Des grenouilles, citoyennes des étangs, genre ambigu croissant dans la fange, avaient prospéré prodigieusement sous l’action bénéfique du soleil. Déjà, elles avaient chassé de leurs rives les troupeaux qui broutaient les herbages voisins.
Mieux encore, si un tourbillon profond agitait la surface de l’étang, c’est qu’elles avaient attaqué et vaincu thons et silures en rangs serrés.
Voici dès lors ce qui résulta de leur morgue, de leur insolence, et, crime majeur entre tous, de l’oubli des bienfaits.
Cette race ingrate se mit à jalouser la gloire de son maître le soleil et à regarder avec des yeux envieux la splendeur adorée dans l’univers tout entier. Elles ne se privaient pas non plus de comportements effrontés. Car qu’il dardât ses rayons vers les rivages de l’Inde, ou qu’il baignât de lumière les chevaux dans le fleuve Ibère (l’Ébre), ou encore qu’il remontât la pente raide de la constellation du Lion, ou qu’il obscurcît les cornes du croissant de la Lune, les grenouilles coassaient et se plaignaient qu’il allait tout consumer.
Elles menaçaient même de colères vengeresses s’il ne s’arrêtait pas immobile au Pôle. (L’Étoile polaire.)
Les perfides tentaient de lui barrer le chemin lorsqu’il s’en allait éclairer sans relâche l’univers tout entier.
Sortant du fond des étangs, elles foulèrent d’un pied insolent les herbes fétides et les eaux stagnantes.
Une vapeur noire surgit dans le ciel et éteignit par sa chaleur le jour bienfaisant.
Le père des astres se mit à rire et leur dit : « Que vos propres armes vous retombent sur la tête, bêtes impudentes. »
Et alors, il concentra en un point les rayons qu’il dispersait d’habitude : en un instant, il dispensa éclairs, fumées noires et grêle abondante et écrasa les malheureuses grenouilles sous une bourrasque impitoyable. Elles cherchaient à couvrir leur corps en le cachant sous les joncs opaques et espéraient en vain, en s’enterrant toutes ensemble sous le limon, échapper au carnage général.
Une Souris craignait un Chat,
Qui dès longtemps la guettait au passage.
Que faire en cet état ? Elle, prudente et sage,
Consulte son Voisin : c’était un maître Rat,
5Dont la rateuse Seigneurie
S’était logée en bonne Hôtellerie,
Et qui cent fois s’était vanté, dit-on,
De ne craindre de Chat ou Chatte
Ni coup de dent, ni coup de patte.
10« Dame Souris, lui dit ce Fanfaron,
Ma foi, quoi que je fasse,
Seul je ne puis chasser le Chat qui vous menace ;
Mais assemblant tous les Rats d’alentour,
Je lui pourrai jouer d’un mauvais tour. »
15La Souris fait une humble révérence,
Et le Rat court en diligence
À l’Office, qu’on nomme autrement la Dépense,
Où maints Rats assemblés
Faisaient, aux frais de l’Hôte, une entière bombance.
20Il arrive les sens troublés,
Et les poumons tout essoufflés.
« Qu’avez-vous donc ? lui dit un de ces Rats. Parlez.
— En deux mots, répond-il, ce qui fait mon voyage,
C’est qu’il faut promptement secourir la Souris,
25Car Raminagrobis2
Fait en tous lieux un étrange ravage.
Ce Chat, le plus diable des Chats,
S’il manque de Souris, voudra manger des Rats. »
Chacun dit : « Il est vrai. Sus, sus, courons aux armes. »
30Quelques Rates, dit-on, répandirent des larmes.
N’importe, rien n’arrête un si noble projet ;
Chacun se met en équipage ;
Chacun met dans son sac un morceau de fromage,
Chacun promet enfin de risquer le paquet.
35Ils allaient tous comme à la fête,
L’esprit content, le cœur joyeux.
Cependant le Chat, plus fin qu’eux,
Tenait déjà la Souris par la tête.
Ils s’avancèrent à grands pas
40Pour secourir leur bonne Amie.
Mais le Chat, qui n’en démord pas,
Gronde et marche au-devant de la troupe ennemie.
À ce bruit, nos très prudents Rats,
Craignant mauvaise destinée,
45Font, sans pousser plus loin leur prétendu fracas,
Une retraite fortunée.
