La Méditation que je fis hier m’a rempli l’esprit de tant de doutes, qu’il n’est plus désormais en ma puissance de les oublier. Et cependant je ne vois pas de quelle façon je les pourrai résoudre ; et comme si tout à coup j’étais tombé dans une eau très profonde, je suis tellement surpris, que je ne puis ni assurer mes pieds dans le fond, ni nager pour me soutenir au-dessus. Je m’efforcerai néanmoins, et suivrai derechef la même voie où j’étais entré hier, en m’éloignant de tout ce en quoi je pourrai imaginer le moindre doute, tout de même que si je connaissais que cela fût absolument faux ; et je continuerai toujours (19) dans ce chemin, jusqu’à ce que j’aie rencontré quelque chose de certain ou du moins, si je ne puis autre chose, jusqu’à ce que j’aie appris certainement, qu’il n’y a rien au monde de certain.
In tantas dubitationes hesterna meditatione conjectus sum, ut nequeam amplius earum oblivisci, nec videam tamen qua ratione solvendæ sint ; sed, tanquam in profundum gurgitem (24) ex improviso delapsus, ita turbatus sum, ut nec possim in imo pedem figere, nec enatare ad summum. Enitar tamen & tentabo rursus eandem viam quam heri fueram ingressus, removendo scilicet illud omne quod vel minimum dubitationis admittit, nihilo secius quam si omnino falsum esse comperissem ; pergamque porro donec aliquid certi, vel, si nihil aliud, saltem hoc ipsum pro certo, nihil esse certi, cognoscam.
Archimède, pour tirer le globe terrestre de sa place et le transporter en un autre lieu, ne demandait rien qu’un point qui fût fixe et assuré. Ainsi j’aurai droit de concevoir de hautes espérances, si je suis assez heureux pour trouver seulement une chose qui soit certaine et indubitable.
Nihil nisi punctum petebat Archimedes, quod esset firmum & immobile, ut integram terram loco dimoveret ; magna quoque speranda sunt, si vel minimum quid invenero quod certum sit & inconcussum.
Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n’avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain.
Suppono igitur omnia quæ video falsa esse ; credo nihil unquam extitisse eorum quæ mendax memoria repræsentat ; nullos plane habeo sensus ; corpus, figura, extensio, motus, locusque sunt chimeræ. Quid igitur erit verum ? Fortassis hoc unum, nihil esse certi.
Mais que sais-je s’il n’y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N’y a-t-il point quelque Dieu, ou quelque autre puissance, qui me met en l’esprit ces pensées ? Cela n’est pas nécessaire ; car peut-être que je suis capable de les produire de moi-même. Moi donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose ? Mais j’ai déjà nié que j’eusse aucun sens ni aucun corps. J’hésite néanmoins, car que s’ensuit-il de là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens, que je ne puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit.
Sed unde scio nihil esse diversum ab iis omnibus quæ jam jam recensui, de quo ne minima quidem occasio sit dubitandi ? Nunquid est aliquis Deus, vel quocunque nomine illum vocem, qui mihi has ipsas cogitationes immittit ? Quare vero hoc putem, cum forsan ipsemet illarum author esse possim ? Nunquid ergo saltem ego aliquid sum ? Sed jam negavi me habere ullos sensus, & ullum corpus. Hæreo tamen ; nam quid inde ? Sumne ita corpori sensibusque alligatus, (25) ut sine illis esse non possim ? Sed mihi persuasi nihil plane esse in mundo, nullum cœlum, nullam terram, nullas mentes, nulla corpora ; nonne igitur etiam me non esse ? Imo certe ego eram, si quid mihi persuasi. Sed est deceptor nescio quis, summe potens, summe callidus, qui de industria me semper fallit. Haud dubie igitur ego etiam sum, si me fallit ; & fallat quantum potest, nunquam tamen efficiet, ut nihil sim quamdiu me aliquid esse cogitabo. Adeo ut, omnibus satis superque pensitatis, denique statuendum sit hoc pronuntiatum, Ego sum, ego existo, quoties a me profertur, vel mente concipitur, necessario esse verum.
Mais je ne connais pas encore assez clairement ce que je suis, moi qui suis certain que je suis ; de sorte que désormais il faut que je prenne soigneusement garde de ne prendre pas imprudemment (20) quelque autre chose pour moi, et ainsi de ne me point méprendre dans cette connaissance, que je soutiens être plus certaine et plus évidente que toutes celles que j’ai eues auparavant1.
