« Juin 1871 : que sentaient les Français ? L’Allemand occupait leur pays depuis la frontière jusqu’à Saint-Denis et Vincennes, leur capitale déshonorée gardait une odeur de sang et de fumée. Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Limoges, Périgueux, toujours armés, couvaient peut-être une explosion nouvelle. La tristesse, le silence, la stupeur régnaient partout. Cet ordre obtenu par la force, comment le fixer enfin, le rendre stable ? La précarité de toutes choses faisait peur, et à l’angoisse, à la fatigue éprouvées, se mêlait un sentiment de repentir. » Observateur incomparable des débuts de la IIIe République, Daniel Halévy a su rendre à merveille, dans la Fin des notables, le climat des lendemains de la défaite et de l’insurrection de la Commune. Celui-ci associe des données diverses, sur lesquelles il est indispensable de s’attarder quelque peu, tant la double catastrophe — Sedan et la Semaine sanglante — affecta, et pour longtemps, les esprits. La défaite, sanctionnée par l’annexion de l’Alsace et de la Moselle, par le versement d’une indemnité de cinq milliards, par la présence d’une armée d’occupation dans une vingtaine de départements, fonde une commune affirmation de patriotisme, un même attachement à l’armée, « arche sainte » tenue en dehors des débats de la politique, à laquelle tous, républicains ou monarchistes, vouent un même culte. Le 29 juin, cent mille hommes défilent à Longchamp ; Thiers exalte ainsi la renaissance de l’armée, qui vient d’écraser la Commune. Au cri de « Vive la France » se mêle celui de « Vive la République ». Un rite est créé, auquel s’associent républicains et monarchistes, unanimes à vouloir le redressement militaire.
Sans doute Thiers et les esprits modérés, soucieux de mettre fin à une guerre coûteuse et sans espoir, s’étaient-ils opposés à Gambetta, et à ses amis, acharnés à la poursuite de la « défense nationale ». Dans sa grande majorité, le pays, en février 1871, avait donné raison aux premiers. Dans la Haute-Loire, les amis de Thiers avaient clairement marqué le choix qui s’offrait : « Ceux qui voudront la guerre à outrance voteront pour la liste jacobine qui… veut faire tuer jusqu’au dernier homme et faire dépenser jusqu’au dernier écu. Ceux qui veulent une paix honorable votent pour la liste de la paix. » L’une des raisons fondamentales du succès des conservateurs lors des élections à l’Assemblée nationale fut bien d’avoir pris parti pour la paix. Mais ce réalisme prudent va de pair avec un patriotisme intense, qui fonde la volonté de refaire la France et son armée. Refus du bellicisme et des provocations, refus du pacifisme et des humiliations, tel allait bien être le maître mot du régime en politique extérieure.
Autant que le mot de « paix », les mots d’« ordre » et de « travail » disent fort bien la tonalité du moment. Sur ce point encore, guère de désaccord entre républicains et monarchistes. Les républicains les plus avancés, même lorsqu’ils s’efforcèrent de faire prévaloir la conciliation entre Paris et Versailles, ont vu dans la Commune une aberration ou une utopie. Leurs adversaires conservateurs s’efforcèrent en vain de les faire passer pour les alliés des communards : le pays ne s’y trompa point. En vérité, la Commune vaincue ne suscite qu’hostilité et répulsion et ses partisans se terrent. La faveur de l’opinion ira à ceux qui sauront, tout en s’affirmant républicains, prendre leurs distances vis-à-vis de l’insurrection. Dans une lettre capitale, Eugène Spuller, l’ami de Gambetta, se félicite du silence de l’organisateur de la Défense nationale qui garde alors la retraite à Saint-Sébastien : « Dans cette mêlée furieuse, il ne pouvait pas y avoir de place pour nous, ni de rôle à prendre dans cette partie insensée d’où la raison et la pitié étaient bannies de part et d’autre et où tout était laissé aux hasards de la force et de la brutalité », mais il ajoute, conscient des chances d’une République modérée, comme des aspirations du pays : « La République seule peut nous donner la paix, le travail, l’ordre. » Si la Commune et son échec permettent aux républicains de se séparer des révolutionnaires, les conservateurs monarchistes prétendent voir en eux les fourriers du radicalisme, du socialisme, du communalisme. A plusieurs reprises, le 24 mai 1873, lors de la chute de Thiers, le 16 mai 1877, lors de la dissolution de la Chambre, ils s’efforcèrent d’alarmer l’opinion et de jouer de sa peur. On n’a pas suffisamment observé que l’appel à la peur sociale n’a pas eu les conséquences escomptées : n’est-ce pas, comme l’avait constaté à l’époque un esprit aussi lucide que Gaston de Saint-Valry1, parce que cette peur fut surmontée rapidement, beaucoup plus que lors de l’insurrection de juin 1848 ? Alors la guerre sociale avait paru ébranler les systèmes de valeurs des classes dirigeantes et mis en cause l’optimisme de la bourgeoisie. Tels ne semblent pas les sentiments de ceux qui, bourgeois, membres des classes moyennes, paysans, vont faire la République : plus que la peur, compte la volonté de fonder un ordre républicain. Or leurs adversaires conservateurs, tout aussi attachés à l’ordre, souhaitent un « ordre moral ».
Là encore on touche à l’une des composantes essentielles de l’esprit du temps. En quelque façon, une unanimité prévaut pour, après la « fête impériale », faire régner une moralité austère, provinciale. Tel fut bien le ton des dix premières années du régime. Mais « moral », dans le terme « ordre moral », signifie bien autre chose que moralité. Il renvoie en fait à une société dominée par les principes religieux, il affirme une volonté de repentir, de pénitence et d’expiation. Ainsi l’adjectif, anodin en apparence, qui connote cette notion d’ordre que tous approuvent, fait-il affleurer la ligne de clivage qui oppose deux France, celle républicaine, libre penseuse, libérale en tout cas, qui a pour idéal la société sécularisée issue de la Révolution française, et celle pour qui l’Évangile est le principe directeur des sociétés et Dieu le maître de l’histoire. Certes, tous les conservateurs ne sont pas, loin de là. des catholiques militants, mais tous estiment que l’influence de la religion est capitale pour le destin des sociétés et la défense de l’ordre social. Certes, et l’on y reviendra, des conflits inexpiables opposent catholiques intransigeants, hérauts du Syllabus et de l’infaillibilité pontificale, et catholiques libéraux, soucieux de conciliation avec le monde moderne, que leurs adversaires jugent « bien pires que les communards ». Mais, là encore, les uns et les autres ont en commun la même image d’une France où l’Église exercerait une magistrature d’influence et où sa préséance serait reconnue.
Tous dans le monde conservateur s’attachent à lire les « signes du temps ». Paris, la moderne Babylone, n’a-t-elle pas expié, dans les flammes du siège et de la guerre civile, les fautes de la France pécheresse ? L’heure ne s’ouvre-t-elle pas de la repentance et de l’attente d’une régénération, qui verra le retour de la France à la religion et la restauration de la monarchie chrétienne ? Les temps sont proches… Ainsi parlent évêques et prédicateurs. Gallia poenitens et devota : ce retour vers les autels et cette invite à la pénitence accompagnent d’ordinaire les grandes crises. Mais, en 1871, le phénomène bénéficie du renouveau religieux et de l’évolution de la spiritualité des années 1860. Religion sensible au cœur, piété mariale, culte du Sacré-Cœur, ultramontanisme : cette religiosité qui s’affirme à la fin de l’empire s’épanouit après 1871. C’est l’heure des pèlerinages à Lourdes, à La Salette, à Paray-le-Monial, à Pontmain, près de Laval, où la Vierge est apparue en janvier 1871.
En marge de ce grand mouvement, mais inséparable de lui, se multiplient révélations, prophéties, miracles. Dans le Pèlerin, né depuis quelques mois à peine, le père François Picard, assomptionniste, constate en 1874 : « Le surnaturel et le merveilleux ont envahi la société et préoccupent de nos jours les esprits les plus rebelles aux pensées de la foi. Depuis les prophéties plus ou moins claires qui ont circulé en France pendant toute la guerre de Prusse jusqu’aux apparitions plus ou moins vraies qui étonnent l’Allemagne et l’Alsace, tout révèle un état nouveau de la société, tout manifeste une véritable fièvre de prodiges et de miracles. » Aussi l’organe du Conseil général des pèlerinages (le Pèlerin est en effet au départ un simple organe d’œuvres), s’il pose des règles de prudence, est-il « heureux de se faire l’écho du surnaturel ». Les choses en sont au point que l’évêque d’Orléans, le prudent Mgr Dupanloup, juge indispensable de publier au début de 1874 une Lettre sur les prophéties contemporaines : « De toutes parts aujourd’hui, Messieurs, il n’est bruit que de miracles et de prophéties », il constate que toute une génération « se repaît de chimères ». Cette attente millénariste est profondément liée aux espérances d’une restauration du comte de Chambord ; elle est partie intégrante, souvent oubliée, de la mentalité du temps.
A ces observations sur l’état des esprits dans cette France de 1871, il importe d’ajouter une constatation capitale : la fluidité et la mobilité de l’opinion. La chose n’a rien de surprenant, en une période de crise, apte à l’oubli comme à de prompts enthousiasmes, riche de contradictions. On en reverra maints exemples. Quel contraste entre les élections de février à l’Assemblée nationale qui donnent la victoire aux conservateurs et, quelques mois plus tard, les élections partielles de juillet, qui sont un éclatant succès républicain ! Quel contraste encore entre le discrédit de l’Empire après Sedan, et la victoire de candidats bonapartistes à des élections partielles au printemps de 1874, victoire assez inquiétante aux yeux de la droite orléaniste pour mener au vote des lois constitutionnelles. Autre sujet de surprise : l’émotion du peuple de Paris aux obsèques de Thiers le 8 septembre 1877. Gambetta s’émerveillait de « cette foule passionnée du peuple de Paris bombardé, mitraillé, saigné à blanc par M. Thiers, il y a six ans, et puis trouvant dans sa raison et son patriotisme le courage d’amnistier le vainqueur et de lui décerner l’apothéose ».
Aussi, dans cette période confuse qui s’ouvre à l’été 1871, le succès va-t-il aller à ceux qui, successivement, sauront répondre aux aspirations de l’opinion.
On a évoqué2 les élections du 8 février 1871, faites sous le régime de la loi de 1849 : au scrutin de liste dans le cadre départemental. La campagne avait été brève, les circonstances étaient dramatiques. Les conservateurs avaient remporté un succès massif. Les républicains, en force dans l’Est, le Sud-Est, les grandes villes, étaient en minorité. Sur 645 élus3, les monarchistes sont 400. Les ruraux ont voté pour les notables, garantie d’ordre et de paix. Les bonapartistes ne sont qu’une vingtaine. L’Assemblée nationale est formée d’un personnel nouveau — 27 % des élus ont l’expérience d’une assemblée législative — mais guère rajeuni : la moyenne d’âge est de 53 ans. Près de la moitié des élus (250) sont des propriétaires fonciers. C’est bien la France traditionnelle qui revient aux affaires. Il faudra plusieurs mois pour que la physionomie politique de l’Assemblée se précise.
Au début de juillet 1871, deux événements, les élections partielles du 2, le manifeste du comte de Chambord du 5, vont donner une image plus précise des forces politiques et permettre de prendre une plus juste mesure aussi bien de l’importance relative des différents courants que de leur attitude sur la question capitale de l’avenir du régime.
A cause des élections multiples et des démissions, 114 sièges devaient être pourvus, dans 47 départements. Plus de la moitié du pays, dont Paris, votait au scrutin de liste : la consultation avait une dimension nationale. Les républicains l’emportèrent dans 39 départements, ils eurent une centaine d’élus, dont 35 radicaux, contre 12 royalistes. Les abstentions étaient de plus du tiers. Seuls les républicains avaient mené une campagne active.
