études montrent un niveau de fiabilité compris entre 70 et 80 %. Ce qui veut dire que 20 à 30 % des sujets interrogés seraient accusés à tort si les interrogateurs ne se fiaient qu’au polygraphe. Ça fait peur, non ? Cela montre également que les scores de performance rapportés par Moulton étaient très probablement faux ou gonflés artificiellement. Dans bon nombre de cas, surtout dans les années 1940, les suspects pouvaient être condamnés sans véritables preuves à l’appui. L’hypothèse devenait donc certitude, alimentant la « fiabilité » de l’outil.
À noter
Le polygraphe est un excellent outil pour détecter le... stress, et non le mensonge. Il détecte les réactions physiologiques en réponse à des stimuli, lesquels sont les questions posées par l’interrogateur. Or, pour les raisons que nous avons pu partager, le stress ne découle pas nécessairement du mensonge. Surtout avec un appareil attaché au corps !
Qui ment au final : l’interrogateur ou le suspect ? | ![]() |
L’assistance technique, qu’elle soit issue d’un polygraphe, d’une caméra thermique, d’une IRM ou d’un enregistreur de microtremblements, repose sur un socle fondamental : l’illusion de l’infaillibilité.
Avant de débuter l’audition, l’interrogateur prend toujours soin d’expliquer le fonctionnement de la machine qu’il va utiliser. Pour mettre le sujet dans des prédispositions favorables, il va user de deux arguments clés. Le premier consiste à circonscrire de son vocabulaire les termes liés au stress et à les remplacer par des mots relatifs au mensonge ou à la tromperie. Ceci permet de renforcer l’idée que la machine détecte le mensonge, et non le stress, même si l’interrogateur est persuadé du contraire.
Le second argument réside dans la fiabilité de l’expérience. L’interrogateur doit faire en sorte que le sujet pense que la machine est infaillible, c’est-à-dire qu’elle sera en mesure de détecter tous les mensonges. Pour cela, il est nécessaire de convaincre le sujet avant le démarrage de l’expérience, pour ne laisser planer aucun doute. Ainsi, face à un « véritable détecteur de mensonges », le sujet sera davantage enclin à se livrer ou à reconnaître sa culpabilité, puisqu’il sera lui-même persuadé d’être retoqué par la machine.
La technique la plus simple consiste à poser des questions anodines au sujet, alors que la machine est branchée, et à lui demander de choisir entre dire la vérité ou mentir, afin de tester en direct la fiabilité de l’outil. Le suspect est alors interrogé sur la ville de son enfance, son âge, le nom de jeune fille de sa mère, son meilleur ami... Après une série de questions, l’interrogateur est capable d’afficher un score de 100 % de bonnes réponses, sous les yeux écarquillés du suspect. Ce qu’ignore le suspect, c’est qu’aucune question n’était en réalité anodine puisque l’interrogateur avait au préalable fait en sorte de récupérer les réponses.
Un ex-membre de la CIA, spécialiste du polygraphe, m’a un jour confié qu’il utilisait un jeu de cartes marqué pendant la phase de « mise en condition » pour s’assurer de la bonne adhésion de ses sujets. Toutes les cartes étaient marquées au dos à l’aide d’une substance rouge, invisible à l’œil nu, mais visible par celui qui portait les lunettes adéquates. Ainsi, il demandait au suspect de piocher une carte et d’énoncer cinq valeurs différentes. À chaque coup, il trouvait la bonne valeur. « Généralement, les coupables tremblaient avant de débuter l’interrogatoire », m’avouait-il fièrement.
De nombreux outils ont été développés, notamment par d’anciens militaires américains, pour analyser les microtremblements liés au stress causé par le mensonge. Grâce à l'analyse vocale par ordinateur, la voix est enregistrée, puis traitée à l’aide d’algorithmes, pour être ensuite modélisée dans un graphique prévu à cet effet. Si certaines questions ou accusations, du type : « Vous avez tué cette personne ? », provoquent des réactions subtiles, inaudibles pour l’oreille humaine, mais parfaitement compréhensibles pour la machine, alors l’interrogateur sera capable de détecter le mensonge.
Ses créateurs ont rapporté des niveaux de fiabilité supérieurs au polygraphe, tandis que certaines études scientifiques ont montré des taux de réussite proches de 50 %.
Ces outils fonctionneraient effectivement sans faille si tout homme manifestait du stress quand il ment et s’il existait un stress lié à la tromperie. Ce n’est malheureusement pas le cas. Ces machines enregistrent le stress, tout comme n’importe quel polygraphe. Et ce stress peut être la conséquence de raisons aussi diverses que variées.
Vous connaissez, bien évidemment, les IRM, dont les hôpitaux et les centres d’imagerie se servent pour détecter les tumeurs ou lésions du cerveau. Certains ont décidé d’aller plus loin, en analysant l’activité cérébrale liée au mensonge. Ils revendiquent que grâce à l’imagerie, ils sont capables de détecter l’augmentation de l’afflux sanguin dans les zones clés impliquées dans le processus de fabrication du mensonge.
Les différentes études réalisées sur le sujet montrent que les régions les plus sollicitées pour produire le mensonge se situent dans la partie haute du cerveau, associée aux fonctions cognitives, où siègent notamment la création et la créativité.
Cependant, les dernières études, réalisées par Ganis et ses confrères, mentionnent qu’il existe des différences significatives au niveau de l’activation cérébrale. Les mensonges spontanés et les mensonges répétés n’émaneraient pas de la même zone.
Outre le manque de fiabilité, c’est la praticité qui est limitante. Interroger des sujets dans des sarcophages, où résonnent des bruits sourds et répétitifs, n’est pas des plus pratiques.
Certains chercheurs ont montré que le muscle corrugateur du sourcil, situé le long de l’arcade sourcilière, est davantage sollicité quand les individus traversent une période de stress importante. En conséquence, le sang afflue intensément vers le système vasculaire supra-orbitaire, provoquant une hausse de la température cutanée du front. Afin d’enregistrer ces modifications physiologiques, invisibles à l’œil nu, ces scientifiques ont eu recours à une caméra thermique. La première expérience révéla une fiabilité de 76 % dans la détection du mensonge.
Cette toute dernière approche en est, pour le moment, au stade embryonnaire. Tout comme les autres outils, elle souffre de la nécessité de manifester du stress chaque fois qu’un mensonge est fabriqué. De plus, l’expérience réalisée par ces chercheurs a été conduite dans un laboratoire, environnement serein et dénué de phénomènes perturbateurs s’il en est. En situation réelle, je doute d’une telle fiabilité.
Ces différents outils présentent tous l’avantage de détecter des indices, souvent invisibles ou inaudibles pour l’œil et l’oreille humains. Ils présentent également tous l’inconvénient d’enregistrer les réponses physiologiques dues au stress. Aucun d’entre eux ne détecte donc le mensonge. Jusqu’à aujourd’hui, un homme entraîné et ayant appris par l’expérience performera toujours mieux qu’une machine.
1. Le mensonge est comme l’alcoolisme. On est toujours en rémission.
2. Marwan Mery, Manuel de négociation complexe, Eyrolles, 2013.
3. Paul Ekman, Wallace Friesen, Unmasking the Face, Malor Books, 2003.
4. Steve Forte, Read the Dealer, RGE, 1986.