Nondum vero satis intelligo, quisnam sim ego ille, qui jam necessario sum ; deincepsque cavendum est ne forte quid aliud imprudenter assumam in locum mei, sicque aberrem etiam in ea cognitione, quam omnium certissimam evidentissimamque esse contendo. Quare jam denuo meditabor quidnam me olim esse crediderim, priusquam in has cogitationes incidissem ; ex quo deinde subducam quidquid allatis rationibus vel minimum potuit infirmari, ut ita tandem præcise remaneat illud tantum quod certum est & inconcussum.
C’est pourquoi je considérerai derechef ce que je croyais être avant que j’entrasse dans ces dernières pensées ; et de mes anciennes opinions je retrancherai tout ce qui peut être combattu par les raisons que j’ai tantôt alléguées, en sorte qu’il ne demeure précisément rien que ce qui est entièrement indubitable. Qu’est-ce donc que j’ai cru être ci-devant ? Sans difficulté, j’ai pensé que j’étais un homme. Mais qu’est-ce qu’un homme ? Dirai-je que c’est un animal raisonnable ? Non certes : car il faudrait par après rechercher ce que c’est qu’animal, et ce que c’est que raisonnable, et ainsi d’une seule question nous tomberions insensiblement en une infinité d’autres plus difficiles et embarrassées, et je ne voudrais pas abuser du peu de temps et de loisir qui me reste, en l’employant à démêler de semblables subtilités. Mais je m’arrêterai plutôt à considérer ici les pensées qui naissaient ci-devant d’elles-mêmes en mon esprit, et qui ne m’étaient inspirées que de ma seule nature, lorsque je m’appliquais à la considération de mon être. Je me considérais, premièrement, comme ayant un visage, des mains, des bras, et toute cette machine composée d’os et de chair, telle qu’elle paraît en un cadavre, laquelle je désignais par le nom de corps. Je considérais, outre cela, que je me nourrissais, que je marchais, que je sentais et que je pensais, et je rapportais toutes ces actions à l’âme ; mais je ne m’arrêtais point à penser ce que c’était que cette âme, ou bien, si je m’y arrêtais, j’imaginais qu’elle était quelque chose extrêmement rare et subtile, comme un vent, une flamme ou un air très délié, qui était insinué et répandu dans mes plus grossières parties. Pour ce qui était du corps, je ne doutais nullement de sa nature ; car je pensais la connaître fort distinctement, et si je l’eusse voulu expliquer suivant les notions que j’en avais, je l’eusse décrite en cette sorte : Par le corps, j’entends tout ce qui peut être terminé par quelque figure ; qui peut être compris en quelque lieu, et remplir un espace en telle sorte que tout autre corps en soit exclu ; qui peut être senti, ou par l’attouchement, ou par la vue, ou par l’ouïe, ou par le goût, ou par l’odorat ; qui peut être mû en plusieurs façons, non par lui-même, mais par quelque chose d’étranger duquel il soit touché et dont il reçoive l’impression. Car d’avoir en soi la puissance de se mouvoir, de sentir et de penser, je ne croyais aucunement que l’on dût attribuer ces avantages à la nature corporelle ; au contraire, (21) je m’étonnais plutôt de voir que de semblables facultés se rencontraient en certains corps.
Quidnam igitur antehac me esse putavi ? Hominem scilicet. Sed quid est homo ? Dicamne animal rationale ? Non, quia postea quærendum foret quidnam animal sit, & quid rationale, atque ita ex una quæstione in plures dificilioresque delaberer ; nec jam mihi tantum otii est, ut illo velim inter istiusmodi subtilitates abuti. Sed hic potius attendam, quid sponte & natura duce cogitationi meæ antehac occurrebat, (26) quoties quid essem considerabam. Nempe occurrebat primo, me habere vultum, manus, brachia, totamque hanc membrorum machinam, qualis etiam in cadavere cernitur, & quam corporis nomine designabam. Occurrebat præterea me nutriri, incedere, sentire, & cogitare : quas quidem actiones ad animam referebam. Sed quid esset hæc anima, vel non advertebam, vel exiguum nescio quid imaginabar, instar venti, vel ignis, vel ætheris, quod crassioribus mei partibus esset infusum. De corpore vero ne dubitabam quidem, sed distincte me nosse arbitrabar, ejus naturam, quam si forte, qualem mente concipiebam, describere tentassem, sic explicuissem : per corpus intelligo illud omne quod aptum est figura aliqua terminari, loco circumscribi, spatium sic replere, ut ex eo aliud omne corpus excludat ; tactu, visu, auditu, gustu, vel odoratu percipi, necnon moveri pluribus modis, non quidem a seipso, sed ab alio quopiam a quo tangatur : namque habere vim seipsum movendi, item sentiendi, vel cogitandi, nullo pacto ad naturan corporis pertinere judicabam ; quinimo mirabar potius tales facultates in quibusdam corporibus reperiri.
