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“Il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l’heure est venue.”
Victor Hugo
Vous vous souvenez des deux jambes fortes dont je vous parlais dans l’introduction du chapitre 3 ? Vous en êtes désormais doté ! L’une pour détecter et interpréter les indices comportementaux. L’autre pour extraire la vérité via le questionnement.
Cependant, la route vers la connaissance est semée d’embûches. Comme nous avons pu le voir, notre lucidité est parfois faussée par nos propres biais ou par la complexité d’une situation. Par conséquent, si nous appliquons des modèles à la lettre sans prendre en compte toutes les composantes d’un environnement ou d’une personne, notre perception peut, par moments, être mise à mal.
J’ai tenté de recenser les principales erreurs et mises en garde pour tâcher de garder le recul nécessaire en toutes circonstances, et ainsi conserver une perception éclairée sur le monde.
Êtes-vous nerveux quand vous passez un entretien d’embauche ? Fort probablement. Mentez-vous pour autant ? Non. Bon nombre de situations, de par leur nature, élèvent le niveau de stress des personnes, provoquant des comportements erratiques et des réponses physiologiques soudaines. L’erreur fréquente est d’associer ces indicateurs au mensonge. Encore une fois, un innocent pris de peur à l’idée d’être accusé à tort émettra des signaux comparables à un coupable accusé à raison. Il est donc nécessaire de séparer les indices liés au stress de ceux liés au mensonge. C’est la façon dont vous mènerez votre entretien qui vous permettra de voir à travers la brume. Vous devez donner au menteur l’opportunité de se trahir lui-même, donc soyez créatif et attentif.
Certaines personnes sont particulièrement douées pour simuler leurs émotions. Ce sont les acteurs. Sachant que leur métier consiste à camper un rôle qui n’est pas le leur, ils apprennent à s’investir personnellement et émotionnellement selon les besoins de la production. La caméra impliquant une performance parfaite, ils développent une extraordinaire habileté à reproduire les composantes de la vérité. C’est notamment le cas pour les expressions faciales, puisqu’ils sont capables d’activer, sans faille, les bons muscles du visage. Par conséquent, les acteurs sont de bons menteurs, voire d’excellents menteurs. Sont-ils pour autant impossibles à lire ? Pas du tout. S’ils sont particulièrement à l’aise concernant le non-verbal, ils ne le sont pas forcément vis-à-vis du verbal et du paraverbal.
Quand vous êtes capable d’apprendre de l’expérience, vous grandissez. C’est le lot des menteurs expérimentés. À force de tromper leur entourage sans se faire démasquer, ils gagnent en expertise et en confiance. L’expertise leur permet de redoubler d’ingéniosité dans la création du mensonge. La confiance, quant à elle, érode l’appréhension de la détection. C’est un phénomène psychologique naturel. Moins vous vous sentez en danger, plus vous êtes à l’aise. Par conséquent, le corps émettra des indices de stress moins perceptibles, ce qui rendra la lecture d’autant plus difficile.
Les psychopathes font partie des personnalités dyssociales. On estime leur prévalence autour de 1 %, ce qui veut dire qu’un individu sur cent présente des symptômes psychopathiques. La psychopathie se caractérise par une absence d’empathie, un manque flagrant de culpabilité, une carence prononcée de remords et un don pour la manipulation. Ces personnes ne servent que leur propre intérêt et sont avides de pouvoir. Elles usent volontairement du mensonge pour satisfaire leurs objectifs, et prennent un malin plaisir à tromper leur entourage par pure délectation. Tous ces traits de caractère contribuent à faire de ces prédateurs des personnes difficiles à lire. Sachant qu’elles ne ressentent pas de culpabilité et que, dans bien des cas, elles rationalisent la gravité de leurs actes, leur appréhension de la détection est quasiment nulle. Tout comme avec les acteurs, il est souvent nécessaire de se focaliser sur le verbal et le paraverbal pour les démasquer.
