V

Les propos des Bien-ivres

Puis ils décidèrent de faire le goûter au même endroit. Alors les flacons d’aller, les jambons de trotter, les gobelets de voler, les brocs de tinter !

« Tire1 !

– Donne !

– Tourne !

– Ajoute de l’eau !

– Donne-m’en sans eau ! Ainsi, mon ami.

– Avale-moi ce verre galamment !

– Apporte-moi du rosé, que le verre en pleure !

– Trêve de soif2 !

– Ah ! sale fièvre, ne t’en iras-tu pas ?

– Par ma foi, ma commère, je ne peux pas me mettre à boire.

– Vous êtes transie, m’amie ?

– Oui.

– Ventre saint Quenet ! parlons de boire. […]

– Je bois pour la soif à venir. Je bois éternellement. C’est pour moi une éternité de beuverie et une beuverie d’éternité.

– Chantons, buvons, entonnons un cantique !

– Où est mon entonnoir ?

– Quoi, les autres boivent à ma place !

– Vous mouillez-vous3 pour sécher, ou vous séchez-vous pour vous mouiller ?

– Je ne comprends rien à la théorie ; je me débrouille avec la pratique.

– Hâte-toi !

– Je mouille, j’humecte, je bois, et tout de peur de mourir.

– Buvez toujours, vous ne mourrez jamais.

– Si je ne bois, je suis à sec : me voilà mort. Mon âme s’enfuira vers quelque mare à grenouilles. En lieu sec jamais l’âme ne peut demeurer. »