Le pays votait pour la République conservatrice de Thiers, qui assurait l’ordre et la paix. Mais le scrutin portait d’autres enseignements. Il marquait la rentrée politique de Gambetta. Celui-ci quitte Saint-Sébastien où, démissionnaire de son siège de député du Bas-Rhin, il s’est retiré, après les préliminaires de paix ; où il s’est tu pendant la Commune. Le 26 juin, à Bordeaux où, quelques mois plus tôt, Jules Simon lui avait retiré ses pouvoirs, l’ancien chef de la Délégation invite l’opposition républicaine à la patience. Le parti républicain doit être un « parti de gouvernement », « ennemi des chimères », il doit entreprendre l’éducation politique des campagnes. Le vaincu de février, le « fou furieux » que dénonçait Thiers, amorce une étonnante remontée, et Paris va l’élire, avec quatre autres radicaux. Le scrutin démontre en effet, malgré la Commune, à laquelle les conservateurs s’efforcent de l’identifier, la force de l’extrême gauche radicale. Si Paris, à peine un mois après l’écrasement de l’insurrection, élit en majorité des amis de Thiers, les radicaux ont, dans la France du Sud-Est et du Midi, une trentaine d’élus. Plus généralement, et contrairement à l’attente des monarchistes, la Commune n’a pas nui à l’idée républicaine. Au contraire, sa répression démontre l’aptitude de la République à maintenir l’ordre ; en même temps elle rend indispensable de donner du moins satisfaction à la revendication fondamentale des insurgés du 18 mars.
Au moment même où le pays faisait connaître son sentiment, échouait la fusion monarchiste. Les lois d’exil avaient été rapportées. Les Orléans acceptaient de reconnaître le comte de Chambord : à sa mort le trône leur reviendrait, le comte n’avait en effet pas d’héritier. Mais l’exilé de Frohsdorf entendait affirmer ses principes. Rentré à Chambord, il publia le 5 juillet un manifeste qui fut une provocation pour les orléanistes, une déception douloureuse pour les légitimistes modérés. La conclusion était un témoignage de fidélité romantique au drapeau blanc : « II a toujours été pour moi inséparable de la patrie absente ; il a flotté sur mon berceau, je veux qu’il ombrage ma tombe. » Par-delà ce symbole, affirmation du droit divin face à la souveraineté populaire, l’ensemble du document révélait l’hostilité à la France issue de la Révolution française et le refus de tout compromis : « On n’échappe pas par des expédients à des vérités éternelles. »
Certes, le comte de Chambord parlait de « libertés publiques », mais le terme désignait, comme dans la pensée d’un Fénelon, une société fondée sur les corps, la décentralisation et les « franchises locales ». A cet idéal les orléanistes n’étaient pas étrangers, mais le prince ne disait mot du régime parlementaire cher à leur cœur. Il n’est pas jusqu’à la référence à ses études sur les « classes laborieuses », à la lettre sur les ouvriers de 1865, qui ne pût inquiéter : ne s’y était-il pas montré favorable à des corporations, allant à rencontre des idéaux du libéralisme économique ?
Le 9 juillet, à l’invite de Falloux, la majorité des députés royalistes, tout en affirmant sa « déférence » au comte de Chambord, affirma sa fidélité au drapeau tricolore « devenu, par opposition à l’étendard sanglant de l’anarchie, le drapeau de l’ordre social ». Mais, à la conservation et au compromis, le comte de Chambord avait préféré la réaction et l’intransigeance. Un conflit d’idées, plus âpre que tout autre, séparait les deux droites. Il pèserait de façon décisive sur le sort des travaux de l’Assemblée.
Les élections du 2 juillet, et celles qui suivirent l’échec de la restauration, donnèrent seulement à l’Assemblée nationale sa véritable physionomie. Jusque-là, entre les extrêmes, « blancs » et « rouges », les camps sont mal dessinés, une forte masse conservatrice se cherche. Désormais des groupes vont se former. Certes ces groupes, qui n’ont pas de réalité juridique, ne réunissent pas tous les députés ; les doubles appartenances sont possibles. Cependant ces amitiés politiques esquissent une carte qui n’est pas infidèle des nuances de l’opinion politique. Deux absences pourtant, ou presque : celle des vaincus de la Commune et de Sedan. Le socialisme confondu avec le radicalisme est représenté par un Louis Blanc ; le bonapartisme ne compte guère plus d’une vingtaine de fidèles venus des bastions de la Corse ou des Charentes.
A l’extrême droite, environ 80 légitimistes n’ont pas suivi la droite sur la question du drapeau. Ils se réunissent dans une salle, impasse des Chevau-légers. Le nom, fruit du hasard, convient à merveille pour ces nobles, un Carayon-Latour, un La Rochette, un Cazenove de Pradines, ou ces bourgeois catholiques comme l’avocat lyonnais Lucien Brun, le Béarnais Chesnelong. Ils constituent le roc le plus résistant du monarchisme et de la contre-révolution. Ils professent l’idéal d’une société hiérarchisée, fondée sur des corps intermédiaires, qui romprait avec le libéralisme religieux, politique, social. Ils sont liés à l’œuvre des Cercles catholiques d’ouvriers que fonde en décembre 1871 un officier légitimiste, Albert de Mun. Admirateurs du Syllabus, ultramontains, ils vouent un même culte au comte de Chambord, l’exilé de Frohsdorf, et à Pie IX prisonnier au Vatican. Ils veulent la restauration du roi et du pouvoir temporel. Leur force se limite à cette France rurale qui, dans les pays bocagers de l’Ouest ou les montagnes du Massif central, n’a pas renoncé à subir l’influence des presbytères et des châteaux. Étrangers à la politique, hommes de principes, ils seront des alliés incommodes au sein des coalitions d’union des droites. Accoutumés à lire dans les événements les décrets de la Providence, ils ne craindront pas de pratiquer à l’occasion la politique du pire, convaincus que la catastrophe sera la condition du renouveau de la France chrétienne.
On mesure la distance qui les sépare des légitimistes modérés : un Falloux, un Charles de Lacombe4, un de Meaux. Ceux-ci, malgré leur attachement à la branche légitime, sont des conservateurs libéraux, comme les orléanistes de la droite, présidés par le général Changarnier, ou du centre droit, qui a à sa tête les ducs : Broglie, Decazes, Audiffret-Pasquier. Tous aspirent à la fois à l’ordre et à la liberté, considèrent, comme le dit Augustin Cochin, que le régime parlementaire et le libéralisme politique sont le plus haut degré de la civilisation. Plus que les légitimistes, ils siègent dans les conseils d’administration. Ils ne doutent pas des vertus du libéralisme économique tempéré par le patronage et la bienfaisance. Ils ont souvent renoncé au ton voltairien des années 1830. Nombre d’entre eux sont des catholiques libéraux. La Rome de Pie IX les a frappés, proclamant le Syllabus et l’infaillibilité qu’ils jugeaient à tout le moins inopportune. Dans la revue le Correspondant, dans le journal le Français, ils proposent à des lecteurs infiniment cultivés des analyses nuancées, d’un ton juste milieu. Mais leur faiblesse est là : il est un peuple légitimiste, comme il est un peuple républicain. Il n’y a pas de peuple catholique libéral ou orléaniste. Vaincus du suffrage universel sous l’Empire, les ducs ont dû leur élection au climat de février 1871. Retrouveront-ils un électorat de centre pour soutenir le régime qu’ils veulent fonder ?
Une fraction du personnel orléaniste forme le groupe du centre gauche, dont le rôle va être décisif. Il est difficile de distinguer ce qui le sépare du centre droit, au point que certains historiens n’ont vu que faux-semblant dans ces divisions, et pourtant on touche là à Tune des clefs de l’histoire du régime. Chez les uns et les autres même libéralisme, même foi dans le parlementarisme. Si le centre gauche, avec Thiers, sceptique sur les chances de la monarchie, se rallie à la République conservatrice, cela même n’est pas un critère décisif de classement, tant il est vrai que l’orléanisme ne se définit pas d’abord par le principe dynastique, mais est un état d’esprit, qui s’accommode de bien des ralliements. En vérité, c’est bien sur la question religieuse que se fait la coupure. Les hommes du centre gauche, même catholiques (il en est parmi eux, comme Dufaure), ne désirent pas que l’Église imprime son influence sur la société civile et conserve « un privilège de déférence » (D. Halévy). Or les catholiques libéraux si puissants au centre droit, un Mgr Dupanloup ou un Falloux, s’ils acceptent les « libertés modernes », n’en estiment pas moins que l’État doit faire respecter l’Église. A la fin de 1871, l’élection du positiviste Littré à l’Académie indigne l’évêque d’Orléans : l’épisode démontre la présence d’une faille dans le monde orléaniste. Elle explique la difficulté de toute conjonction des centres ; bien plus, cette faille s’approfondira devant l’agitation cléricale et l’agitation radicale. Une lente dérive séparera des hommes fort proches en apparence les uns des autres, voués dès lors à des coalitions difficiles, union des droites et union des gauches.
Le groupe dit de la gauche (environ 150 députés) réunit les républicains modérés. Il a à sa tête Jules Grévy, Jules Ferry, Jules Simon, Jules Favre. Favorables à la paix, ils se sont opposés à Gambetta. Ces bourgeois arrivés, enracinés dans leurs provinces, ont en horreur le débraillé des gambettistes qui, à leurs yeux, font figure de parvenus, avocats sans cause et journalistes sans avenir venus à la politique sous l’Empire dans les brasseries du Quartier latin. Pourtant l’homme du programme de Belleville se range et se modère sur les conseils de son ami Spuller et de sa maîtresse Léonie Léon, « la sage Minerve ». Avec ses amis de l’Union républicaine, que l’on appelle aussi l’extrême gauche, il fonde à l’automne 1871 un journal grave, au titre anodin, la République française. Autour de lui sont réunis Freycinet, Challemel-Lacour, professeur de philosophie exilé sous l’Empire, préfet du Rhône sous la Défense nationale, Ranc, Allain-Targé, Paul Bert, Scheurer-Kestner, l’industriel alsacien qui a fourni une partie des fonds et réunit les collaborateurs du journal autour de choucroutes mémorables. Gambetta définit une politique « radicale », mais « pondérée » : il importait, rappelle Freycinet dans ses Souvenirs, « de ne pas rendre impossible la conjonction avec les modérés du parti et même avec les amis de M. Thiers ». Mais ne nous y trompons pas : à cette date, Gambetta, s’il s’assagit, n’a rompu en rien avec la famille radicale. Il fait figure de chef du radicalisme, répandant dans le pays la parole républicaine par ses discours dans les réunions publiques, les banquets lorsque les réunions sont interdites. Il enthousiasme les militants provinciaux, réunis dans des comités, des sociétés locales, comme l’Alliance républicaine dans le Rhône, la Loire, le Var. Aussi bien, s’il n’y a pas d’organisation nationale des radicaux non plus que des républicains modérés, aurait-on tort de sous-estimer le rôle de ces comités républicains, infiniment plus actifs que les comités conservateurs, et où se retrouvent, comme dans les loges maçonniques, médecins et négociants, petits industriels et artisans.
Le 17 février 1871, à Bordeaux, l’Assemblée nationale avait nommé Thiers « chef du pouvoir exécutif de la République française ». Il devait exercer ses fonctions « sous le contrôle de l’Assemblée et avec le concours des ministres qu’il aura choisis et qu’il présidera ». C’était le régime parlementaire, vœu commun des adversaires de l’Empire, monarchistes libéraux ou républicains, mais ce n’était la République qu’à titre précaire. Un considérant au décret nommant Thiers précisait que l’Assemblée nationale « dépositaire de l’autorité souveraine » agissait « en attendant qu’il soit statué sur les institutions de la France ». Thiers avait formé un gouvernement qui associait au personnel orléaniste trois membres du gouvernement de la Défense nationale, qui s’étaient opposés à la politique de Gambetta, Jules Favre aux Affaires étrangères, Ernest Picard à l’Intérieur, Jules Simon à l’Instruction publique. Il appelait l’Assemblée à une œuvre de réorganisation, avant de trancher la question du régime : ce fut le « pacte de Bordeaux », qui prétendait rassurer à la fois royalistes et républicains.