La mythomanie est un trouble comportemental répandu aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Se caractérisant par des mensonges compulsifs, le sujet altère la réalité à chaque instant, entremêlant sans arrêt fiction et vérité. Relevant de la maladie, le mythomane ment sans motivation particulière et sans en avoir pleinement conscience. C’est simplement son mode d’expression. Face à ce type de personne, détecter le mensonge est souvent une tâche ardue, les semblants de vérité étant rapidement ensevelis sous des couches de mensonges. Fort heureusement, la prévalence de ces individus reste rare.
Souvent, je reçois des photos que l’on me demande d’analyser. Ma réponse est toujours la même : « Je n’en sais rien et on ne peut pas savoir. » Les photos sont, par définition, statiques. Elles capturent un instant volé qui peut signifier des milliers de choses différentes. Par exemple, vous prenez en photo une personne qui éternue. Si la photo est prise au début de la production de l’éternuement, vous en conclurez très certainement que la personne est en détresse ou ressent du chagrin. Les muscles sont sollicités comme dans le cas du chagrin, sauf que la personne éternue simplement. Je pourrais vous citer des centaines d’autres exemples similaires. Gardez à l’esprit que l’instant saisi peut révéler une émotion particulière, comme tout simplement l’idiosyncrasie d’une personne. Et si vous corrélez traits physiques et traits de personnalité, votre analyse sera sûrement fausse.
C’est probablement l’erreur que je redoute le plus en lecture comportementale. Un individu, qui se persuade lui-même d’avoir vécu une situation fictive, manifeste une conviction et des comportements comparables à ceux d’une situation réellement vécue. Le mensonge devenant une vérité aux yeux d’une personne convaincue, tout son être agit en congruence parfaite, rendant la lecture comportementale particulièrement difficile. Il conviendra alors de chercher des incohérences et des contradictions dans le contenu des déclarations pour espérer trouver le mensonge.
Certains menteurs profitent des idées reçues pour adopter des comportements que le détecteur interprétera comme honnêtes. Comme nous avons pu le voir, le contact oculaire est considéré par beaucoup comme un indicateur fiable d’honnêteté et de confiance. Par conséquent, conscient de ce préjugé, le menteur augmentera volontairement le contact oculaire pour paraître plus crédible. Les psychopathes, par exemple, usent fréquemment de cette contre-mesure pour manipuler leur entourage. D’autres multiplient les sourires ou les marques d’attention pour s’attirer les bonnes grâces des personnes qu’ils côtoient. Afin de relativiser l’importance des contre-mesures, précisons qu’il est absolument impossible de contrôler l’ensemble de son corps quand on ment. Le mensonge fuite toujours par un endroit ou par un autre.
Vive le mentaliste ! | ![]() |
Il y a peu de temps, suite à une conférence que je donnais sur la lecture comportementale, une personne est venue à ma rencontre pour me proposer ses services. Voici littéralement le contenu de notre conversation.
– Monsieur Mery, j’ai été bluffé par votre conférence.
– Je vous remercie.
– Je travaille moi-même sur le sujet et je pense que mes services pourraient vous intéresser.
– Ah bon ? Dites-m’en plus.
– Comme vous, je forme sur le sujet, enfin je m’y mets.
– D’accord. Vous faites quoi exactement dans la vie ?
– Je répare des ascenseurs, mais depuis trois ans, j’ai appris à détecter le mensonge.
– Je peux vous demander comment ?
– En regardant la série Le Mentaliste. J’ai vu tous les épisodes et j’ai énormément appris. Du coup, j’ai monté une formation sur le sujet et je pense que ça pourrait vous intéresser.
– ...