Mais moi, qui suis-je, maintenant que je suppose qu’il y a quelqu’un qui est extrêmement puissant et, si je l’ose dire, malicieux et rusé, qui emploie toutes ses forces et toute son industrie à me tromper ? Puis-je m’assurer d’avoir la moindre de toutes les choses que j’ai attribuées ci-dessus à la nature corporelle ? Je m’arrête à y penser avec attention, je passe et repasse toutes ces choses en mon esprit, et je n’en rencontre aucune que je puisse dire être en moi. Il n’est pas besoin que je m’arrête à les dénombrer. Passons donc aux attributs de l’âme, et voyons s’il y en a quelques-uns qui soient en moi. Les premiers sont de me nourrir et de marcher ; mais s’il est vrai que je n’ai point de corps, il est vrai aussi que je ne puis marcher ni me nourrir. Un autre est de sentir ; mais on ne peut aussi sentir sans le corps : outre que j’ai pensé sentir autrefois plusieurs choses pendant le sommeil, que j’ai reconnu à mon réveil n’avoir point en effet senties. Un autre est de penser ; et je trouve ici que la pensée est un attribut qui m’appartient. Elle seule ne peut être détachée de moi. Je suis, j’existe : cela est certain ; mais combien de temps ? À savoir, autant de temps que je pense ; car peut-être se pourrait-il faire, si je cessais de penser, que je cesserais en même temps d’être ou d’exister. Je n’admets maintenant rien qui ne soit nécessairement vrai : je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison, qui sont des termes dont la signification m’était auparavant inconnue. Or je suis une chose vraie, et vraiment existante ; mais quelle chose ? Je l’ai dit : une chose qui pense. Et quoi davantage ? J’exciterai encore mon imagination, pour chercher si je ne suis point quelque chose de plus. Je ne suis point cet assemblage de membres, que l’on appelle le corps humain ; je ne suis point un air délié et pénétrant, répandu dans tous ces membres ; je ne suis point un vent, un souffle, une vapeur, ni rien de tout ce que je puis feindre et imaginer, puisque j’ai supposé que tout cela n’était rien, et que, sans changer cette supposition, je trouve que je ne laisse pas d’être certain que je suis quelque chose.
Quid autem nunc16, ubi suppono deceptorem aliquem potentissimum, &, si fas est dicere, malignum, data opera in omnibus, quantum potuit, me delusisse ? Possumne affirmare me habere vel minimum quid ex iis omnibus, quæ jam dixi ad naturam corporis pertinere ? Attendo, cogito, revolvo, nihil (27) occurrit ; fatigor eadem frustra repetere. Quid vero ex iis quæ animæ tribuebam ? Nutriri vel incedere ? Quandoquidem jam corpus non habeo, hæc quoque nihil sunt nisi figmenta. Sentire ? Nempe etiam hoc non fit sine corpore, & permulta sentire visus sum in somnis quæ deinde animadverti me non sensisse. Cogitare ? Hic invenio : cogitatio est ; hæc sola a me divelli nequit. Ego sum, ego existo ; certum est. Quandiu autem ? Nempe quandiu cogito ; nam forte etiam fieri posset, si cessarem ab omni cogitatione, ut illico totus esse desinerem. Nihil nunc admitto nisi quod necessario sit verum ; sum igitur præcise tantum res cogitans, id est, mens, sive animus, sive intellectus, sive ratio, voces mihi prius significationis ignotæ. Sum autem res vera, & vere existens ; sed qualis res ? Dixi, cogitans.
Mais aussi peut-il arriver que ces mêmes choses, que je suppose n’être point, parce qu’elles me sont inconnues, ne sont point en effet différentes de moi que je connais2 ? Je n’en sais rien ; je ne dispute pas maintenant de cela, je ne puis donner mon jugement que des choses qui me sont connues : j’ai reconnu que j’étais, et je cherche quel je suis, moi que j’ai reconnu être3. Or il est très certain que cette (22) notion et connaissance de moi-même, ainsi précisément prise4, ne dépend point des choses dont l’existence ne m’est pas encore connue ; ni par conséquent, et à plus forte raison, d’aucune de celles qui sont feintes et inventées par l’imagination. Et même ces termes de feindre et d’imaginer m’avertissent de mon erreur ; car je feindrais en effet, si j’imaginais être quelque chose, puisque imaginer n’est autre chose que contempler la figure ou l’image d’une chose corporelle. Or je sais déjà certainement que je suis, et que tout ensemble il se peut faire que toutes ces images-là, et généralement toutes les choses que l’on rapporte à la nature du corps, ne soient que des songes ou des chimères. En suite de quoi je vois clairement que j’aurais aussi peu de raison en disant : j’exciterai mon imagination pour connaître plus distinctement qui je suis, que si je disais : je suis maintenant éveillé, et j’aperçois quelque chose de réel et de véritable ; mais, parce que je ne l’aperçois pas encore assez nettement, je m’endormirai tout exprès, afin que mes songes me représentent cela même avec plus de vérité et d’évidence. Et ainsi, je reconnais certainement que rien de tout ce que je puis comprendre par le moyen de l’imagination, n’appartient à cette connaissance que j’ai de moi-même, et qu’il est besoin de rappeler et détourner son esprit de cette façon de concevoir, afin qu’il puisse lui-même reconnaître bien distinctement sa nature.