L’échec de la fusion royaliste, après le manifeste du comte de Chambord du 5 juillet 1871, rendait improbable dans l’immédiat la perspective d’une restauration. Il fallait mettre fin à une situation peu claire : Thiers souhaitait le titre de président de la République, la prorogation de son mandat, des garanties face à l’Assemblée qui se défiait de lui. Des pétitions, émanant des municipalités républicaines — l’initiative est prise par le conseil municipal de Toulouse dès le 20 juin 1871 —, l’appuient. Rivet, un élu du centre gauche, ami de Thiers, dépose une proposition de loi qui donne à Thiers le titre de président de la République, mais l’Assemblée affirme son « droit d’user du pouvoir constituant ». Les institutions demeurent « provisoires ». Thiers exerce « sous l’autorité de l’Assemblée, tant qu’elle n’aura pas terminé ses travaux, les fonctions qui lui ont été déléguées ». Thiers reste « responsable devant l’Assemblée ». Somme toute, il est « à la fois président de la République, président du Conseil des ministres, membre de l’Assemblée » (Seignobos). La loi fut votée le 31 août : la gauche par la bouche de Gambetta avait en vain combattu le pouvoir constituant et réclamé la dissolution d’une Assemblée qu’elle disait ne plus répondre au sentiment du pays. La conjonction des centres assura le vote de la loi Rivet par 491 voix contre 94, venues surtout de l’extrême droite. On restait dans le provisoire, mais prolonger l’« essai loyal » commencé à Bordeaux fortifiait en fait les chances de la République. Entre Thiers et l’Assemblée, le conflit ne tarderait guère à reprendre.
Sous l’Thiers s’efforça d’obtenir au plus vite la libération du territoire. L’évacuation des départements occupés devait être faite à mesure qu’interviendraient les versements de l’indemnité de 5 milliards, dont les dernières échéances étaient prévues pour mars 1874. Thiers, désireux de mettre fin aux risques de conflit dus à l’armée d’occupation et de rendre à la France sa liberté d’action, anticipa, grâce aux succès des emprunts, le paiement. Le dernier milliard fut versé entre juin et septembre 1873. Dès juillet, l’Allemagne avait évacué les derniers départements occupés. Cet aspect primordial de la politique de Thiers trouva un soutien unanime.
En revanche, qu’il s’agisse de la réforme de l’administration locale, de la loi militaire, de la politique financière, Thiers se trouva en conflit avec l’Assemblée nationale, à laquelle il imposa des solutions moins novatrices à bien des égards que celles qui auraient convenu à la majorité des députés.
Sous l'empire, royalistes et républicains avaient réclamé la décentralisation administrative : le programme de Nancy, en 1865, avait associé Ferry et les conservateurs libéraux. L’urgence — la nécessité de répondre à la Commune de Paris — entraîna le vote de la loi municipale dès le 16 avril 1871. Thiers, à l’encontre de l’Assemblée, voulait la nomination du maire par le gouvernement : il l’obtint dans les chefs-lieux et les villes de 20 000 habitants. Mais dans les bourgs et les villages, les conservateurs, confiants dans leur influence, obtinrent, comme sous la IIe République, l’élection du maire. Le conflit est d’importance : il oppose l’historien du Consulat, héritier de la tradition centralisatrice, aux notables qui voient dans l’élection la garantie d’une magistrature que la nomination risque de leur enlever. Le conflit reparut à propos de la réforme départementale. Thiers s’efforça de réduire le rôle de la commission départementale, élue par le conseil général pour surveiller l’exécution de ses décisions, à l’instar de la Belgique. Thiers y voyait « une seringue dans le derrière des préfets. Il n’y aura pas moyen de gouverner ». La loi du 29 août 1871 — elle resta en vigueur tout au long du régime, et au-delà — n’accroît guère en définitive les pouvoirs du conseil général. Mais la commission départementale exerce un certain contrôle sur le préfet. Surtout, le conseil général élit son bureau et son président, ses séances sont publiques, le compte rendu en est publié. Même si les vœux politiques sont interdits, les conseils généraux vont constituer un centre de discussion politique et les élections — les premières, en octobre 1871, confirment la montée de la République — sont un test politique appréciable. Mais les pouvoirs restaient bien au préfet.
La réorganisation de l’armée pressait : la menace allemande demeurait ; bien plus, Bismarck ne se privait pas de laisser entendre qu’il pourrait reprendre les armes si cela était nécessaire. La défaite avait démontré la supériorité du service universel sur l’armée de métier. Gauche et droite se retrouvaient pour voir dans le service obligatoire « la meilleure école sociale », selon Freycinet, l’ancien délégué de Gambetta à la guerre, « la grande école des générations futures », selon le duc d’Audiffret-Pasquier. La France allait rompre avec deux institutions caractéristiques du premier XIXe siècle : l’armée de métier et la garde nationale. Certes, des raisons politiques poussaient à dissoudre la garde nationale qui, dans les villes autres que Paris, restait armée. Il demeure que le suffrage universel et le service universel portaient condamnation d’une institution liée au régime censitaire et à l’armée de métier. Thiers, réticent, dut accepter en août 1871 la dissolution progressive des gardes nationales « à mesure que les progrès de l’armée sur les bases de la loi de 1868 le permettront ».
La loi militaire, discutée en mai 1872, établit le principe du service obligatoire : « Tout Français doit le service militaire personnel », mais l’application du principe n’était pas possible. A Thiers, qui voulait le service de sept ans, l’Assemblée, favorable aux trois ans, accorda le service de cinq ans. Il n’était pas question d’incorporer tout le contingent ; le tirage au sort distingua deux portions du contingent : l’une devait cinq ans, l’autre un ; en fait, elle ne faisait que six mois. Des dispenses étaient accordées largement aux fonctionnaires, élèves des Écoles, ecclésiastiques. Les jeunes gens de la bourgeoisie, s’ils devançaient l’appel, ne faisaient qu’un an, à l’exemple prussien. Ils devaient être bacheliers et verser pour leur équipement une somme de 1 500 francs. Thiers avait tourné le principe pour satisfaire la bourgeoisie libérale. Le service égal, jugé démocratique, allait devenir une revendication des républicains avancés.
En même temps est entreprise une œuvre militaire considérable. Elle trouva son aboutissement, après la chute de Thiers, par le vote, le 24 juillet 1873, de la loi sur la réorganisation générale de l’armée, qui met sur pied les réserves et les conditions de la mobilisation. La réfection du matériel — le fusil Gras à cartouche de métal (et non de carton peu résistant à l’humidité) remplace le chassepot —, la création d’une nouvelle artillerie, avec les pièces d’acier à culasse mobile du colonel de Bange, la création de l’École de guerre en 1875 sont autant d’aspects d’une œuvre accomplie « dans une atmosphère d’unanime résolution » (Charles de Gaulle). Même unanimité pour voter en 1874 les lois qui prévoient l’exécution du système de fortification : camps retranchés et lignes défensives, prévu par le directeur du génie, le général Séré de Rivière.
La politique financière fut marquée de prudence, et dominée par la fidélité aux règles d’or de la bourgeoisie. Pour payer l’indemnité à l’Allemagne, des emprunts sont émis en 1871 et 1872. L’emprunt de 1871, de deux milliards, devait être émis en mars. A cause de la Commune, il est émis en juin. Le ministre des finances, Pouyer-Quertier, important filateur normand, a traité avec la haute banque de Paris et de Londres, derrière les Rothschild. La rente 5 %, que le public achète 82,50 francs, revient à la haute banque à 77,70 francs. Les banques d’affaires et les banques de dépôts n’ont pas été mises au courant. Comme l’écrit Jean Bouvier5, « les anciennes maisons entendent traiter les affaires en vue avec le gouvernement français à la mode des années 1815-1818 sans se soucier des nouveaux types de banque ». Tout au plus, le Crédit lyonnais et ses alliés parviennent-ils à obtenir quelque part des profits de l’affaire. Le Crédit lyonnais, outre une commission de garantie, « miette » laissée par la haute banque, a retiré à la fin de 1871, près de 3 900 000 francs de la vente au prix moyen de 91 francs de son 5 % émis 82,50 francs. L’emprunt avait été couvert près de deux fois et demie. Les banques de dépôts, sauf la Société générale, et les banques d’affaires s’unirent par un accord en vue des emprunts ultérieurs.
Le groupe Rothschild et celui des établissements de crédit se partagèrent l’emprunt de juillet 1872 ; 64,3 % des profits de commission vont au premier, 35,7 % au second. L’emprunt, souscrit à 84,50 par le public, fut couvert treize fois. Mais ce succès pour le crédit national ne peut masquer la réalité, qu’observe une note du siège social du Crédit lyonnais : « Les souscripteurs sérieux ont été sacrifiés à la spéculation du fait des ‘ facilités excessives ‘ accordées à celle-ci. »
Les dépenses de la guerre et les intérêts des emprunts rendaient nécessaires de nouveaux impôts. L’Assemblée eût souhaité frapper par l’impôt direct la fortune mobilière. Avec la gauche, les propriétaires fonciers, en majorité à l’Assemblée, nombreux sur les bancs de la droite, sont favorables à un impôt sur les revenus du commerce et de l’industrie. Casimir-Perier, le banquier Henri Germain, l’économiste Léonce de Lavergne montrent que l’impôt sur le revenu est pratiqué dans les pays étrangers. En vain. Thiers voit dans la déclaration obligatoire des revenus le péril « socialiste ». Fidèle à la tradition, il ne toucha pas au système fiscal hérité de la Révolution et releva les impôts indirects. D’autre part, il releva les tarifs douaniers pour des raisons fiscales et pour protéger l’industrie. Là encore il trouva l’hostilité de l’Assemblée qui fit écho aux doléances des chambres de commerce. Mais sur ce point comme sur les autres, Thiers s’entête. Peut-être exprime-t-il « l’instinct profond de la paysannerie, de la bourgeoisie française » (D. Halévy). Retour au protectionnisme après la parenthèse libre-échangiste du second Empire, refus de l’inquisition fiscale : pour paraître routinières, les formules de Thiers avaient pour elles l’avenir. Défenseur des quatre contributions ou des préfets, l’ancien ministre de Louis-Philippe maintenait dans la France du dernier quart du XIXe siècle les cadres du début du siècle. J’étais, dira-t-il, le « vrai conservateur ». Son œuvre est « faite pour satisfaire le possesseur d’offices, de biens immobiliers et de rentes », non les grands capitalistes, aux vues souvent plus audacieuses. Elle révèle « une France mal dégagée encore du vieux fonds terrien et artisanal6 ». Mais n’était-ce pas rendre rassurantes ces institutions républicaines dont il s’était dit prêt à faire l’« essai loyal » et comprendre les aspirations profondes de ceux qui, après lui, allaient fonder une République modérée ?
Le 31 août 1871, la loi Rivet, sans mettre fin au provisoire, avait paru ouvrir la voie à une République conservatrice avec Thiers à sa tête. Moins de deux ans plus tard, l’Assemblée mettait Thiers en minorité par 362 voix contre 348. La « conjonction des centres » avait échoué, la droite, des légitimistes au centre droit, s’opposait à la gauche, du centre gauche aux radicaux. Plutôt que de relater les conflits entre l’Assemblée et le président de la République, qui jalonnent ces vingt mois, il suffit d’en marquer les raisons. La première tient à ce que Thiers et ses amis du centre gauche voient dans la République « la seule forme de gouvernement possible », quand les droites ne renoncent pas à toute espérance de restauration. Mais cette donnée n’est pas suffisante : ni les bonapartistes, qui ont formé avec Rouher au début de 1872 le groupe de l’Appel au peuple, ni les orléanistes, qui savent qu’il n’y a rien à attendre de l’intransigeance du comte de Chambord, ne croient proche une restauration. Le reproche fait à Thiers va plus loin : le président penche vers les républicains, gouverne avec des ministres et des préfets incapables d’arrêter les progrès des « radicaux » : bref les « honnêtes gens » sont menacés. Le 9 juin 1872, les élections partielles dans le Nord, la Somme, l’Yonne entraînent le succès de républicains avancés. Le Journal des débats y voit non seulement « une défaite pour la monarchie, mais aussi et surtout pour la République modérée ». Voici que dans les campagnes, et au nord de la Loire, le radicalisme s’implante. A Grenoble, le 26 septembre, Gambetta invite le « parti radical » à la « sagesse ». Mais de ce discours qui se veut rassurant les conservateurs retiennent avec effroi l’appel « à un nouveau personnel de suffrage universel », à l’avènement d’une « couche sociale nouvelle ».
