PRÉFACE

La quête de la vérité... un vaste sujet d’étude qui fait couler tant d’encre depuis la nuit des temps. Preuve en est la parabole du roi Salomon rapportant un fait situé mille ans avant notre ère. Le souverain, reconnu pour sa sagesse, dut rendre justice à propos de la maternité d’un nouveau-né que deux femmes revendiquaient. Afin de connaître la vérité, il prit la grave décision de faire couper l’enfant en deux parts égales et de remettre chacune d’elles aux mères supposées. Alors que l’une approuva la sentence du roi, l’autre se jeta à ses pieds, implorant sa clémence pour épargner la vie de l’enfant. Le roi Salomon, par sa connaissance et sa compréhension du comportement humain, mit au jour les enjeux qui motivaient chacune des deux femmes, ce qui lui permit de distinguer le vrai du faux.

Cette légende a une valeur intemporelle. Elle nous enseigne les bénéfices du recours à une stratégie adaptée à laquelle le menteur n’est pas préparé et ce, pour le décontenancer. De plus, elle attire notre attention sur le fait que la construction d’un mensonge repose essentiellement sur les raisons de mentir qu’une personne a, autrement dit sur l’enjeu que mentir suscite en elle.

Ainsi, la détection du mensonge s’inscrit dans une véritable interaction entre le « menteur » et le « détecteur », et, tout comme lors d’une partie d’échecs, chaque coup doit être anticipé et s’inscrire dans une tactique.

Bien que revêtant à nos yeux – et ce, dès notre plus tendre enfance – une étiquette négative transmise par des règles morales, le mensonge est néanmoins indispensable au quotidien de par son action régulatrice et pacificatrice des interactions sociales.

Dans l’exercice de ma fonction, tout comme pour d’autres professionnels, l’évaluation de l’authenticité représente une nécessité, et même une obligation inscrite dans la loi : rechercher la manifestation de la vérité.

Les déclarations recueillies au cours d’une enquête criminelle auprès des divers acteurs – victimes, témoins, suspects – ont un impact direct sur le déroulement d’une procédure, et leurs répercussions peuvent être considérables d’un point de vue humain. Ainsi, déceler le mensonge représente un enjeu central, face à la préoccupation de ne pas voir un criminel laissé en liberté, ou un innocent privé de celle-ci.

Mon rôle, au-delà de la vision communément admise, n’est pas d’orienter uniquement mon évaluation de la véracité vers le suspect, mais vers l’intégralité des acteurs concernés par l’enquête.

Je me souviens d’une affaire dans laquelle une personne se déclarait victime d’une agression susceptible d’engendrer de lourdes conséquences pénales pour l’auteur présumé. Aussi invraisemblable que puisse paraître sa déclaration, j’accordais du crédit à ses propos, contribuant à la production d’un récit détaillé des faits de sa part. Comprenant que sa démarche avait un fond motivationnel de vengeance, je m’appliquais à vérifier la teneur authentique de son récit. Si elle avait vécu les événements qu’elle était en train de me rapporter, l’effort cognitif demandé allait être moindre que si elle avait dû les imaginer. Je décidai donc d’utiliser ce levier pour vérifier mon hypothèse.

La stratégie consistait pour moi à déclencher une réflexion particulière à laquelle seul un menteur ne serait pas préparé. En lui faisant dessiner la scène, de multiples incohérences apparurent entre son dessin et ses propos précédents. De surcroît, son comportement non verbal témoignait de son décontenancement au fur et à mesure qu’elle se voyait elle-même confrontée à l’incohérence de son discours.

Finalement, elle m’expliqua avoir imaginé cette agression et m’avoua s’être préparée à cet entretien... mais visiblement pas assez !

À défaut de preuves irréfutables et factuelles pour confondre un menteur, la démarche doit être impérativement guidée par la plus grande prudence et objectivité, par une solide connaissance des processus psychologiques du mensonge ainsi qu’une parfaite maîtrise des techniques de questionnement. Poser des questions ouvertes entraîne la production d’un discours plus riche, offrant ainsi la possibilité de collecter un plus grand nombre d’informations (verbales et non verbales). Les questions fermées, quant à elles, ne fournissent que très peu d’éléments, amenant des réponses très brèves et peu exploitables.

Gardons à l’esprit qu’aucun geste, comportement ou attitude n’est propre à l’homme en situation de mensonge. Pourtant, il existe une multitude de gestes, de comportements et d’attitudes générés par le mensonge. Ce dilemme montre bien qu’au-delà de l’indice observé, il y a tout un panel d’alternatives à considérer pour donner du sens à une observation.

Ce constat nous invite à être humble et à faire preuve de précaution lorsque l’on s’engage dans la quête de la vérité. Il faut investiguer au-delà du signal observé et l’aborder d’une façon plus large, quasi éthologique, pour comprendre non plus le résultat, mais la source et le cheminement qui ont conduit à ce résultat. C’est toute la question de la distinction entre causes et conséquences.

La connaissance des processus psychologiques, émotionnels, cognitifs et contextuels est au cœur d’une approche efficiente du mensonge, car ils sont à l’origine des comportements verbaux et non verbaux observables. Le mensonge est la conséquence d’une motivation à dissimuler quelque chose, à tromper autrui. À mes yeux, les enjeux qui poussent une personne à ne pas dire la vérité représentent ce qu’il y a de plus important à cerner, pour mieux faire tomber les défenses et conduire la personne à s’extraire de cette stratégie.

Il faut donc savoir se prémunir contre un manque d’objectivité, et surtout ne pas commettre l’erreur de dissocier les comportements observables – verbaux ou non – du contexte et de l’enjeu. On ne ment pas pour les mêmes raisons et de la même façon au cours d’une soirée festive entre amis qu’au cours d’un interrogatoire de police.

Tous ces champs d’exploration alimentent soit une littérature scientifique extrêmement riche et généralement réservée aux érudits (parfois en décalage avec la pratique opérationnelle en milieu écologique), soit une littérature populaire offrant du consommable sans aucun fondement rationnel ni fiabilité.

Lorsque j’ai rencontré Marwan au cours d’une de ses formations sur l’analyse du comportement non verbal en situation de négociation, j’ai justement pu apprécier la scientificité de ses propos et, surtout, son talent à transposer les connaissances issues du monde complexe de la science à la pratique quotidienne des professionnels.

Ce talent et ce savoir-faire, Marwan les partage aujourd’hui avec passion dans Vous mentez !, non pas en proposant au lecteur une recette miracle... mais les ingrédients nécessaires à sa réalisation.

Benjamin Elissalde
Analyste criminel, officier de police judiciaire,
Direction centrale de la police judiciaire