Quid præterea ? Imaginabor : non sum compages illa membrorum, quæ corpus humanum appellatur ; non sum etiam tenuis aliquis aer istis membris infusus, non ventus, non ignis, non vapor, non halitus, non quidquid mihi fingo : supposui enim ista nihil esse. Manet positio : nihilominus tamen ego aliquid sum. Fortassis vero contingit, ut hæc ipsa, quæ suppono nihil esse, quia mihi sunt ignota, tamen in rei veritate non differant ab eo me quem novi ? Nescio, de hac re jam non disputo ; de iis tantum quæ mihi nota sunt, judicium ferre possum. Novi me existere ; quæro quis sim ego ille quem novi. Certissimum est hujus sic præcise sumpti notitiam non pendere ab iis (28) quæ existere nondum novi ; non igitur ab iis ullis, quæ imaginatione effingo. Atque hoc verbum, effingo, admonet me erroris mei : nam fingerem revera, si quid me esse imaginarer, quia nihil aliud est imaginari quam rei corporeæ figuram, seu imaginem, contemplari. Jam autem certo scio me esse, simulque fieri posse ut omnes istæ imagines, & generaliter quæcunque ad corporis naturam referuntur, nihil sint præter insomnia. Quibus animadversis, non minus ineptire videor, dicendo : imaginabor, ut distinctius agnoscam quisnam sim, quam si dicerem : jam quidem sum experrectus, videoque nonnihil veri, sed quia nondum video satis evidenter, data opera obdormiam, ut hoc ipsum mihi somnia verius evidentiusque repræsentent. Itaque cognosco nihil eorum quæ possum imaginationis ope comprehendere, ad hanc quam de me habeo notitiam pertinere, mentemque ab illis diligentissime avocandam esse, ut suam ipsa naturam quam distinctissime percipiat.
Mais qu’est-ce donc que je suis ? Une chose qui pense. Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. Certes ce n’est pas peu si toutes ces choses appartiennent à ma nature. Mais pourquoi n’y appartiendraient-elles pas ? Ne suis-je pas encore ce même qui doute presque de tout, qui néanmoins entends et conçois certaines choses, qui assure et affirme celles-là seules êtres véritables, qui nie toutes les autres, qui veux et désire d’en connaître davantage, qui ne veux pas être trompé, qui imagine beaucoup de choses, même quelquefois en dépit que j’en aie, et qui en sens aussi beaucoup, comme par l’entremise des organes du corps ? Y a-t-il rien de tout cela qui ne soit aussi véritable qu’il est certain que je suis, et que j’existe, quand même je dormirais toujours, et que celui qui m’a donné l’être se servirait de toutes ses forces pour m’abuser ? Y a-t-il aussi aucun de ces attributs qui puisse être distingué de ma pensée, ou qu’on puisse dire être séparé de moi-même ? Car il est de soi si évident que c’est moi qui doute, qui entends, et qui désire, qu’il n’est pas ici besoin de rien ajouter pour l’expliquer. Et j’ai aussi (23) certainement la puissance d’imaginer ; car encore qu’il puisse arriver (comme j’ai supposé auparavant) que les choses que j’imagine ne soient pas vraies, néanmoins cette puissance d’imaginer ne laisse pas d’être réellement en moi, et fait partie de ma pensée. Enfin je suis le même qui sens, c’est-à-dire qui reçois et connais les choses comme par les organes des sens, puisqu’en effet je vois la lumière, j’ouïs le bruit, je ressens la chaleur. Mais l’on me dira que ces apparences sont fausses et que je dors. Qu’il soit ainsi ; toutefois, à tout le moins, il est très certain qu’il me semble que je vois, que j’ouïs, et que je m’échauffe ; et c’est proprement ce qui en moi s’appelle sentir, et cela, pris ainsi précisément, n’est rien autre chose que penser. D’où je commence à connaître quel je suis, avec un peu plus de lumière et de distinction que ci-devant.
