I
La généalogie1 de Gargantua. Ses origines
Je vous dis que par don souverain des cieux nous a été conservée l’antique généalogie de Gargantua, plus complète que nulle autre, excepté celle du Messie2, dont je ne parle pas, car il ne m’appartient pas de le faire : ces diables de calomniateurs et de cafards3 s’y opposent. Elle fut trouvée par Jean Audeau en un pré qu’il avait près de l’Arceau Galeau, au-dessous de l’Olive, près de Narsay. Comme il en faisait nettoyer les fossés, les piocheurs heurtèrent de leurs houes4 un grand tombeau de bronze, excessivement long, car jamais ils n’en trouvèrent le bout parce qu’il entrait trop avant sous les écluses de la Vienne. En l’ouvrant à un certain endroit, marqué par-dessus d’un gobelet autour duquel était écrit en lettres étrusques5 « ICI ON BOIT », ils trouvèrent neuf flacons dans l’ordre où l’on met les quilles en Gascogne. Celui qui était au milieu masquait un gros, gras, grand, gris, joli, petit, moisi livret, qui sentait plus fort, mais pas mieux que les roses.
Dans ce livret fut trouvée ladite généalogie, écrite comme dans une lettre de la chancellerie6, non pas sur du papier, du parchemin7 ou des tablettes de cire, mais sur de l’écorce d’ulmeau8. Toutefois elle était si usée par le temps qu’à peine pouvait-on reconnaître trois lettres à la suite.
Bien qu’étant indigne, je fus appelé à cette tâche, et à grand renfort de bésicles9, pratiquant l’art de lire les lettres non apparentes, comme l’enseigne Aristote, je la traduisis, comme vous pourrez le voir en pantagruélisant10, c’est-à-dire en buvant à votre gré et en lisant les gestes horrifiques de Pantagruel.