Albert de Broglie qui a démissionné en mai 1872 de l’ambassade à Londres prend la tête de l’opposition contre Thiers. Orléaniste, conservateur libéral, il attache moins de prix à la forme du régime qu’à l’existence d’institutions qui assurent le primat des classes dirigeantes, aristocratie et clergé. L’évolution de Thiers vers les républicains menaçait l’ordre de la société. Broglie prit la tête d’une coalition à laquelle la mort de Napoléon III en janvier 1873 permit l’appui des bonapartistes.
Thiers ne désespère pas d’un compromis : il accepte de ne plus communiquer avec l’Assemblée que par des messages comme un chef d’État dans un régime parlementaire. Mais deux faits vont précipiter sa chute : la signature, le 15 mars, de la convention d’évacuation ne rend plus indispensable vis-à-vis de l’étranger la présence de Thiers aux affaires. Surtout, le 27 avril, l’élection dans la Seine de Barodet, le maire suspendu de Lyon, radical, qui triomphe du ministre des Affaires étrangères Charles de Rémusat, atteste l’impuissance de Thiers face au radicalisme. Le peuple de Paris donne plus de 180 000 voix à Barodet, contre 135 000 à Rémusat, et 26 000 au bonapartiste Stoffel. C’est la consternation chez les conservateurs, la panique : « On croyait assister à la résurrection de la Commune », écrit Broglie dans ses Mémoires. C’est une « Commune légale » que dénonce la presse de droite, de l’Écho de la Dordogne à l’Espérance de Nancy.
Thiers refuse de remanier son ministère dans un sens conservateur ; bien plus, il l’oriente vers le centre gauche. Il présente un projet de loi pour l’organisation définitive de la République. C’en est fini de l’alliance avec le centre droit : Thiers va tomber à gauche. A la rentrée de l’Assemblée nationale, une interpellation réclame une politique « résolument conservatrice ». Broglie dénonce le parti radical, « parti social » qui « menace la société actuelle dans ses bases ». Il stigmatise ces « nouveaux barbares » qui retourneront à Paris « aux acclamations d’amnistiés de la Commune ». La défection d’un petit groupe charnière, le groupe Target, fort de quinze membres, scelle la défaite de Thiers. La loi Rivet lui permettait de rester président, mais, fidèle aux usages parlementaires, il démissionna.
Victoire des droites sur Thiers le 24 mai, essai et échec de la restauration monarchiste, vote, grâce à un retour à la conjonction des centres, des lois constitutionnelles qui fondent une République conservatrice, ultime tentative des « notables » le 16 mai 1877, avènement enfin de la République des républicains : en un peu moins de six ans, de l’élection de Mac-Mahon à celle de Grévy, se joue un drame aux péripéties complexes. Ces quelques années sont déterminantes dans l’histoire de la France contemporaine, elles ont fourni les images et les références sur lesquelles la culture politique française vivra longtemps. Il est donc indispensable d’en dessiner la trame, avant d’essayer d’expliquer les raisons de la défaite des conservateurs et du succès des républicains.
Le soir de la démission de Thiers, le maréchal de Mac-Mahon est élu président de la République. D’origine légitimiste, mais étranger aux luttes politiques, il nomme vice-président du Conseil des ministres Broglie, qui forme un ministère à l’image de la majorité : aux orléanistes s’adjoignent deux légitimistes, de la Bouillerie et Ernoul. Magne, ancien ministre de l’Empire, est aux Finances. L’un des membres du groupe Target, le neveu de Schneider, l’industriel Alfred Desseiligny, aux Travaux publics. C’était « le retour au bercail orléaniste d’une partie des gens d’affaires » (J. Bouvier.) D’emblée une vingtaine de préfets républicains sont destitués ou remplacés. Le 25 mai, Mac-Mahon définit la politique du ministère : « Avec l’aide de Dieu, le dévouement de notre armée qui sera toujours l’esclave de la Loi, l’appui de tous les honnêtes gens, nous continuerons l’œuvre de la libération du territoire et du rétablissement de l’ordre moral dans notre pays. Nous maintiendrons la paix intérieure et les principes sur lesquels repose la société. » Ce langage conservateur, Thiers aurait pu le tenir, et lui-même, le 12 juillet 1872, s’était engagé à défendre cet « ordre moral » qui allait pour l’histoire désigner le nouveau gouvernement. Deux nuances pourtant, mais elles sont d’importance et aident à comprendre tout ce qui sépare le centre gauche du centre droit. Thiers employait volontiers l’adjectif « conservateur », mais au féminin, associé à République ; surtout Thiers restait discret sur l’aide de Dieu. Thiers est libéral, comme Broglie, mais le premier incarne le libéralisme anticlérical fils de la Révolution, le second un libéralisme aristocratique et catholique.
Unie pour la défense de la hiérarchie sociale, des classes dirigeantes et de l’Église, la coalition de l’« ordre moral » manque singulièrement d’unité. Les bonapartistes sont des alliés peu sûrs, attachés à la cause du prince impérial. Ceux qui furent leurs adversaires sous l’Empire craignent les penchants autoritaires de tous, et démocratiques de certains. Les orléanistes se défient des exagérations ultramontaines et des manifestations religieuses provocantes des catholiques intransigeants qui font leur la cause légitimiste. S’ils souhaitent l’influence de l’Église dans la société, ils se défient d’une « politique tirée de l’Écriture sainte ». Attachés aux « libertés modernes », ils n’acceptent pas la condamnation qu’a portée contre elles le Syllabus en 1864, ou plutôt ils font leurs les observations nuancées publiées alors par l’évêque d’Orléans, Mgr Dupanloup, l’ami des plus éminents d’entre eux. Fidèles au régime parlementaire, ils n’accepteront pas une restauration qui serait un retour sur ce qui leur paraît le signe le plus haut de la civilisation. Pour les légitimistes intransigeants, ces « libéraux » sont les fourriers de la Révolution : ils transigent avec le mal. Ne refusent-ils pas de consacrer la France au Sacré-Cœur, comme l’a demandé, à Paray-le-Monial, le 29 juin, devant cent cinquante parlementaires, le baron de Belcastel ? Ne s’opposent-ils pas à ce que, lors de la fondation de l’Église élevée à Montmartre en signe d’expiation, l’Assemblée fasse « hommage » au Sacré-Cœur, selon le vœu de Belcastel et de Cazenove de Pradines, l’ancien zouave pontifical, le héros de Patay ? Mais ces oppositions, considérables, n’apparaissent guère aux républicains qui retiennent la déclaration d’utilité publique de la « construction de l’Église… en l’honneur du Sacré-Cœur », qui retiennent la phrase de Mgr Pie à Chartres : « La France attend un chef, elle attend un maître », ou les cantiques de pèlerins : « Sauvez Rome et la France au nom du Sacré-Cœur. »
Divisées, les droites retrouvent leur unité pour combattre le radicalisme : Broglie frappe la presse républicaine, usant des lois de l’Empire et de l’état de siège. Il obtient de l’Assemblée nationale l’autorisation de poursuites contre Ranc, accusé d’avoir pris part quelques jours à la Commune. L’ancien collaborateur de Gambetta à la Défense nationale, qui venait d’être élu député de Lyon, est condamné à mort par contumace, s’exile à Bruxelles. La commémoration du 14 juillet est interdite. Dans le Midi rouge, les Mariannes, les bustes de la République, sont chassés des mairies. Les enterrements civils sont prohibés : à Lyon, haut lieu de l’anticléricalisme, le préfet, par arrêté, interdit, après sept heures du matin, « les inhumations faites sans la participation d’aucun culte reconnu par la loi ». Contre la République, le socialisme, la libre-pensée, la droite fait front. Pour tenir le pays, elle renonce à ses idéaux de décentralisation. Le 20 janvier 1874, malgré les réticences de la majorité de l’Assemblée, le chef de l’État et les préfets reçoivent le droit de nommer les maires dans toutes les communes. Cette mesure fut fort mal reçue dans les campagnes : « La loi des maires, écrit Gambetta à Ranc, a mis le sceau à la popularité des hommes et des idées de notre parti7. » Par ses mesures autoritaires et maladroites, « l’ordre moral » favorisa la propagande républicaine.
Cependant, sur l’initiative des légitimistes, fut tentée la restauration monarchique, différée depuis deux ans. A la faveur des vacances de l’Assemblée, du 29 juillet au 5 novembre furent entreprises les négociations qui devaient être décisives. L’échec final de l’entreprise ne suffit pas à démontrer qu’elle n’avait aucune chance de réussite : le 24 mai et l’avènement de l’« ordre moral » n’avaient pas soulevé de réactions bien vives dans un pays las et fatigué du transitoire. Les élections aux conseils généraux du 4 octobre 1874 marquent un léger succès de la droite qui détient 52 présidences. Le moment n’était donc pas défavorable et le pays, sans être monarchiste, eût peut-être accepté une restauration qui ne remît pas en cause tout l’acquis du libéralisme. Lorsque les orléanistes et les hommes du centre gauche qui ont abandonné Thiers pour se rallier à Mac-Mahon exigent des garanties — le régime parlementaire et le drapeau tricolore — ils parlent en effet au nom de cette France de notables, de juristes, de hauts fonctionnaires et de militaires disposée à accepter un roi qui ne gouvernerait pas et ne serait pas le champion de la contre-révolution religieuse, politique, sociale.
Mais le comte de Chambord avait-il évolué ? Le duc de Broglie n’en était pas convaincu, pourtant il laissa faire, sans prendre parti ; il serait toujours temps en cas d’échec d’avancer la solution qu’il tenait en réserve : la prolongation de la présidence de Mac-Mahon. Le 5 août, le comte de Paris se rendit à Frohsdorf et reconnut le comte de Chambord comme « représentant du principe monarchique de la France ». En cas de restauration, le comte de Chambord monterait sur le trône. Comme il n’avait pas d’enfants, un Orléans serait son héritier. Mais cette « réconciliation » maintenait l’incertitude : qu’en était-il du drapeau et du régime parlementaire ? Aux envoyés qui le supplient de tenir compte des sentiments du pays, le prince refuse tout engagement. Cependant les semaines passent et l’absence de décision nuit au projet. Chesnelong, avocat d’Orthez, catholique venu au légitimisme, est adressé au comte de Chambord par les groupes royalistes de l’Assemblée.
Entouré du Lyonnais Lucien Brun, de Carayon-Latour, de Cazenove de Pradines, il est reçu à Salzbourg. D’une très longue entrevue, Chesnelong retient les déclarations qui vont dans le sens souhaité, non les autres. A son retour, la réunion des bureaux des groupes monarchistes approuve le projet de restauration et dans une note publiée affirme le maintien du drapeau tricolore qui ne peut être changé « que par l’accord du roi et de l’Assemblée ». La restauration paraît proche, malgré l’hostilité des groupes républicains et des bonapartistes. Mais le 29 octobre le comte de Chambord faisait publier dans l’Union une lettre qui voulait mettre fin aux « malentendus ». Il refusait d’« inaugurer un régime réparateur par un acte de faiblesse ». Il refusait « conditions » et « garanties »… « Ma personne n’est rien, mon principe est tout… lorsque Dieu a résolu de sauver un peuple, il veille à ce que le sceptre de la justice ne soit remis qu’en des mains assez fermes pour le porter. » Convaincu que sa mission était de rétablir la monarchie chrétienne dont le cardinal Pie, évêque de Poitiers, avait esquissé l’image idéale, l’exilé de Frohsdorf persistait à attendre l’heure de la Providence…
Broglie alors sortit de son silence. Habile manœuvrier, il profita du désarroi des légitimistes pour proposer la prolongation des pouvoirs de Mac-Mahon, solution qui à terme laissait la possibilité d’une restauration orléaniste. Il dut accepter un compromis avec le centre gauche : la prolongation pour sept ans, et non pour dix, avec le titre de président de la République, la création d’une commission de 30 membres pour examiner les lois constitutionnelles. Une assemblée monarchique fondait le septennat. Pendant les débats, le comte de Chambord s’était rendu en secret à Versailles ; il espérait que Mac-Mahon se rallierait à sa cause et que l’Assemblée le reconnaîtrait comme roi. Cet épisode dérisoire, qui donne la mesure de l’aveuglement du comte de Chambord, fut ignoré des légitimistes, qui, sauf sept d’entre eux, votèrent le septennat.