Chaque Rat rentre dans son trou ;
Et si quelqu’un en sort, gare encor le Matou.
Il ne se faut jamais moquer des misérables,
Car qui peut s’assurer d’être toujours heureux ?
Le sage Ésope dans ses fables
Nous en donne un exemple ou deux ;
5Je ne les cite point, et certaine chronique2
M’en fournit un plus authentique.
Le renard se moquait un jour de l’écureuil,
Qu’il voyait assailli d’une forte tempête :
« Te voilà, disait-il, près d’entrer au cercueil3
10Et de ta queue en vain tu te couvres la tête.
Plus tu t’es approché du faîte,
Plus l’orage te trouve en butte à tous ses coups.
Tu cherchais les lieux hauts et voisins de la foudre4 :
Voilà ce qui t’en prend ; moi qui cherche des trous,
15Je ris, en attendant que tu sois mis en poudre. »
Tandis qu’ainsi le renard se gabait5,
Il prenait maint pauvre poulet
Au gobet6 ;
Lorsque l’ire du Ciel à l’écureuil pardonne :
20Il n’éclaire plus, ni ne tonne ;
L’orage cesse ; et le beau temps venu,
Un chasseur ayant aperçu
Le train de ce renard autour de sa tanière :
« Tu paieras, dit-il, mes poulets. »
25Aussitôt nombre de bassets
Vous fait déloger le compère.
L’écureuil l’aperçoit qui fuit
Devant la meute qui le suit.
Ce plaisir ne lui dure guère,
30Car bientôt il le voit aux portes du trépas.
Il le voit ; mais il n’en rit pas,
Instruit par sa propre misère.
Un Baudet fut élu, par la gent animale,
Juge d’une chambre royale :
C’est l’homme qu’il nous faut ! disaient autour de lui
Ses amis accourus tout exprès au concile ;
5Simple dans son maintien et dans ses goûts facile,
Il sera de Thémis l’incomparable appui ;
Et de plus il rendra sentences non pareilles,
Puisque, tenant du Ciel les plus longues oreilles,
Il se doit mieux entendre aux affaires d’autrui.
10Bientôt l’industrieuse Avette2
Devant cet arbitre imposant,
Se plaignit que la Guêpe allait partout disant
Que le trésor doré des filles de l’Hymette,
Loin de valoir son miel âcre et rousseau3
15N’était bon qu’à sucrer potage de pourceau :
Contre cette menteuse, impudente et traîtresse,
J’implore à genoux Votre Altesse !
Dit l’Abeille tremblante au Juge au gros museau.
À ces mots l’Âne se redresse
20Dans son tribunal
Et, prenant un air magistral,
Décorum ordinaire aux gens de son espèce,
Il ordonne à l’Huissier d’étendre au bord d’un muid
Égale part de l’un et de l’autre produit.
25Le Grison en goûta du fin bout de sa langue,
Pas une fois mais deux et tint cette harangue,
La gloire de la robe et du bonnet carré :
La plaignante ayant fait une cuisine fade,
Nous déclarons, tout très considéré,
30Qu’à sa compote de malade
Le miel guépin4 est par nous préféré.
Quelle saveur au palais agréable !
C’est le piquant des mets délicieux,
Dont Hébé parfume la table
35De Jupin, le maître des Dieux !
Et chacun de blâmer cet arrêt vicieux.
Mais sire Goupillet, Renard de forte tête,
Leur dit : De votre choix vous avez les guerdons5 ;
Je n’attendais pas moins de ce croque-chardons.
40Selon ses goûts juge la bête !
Dame Fortune aime souvent à rire,
Et nous jouant un tour de son métier,
Au lieu des biens où notre cœur aspire,
D’un quiproquo se plaît à nous payer.
5Ce sont ses jeux, j’en parle à juste cause.
Il m’en souvient ainsi qu’au premier jour.
Cloris et moi nous nous aimions d’amour ;
Au bout d’un an la belle se dispose
À me donner quelque soulagement,
10Faible et léger, à parler franchement.
C’était son but : mais, quoi qu’on se propose,
L’occasion et le discret amant2
Sont à la fin les maîtres de la chose.
Je vais un soir chez cet objet charmant,
15L’époux était aux champs heureusement,
Mais il revint, la nuit à peine close.