Sed quid igitur sum ? Res cogitans. Quid est hoc ? Nempe dubitans, intelligens, affirmans, negans, volens, nolens, imaginans quoque, & sentiens. Non pauca sane hæc sunt, si cuncta ad me pertineant. Sed quidni pertinerent ? Nonne ego ipse sum qui jam dubito fere de omnibus, qui nonnihil tamen intelligo, qui hoc unum verum esse affirmo, nego cætera, cupio plura nosse, nolo decipi, multa vel invitus imaginor, multa etiam tanquam a sensibus venientia animadverto ? Quid est horum, quamvis semper (29) dormiam, quamvis etiam is qui me creavit, quantum in se est, me deludat, quod non æque verum sit ac me esse ? Quid est quod a mea cogitatione distinguatur ? Quid est quod a me ipso separatum dici possit ? Nam quod ego sim qui dubitem, qui intelligam, qui velim, tam manifestum est, ut nihil occurrat per quod evidentius explicetur. Sed vero etiam ego idem sum qui imaginor ; nam quamvis forte, ut supposui, nulla prorsus res imaginata vera sit, vis tamen ipsa imaginandi revera existit, & cogitationis meæ partem facit. Idem denique ego sum qui sentio, sive qui res corporeas tanquam per sensus animadverto : videlicet jam lucem video, strepitum audio, calorem sentio. Falsa hæc sunt, dormio enim. At certe videre videor, audire, calescere. Hoc falsum esse non potest ; hoc est proprie quod in me sentire appellatur ; atque hoc præcise sic sumptum nihil aliud est quam cogitare.
Mais je ne me puis empêcher de croire que les choses corporelles, dont les images se forment par ma pensée, et qui tombent sous les sens, ne soient plus distinctement connues que cette je ne sais quelle partie de moi-même qui ne tombe point sous l’imagination : quoiqu’en effet ce soit une chose bien étrange, que des choses que je trouve douteuses et éloignées, soient plus clairement et plus facilement connues de moi, que celles qui sont véritables et certaines, et qui appartiennent à ma propre nature. Mais je vois bien ce que c’est : mon esprit se plaît de s’égarer, et ne se peut encore contenir dans les justes bornes de la vérité. Relâchons-lui donc encore une fois la bride, afin que, venant ci-après à la retirer doucement et à propos, nous le puissions plus facilement régler et conduire.
Ex quibus equidem aliquanto melius incipio nosse quisnam sim ; sed adhuc tamen videtur, nec possum abstinere quin putem, res corporeas, quarum imagines cogitatione formantur, & quas ipsi sensus explorant, multo distinctius agnosci quam istud nescio quid mei, quod sub imaginationem non venit : quanquam profecto sit mirum, res quas animadverto esse dubias, ignotas, a me alienas, distinctius quam quod verum est, quod cognitum, quam denique me ipsum, a me comprehendi. Sed video quid sit : gaudet aberrare mens mea, necdum se patitur intra veritatis limites cohiberi. Esto igitur, & adhuc semel laxissimas habenas ei permittamus, ut, illis paulo post (30) opportune reductis, facilius se regi patiatur.
Commençons par la considération des choses les plus communes, et que nous croyons comprendre le plus distinctement, à savoir les corps que nous touchons et que nous voyons. Je n’entends pas parler des corps en général, car ces notions générales sont d’ordinaire plus confuses, mais de quelqu’un en particulier. Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d’être tiré de la ruche : il n’a pas encore perdu la douceur du miel qu’il contenait, il retient encore quelque chose de l’odeur des fleurs dont il a été recueilli ; sa couleur, sa figure, sa grandeur, sont apparentes ; il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son. Enfin toutes les choses qui peuvent distinctement faire connaître un corps, se rencontrent en celui-ci.
Consideremus res illas quæ vulgo putantur omnium distinctissime comprehendi : corpora scilicet, quæ tangimus, quæ videmus ; non quidem corpora in communi, generales enim istæ perceptiones aliquanto magis confusæ esse solent, sed unum in particulari. Sumamus, exempli causa, hanc ceram : nuperrime ex favis fuit educta ; nondum amisit omnem saporem sui mellis ; nonnihil retinet odoris florum ex quibus collecta est ; ejus color, figura, magnitudo, manifesta sunt ; dura est, frigida est, facile tangitur, ac, si articulo ferias, emittet sonum ; omnia denique illi adsunt quæ requiri videntur, ut corpus aliquod possit quam distinctissime cognosci. Sed ecce, dum loquor, igni admovetur ; saporis reliquiæ purgantur, odor expirat, color mutatur, figura tollitur, crescit magnitudo, fit liquida, fit calida, vix tangi potest, nec jam, si pulses, emittet sonum. Remanetne adhuc eadem cera ? Remanere fatendum est ; nemo negat, nemo aliter putat.
