XXXV
Comment Gymnaste tua en souplesse le capitaine Tripet
et d’autres gens de Picrochole
Gymnaste fit semblant de descendre de cheval, et quand il fut suspendu du côté du montoir1, il fit souplement le tour de l’étrivière2, son épée au côté, et une fois passé par-dessous, il se lança en l’air, et se tint les deux pieds sur la selle, le cul tourné vers la tête du cheval. Puis il dit : « Mon affaire va à l’envers ! »
Alors, dans la position où il était, il fit une pirouette sur un pied, et tournant à gauche, ne manqua pas de reprendre sa première position, sans en rien changer.
« Ah, dit Tripet, je ne ferai pas ce saut-là pour l’instant, et pour cause.
– Bren3, dit Gymnaste, je me suis trompé, je vais reprendre ce saut. »
Alors, avec grande force et agilité, il refit cette pirouette, en tournant à droite. Ceci fait, il mit le pouce de la main droite sur l’arçon4 de la selle, et il leva son corps en l’air, en se soutenant sur le muscle et les tendons de ce pouce : et ainsi, il tourna trois fois. À la quatrième, il se renversa sans toucher à rien, et s’éleva entre les deux oreilles du cheval, en soulevant tout son corps sur le pouce de la main gauche. Dans cette position, il fit un moulinet5. Puis, frappant du plat de la main droite sur le milieu de la selle, il se donna un tel élan qu’il s’assit sur la croupe, comme les demoiselles6. Cela fait, tout à l’aise, il passe la jambe droite par-dessus la selle, et se mit à chevaucher sur la croupe.
« Mais, dit-il, mieux vaut que je me mette entre les arçons. »
Alors, en appuyant les pouces des deux mains sur la croupe, devant lui, il se renversa cul par-dessus tête, en l’air, et il se trouva entre les arçons, en bon maintien. Puis, d’un soubresaut, il se tint pieds joints entre les arçons, et là il tournoya plus de cent tours, les bras tendus en croix, et il criait à haute voix : « J’enrage7, diables, j’enrage, j’enrage, tenez-moi, diables, tenez-moi, tenez ! »
Tandis qu’il faisait ces tours de voltige, les maroufles8 en grand ébahissement se disaient l’un à l’autre : « Par la Mère de Dieu ! Vraiment, c’est un lutin ou un diable ainsi déguisé. Délivre-nous de l’ennemi malin, Seigneur ! » Et ils fuyaient sur le chemin, en regardant derrière eux, comme un chien qui emporte une aile de volaille. Alors Gymnaste, voyant son avantage, descend de cheval, dégaine son épée, et à grands coups charge sur ceux qui ont la plus fière allure. Il les renversait en gros tas, blessés, abîmés, meurtris, sans qu’aucun lui résistât, pensant que ce fût un diable affamé, à la fois à cause des merveilleux tours de voltige qu’il avait faits et des propos que Tripet lui avait tenus, en l’appelant « pauvre diable ».