Point de Cloris : le dédommagement
Fut que le sort en sa place suppose3
Une soubrette à mon commandement4.
20Elle paya cette fois pour la dame.
Disons un troc, où réciproquement
Pour la soubrette on employa la femme,
De pareils traits tous les livres sont pleins.
Bien est-il vrai qu’il faut d’habiles mains
25Pour amener chose ainsi surprenante ;
Il est besoin d’en bien fonder le cas,
Sans rien forcer et sans qu’on violente
Un incident qui ne s’attendait pas.
L’aveugle enfant5, joueur de passe-passe,
30Et qui voit clair à tendre maint panneau,
Fait de ces tours ; celui-là du berceau
Lève la paille6 à l’égard du Boccace ;
Car, quant à moi, ma main pleine d’audace
En mille endroits a peut-être gâté7
35Ce que la sienne a bien exécuté.
Or il est temps de finir ma préface,
Et de prouver par quelque nouveau tour
Les quiproquos de Fortune et d’Amour.
On ne peut mieux établir cette chose
40Que par un fait à Marseille arrivé,
Tout en est vrai, rien n’en est controuvé.
Là Clidamant que par respect je n’ose
Sous son nom propre8 introduire en ces vers
Vivait heureux, se pouvait dire en femme
45Mieux que pas un qui fût en l’univers.
L’honnêteté, la vertu de la dame,
Sa gentillesse, et même sa beauté,
Devaient tenir Clidamant arrêté.
Il ne le fut, le diable est bien habile,
50Si c’est adresse et tour d’habileté
Que de nous tendre un piège aussi facile
Qu’est le désir d’un peu de nouveauté.
Près de la dame était une personne,
Une suivante ainsi qu’elle mignonne,
55De même taille et de pareil maintien,
Gente de corps, il ne lui manquait rien
De ce qui plaît aux chercheurs d’aventures.
La dame avait un peu plus d’agrément,
Mais sous le masque on n’eût su bonnement
60Laquelle élire entre ces créatures.
Le Marseillais, Provençal un peu chaud,
Ne manque pas d’attaquer au plus tôt
Madame Alix ; c’était cette soubrette.
Madame Alix, encor qu’un peu coquette,
65Renvoya l’homme. Enfin il lui promet
Cent beaux écus bien comptés clair et net.
Payer ainsi des marques de tendresse
(En la suivante) était, vu le pays,
Selon mon sens un fort honnête prix.
70Sur ce pied-là9 qu’eût coûté la maîtresse ?
Peut-être moins ; car le hasard y fait.
Mais je me trompe, et la dame était telle
Que tout amant, et tant fût-il parfait,
Aurait perdu son latin auprès d’elle :
75Ni dons, ni soins, rien n’aurait réussi.
Devrais-je y faire entrer les dons aussi ?
Las ! ce n’est plus le siècle de nos pères.
Amour vend tout, et nymphes et bergères ;
Il met le taux10 à maint objet divin :
80C’était un dieu, ce n’est qu’un échevin11.
Ô temps ! ô mœurs ! ô coutume perverse !
Alix d’abord rejette un tel commerce,
Fait l’irritée, et puis s’apaise enfin,
Change de ton, dit que le lendemain,
85Comme Madame avait dessein de prendre
Certain remède, ils pourraient le matin
Tout à loisir dans la cave se rendre.
Ainsi fut dit, ainsi fut arrêté ;
Et la soubrette ayant le tout conté
90À sa maîtresse, aussitôt les femelles
D’un quiproquo font le projet entre elles.
Le pauvre époux n’y reconnaîtrait rien,
Tant la suivante avait l’air de la dame ;
Puis supposé qu’il reconnût la femme,
95Qu’en pouvait-il arriver que tout bien ?
Elle aurait lieu de lui chanter sa gamme.
Le lendemain par hasard Clidamant,
Qui ne pouvait se contenir de joie,
Trouve un ami, lui dit étourdiment
100Le bien qu’Amour à ses désirs envoie.
Quelle faveur ! Non qu’il n’eût bien voulu
Que le marché pour moins se fût conclu,
Les cent écus lui faisaient quelque peine.
L’ami lui dit : Hé bien soyons chacun
105Et du plaisir et des frais en commun.