Mais voici que, cependant que je parle, on l’approche du feu : ce qui y restait de saveur s’exhale, l’odeur s’évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s’échauffe, à peine le peut-on toucher, (24) et quoiqu’on le frappe, il ne rendra plus aucun son. La même cire demeure-t-elle après ce changement ? Il faut avouer qu’elle demeure ; et personne ne le peut nier5. Qu’est-ce donc que l’on connaissait en ce morceau de cire avec tant de distinction ? Certes ce ne peut être rien de tout ce que j’y ai remarqué par l’entremise des sens, puisque toutes les choses qui tombaient sous le goût, ou l’odorat, ou la vue, ou l’attouchement, ou l’ouïe, se trouvent changées, et cependant la même cire demeure6. Peut-être était-ce ce que je pense maintenant, à savoir que la cire7 n’était pas ni cette douceur du miel, ni cette agréable odeur des fleurs, ni cette blancheur, ni cette figure, ni ce son, mais seulement un corps qui un peu auparavant me paraissait sous ces formes, et qui maintenant se fait remarquer sous d’autres. Mais qu’est-ce, précisément parlant, que j’imagine, lorsque je la conçois en cette sorte ? Considérons-le attentivement, et éloignant toutes les choses qui n’appartiennent point à la cire, voyons ce qui reste. Certes il ne demeure rien que quelque chose d’étendu, de flexible et de muable. Or qu’est-ce que cela : flexible et muable ? N’est-ce pas que j’imagine que cette cire étant ronde est capable de devenir carrée, et de passer du carré en une figure triangulaire ? Non certes, ce n’est pas cela, puisque je la conçois capable de recevoir une infinité de semblables changements8, et je ne saurais néanmoins parcourir cette infinité par mon imagination, et par conséquent cette conception que j’ai de la cire ne s’accomplit pas par la faculté d’imaginer. Qu’est-ce maintenant que cette extension ? N’est-elle pas aussi inconnue, puisque dans la cire qui se fond elle augmente, et se trouve encore plus grande quand elle est entièrement fondue, et beaucoup plus encore quand la chaleur augmente davantage ? Et je ne concevrais pas clairement et selon la vérité ce que c’est que la cire, si je ne pensais qu’elle est capable de recevoir plus de variétés selon l’extension, que je n’en ai jamais imaginé. Il faut donc que je tombe d’accord, que je ne saurais pas même concevoir par l’imagination ce que c’est que cette cire, et qu’il n’y a que mon entendement seul qui le conçoive9. Je dis ce morceau de cire en particulier, car pour la cire en général, il est encore plus évident. Or quelle est cette cire, qui ne peut être conçue que par l’entendement ou l’esprit10 ? Certes c’est la même que je vois, que je touche, que j’imagine, et la même que je connaissais dès le commencement. Mais ce qui est à remarquer, sa perception, ou bien l’action par laquelle on l’aperçoit, n’est point une vision, ni un attouchement, ni une imagination, et ne l’a jamais été, quoiqu’il le semblât ainsi auparavant, mais seulement (25) une inspection de l’esprit11, laquelle peut être imparfaite et confuse, comme elle était auparavant, ou bien claire et distincte, comme elle est à présent, selon que mon attention se porte plus ou moins aux choses qui sont en elle, et dont elle est composée.
Quid erat igitur in ea quod tam distincte comprehendebatur ? Certe nihil eorum quæ sensibus attingebam ; nam quæcunque sub gustum, vel odoratum, vel visum, vel tactum, vel auditum, veniebant, mutata jam sunt ; remanet cera. Fortassis illud erat quod nunc cogito : nempe ceram ipsam non quidem fuisse istam dulcedinem mellis, nec florum fragrantiam, nec istam albedinem, nec figuram, nec sonum, sed corpus quod mihi apparebat paulo ante modis istis conspicuum, nunc diversis. Quid est autem hoc præcise quod sic imaginor ? Attendamus, &, remotis iis quæ ad ceram non pertinent, videamus quid supersit : (31) nempe nihil aliud quam extensum quid, flexibile, mutabile. Quid vero est hoc flexibile, mutabile ? An quod imaginor, hanc ceram ex figura rotunda in quadratam, vel ex hac in triangularem verti posse ? Nullo modo ; nam innumerabilium ejusmodi mutationum capacem eam esse comprehendo, nec possum tamen innumerabiles imaginando percurrere ; nec igitur comprehensio hæc ab imaginandi facultate perficitur. Quid extensum ? Nunquid etiam ipsa ejus extensio est ignota ? Nam in cera liquescente fit major, major in ferventi, majorque rursus, si calor augeatur ; nec recte judicarem quid sit cera, nisi putarem hanc etiam plures secundum extensionem varietates admittere, quam fuerim unquam imaginando complexus. Superest igitur ut concedam, me nequidem imaginari quid sit hæc cera, sed sola mente percipere ; dico hanc in particulari, de cera enim in communi clarius est. Quænam vero est hæc cera, quæ non nisi mente percipitur ? Nempe eadem quam video, quam tango, quam imaginor, eadem denique quam ab initio esse arbitrabar. Atqui, quod notandum est, ejus perceptio non visio, non tactio, non imaginatio est, nec unquam fuit, quamvis prius ita videretur, sed solius mentis inspectio, quæ vel imperfecta esse potest & confusa, ut prius erat, vel clara & distincta, ut nunc est, prout minus vel magis ad illa ex quibus constat attendo.