Cependant, aux yeux des plus intransigeants, Broglie et les orléanistes, responsables de l’échec de la restauration, devenaient les premiers adversaires. Dès novembre, les deux ministres légitimistes quittèrent le gouvernement qui fut remanié dans un sens orléaniste. Broglie devait lutter sur deux fronts, contre les républicains et contre l’extrême droite. Le journal de Veuillot, l’Univers, fut suspendu deux mois pour avoir publié un mandement de l’évêque de Périgueux qui dénonçait le Kulturkampf. Le ministre des Affaires étrangères Decazes critiqua les manifestations pour le pouvoir temporel et justifia l’envoi d’un ambassadeur auprès du roi d’Italie. Au conflit sur la politique religieuse s’ajoutait le conflit sur l’interprétation du septennat. Broglie le jugeait « au-dessus de toute contestation », quand les légitimistes n’y voyaient qu’un expédient. Le 16 mai 1874, les « chevau-légers » votèrent avec les républicains et les bonapartistes contre le gouvernement, renversé par 381 voix contre 317. Ils préféraient à l’union des droites pour la défense sociale, la coalition des extrêmes. De la politique du pire, sortirait, croyaient-ils, ta restauration. Ce fut la République…
Dès lors, une partie du personnel orléaniste songe à une conjonction des centres, mais la droite n’est pas prête à accepter la constitution immédiate de la République, que réclame le centre gauche, ni à renoncer à la politique de combat contre les républicains. Mac-Mahon forme un ministère de droite et de centre droit autour du général de Cissey, ministre de la Guerre. Une élection partielle va précipiter le reclassement des forces politiques et l’évolution vers les lois constitutionnelles : celle, le 24 mai 1874, d’un ancien écuyer impérial, le baron de Bourgoing, dans la Nièvre. Un an plus tôt, l’élection de Barodet révélait le péril radical, voici que reparaissait le fantôme de cet Empire, auquel quatre ans plus tôt très exactement plus de sept millions de Français avaient apporté leurs suffrages. Le bonapartisme gardait des sympathies dans les campagnes, l’armée, l’administration, la magistrature. L’échec de la restauration monarchiste, l’impuissance de l’Assemblée à sortir du provisoire, la personnalité du prince impérial poussent une partie de l’opinion vers une cause qui paraît neuve. D’octobre 1873 à février 1875, lors des élections partielles, 6 bonapartistes sont élus pour un seul monarchiste et 16 républicains. Des orléanistes aux républicains, les opposants à l’Empire se retrouvent pour enrayer le péril.
Les ministres proches des bonapartistes, Magne, ministre des Finances, et Fourtou, ministre de l’Intérieur, doivent quitter le gouvernement, dont la principale personnalité est le duc Decazes, ministre des Affaires étrangères. La majorité conservatrice s’est disloquée. A l’attitude des chevau-légers et des bonapartistes, s’ajoute la division des orléanistes : Broglie reste l’adversaire du centre gauche et souhaite, avant tout vote sur le régime, une loi sur le Sénat. Il ne se rallie qu’avec hésitation au vote des lois constitutionnelles. Mais les ducs Decazes et d’Audiffret-Pasquier jugent celui-ci inéluctable : si l’Assemblée continuait ses atermoiements, la dissolution s’imposerait, lourde de menaces. Des indécis passent alors au camp républicain. Le 29 janvier 1875 l’amendement Laboulaye : « Le gouvernement de la République se compose de deux chambres et d’un président » est rejeté par 359 voix contre 336. Le lendemain, un de ces modérés venus à la République, catholique, professeur de faculté, Wallon, propose un amendement sur le mode d’élection du président : « Le président de la République… est élu par le Sénat et la Chambre. » 11 obtint une voix de majorité, 353 voix contre 352 : la République était faite.
Une autre majorité s’esquissait, que confirma le vote d’un nouvel amendement Wallon subordonnant le droit de dissolution de la Chambre par le président à l’avis conforme du Sénat. Une partie du centre droit, avec les trois groupes de gauche, Union républicaine, gauche républicaine, centre gauche, et le groupe orléaniste rallié présidé par l’économiste Léonce de Lavergne formaient la nouvelle majorité. La discussion décisive fut celle du projet sur le Sénat. Broglie y voyait le fondement de toute constitution, et avait imaginé un Grand Conseil de notables qui comprenait des membres de droit, des membres nommés à vie, des membres, enfin, élus par un collège de notabilités. La gauche refusa tout projet qui ne ferait pas du suffrage universel, même indirect, la source de la désignation des sénateurs. Une négociation entre les groupes du centre aboutit à un compromis qui donnait une large satisfaction au centre gauche : les sénateurs seraient élus par des collèges formés d’un délégué par commune, des députés, conseillers d’arrondissement et conseillers généraux. Le quart d’« inamovibles » serait élu d’abord par l’Assemblée, puis par le Sénat. Broglie accepta le projet, où son journal le Français voyait « le plus rude échec qui ait été fait jusqu’ici à l’omnipotence du nombre et à l’action démocratique des villes ». Gambetta, jusque-là adversaire d’une chambre haute, convainquit les républicains d’accepter le projet. Il savait la nécessité de faire des concessions aux centres pour permettre la République. Il pressentait surtout que ce « Grand Conseil des communes françaises » contribuerait à enraciner la République dans les campagnes et que te mode d’élection du Sénat allait être un ferment de vie politique dans les plus modestes communes. La loi sur le Sénat, le 24 février, et, le 25 février, la loi sur l’organisation des pouvoirs publics furent votées par les gauches et le centre droit, Broglie compris. La minorité : droite, légitimistes, bonapartistes, ne dépassait pas 250 voix contre 425. La loi sur les rapports des pouvoirs publics fut votée le 16 juillet sans susciter de débat majeur, et approuvée par 502 voix sur 604 votants. Quatre ans après son élection, et après bien des péripéties, l’Assemblée avait rempli son mandat de donner à la France une constitution. Mais sans doute une longue préparation avait-elle été nécessaire pour permettre la brièveté du dernier acte : entre la monarchie impossible et l’Empire abhorré, il ne restait à l’Assemblée, comme l’avait dit Wallon, qu’à prendre « ce qui existe » et à organiser cette République conservatrice dont Thiers avait, dès 1871, compris l’avenir.
L’œuvre issue des travaux de l’Assemblée nationale est originale à bien des titres. Elle réclame d’autant plus l’analyse qu’elle a vécu jusqu’à juillet 1940 et que l’application des lois constitutionnelles a donné à celles-ci un sens qu’elles n’avaient pas nécessairement au départ. L’absence de préambule, de déclaration de droits, de rappel de principes est un premier trait remarquable : quelle majorité serait en effet parvenue à un accord ? Il ne s’agit même pas à proprement parler d’une constitution, mais de lois constitutionnelles, qui ne peuvent être modifiées que par une procédure de révision. Elles n’abordent en termes juridiques que les aspects essentiels du régime. C’est dire la brièveté de textes dont le vague a permis la souplesse d’interprétation.
La présidence de la République est une institution contraire à la tradition républicaine française attachée à un exécutif collégial. En fait le président de la République, irresponsable, élu pour sept ans par le Congrès formé du Sénat et de la Chambre des députés, a les pouvoirs d’un monarque constitutionnel : il suffirait d’une bien légère révision pour permettre une restauration. Le président n’a-t-il pas le droit de grâce et de conclure les traités ? Il a l’initiative des lois, comme les Chambres. Il peut proroger et clore les sessions des Chambres après cinq mois de session ordinaire. Il peut dissoudre la Chambre des députés avec l’avis conforme du Sénat. Il nomme les ministres.
Aussi bien la Haute Assemblée est-elle la pièce maîtresse du système instauré en 1875. Elle doit faire contre-poids à la Chambre des députés. L’âge minimum fixé à quarante ans, le renouvellement par tiers, la nomination à vie par l’Assemblée de soixante-quinze sénateurs, dont on espère qu’ils seront conservateurs, la répartition des sièges et le mode électoral qui consacrent la prépondérance de la France rurale : autant de raisons qui doivent faire du Sénat le bastion de la France traditionnelle. Avec la présidence de la République, il doit limiter l’influence de la Chambre des députés8 élue au suffrage universel direct, hérité de 1848, sur lequel il n’était pas possible de revenir.
Les lois de 1875 établissent un régime représentatif sans souveraineté du peuple, un régime parlementaire, conforme à l’idéal orléaniste, auquel se rallie la nouvelle génération républicaine, convertie aux réalités, mais non les républicains intransigeants. « Pluralité des organes, dualisme des Chambres, équilibre. Telles sont les caractéristiques du schéma orléaniste, ils se retrouvent tous, sans altération, dans les textes de 1875 » (R. Rémond). Si la présidence du Conseil n’est pas mentionnée, les actes du président de la République doivent être « contresignés par un ministre ». Limite considérable au pouvoir présidentiel. « Les ministres sont solidairement responsables devant les Chambres de la politique générale du gouvernement. » La responsabilité devant le Parlement est donc affirmée nettement, mais la dissolution doit éviter au régime parlementaire de devenir un régime d’Assemblée. Contrôle et équilibre des pouvoirs fondent un système complexe qui peut ouvrir la voie à des interprétations diverses. Mais, pour l’essentiel, les lois constitutionnelles, fruit d’un compromis, œuvre empirique, incorporent non seulement les pratiques nées sous Thiers et Mac-Mahon, mais l’apport constitutionnel du libéralisme, « le droit commun des peuples libres » selon le mot du rapporteur Laboulaye9. Dans cet héritage, sans doute faut-il faire entrer l’article 4 de la loi du 25 février 1875, souvent négligé par les commentateurs. Il donne au président de la République le droit de nommer les conseillers d’État. Était donc modifiée la loi du 24 mai 1872 qui, contre Thiers, prévoyait l’élection des conseillers d’État par l’Assemblée. L’institution, menacée au lendemain de l’Empire, reprenait toute son importance, et même rien n’était dit de ses attributions : le nouveau régime ne touchait pas à l’administration, à ses traditions, à sa jurisprudence. La République parlementaire maintenait la puissance de l’administration.
Le compromis constitutionnel fondé sur la « conjonction des centres » était lourd de contradictions : l’accord sur la question constitutionnelle, et sur une philosophie politique et sociale juste milieu, ne doit pas masquer le désaccord profond sur la question religieuse et le rôle de l’Église dans la société. Surtout, le rapprochement, possible au plan parlementaire, est sans réalité dans le pays où chacun des deux centres regarde vers ses alliés de droite ou de gauche.
Après le vote des lois constitutionnelles, Mac-Mahon, qui entendait ne pas renoncer à gouverner avec les conservateurs appela à la vice-présidence du Conseil l’orléaniste Buffet. Si le centre droit avait la prépondérance, Dufaure et Léon Say représentaient le centre gauche. La nomination au ministère des Finances du petit-fils de l’économiste libéral Jean-Baptiste Say, celle à un sous-secrétariat d’État d’Agénor Bardoux, le gendre de Montalivet, attestent la présence dans le gouvernement de ces « dynasties bourgeoises » qui, après d’autres régimes, concouraient à fonder la République. Le ministère est sans unité : quand Buffet aspire à une politique « nettement conservatrice », ses alliés du centre gauche qui n’oublient pas leurs « compagnons de lutte » souhaitent la fin des lois d’exception sur la presse et les maires, et une administration républicaine. En fait, l’heure était à l’organisation du nouveau régime et à la préparation des élections. Les conservateurs, appuyés par le centre gauche, imposèrent le scrutin uninominal qui, pensaient-ils, favorisait les notables. Les républicains, avec Gambetta, voulaient le scrutin de liste, celui de 1848, qu’avait aboli l’Empire. Déterminante pour l’évolution politique devait être l’élection des 75 sénateurs à vie en décembre. Broglie avait espéré faire ainsi du Sénat un bastion conservateur. Mais l’extrême droite légitimiste et les bonapartistes s’entendirent avec les républicains en échange de l’entrée de quelques légitimistes au Sénat : « J’aime mieux, écrivait La Rochette, député de Loire-Inférieure, ceux qui nous combattent ouvertement que ceux qui nous ont abandonnés… et qui aujourd’hui sollicitent l’abdication du roi. ». Selon le mot de Seignobos, le Sénat, qui devait être une forteresse orléaniste, recevait une « garnison républicaine ». Lors du conflit avec la Chambre, moins de deux ans plus tard, Mac-Mahon ne trouverait pas dans le Sénat tout l’appui attendu.