L’époux n’ayant alors sa bourse pleine,
Cinquante écus à sauver12 étaient bons.
D’autre côté communiquer la belle,
Quelle apparence ! y consentirait-elle ?
110S’aller ainsi livrer à deux Gascons,
Se tairaient-ils d’une telle fortune13 ?
Et devait-on la leur rendre commune ?
L’ami leva cette difficulté,
Représentant que dans l’obscurité
115Alix serait fort aisément trompée.
Une plus fine y serait attrapée.
Il suffirait que tous deux tour à tour,
Sans dire mot, ils entrassent en lice,
Se remettant du surplus à l’Amour,
120Qui volontiers aiderait l’artifice.
Un tel silence en rien ne leur nuirait ;
Madame Alix sans manquer le prendrait
Pour un effet de crainte et de prudence ;
Les murs ayant des oreilles (dit-on)
125Le mieux était de se taire ; à quoi bon
D’un tel secret leur faire confidence ?
Les deux galants ayant de la façon
Réglé la chose, et disposés à prendre
Tout le plaisir qu’Amour leur promettait,
130Chez le mari d’abord ils se vont rendre.
Là dans le lit l’épouse encore était.
L’époux trouva près d’elle la soubrette,
Sans nuls atours qu’une simple cornette,
Bref en état de ne lui point manquer14.
135L’heure arriva ; les amis contestèrent.
Touchant le pas, et longtemps disputèrent.
L’époux ne fit l’honneur de la maison ;
Tel compliment n’étant là de saison.
À trois beaux dés, pour le mieux, ils réglèrent
140Le précurseur ainsi que de raison.
Ce fut l’ami ; l’un et l’autre s’enferme
Dans cette cave attendant de pied ferme
Madame Alix qui ne vient nullement :
Trop bien la dame en son lieu s’en vint faire
145Tout doucement le signal nécessaire.
On ouvre, on entre, et sans retardement,
Sans lui donner le temps de reconnaître
Ceci, cela, l’erreur, le changement,
La différence enfin qui pouvait être
150Entre l’époux et son associé,
Avant qu’il pût aucun change15 paraître,
Au dieu d’amour il fut sacrifié.
L’heureux ami n’eut pas toute la joie
Qu’il aurait eue en connaissant sa proie.
155La dame avait un peu plus de beauté ;
Outre qu’il faut compter la qualité.
À peine fut cette scène achevée,
Que l’autre acteur par la prompte arrivée
Jeta la dame en quelque étonnement ;
160Car comme époux, comme Clidamant même,
Il ne montrait toujours si fréquemment
De cette ardeur l’emportement extrême.
On imputa cet excès de fureur
À la soubrette, et la dame en son cœur
165Se proposa d’en dire sa pensée.
La fête étant de la sorte passée,
Du noir séjour ils n’eurent qu’à sortir.
L’associé des frais et du plaisir
S’en court en haut en certain vestibule :
170Mais quand l’époux vit sa femme monter,
Et qu’elle eut vu l’ami se présenter,
On peut juger quel soupçon, quel scrupule,
Quelle surprise, eurent les pauvres gens.
Ni l’un ni l’autre ils n’avaient eu le temps
175De composer leur mine et leur visage.
L’époux vit bien qu’il fallait être sage,
Mais sa moitié pensa tout découvrir.
J’en suis surpris : femmes savent mentir ;
La moins habile en connaît la science.
180Aucuns ont dit qu’Alix fit conscience
De n’avoir pas mieux gagné son argent :
Plaignant l’époux, et le dédommageant,
Et voulant bien mettre tout sur son compte :
Tout cela n’est que pour rendre le conte
185Un peu meilleur. J’ai vu les gens mouvoir
Deux questions ; l’une, c’est à savoir
Si l’époux fut du nombre des confrères,
À mon avis n’a point de fondement,
Puisque la dame et l’ami nullement
190Ne prétendaient vaquer à ces mystères.
L’autre point est touchant le talion,
Et l’on demande en cette occasion
Si, pour user d’une juste vengeance,
Prétendre erreur et cause d’ignorance16
195À cette dame aurait été permis.
Bien que ce soit assez là mon avis,
La dame fut toujours inconsolable.
Dieu gard de mal celles qu’en cas semblable
Il ne faudrait nullement consoler.