Cependant je ne me saurais trop étonner, quand je considère combien mon esprit a de faiblesse, et de pente qui le porte insensiblement dans l’erreur. Car encore que sans parler je considère tout cela en moi-même, les paroles toutefois m’arrêtent, et je suis presque trompé par les termes du langage ordinaire ; car nous disons que nous voyons la même cire, si on nous la présente, et non pas que nous jugeons que c’est la même, de ce qu’elle a même couleur et même figure12 ; d’où je voudrais presque conclure, que l’on connaît la cire par la vision des yeux, et non par la seule inspection de l’esprit, si par hasard je ne regardais d’une fenêtre des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels je ne manque pas de dire que je vois des hommes, tout de même que je dis que je vois de la cire ; et cependant que vois-je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts13 ? Mais je juge que ce sont de vrais hommes ; et ainsi je comprends, par la seule puissance de juger qui réside en mon esprit, ce que je croyais voir de mes yeux.
Miror vero interim quam prona sit mea mens in errores ; nam quamvis hæc apud me tacitus & sine voce considerem, hæreo tamen in (32) verbis ipsis, & fere decipior ab ipso usu loquendi. Dicimus enim nos videre ceram ipsammet, si adsit, non ex colore vel ex figura eam adesse judicare. Unde concluderem statim : ceram ergo visione oculi, non solius mentis inspectione, cognosci ; nisi jam forte respexissem ex fenestra homines in platea transeuntes, quos etiam ipsos non minus usitate quam ceram dico me videre. Quid autem video præter pileos & vestes, sub quibus latere possent automata ? Sed judico homines esse. Atque ita id quod putabam me videre oculis, sola judicandi facultate, quæ in mente mea est, comprehendo.
Un homme qui tâche d’élever sa connaissance au-delà du commun, doit avoir honte de tirer des occasions de douter des formes et des termes de parler du vulgaire ; j’aime mieux passer outre, et considérer si je concevais avec plus d’évidence et de perfection ce qu’était la cire, lorsque je l’ai d’abord aperçue, et que j’ai cru la connaître par le moyen des sens extérieurs, ou à tout le moins du sens commun, ainsi qu’ils appellent, c’est-à-dire de la puissance imaginative, que je ne la conçois à présent, après avoir plus exactement examiné ce qu’elle est, et de quelle façon elle peut être connue. Certes il serait ridicule de mettre cela en doute. Car qu’y avait-il dans cette première perception qui fût distinct et évident, et qui ne pourrait pas tomber en même sorte dans le sens du moindre des animaux ? Mais quand je distingue la cire d’avec ses formes extérieures, et que, tout de même que si je lui avais ôté ses vêtements, je la considère toute nue, certes, quoiqu’il se puisse encore rencontrer quelque erreur dans mon jugement, je ne la puis concevoir de cette sorte sans un esprit humain.
Sed pudeat supra vulgus sapere cupientem, ex formis loquendi quas vulgus invenit dubitationem quæsivisse ; pergamusque deinceps, attendendo utrum ego perfectius evidentiusque percipiebam quid esset cera, cum primum aspexi, credidique me illam ipso sensu externo, vel saltem sensu communi, ut vocant, id est potentia imaginatrice, cognoscere ? An vero potius nunc, postquam diligentius investigavi tum quid ea sit, tum quomodo cognoscatur ? Certe hac de re dubitare esset ineptum ; nam quid fuit in prima perceptione distinctum ? Quid quod non a quovis animali haberi posse videretur ? At vero cum ceram ab externis formis distinguo, & tanquam vestibus detractis nudam considero, sic illam revera, quamvis adhuc error in judicio meo esse possit, non possum tamen sine humana mente percipere.