Les premières semaines de 1876 furent dominées par deux consultations électorales décisives, au Sénat et à la Chambre. Buffet avait levé l’état de siège, sauf à Paris, Lyon et Marseille, et fait voter une loi qui déférait le procès de presse au jury, non sans de nombreuses exceptions qui relevaient de la correctionnelle. Gambetta s’était efforcé de rassurer les électeurs sénatoriaux en montrant la modération du programme républicain : « Les vrais conservateurs sont les défenseurs du régime actuel. » Malgré le système électoral, les droites n’eurent qu’une faible majorité : 119 sièges sûrs dont 40 aux bonapartistes, qui ne réalisaient pas leurs espérances. Le suffrage universel leur convenait mieux que le suffrage indirect. Centre gauche et gauche obtenaient 92 sièges. Compte tenu des inamovibles, les tendances s’équilibraient au sein du Sénat.
Les conservateurs avaient attendu du retour au scrutin uninominal et de la pression des préfets et des maires un succès aux législatives. Dès le premier tour, ce fut la défaite, symbolisée par le triple échec de Buffet. Au soir du second tour, le 5 mars, la Chambre comptait environ 360 républicains, les conservateurs guère plus de 150 dont 75 bonapartistes. Le scrutin portait confirmation des précédentes élections partielles et du rôle croissant des bonapartistes au sein des droites. La France de l’Est et du Sud-Est a voté massivement pour les républicains, l’Ouest et le Nord-Ouest, sauf les villes, pour les monarchistes, le Sud-Ouest est bonapartiste.
Qu’allait faire le président de la République ? Former un ministère qui gouverne contre la Chambre en s’appuyant sur le Sénat ? Mieux valait attendre avant de se résoudre à cette éventualité. Appeler Gambetta qui fait figure de chef des vainqueurs ? Mac-Mahon et son entourage ne pouvaient s’y décider. Au reste, Grévy et Ferry, qui vient de fonder le groupe de la Gauche républicaine, pour empêcher Gambetta d’être le chef des 300 républicains qui ne font pas partie de l’extrême gauche, ne sont guère favorables à cette hypothèse. Dufaure forma un cabinet centre gauche ; Léon Say demeurait aux Finances. Mac-Mahon se réserva la nomination des ministres de la Marine, de la Guerre et des Affaires étrangères. Dufaure prit le titre de président du Conseil, signifiant par là que, depuis l’entrée en vigueur des lois constitutionnelles, le président de la République n’était plus membre du cabinet.
L’ancien ministre de Louis-Philippe, presque octogénaire, catholique, conservateur libéral, se trouve fort mal à l’aise entre l’Élysée où l’influence de la droite était déterminante, et la Chambre où les républicains engageaient le combat contre le cléricalisme et le pouvoir financier du Sénat. Il temporise dans le remaniement du haut personnel administratif. Devant un ordre du jour de la Chambre, Dufaure, fidèle à la tradition parlementaire, démissionne le 2 décembre. Mac-Mahon appelle Jules Simon. Hormis le changement du président du Conseil, le ministère restait en place pour l’essentiel. Un républicain modéré remplaçait un orléaniste rallié à la République. Peut-être les conseillers de Mac-Mahon, dont Broglie, avaient-ils le dessein de mettre la division au sein des gauches : Jules Simon n’avait-il pas enlevé à Gambetta en janvier 1871, à Bordeaux, ses pleins pouvoirs ? Jules Simon l’emporta sur Gambetta dans la définition du pouvoir financier du Sénat : il discute le budget après la Chambre, mais a le même droit qu’elle. Cependant les gauches conservèrent leur unité. Les présidents des trois groupes, Union républicaine, Gauche républicaine, centre gauche l’affirmèrent au début de la session de 1877.
L’entourage du maréchal ne souhaitait pas la poursuite de l’« expérience ». Gambetta n’était pas moins désireux de mettre Jules Simon en difficulté. Les pétitions des catholiques et les mandements des évêques en faveur du pouvoir temporel furent l’occasion de la crise. N’était-ce pas face au cléricalisme que l’union des gauches se ferait le plus aisément ? Jules Simon désapprouve l’agitation ultramontaine ; ce n’est pas assez pour la gauche, c’est trop pour la droite. Le 4 mai, Gambetta déchaîne l’enthousiasme de la gauche et du centre : « Vous sentez donc, vous avouez donc qu’il y a quelque chose qui, à l’égal de l’Ancien Régime, répugne à ce pays, répugne aux paysans de France… C’est la domination du cléricalisme. » Certes, il abandonne la revendication de la séparation et se dit attaché à l’application du concordat, mais sur le moment ce tournant passe inaperçu ; ne demeure que la phrase finale qui assigne pour des décennies un programme commun aux républicains : « Je ne fais que traduire les sentiments intimes du peuple de France en disant du cléricalisme ce qu’en disait un jour mon ami Peyrat : le cléricalisme ? Voilà l’ennemi. » Jules Simon débordé dut accepter un ordre du jour invitant le gouvernement à réprimer les « manifestations ultramontaines ».
Jules Simon, qui n’avait pu gouverner au centre, devenait l’otage de Gambetta. Mac-Mahon et ses conseillers, Broglie, Mgr Dupanloup, désireux de ne pas découvrir l’Église, attendirent quelques jours. Le 15 mai, Jules Simon s’opposa sans vigueur à l’abrogation des peines pour délits de presse ; le 12 mai, il n’avait pas empêché la publicité des séances des conseils municipaux : les clubs allaient siéger dans les campagnes, pensait la droite. Le 16 mai au petit matin, Mac-Mahon adresse à Jules Simon une demande d’explication, il s’étonne d’une attitude qui « fait demander s’il a conservé sur la Chambre l’influence pour faire prévaloir ses vues ». Il affirme la responsabilité du président de la République devant le pays : « Si je ne suis pas responsable, comme vous, devant le Parlement, j’ai une responsabilité envers la France, dont aujourd’hui plus que jamais je dois me préoccuper. » Jules Simon démissionna.
Broglie forma le lendemain un ministère : à quatre ans de distance, presque jour pour jour, on revenait au 24 mai et à l’union des droites. Mais la situation était inversée : alors les conservateurs, contre Thiers, revendiquaient le régime parlementaire ; maintenant ils prétendaient défendre la responsabilité du président de la République face à la Chambre, son « droit constitutionnel », comme l’affirme Mac-Mahon dans un message le 18 mai, à choisir ses « conseillers ». Cette « affectation d’un pouvoir personnel » est le scandale même pour les républicains. Mais sur ce terrain, Broglie lui-même et ses amis orléanistes sont mal à l’aise au sein de la coalition des droites, eux les tenants de toujours du parlementarisme. Aussi bien, pour eux, n’est-il pas question d’un coup de force, fantôme qu’évoquent tous ceux qui, à peine un quart de siècle plus tôt, ont vécu le 2 décembre. Il ne s’agit même pas d’imposer une interprétation littérale des lois constitutionnelles, et Broglie convainc mal lorsqu’il s’efforce de définir un équilibre entre le président, le Sénat et la Chambre. L’objectif est en fait de préparer de bonnes élections, après la dissolution de la Chambre que permet l’avis conforme du Sénat. Comme au 24 mai, il faut défendre l’Église et les anciennes classes dirigeantes contre le radicalisme anticlérical et les « nouvelles couches ». Les élites de la France du passé s’opposent, une dernière fois, à la montée de la démocratie. La partie était difficile et Broglie ne paraît pas s’être fait trop d’illusions, mais il se sentait engagé vis-à-vis de Mac-Mahon à qui il avait fait accepter le septennat.
Le 16 mai scella l’union des républicains qui furent 363 à publier, le 20, un manifeste dû à Spuller, l’ami de Gambetta, dénonçant une « politique de réaction et d’aventures ». Par son message, le président de la République avait ajourné les Chambres au 16 juin. Dès la rentrée la Chambre vota un ordre du jour de défiance par 363 voix contre 158. Le Sénat par 149 voix contre 130 autorisa la dissolution.
Le ministre de l’intérieur, Fourtou, prépara les élections : il déplaça ou révoqua 77 préfets. Il rappela le devoir du gouvernement d’« éclairer » le corps électoral, recourut à la pression administrative. Fourtou, à l’aide de la direction de la Presse, dirigée par Léon Lavedan, entreprend un important effort de propagande10 : organisation d’une Correspondance de l’union conservatrice, diffusion gratuite de brochures, de manifestes, de journaux. Les préfets luttèrent contre le colportage des journaux et brochures républicaines, appliquèrent la loi de 1849 qui subordonnait le colportage des journaux et imprimés à une autorisation. En vertu d’un décret de décembre 1851, ils ferment, tel un homme à poigne, le baron de Nervo dans la Haute-Loire, les cabarets qui sont des lieux subversifs. Suspension de conseils municipaux, révocation de maires, fermeture de loges maçonniques ou de sociétés républicaines, renvoi en correctionnelle des délits de presse en vertu de la loi de 1876, saisies enfin, se succèdent. Ces mesures peuvent, aujourd’hui, paraître relativement limitées : 1 743 révocations de maires, soit guère plus de 4 %, 3 271 poursuites. Elles suffisent à faire renaître l’ombre de l’Empire, les conservateurs eux-mêmes jugent excessive l’action des préfets, souvent issus du personnel bonapartiste. La pression administrative valut au ministère plus d’impopularité qu’elle n’entrava l’action de ses adversaires.
Gambetta prend la tête des républicains et donne la mesure de ses talents de stratège et d’organisateur. Il organise un comité central, formé surtout de sénateurs, les députés faisant campagne en province. Il réunit et distribue les ressources et, note Freycinet dans ses Souvenirs, « les souscriptions affluèrent ». Les 363 se présentent tous sans qu’aucun adversaire républicain leur soit opposé. Unité de candidature donc et de programme qui fait de Gambetta un véritable chef de parti. Le scrutin uninominal joue en fait comme un scrutin de liste.
Les républicains se disaient les vrais conservateurs, garants de la paix et de la prospérité des affaires. Leurs adversaires, disaient-ils, rêvaient « le retour à des passés impossibles », lançaient le pays dans l’aventure : la campagne pour le pouvoir temporel ne conduirait-elle pas à la guerre avec le royaume d’Italie, avec l’Allemagne11? Face aux nobles et aux cléricaux, les républicains reprenaient la lutte de 1789 et de 1830. La peur du désordre et des crises ne jouait plus en faveur des conservateurs mais contre eux. D’autre part, l’accusation de cléricalisme contraignit ceux-ci à ne recourir qu’avec discrétion à l’appui de l’Église. Au reste, les catholiques intransigeants, un Veuillot ou un cardinal Pie, étaient portés à juger de haut une entreprise où ils ne voyaient qu’un expédient dérisoire, et dont les protagonistes étaient leurs vieux adversaires libéraux, Broglie ou, dans l’ombre, Dupanloup. Mac-Mahon intervint dans la lutte par un manifeste aux Français, le 19 septembre. Répondant au défi de Gambetta à Lille, quelques semaines plus tôt : « Se soumettre ou se démettre », il affirme ses intentions : « Je ne saurais devenir l’instrument du radicalisme ni abandonner le poste où la Constitution m’a placé. Je resterai pour défendre, avec l’appui du Sénat, les intérêts conservateurs. »
La participation électorale fut plus forte qu’en février 1876 : elle s’éleva à 80,60 % des inscrits12, indice de la passion de la campagne. L’unité de candidature, dans chaque camp, fit qu’au soir du premier tour, le 14 octobre, sur 531 circonscriptions métropolitaines, toutes étaient pourvues sauf 15. Les républicains perdaient des sièges dans des circonscriptions peu sûres, acquises en 1876. Mais ils gardaient une nette majorité avec 323 sièges contre 208 conservateurs. En voix, l’écart est moins sensible : quatre millions deux cent mille voix pour les républicains, trois millions six cent mille pour les conservateurs. Le scrutin majoritaire donnait une prime au vainqueur. Au sein des droites, les bonapartistes du groupe de l’Appel au peuple revenaient en force : 104. Les légitimistes étaient une cinquantaine : la droite intransigeante et la droite autoritaire l’avaient emporté sur la droite parlementaire, qui avait moins bien résisté aux républicains. Cette constatation ne suffit-elle pas à se rendre compte de l’une des équivoques majeures du 16 mai ? Ses auteurs se battaient sur un terrain douteux.