200J’en connais bien qui n’en feraient que rire.
De celles-là je n’ose plus parler,
Et je ne vois rien des autres à dire.
Voici encore une histoire bien connue à Mantoue. Il y a, près du pont de la ville, un moulin dont le maître s’appelait Cornicola. Un jour, on était en été, celui-ci, étant assis près du pont, vit passer une paysanne jeune et à point qui semblait errante. Comme il se faisait tard, que le soleil se couchait, le meunier engagea cette fille à aller trouver sa femme. Celle-ci ayant accepté, il appela son domestique et lui dit de conduire cette fille à sa femme, de lui faire donner une chambre après l’avoir fait souper. Le valet étant parti, la meunière qui avait compris que son mari avait des intentions sur la jeune fille, la fit coucher dans son propre lit et s’alla coucher elle-même dans la chambre désignée pour la voyageuse. Le mari, après avoir veillé assez longtemps, estimant que son épouse dormait, entra furtivement au moulin et s’alla dans la chambre où, ignorant la fraude, il besogna sa femme qui ne soufflait mot. En sortant, il dit à son domestique ce qu’il avait fait, l’engageant à l’imiter ; celui-ci profita de l’avis et besogna avec la femme de son patron pendant que Cornicola venait se mettre dans son lit doucement de peur de réveiller sa femme qu’il y croyait couchée. Le matin de bonne heure, il se leva sans rien dire, persuadé qu’il avait possédé la jeune fille. Lorsqu’il revint à l’heure du déjeuner, sa femme lui servit d’abord cinq œufs frais. Tout surpris de la nouveauté, il lui demanda la raison de cette amabilité ; elle lui répondit avec un air joyeux qu’elle lui offrait un œuf pour chaque mille qu’il avait parcouru dans la nuit. Le bonhomme comprit qu’il avait été pris dans ses propres filets, aussi fit-il semblant d’être le travailleur unique, et goba les cinq œufs. La plupart du temps les pervers tombent dans leurs propres pièges.
En ceste facétie est montré comme souvent les trompeurs chéent au latz de tromperie auquel ilz cuydent mettre aultruy, comme de raison est.
Du temps des Grecs, deux sœurs disaient avoir
Aussi beau cul que fille de leur sorte ;
La question ne fut que de savoir
Quelle des deux dessus l’autre l’emporte :
5Pour en juger un expert étant pris,
À la moins jeune il accorde le prix,
Puis l’épousant lui fait don de son âme ;
À son exemple un sien frère est épris
De la cadette, et la prend pour sa femme ;
10Tant fut entre eux, à la fin, procédé,
Que par les sœurs un temple fut fondé
Dessous le nom de Vénus Belle-Fesse2 ;
Je ne sais pas à quelle intention ;
Mais c’eût été le temple de la Grèce
15Pour qui j’eusse eu plus de dévotion.
Ce conte, resté inédit du vivant de La Fontaine, a pu lui être inspiré par les Entretiens de M. de Voiture et de M. Costar, publiés en 1654 chez Augustin Courbé. Les Stances de Voiture Sur une dame dont la jupe fut retroussée en versant dans un carrosse à la campagne avaient mis Costar en verve : « J’achève, écrit-il, par une anecdote très jolie : elle est d’Athénée, qui ne voudrait pas mentir. Il conte qu’il y avait deux belles filles à Syracuse qui ne trouvaient point de parti parce qu’elles étaient pauvres, mais qu’il arriva une fois que deux jeunes hommes de bonne maison, et qui étaient frères, les virent à la promenade et s’aperçurent, aux plis de leurs robes, qu’elles étaient ϰαλλιπὐγοι, c’est-à-dire qu’elles avaient de belles fesses, ce qui leur donna aussitôt envie de les épouser et de se contenter pour toute dot de cette beauté secrète et cachée. L’auteur ajoute que ces deux filles, se voyant si bien pourvues, en reconnaissance de cette grâce qu’elles crurent venir du Ciel, firent bâtir un temple à Vénus sous le titre de “Vénus aux Belles Fesses”. Je souhaite, monsieur, une pareille fortune à cette demoiselle dont vous avez si bien loué le derrière » (p. 34). Athénée rapporte l’anecdote au chapitre XIII du livre XII dans Le Banquet des sophistes (JPC).