Avant-propos

La raison d’une « petite histoire »

Depuis la première édition de mon essai, le paysage de la santé nutritionnelle, et plus précisément la médication par la supplémentation, a sensiblement évolué.

Certaines « vieilles questions » comme celle de l’efficacité réelle de la vitamine C sur le rhume commun ont été réglées. Les méta-analyses de 2007 et de 2009 confirmaient et précisaient la découverte de Linus Pauling, malgré des décennies de scepticisme et de dénégations. De nouveaux suppléments s’ajoutent aux antioxydants et interviennent, telle la coenzyme10, sur les mitochondries de la cellule. Aussi, on redécouvre l’importance primordiale des intestins dans l’assimilation des aliments et par voie de conséquence, les probiotiques envahissent non seulement les pharmacies mais tout autant l’industrie des produits laitiers. La santé, en quelques années, est devenue une valeur vécue par une population grandissante ; le niveau de survie étant assuré, l’individu se préoccupe alors de sa longévité et de sa qualité de vie. La médecine nutritionnelle renaissante lui offre le meilleur et le pire pour assurer et prolonger cette longévité.

J’ai ajouté des sections correspondant à ces nouvelles voies offertes, ainsi qu’à des thèmes dans l’horizon de la nutrition. À cet égard, il convenait d’intégrer le régime alimentaire méditerranéen pour ses multiples vertus. J’ai aussi mis à jour les sections que j’avais faites, en intégrant les références et autres observations reçues des lecteurs. J’ignorais tout alors de la cure médiévale de Rudoph Breuss, l’ancêtre des jus de légumes, et j’ai appris comme tout le monde le degré d’intoxication inacceptable de certains produits de l’alimentation industrielle comme les poissons d’élevage. Il fallait aussi parler des nouvelles recettes « nutraceutiques » – comme celle du biochimiste Richard Béliveau – qui veulent être des alternatives aux « pharmaceutiques » traditionnelles.

Sans vouloir faire de politique, j’ai constaté, encore une fois comme tout le monde, le danger d’une alimentation animale industrielle offerte sur le marché par la CAFO (Confined Animals Food Operation), critiquée sévèrement par la FDA (Food and Drug Administration), elle-même pas toujours fiable. Le drame de l’aspartame et de sa légalisation plus que critiquable explique l’intrusion de ce substitut de sucre qui fut un véritable poison dans notre alimentation récente. J’ai ajouté une annexe résumant les conditions plus que douteuses dans lesquelles s’est faite la libéralisation de l’aspartame par la FDA1.

J’ai également mis en annexe un texte qui concerne la philosophie des sciences, appliquée à l’histoire des doctrines médicales. Les doctrines médicales encadrent et enferment, comme des bouteilles de verre, nos choix thérapeutiques. Le philosophe Wittgenstein propose de comparer notre situation psychologique à celle d’une mouche prisonnière d’une bouteille. Il explique ainsi qu’il est fort difficile de se départir de ses préjugés et de pouvoir sortir de la bouteille de nos croyances. J’ai pensé que cette difficulté pouvait intéresser certains lecteurs. Car notre santé dépend de ce que nous en pensons puisque nous mangeons selon nos choix d’alimentation. Et nous faisons toujours ces choix selon nos connaissances et nos croyances2.

Comme dans presque tous les domaines de la vie et des professions, la présence des femmes dans l’histoire de la médecine nutritionnelle constitue un problème de recherche en soi. Si Catherine Kousmine est bien connue, beaucoup d’autres femmes devraient figurer dans une histoire de cette médecine. Mais dans ce domaine comme dans tant d’autres, les femmes n’avaient ni reconnaissance sociale ni académique de leurs contributions. Il va sans dire que les femmes ne pouvaient pas exercer la profession de médecin dans l’Antiquité, le Moyen Âge ou la période moderne jusqu’à tout récemment, à la fin du XIXe siècle. Ravalées au rang de sorcières et de magiciennes, les sages-femmes et apothicaires ont dû exercer leur art de guérison en secret, dans l’interdit et sans aucune tradition de transmission reconnue par leurs sociétés respectives. Madame Charlotte Thiroux d’Arconville, en plein XVIIIe siècle des Lumières, fut l’une des plus grandes chimistes de son époque ; mais elle dut publier ses recherches sur la putréfaction sous l’anonymat. C’est pourtant elle la première qui expliqua la putréfaction par l’effet combiné de l’eau et de l’air. Malgré cela, elle ne figure dans aucune histoire de la chimie ! Et qui connaît les travaux de la diététiste Lucie Randoin sur les « mutations » chimiques dans la technique du séchage des fruits ?  

« On enseigne ce qu’on veut mieux comprendre », dit-on. Je n’ai pas fait autre chose en révisant cette troisième édition. J’ai évité les doctrines de panacées prétendant tout guérir avec un seul aliment ; et je n’ai pas considéré les différentes solutions miracles diététiques qui échappent à la vérification, comme les fleurs d’Edward Bach dont le choix thérapeutique est fondé sur sa seule intuition.

Le problème nutritionnel de notre monde moderne n’est plus celui des temps anciens ; il ne s’agit plus de survivre mais bien de vivre le plus longtemps possible, mais sans perte de qualité de vie. La nutrition – et ses vertus apaisantes et curatives – remet en pleine actualité le principe d’Hippocrate identifiant le médicament à l’aliment. L’histoire de cette synonymie jusqu’à nos jours est un filon de connaissances et de pratiques peu connues. À défaut d’une grande Histoire, j’ai essayé de reconstituer, tant bien que mal dans une petite Histoire, un filon traversant les différentes époques de notre médecine et de nos habitudes alimentaires.

Claude Gagnon Juillet 2016


1 Voir l’annexe 5 ci-dessous.

2 Voir l’annexe 6 ci-dessous.