Mac-Mahon songea à la résistance. Le duc d’Audiffret-Pasquier, président du Sénat, lui refusa le soutien de la Haute Assemblée : les orléanistes parlementaires se dérobaient. Mac-Mahon forma un « ministère d’affaires » présidé par le général de Rochebouët. La Chambre refusa d’entrer en relations avec lui. Le budget n’était pas voté. Allait-on lever l’impôt par décret, revenir à l’état de siège ? Les milieux d’affaires, dont Pouyer-Quertier exprime le sentiment à l’Élysée, étaient hostiles, les officiers divisés13. Mac-Mahon, non sans hésitation, accepta les conditions de Dufaure, qui ne lui laissa pas choisir les ministres de la Marine et des Affaires étrangères. Le centre gauche revenait au pouvoir. Léon Say retrouvait les Finances, Agénor Bardoux prenait l’Instruction publique ; à ses côtés, comme sous-secrétaire d’État, Jean Casimir-Perier, héritier d’une dynastie bourgeoise. Mais la gauche entre dans le gouvernement : avec l’accord de Gambetta, Freycinet s’installe au ministère des Travaux publics.
La conquête de la République par les républicains
Suffrages républicains aux élections législatives
20 février 1876
P. 42-43-44-45 : Cartes établies par A. Lancelot d’après H. Avenel, Comment vote la France. Dix-huit ans de suffrage universel, 1876-1893, Quantin, 1894. D’après l’Atlas historique de la France contemporaine, dirigé par R. Rémond, Paris, A. Colin, 1966.
L’identification des candidats retenus par Henri Avenel n’a pas été critiquée. Les cartes valent donc surtout par l’impression d’ensemble et par le mouvement qu’elles font apparaître.
La conquête de la République par les républicains
Suffrages républicains aux élections législatives
14 octobre 1877
Pourcentage calculé par rapport aux suffrages exprimés : 1. Moins de 40 %. — 2. De 40 à 50 %. — 3. De 50 à 60 %. — 4. De 60 à 70 %. — 5. De 70 à 80 %. 6. De 80 à 90 %. 7. De 90 à 100 %.
La conquête de la République par les républicains
Suffrages républicains aux élections législatives
21 août 1881
Pourcentage calculé par rapport aux suffrages exprimés : 1. Moins de 40 %. — 2. De 40 à 50 %. — 3. De 50 à 60 %. — 4. De 60 à 70 %. —5. De 70 à 80 %. — 6. De 80 à 90 %. — 7. De 90 à 100 %.
La conquête de la République par les républicains
Suffrages républicains aux élections législatives
4 octobre 1885
Pourcentage calculé par rapport aux suffrages exprimés : 1. Moins de 40 %. — 2. De 40 à 50 %. — 3. De 50 à 60 %. — 4. De 60 à 70 %. —5. De 70 à 80 %. — 6. De 80 à 90 %. — 7. De 90 à 100 %.
Say, Bardoux, de Marcère, le ministre de l’Intérieur, rédigèrent, au témoignage de Freycinet, le message que Mac-Mahon adressa à la Chambre et au Sénat. Le président de la République disait sa fidélité aux « règles parlementaires », convenait que le « droit de dissolution » ne saurait être érigé en « système de gouvernement »… « La Constitution de 1875, continuait-il, a fondé une république parlementaire en établissant mon irresponsabilité, tandis qu’elle a institué la responsabilité solidaire et individuelle des ministres. » L’interprétation des lois constitutionnelles était fixée pour l’avenir du régime. L’usage de la dissolution tomberait en désuétude. Dès lors, le président de la République perdait l’arme que lui avait donnée les lois de 1875 face à la Chambre, à qui allait le véritable pouvoir. Autre conséquence du 16 mai, le parti républicain, la gauche, faisaient désormais leur idéal du régime parlementaire, accepté avec réticence en 1875, et se défiaient de toute initiative de l’exécutif. La notion d’autorité et celle de démocratie s’opposaient. Pour longtemps, dans la culture politique française, le 16 mai évoquerait le « pouvoir personnel », le « cléricalisme », la « réaction ». Peut-être n’avait-il été qu’une lutte du passé menée sans grande conviction, le dernier sursaut des anciennes classes dirigeantes.
Maîtres de la Chambre, mais non du Sénat ni de la présidence de la République, les républicains surent consolider et étendre leur victoire. Ils surent temporiser et mettre à profit cette parenthèse que constituait le ministère de Dufaure, qui disait : « Ce pays est fatigué des luttes, il a besoin de calme et de paix. » Cinq jours après son arrivée à l’Intérieur, le ministre de Marcère révoqua, déplaça ou mit à la retraite 82 préfets. La compression du 16 mai prit fin. Un programme de travaux publics eut pour fin de relancer les affaires et de gagner des partisans à la République. « L’influence d’un ministre qui apporte de grands travaux n’est pas négligeable », disait encore Dufaure. L’exposition universelle allait faire oublier la crise politique.
Près de 70 élections furent invalidées pour pression administrative ou cléricale. Fait remarquable, les invalidés, d’ordinaire, ne furent pas réélus : en Haute-Loire, où deux élections furent invalidées, les républicains gagnèrent les deux sièges. Les républicains furent ainsi près de 400 à la Chambre : l’appui du centre gauche n’était plus indispensable au même degré. Le 6 janvier 1878, les élections au conseil municipal donnèrent une majorité républicaine ; le 5 janvier 1879, les élections au premier tiers sortant du Sénat furent une éclatante victoire républicaine : sur 82 sièges14, les républicains en obtinrent 66. Dans le Forez, le vicomte de Meaux, ancien ministre de l’Agriculture du 16 mai, gendre de Montalembert, était battu. Les républicains avaient une nette majorité au Sénat.
A la conquête des pouvoirs législatifs devait s’ajouter celle des hauts emplois. Le 20 janvier, la Chambre, sur un texte présenté par Ferry, demanda au cabinet « les satisfactions légitimes qu’elle réclame depuis longtemps au nom du pays, notamment en ce qui concerne le haut personnel administratif et judiciaire ». Gambetta s’abstint : il préférait différer une crise, sachant les intrigues des chefs républicains contre lui. Dufaure soumit à Mac-Mahon une série de décrets de révocation. Mac-Mahon refusa les décrets relatifs au personnel militaire : il ne voulait pas faire entrer la politique dans l’armée et frapper ses « compagnons d’armes ». Par un sens tout militaire de son devoir, il avait tout accepté. La limite était atteinte : il démissionna le 30 janvier. Le Congrès se réunit aussitôt à Versailles. Avant le vote, créant une tradition durable, les groupes républicains avaient porté leur choix sur Grévy : le poids des sénateurs avait compté dans cette désignation. Gambetta ne mit pas en avant sa candidature : las, il ne chercha pas à forcer l’événement, sans doute jugeait-il ses chances médiocres. Provincial, rassurant, ennemi de la Présidence de la République en 1848, Grévy fut le premier président de la IIIe République à être élu dans les formes définies par les lois de 187515. Les républicains étaient maîtres du régime. Des gestes symboliques témoignèrent de leur victoire. Le ministre de la Guerre rendit la qualité de chant national à la Marseillaise. L’année suivante, le 6 juillet 1880, « la République adopte comme jour de fête nationale annuelle le 14 juillet ». A l’appel des radicaux, et de Gambetta, les républicains entendent commémorer les souvenirs de la Révolution, ceux de la prise de la Bastille, et de la fête de la Fédération de 1790. Le 14 juillet est une fête nationale, civique, laïque et populaire16, boudée longtemps par les adversaires de la République, qui ferment leurs volets et refusent de pavoiser. Les républicains ont voulu en instaurant une fête civique affirmer, par-delà les divisions sociales, l’unanimité des partisans du régime. Le vote de la loi d’amnistie des communards intervient à la veille de la première célébration officielle du 14 juillet. Gambetta, dans un de ses plus grands discours17, invita les députés à fermer « le livre de ces dix années », et à proclamer « qu’il n’y a qu’une France et qu’une République ». Le premier 14 juillet, l’armée retrouva ses drapeaux : à la revue de Longchamp, le président de la République remit les couleurs nationales à chacun des colonels de l’armée. La Patrie, l’armée, la République étaient indissolublement unies.
Pourquoi la victoire des républicains ? La réponse à cette question est moins immédiate qu’il ne semble. Certes les raisons de l’échec de la restauration s’expliquent aisément : le vicomte de Meaux les a énoncées d’une simple phrase : « Nous étions monarchistes et le pays ne l’était pas. » Quand le retour du comte de Chambord semble proche, les paysans dans la Haute-Loire, l’Ardèche ou la Seine-et-Marne craignent le retour de la dîme et des droits féodaux. Ils sont résolus à défendre contre la « réaction » la société égalitaire du Code civil, vieille, faut-il le rappeler, de moins de trois quarts de siècle. Les notables orléanistes n’ont pas, on l’a dit, une moindre méfiance vis-à-vis d’un homme si absolument étranger à l’esprit du siècle. De même s’explique aisément le vote des lois constitutionnelles : elles fondaient un régime parlementaire conservateur, qui pouvait aussi bien convenir à une République qu’à une monarchie libérale et réservait les chances éventuelles des Orléans. En vérité, la vraie question est bien celle-ci : pourquoi ce régime conservateur libéral fondé sur la conjonction des centres et qui ne mettait pas en cause les élites traditionnelles n’a-t-il pas duré ? Le problème est volontiers éludé par les explications qui insistent à l’envi sur l’accord profond entre les représentants des dynasties bourgeoises au centre droit et au centre gauche et sous-estiment, voire jugent pure fiction idéologique, les conflits qui opposèrent la droite et la gauche. C’est oublier ce qui ne cessa de susciter l’étonnement des contemporains, ainsi du comte d’Haussonville, neveu et collaborateur du duc de Broglie, méditant à plus de trente ans de distance sur les origines de la IIIe Répuplique18 : des hommes qui avaient tant d’idées et d’intérêts en commun avaient combattu les uns dans la coalition des droites, les autres dans la coalition des gauches. Au plan électoral, la division fondamentale de l’esprit public en deux camps et l’impossibilité d’une politique de centre apparut dès les élections de 1876 qui suivirent le vote des lois constitutionnelles. Mais quelle est la signification de cet affrontement de la droite et de la gauche, des conservateurs et des républicains ?
Le conflit qui trouve son aboutissement avec la défaite des hommes du 16 mai n’est pas la victoire de la petite bourgeoisie sur la grande : celle-ci n’est en effet pas absente de la coalition des gauches. Mais il n’est pas pour autant un jeu d’ombres derrière lequel les « intérêts » poursuivent leur stratégie. En vérité, le conflit du 16 mai est d’abord un conflit d’idées sur la place de l’Église dans la société et la ligne de clivage idéologique ne coïncide pas avec les groupes sociaux. Si le 16 mai a une signification sociale, elle est d’opposer, comme en 1789 et en 1830, aux privilégiés attachés à une conception hiérarchique et immobile de la société, le bloc du tiers état, qui accepte la démocratie, définie non certes comme l’égalité des fortunes, mais comme l’égalité des chances. A ce niveau, l’idéologique et le social se retrouvent car les républicains reprochent à l’Église d’interdire à l’humanité les « lumières » qui la libéreraient. Ainsi la défaite des hommes du 16 mai clôt-elle en quelque façon le grand mouvement commencé en 1789.
