XXXVII
Comment Gargantua, en se peignant,
faisait tomber de ses cheveux les boulets d’artillerie
Ayant quitté la rive du Vède, ils arrivèrent peu de temps après au château de Grandgousier, qui les attendait en grande impatience. À sa venue, ils le festoyèrent à tour de bras : jamais on ne vit gens plus joyeux, car le Supplément au Supplément des Chroniques1 dit que Gargamelle en mourut de joie. Pour ma part, je n’en sais rien, et je me soucie bien peu d’elle et des autres.
Ce qui est vrai, c’est que Gargantua, en changeant d’habits et en se coiffant avec son peigne (qui était long de cent cannes, et muni de grandes dents d’éléphants toutes entières), faisait tomber à chaque coup plus de sept paquets de boulets qui lui étaient demeurés entre les cheveux lors de la démolition du bois de Vède. En le voyant, Grandgousier son père pensa que c’étaient des poux, et il lui dit :
« Vraiment, mon bon fils, nous as-tu apporté jusqu’ici des éperviers de Montaigu2 ? Je n’entendais pas que tu ailles y résider. […] Mais ce soir, je veux vous festoyer, et soyez les bienvenus. »
Cela dit, on apprêta le souper, et furent rôtis seize bœufs, trois génisses, trente-deux veaux, soixante-trois chevreaux de l’été, quatre-vingt-quinze moutons, trois cents cochons de lait au beau moût3 de raisin, deux cent vingt perdrix, trois cents bécasses, quatre cents chapons4 du Loudunois et de Cornouaille, six mille poulets et autant de pigeons.