Mais enfin que dirai-je de cet esprit, c’est-à-dire de moi-même ? Car jusques ici je n’admets en moi autre chose qu’un esprit. Que prononcerai-je, dis-je, de moi qui semble concevoir avec tant de (26) netteté et de distinction ce morceau de cire ? Ne me connais-je pas moi-même, non seulement avec bien plus de vérité et de certitude, mais encore avec beaucoup plus de distinction et de netteté ? Car si je juge que la cire est, ou existe, de ce que je la vois, certes il suit bien plus évidemment que je suis ou que j’existe moi-même, de ce que je la vois. Car il se peut faire que ce que je vois ne soit pas en effet de la cire ; il peut aussi arriver que je n’aie pas même des yeux pour voir aucune chose ; mais il ne se peut pas faire que, lorsque je vois, ou (ce que je ne distingue plus) lorsque je pense voir, que moi qui pense ne sois quelque chose. De même, si je juge que la cire existe, de ce que je la touche, il s’ensuivra encore la même chose, à savoir que je suis ; et si je le juge de ce que mon imagination me le persuade, ou de quelque autre cause que ce soit, je conclurai toujours la même chose. Et ce que j’ai remarqué ici de la cire, se peut appliquer à toutes les autres choses qui me sont extérieures, et qui se rencontrent hors de moi. Or si la notion ou la connaissance de la cire semble être plus nette et plus distincte, après qu’elle a été découverte non seulement par la vue ou par l’attouchement, mais encore par beaucoup d’autres causes, avec combien plus d’évidence, de distinction et de netteté, me dois-je connaître moi-même, puisque toutes les raisons qui servent à connaître et concevoir la nature de la cire, ou de quelque autre corps, prouvent beaucoup plus facilement et plus évidemment la nature de mon esprit ? Et il se rencontre encore tant d’autres choses en l’esprit même, qui peuvent contribuer à l’éclaircissement de sa nature, que celles qui dépendent du corps14, comme celles-ci, ne méritent quasi pas d’être nombrées.
Quid autem dicam de hac (33) ipsa mente, sive de me ipso ? Nihildum enim aliud admitto in me esse præter mentem. Quid, inquam, ego qui hanc ceram videor tam distincte percipere ? Nunquid me ipsum non tantum multo verius, multo certius, sed etiam multo distinctius evidentiusque, cognosco ? Nam, si judico ceram existere, ex eo quod hanc videam, certe multo evidentius efficitur me ipsum etiam existere, ex eo ipso quod hanc videam. Fieri enim potest ut hoc quod video non vere sit cera ; fieri potest ut ne quidem oculos habeam, quibus quidquam videatur ; sed fieri plane non potest, cum videam, sive (quod jam non distinguo) cum cogitem me videre, ut ego ipse cogitans non aliquid sim. Simili ratione, si judico ceram esse, ex eo quod hanc tangam, idem rursus efficietur, videlicet me esse. Si ex eo quod imaginer, vel quavis alia ex causa, idem plane. Sed & hoc ipsum quod de cera animadverto, ad reliqua omnia, quæ sunt extra me posita, licet applicare. Porro autem, si magis distincta visa sit ceræ perceptio, postquam mihi, non ex solo visu vel tactu, sed pluribus ex causis innotuit, quanto distinctius me ipsum a me nunc cognosci fatendum est, quandoquidem nullæ rationes vel ad ceræ, vel ad cujuspiam alterius corporis perceptionem possint juvare, quin eædem omnes mentis meæ naturam melius probent ! Sed & alia insuper tam multa sunt in ipsa mente, ex quibus ejus notitia distinctior reddi potest, ut ea, quæ ex corpore ad illam emanant, vix numeranda videantur.
Mais enfin me voici insensiblement revenu où je voulais ; car, puisque c’est une chose qui m’est à présent connue, qu’à proprement parler nous ne concevons les corps15 que par la faculté d’entendre qui est en nous, et non point par l’imagination ni par les sens, et que nous ne les connaissons pas de ce que nous les voyons, ou que nous les touchons, mais seulement de ce que nous les concevons par la pensée, je connais évidemment qu’il n’y a rien qui me soit plus facile à connaître que mon esprit. Mais, parce qu’il est presque impossible de se défaire si promptement d’une ancienne opinion, il sera bon que je m’arrête un peu en cet endroit, afin que, par la longueur de ma méditation, j’imprime plus profondément en ma mémoire cette nouvelle connaissance.
Atque ecce tandem sponte sum reversus eo quo volebam ; nam cum mihi (34) nunc notum sit ipsamet corpora, non proprie a sensibus, vel ab imaginandi facultate, sed a solo intellectu percipi, nec ex eo percipi quod tangantur aut videantur, sed tantum ex eo quod intelligantur, aperte cognosco nihil facilius aut evidentius mea mente posse a me percipi. Sed quia tam cito deponi veteris opinionis consuetudo non potest, placet hic consistere, ut altius hæc nova cognitio memoriæ meæ diuturnitate meditationis infigatur.