Ce bloc du tiers état qui constitue l’assise du « parti républicain » va de la grande bourgeoisie aux paysans. Avec les « nouvelles couches », ceux-ci sont l’infanterie de la République. Les ouvriers sont un appoint, non une force déterminante. Il serait facile de montrer qu’une fraction appréciable de la grande bourgeoisie de la banque, des affaires, de l’industrie est favorable aux républicains. Qu’il suffise de songer à Léon Say, à Henri Germain, le fondateur du Crédit lyonnais, parlementaire de l’Ain, à Dorian, maître de forges de la Loire, à Magnin, maître de forges dans la Côte-d’Or, à Feray, le papetier d’Essonnes. Un Dubochet, ancien carbonaro, devenu le magnat de l’industrie du gaz, est le mécène des républicains lors du 16 mai : il met à la disposition du comité républicain son hôtel du faubourg Saint-Honoré. Né à Vevey en 1792, venu en France en 1811, il fait le lien entre tes libéraux du temps de la Restauration et les fondateurs de la République. Gambetta, fidèle à la pensée de Saint-Simon et de Comte, ne manqua pas de s’adresser aux « vraies classes dirigeantes, c’est-à-dire ceux qui pensent, ceux qui travaillent, ceux qui amassent la richesse, ceux qui savent en faire un emploi judicieux, libéral et profitable au pays19 ». Il attendait de leur entrée dans la République, conforme aux « traditions de la bourgeoisie de 1789 et de 1830 » la fin de l’antagonisme « entre le capital et le travail, qui se fécondent l’un par l’autre20 ». Au sein de la grande bourgeoisie, des « producteurs » allèrent à la République, ceux qui ne séparaient pas l’attachement à l’ordre de la foi au progrès, qui, fidèles à l’optimisme libéral, demeuraient convaincus que l’essor de l’économie fondait l’amélioration du sort de tous, qui acceptaient une société mobile qui récompense les talents et les capacités.
De cette haute bourgeoisie, Gambetta distinguait « la bourgeoisie plus moyenne », cette « couche sociale nouvelle » dont à Grenoble, en septembre 1872, il avait annoncé l’avènement. L’intelligence politique des républicains fut de faire leurs les aspirations de ces classes moyennes dont les transformations économiques et sociales du second Empire avaient accru l’importance. Sans doute la notion de « nouvelles couches », ou de « classes moyennes » est-elle floue : elle va des petits industriels, des négociants, des membres des professions libérales, à cette immense « virtualité bourgeoise » qui se presse entre la bourgeoisie affirmée et le peuple ouvrier et paysan : boutiquiers, artisans à leur compte, petits entrepreneurs en bâtiment, employés, petits fonctionnaires. Mais ce monde si divers est animé par des aspirations communes : ascension sociale — et la foi mise dans les réformes scolaires est ici capitale —, promotion politique, qui s’affirme avec une intensité toute particulière dans les assemblées locales. Là, dans les conseils municipaux et les conseils généraux, en moins d’une décennie, un « nouveau personnel du suffrage universel » s’installe aux affaires. Aux nobles, à la bourgeoisie ancienne, aux notables, aux « propriétaires », succède, comme l’observe Saint-Valry21 « le parti des pharmaciens et des vétérinaires ». Avocats, médecins, professeurs, prennent leur revanche sur la « société » conservatrice du chef-lieu. Ils vont désormais encadrer ce peuple, dont ils tiennent à se distinguer, mais dont, bien mieux que les « Messieurs » conservateurs, ils sauront satisfaire les aspirations.
Aussi bien est-ce dans cette alliance entre une fraction de la grande bourgeoisie, les « couches nouvelles » et le peuple des villes et des campagnes que réside le secret de la victoire républicaine. A tout prendre, l’adhésion des paysans à la République n’allait pas de soi. Certes, la paysannerie avait un passé révolutionnaire ; en 1849, dans le Sud-Est et le Midi, elle avait voté pour les démocrates socialistes. Mais hormis ces terres fidèles du radicalisme, ou les bastions de fidélité légitimistes : France de l’Ouest, frange orientale du Massif central, les campagnes ne voulaient ni la réaction, ni la révolution. En ce sens, l’Empire les avait rassurées, ennemi à la fois des notables et du socialisme. Dans le désarroi de février 1871, elles élirent les conservateurs qui promettaient l’ordre et la paix.
Gambetta comprit qu’il fallait enraciner la République dans les campagnes, fonder selon le mot de Ferry une « République des paysans ». Les républicains surent montrer l’image d’une Marianne sage et fraternelle, d’une République conservatrice et égalitaire. Elle rassurait petits et moyens propriétaires, sans les humilier. A Mazières-en-Gâtine22, petit bourg entre Niort et Parthenay, le républicain Eugène Proust, gendre du médecin local, est élu maire en 1879 ; son prédécesseur, M. de Tusseau, s’appuyait sur ses fermiers et le clergé. Il pratiquait la bienfaisance et faisait distribuer du pain aux indigents. Plus habile, son successeur fonde un dépôt de journaux, se fait construire un château : il assure ainsi la diffusion des idées nouvelles et crée des occasions de travail, sans paternalisme. L’épisode est révélateur de cette « révolution des mairies », qui porta un coup décisif à l’influence des notables traditionnels. Par les services rendus, leur modération, l’habileté de leur propagande, les républicains surent conquérir l’audience des campagnes attentistes ou indifférentes à ce qui ne les concernait pas directement. Ils surent faire craindre une restauration monarchiste ou la réaction cléricale, dénoncer la nomination des maires par les préfets, demander l’instruction obligatoire, laïque et gratuite, et le service militaire universel, qui mettrait fin aux exemptions dont bénéficiaient les bourgeois. L’Univers pouvait écrire au début de 1874 : « Réserves de la patrie, les populations rurales, jusqu’ici à peu près intactes, sont entamées23. »
Dans le bloc républicain, les ouvriers ne constituent qu’une force d’appoint. D’autre part les républicains ne leur portent pas l’intérêt privilégié qu’ils accordent aux paysans ou aux classes moyennes. Cette situation reflète la réalité d’une France où le prolétariat de la grande industrie demeure très minoritaire. Elle tient aussi à la situation du mouvement ouvrier après la défaite de la Commune. A l’état de siège et à la législation sur la presse s’ajoute la loi du 14 mars 1872. Elle frappe de prison l’affiliation à toute association internationale qui a « pour but de provoquer à la suspension du travail, à l’abolition du droit de propriété, de la famille, de la religion ou du libre exercice des cultes ». Les grèves sont durement réprimées : « Les taux de répression judiciaire les plus forts du demi-siècle sont atteints en 1872, 1873, 1874 » (Michelle Perrot).
Les premières organisations ouvrières renaissent à partir de 1876. Les chambres syndicales ouvrières reprennent des formules réformistes : association, coopération, mutualité. Des hommes comme Barberet, qui rédige le bulletin de travail dans le journal radical le Rappel, de Vacquerie, font le lien entre les républicains et le monde ouvrier. A leur premier congrès, à Paris en 1876, les chambres revendiquent les libertés démocratiques et la laïcité. Le poids des artisans est prépondérant.
Aussi bien les ouvriers votent-ils pour les républicains avancés, les radicaux. Ce sont eux qui à Paris, dès juillet 1871, font le succès de quatre candidats du comité radical, dont Corbon, l’auteur du Secret du peuple de Paris, ce sont eux qui votent pour Barodet en 1873, et qui, comme le note un agent de la préfecture de police, font éclater leur satisfaction chez les marchands de vin après le succès de l’ancien maire de Lyon. Pourtant le programme social des radicaux reste modeste : il se distingue de celui du reste du parti républicain par son ton égalitaire, par l’appel à une « réforme de l’impôt », qui facilite, comme l’écrit Clemenceau, candidat dans le XVIIIe arrondissement en 1876, l’« amélioration du sort du plus grand nombre ».
Encore les radicaux revendiquent-ils l’amnistie des communards ; le reste du parti républicain la refuse jusqu’en 1880. Pourtant, entre un conservateur et un républicain modéré, les ouvriers votent pour le second. Le cas n’est pas rare d’ouvriers qui votent pour leur patron s’il est acquis à la cause républicaine. Qu’est-ce à dire, sinon que les préférences idéologiques l’emportent sur les antagonismes sociaux, que la puissance du mythe de la République est déterminante à Belleville ou à La Guillotière ? Confondus dans ce peuple urbain, dont ils partagent les aspirations, les ouvriers mettent leur espoir dans la République. Le souvenir de la Révolution française, ennemie des « gros », des nobles et des prêtres, compte infiniment plus que les réflexions totalement inconnues de Marx sur le rôle d’un parti ouvrier. En 1876, Jules Guesde, exilé à Genève après la Commune, rentre en France : l’homme qui fut l’introducteur du marxisme en France est encore beaucoup plus proche des radicaux que des collectivistes.
Telle est la coalition qui fit la victoire de la République. Dire son hétérogénéité, c’est, une fois de plus dire le rôle d’un homme, marquer l’intelligence politique de Gambetta, son sens tactique, sa prudence manœuvrière, son habileté à choisir le bon champ de bataille, celui du « cléricalisme » et de l’hostilité au « pouvoir personnel ». Scellant une nouvelle fois l’union du tiers état, il l’emporta.
Dans ses Souvenirs et Réflexions politiques, Paris, 1886.
Cf. A. Plessis, Nouvelle Histoire de la France contemporaine 9.
Sur 753 sièges républicains, 78 ne sont pas pourvus à cause des élections multiples. Il faudra défalquer en outre les sièges des départements annexés. Cf. R. Rémond (52)*.
*Le chiffre entre parenthèses renvoie à la bibliographie générale.
Son Journal politique demeure une des sources les plus remarquables pour la connaissance de l’Assemblée nationale, tout comme les Souvenirs politiques (1871-1877) du gendre de Montalembert, le vicomte de Meaux.
(59).
R. Schnerb (54).
Le 21 avril 1874.
Les termes républicains de « représentants » et d’« Assemblée nationale » n’ont pas été adoptés.
Cité par M. Prélot, Institutions politiques et Droit constitutionnel, Paris, p. 450.
Cf. P. Albert (87).
N’oublions pas que Bismarck, engagé dans le Kulturkampf, n’a guère apprécié en 1873 les déclarations des ultramontains français. Au printemps 1875, en face d’une loi française qui accroît les cadres de l’armée, il agite la menace d’une guerre préventive. Sa faveur va aux républicains dont il pense qu’ils trouveront plus difficilement des alliés en Europe que les monarchistes.
Le nombre de non-inscrits se monte à 12,8 % des électeurs potentiels. Les non-inscrits sont particulièrement nombreux dans la Seine- Inférieure, le Nord, à Paris, Lyon, Marseille. Le fait tient avant tout aux mouvements d’urbanisation. Cf. A. Lancelot, l’Abstentionnisme électoral en France, Paris, 1967.
Cf. F. Bédarida (43).
75 sortants, plus les sièges vacants.
Les Assemblées revinrent à Paris à l’automne 1879, mais l’usage demeura de tenir le Congrès à Versailles.
Cf. Rosemonde Sanson, Les 14 juillet 1789-1875, fête et conscience nationale, Paris, Flammarion, 1976.
Cité par l’Année politique, 1880, p. 285.
A propos du troisième tome de l’Histoire contemporaine de Hanotaux, dans A l’Académie française, Paris, 1911.
Abbeville, 10 juin 1877, cité par P. Barral (42), p. 235.
A Lille, 15 août 1877, ibid.
Souvenirs et Réflexions politiques II, Paris, 1886, p. 38.
Cf. l’admirable livre de Roger Thabault (34).
L’Univers du 8 janvier. Une série d’articles fort précis étudient la « propagande radicale » dans les campagnes.