XII
Des chevaux factices de Gargantua
Lui-même se fit avec une grosse poutre à roulettes un cheval pour la chasse, un autre pour tous les jours avec la poutre d’un pressoir1, et dans un grand chêne une mule avec sa housse2, pour s’exercer en salle3. Il avait encore dix ou douze chevaux de relais et de poste4. Et tous, il les mettait à coucher auprès de lui.
Un jour, le seigneur de Pain-en-sac vint visiter son père en grand apparat : ce jour-là étaient également venus le duc de Francrepas et le comte de Mouillevent. Par ma foi, le logis était un peu étroit pour tant de gens, en particulier les écuries. Le maître d’hôtel et le fourrier5 dudit seigneur de Pain-en-sac s’adressèrent à Gargantua, qui était alors garçonnet, pour savoir s’il n’y avait pas des écuries vides ailleurs en la maison, en lui demandant en secret où étaient les écuries des grands chevaux, pensant que volontiers les enfants racontent tout.
Alors il les mena par le grand escalier du château, et ils passèrent de la seconde salle en une grande galerie, par laquelle ils pénétrèrent en une grosse tour. Comme ils montaient un autre escalier, le fourrier dit au maître d’hôtel :
« Cet enfant nous abuse, car les écuries ne sont jamais en haut de la maison.
– Vous raisonnez mal, dit le maître d’hôtel, car je sais des endroits à Lyon, à la Baumette, à Chinon et ailleurs, où les écuries sont au plus haut du logis. Peut-être y a-t-il par-derrière une sortie à l’étage. Mais je vais le demander, pour en être sûr. »
Alors il demanda à Gargantua :
« Mon petit mignon, où nous menez-vous ?
– À l’écurie de mes grands chevaux, dit-il. Nous y sommes presque, montons seulement ces marches. »
Ensuite, les faisant passer par une autre grande salle, il les mena en sa chambre, et il ouvrit la porte :
« Voici, dit-il, les écuries que vous demandez. »