LE SIÈGE DES AUGUSTINS


(1658)

En 1658, le couvent des Grands-Augustins procède à une élection jugée irrégulière par le Parlement. Celui-ci charge une délégation de mener l’enquête. Mais les Grands-Augustins lui refusent l’entrée. Plus, ils la reçoivent à coups de pierres et la force publique doit intervenir. La Fontaine, qui habite quai des Grands-Augustins, donc tout près du couvent, s’en va assister à la scène qui paraît bien le divertir. À la fin du pugilat, onze religieux seront emprisonnés, puis relâchés quelque vingt-sept jours plus tard, tandis que La Fontaine en tire une ballade en style ancien.

Y a-t-il comme on l’a cru, une volonté du poète de plaire à Foucquet en tirant d’un événement somme toute assez sérieux, une ballade plaisante dans laquelle il se rit des religieux et prend la défense du Parlement dont le surintendant est le procureur général ? Quoi qu’il en soit, nous avons là un de ces exercices de style dans lequel La Fontaine donne la mesure de son talent de badinage.

Cette ballade sera éditée pour la première fois dans les Œuvres diverses de 1729. C’est ce texte qui est repris ici. L’aventure des Augustins eut lieu en août 1658, la ballade dut être composée dans les jours suivants.

POUR ET CONTRE MADEMOISELLE COLLETET

Voici l’une des plus savoureuses histoires de dupes que l’on puisse imaginer. Il était une fois Guillaume Colletet (1598-1659) qui, veuf depuis quelque dix années, épousa en 1652 sa servante, Claude Le Nain, dite Claudine, de trente-six ans plus jeune que lui, avec laquelle il vivait déjà maritalement. Colletet était poète (il fut chargé de chanter en vers le sacre du roi à Reims en 1654) et Claudine poétesse.

Introduit chez le couple par Tallemant des Réaux, La Fontaine se plaisait à fréquenter ce ménage, n’ayant d’yeux que pour la belle à qui d’autres poètes, dont Furetière, faisaient déjà la cour. Claudine régnait sur ce petit monde qui l’adorait pour sa beauté et l’adulait pour son talent. C’était à qui glorifierait le plus ses charmes, mais aussi ses poèmes et ses bouts-rimés. Colletet, parfaitement au courant de la séduction exercée par sa femme ne semblait nullement en prendre ombrage, au contraire, car il publia un recueil des poèmes adressés à sa femme par ses adorateurs, intitulé Les Amours de Claudine.

La Fontaine n’était pas le moindre des admirateurs de Claudine, comme on le verra par les trois poèmes suivants où, commençant par louer le charme de la femme, il en arriva à exalter la beauté de ses vers.

Mais, le 10 février 1659, Guillaume Colletet meurt et son épouse éplorée déclare renoncer à jamais à l’amour et à la poésie :

Le cœur gros de soupirs, les yeux noyés de larmes

Plus triste que la mort dont je sens les alarmes,

Jusque dans le tombeau je vous suis cher époux.

Comme je vous aimai d’un amour sans seconde

Et que je vous louai d’un langage assez doux,

Pour ne plus rien aimer, ne rien louer au monde,

J’ensevelis mon cœur et ma plume avec vous.

La jeune veuve ensevelit sa plume, mais non tout à fait son cœur. Une poétesse qui renonce pour toujours à la muse, est-ce possible ? Cette moitié de serment trop fidèlement tenue paraît suspecte à la petite cour littéraire. Ses adulateurs tentent de provoquer la belle, en vers, puis en prose. En vain. À peine parvient-elle à balbutier quelques banalités. La pauvreté des réponses finit par dessiller les yeux de ses amoureux les plus farouches. Mais oui, c’était bien le mari, qui rédigeait ces poèmes que Claudine recopiait consciencieusement pour les déclamer devant son public enchanté. Le canular dut beaucoup amuser Colletet puisqu’il le poursuivit jusque sur son lit de mort où il traça le dernier poème du renoncement que l’on vient de lire.

Comme les autres amants, La Fontaine fut piqué : après avoir encensé la belle en sonnets et madrigaux, il ne pourra résister à décocher une satire « contre celle qui faisait des vers pendant le vivant de son mari et qui n’en fit plus après sa mort ». Le trait est féroce, mais La Fontaine lui-même ne l’était pas : il gardera par-devers lui ces vers qui ne seront publiés qu’en 1671, soit six ans après la mort de Claudine. Quelques années auparavant, à un destinataire inconnu, peut-être même fictif, M***, La Fontaine avouera – et assumera – son aveuglement de « faiseur de vers » amoureux.