Si cet exemple peut faire sourire, ce n’est malheureusement pas un cas isolé. Bien évidemment, le but n’est pas de critiquer la bonne volonté de certaines personnes. Simplement de vous sensibiliser à la réalité du marché. De nombreux individus, en quête de renouveau ou touchés par la grâce des séries américaines, décident de devenir « coaches comportementalistes » ou « experts » en détection du mensonge. Mais leur savoir ne bénéficie d’aucune expertise, et leur expérience ne va pas plus loin que leur écran TV.
Si jamais vous souhaitez réellement progresser sur le sujet, renseignez-vous avant tout sur l’expérience du formateur et exigez des références. Cela vous évitera quelques déconvenues...
Je n’aurais jamais pensé écrire une rubrique sur le sujet avant de commettre une erreur, suite à l’analyse d’un sujet ayant bénéficié de chirurgie esthétique. J’ai été un jour contacté par un banquier. Il souhaitait vérifier la crédibilité des émotions ressenties par une personne filmée à son insu pendant un mariage. Je conclus que la tristesse était simulée, en raison de l’absence de rides au milieu du front et de l’inamovibilité des sourcils. Quelque temps plus tard, le banquier me rappela pour me dire que mon analyse était fausse. Et il avait raison. Je m’étais trompé. Il avait récupéré des preuves tangibles permettant de valider la crédibilité de la tristesse. Il m’apporta également une autre information. Cette personne avait eu recours à plusieurs opérations chirurgicales pour étirer la peau au niveau de la zone supérieure de son visage. J’avais commis une erreur, sans conséquence fort heureusement, mais je m’étais tout de même trompé. Que mon erreur vous serve. Faites attention aux visages refaits !
Le syndrome de Münchhausen | ![]() |
Certaines personnes sont prêtes à tout pour s’attirer la compassion.
Le syndrome de Münchhausen est un terme utilisé en psychiatrie pour décrire les individus qui ressentent l’irrépressible besoin de simuler des maladies ou autres troubles afin d’être le centre d’attention.
Cette appellation est une référence au fameux baron de Münchhausen, héros populaire de la littérature allemande, connu pour ses frasques et aventures extraordinaires. Parmi ses exploits, il aurait atteint la Lune, assis sur un boulet de canon, et aurait eu la chance de danser avec Vénus. Rien que ça !
Les malades souffrant de ce syndrome prétendent avoir des pathologies graves, souvent rares et incurables, nécessitant des traitements de longue durée, et, par voie de conséquence, une attention constante. Nombreux sont ceux qui parviennent à tromper le corps médical. Certains poussent le bouchon jusqu’à étudier en détail les manifestations de maladies afin d’être capables de les reproduire à l’identique. N’hésitant pas à passer sur la table d’opération, les plus atteints ont souvent le corps couvert de cicatrices.
Il existe un autre cas dérivé de ce syndrome. Le syndrome de Münchhausen par procuration consiste à rendre une personne malade, généralement son propre enfant, afin d’attirer l’attention des autres. L’adulte va réussir à convaincre sa progéniture qu’elle ressent des symptômes nécessitant une intervention médicale. Se développe alors une emprise psychologique forte sur l’enfant qui finira par conditionner son corps afin de le rendre malade. Certains vont jusqu’à administrer des drogues pour reproduire les manifestations de la véritable maladie.
Quand des individus malhonnêtes se sentent investis d’une cause qu’ils considèrent comme juste, ils adoptent à la fois des attitudes et des réponses les rendant difficiles à lire. Prenez, par exemple, la construction d’une usine polluante à l’entrée d’un petit village médiéval. Depuis quelques jours, les actes de vandalisme se font de plus en plus fréquents, et vous savez qu’ils émanent d’une seule et même personne. En interrogeant les habitants, vous vous apercevez que personne ne condamne ces délits, car ils les jugent nécessaires et même courageux, l’usine dénaturant le paysage. Aucun habitant ne ressentira donc de culpabilité, de gêne ou de honte, et le criminel ne pourra que se satisfaire de cette situation, à votre grand désarroi si vous êtes le propriétaire de l’usine.