LIII
Comment fut bâtie et dotée
l’abbaye des Thélémites
Le bâtiment était de forme hexagonale1, de telle façon qu’à chaque angle était construite une grosse tour ronde, au diamètre large de soixante pas, et ces tours étaient toutes pareilles en grosseur et en allure.
La Loire coulait du côté du nord. Sur sa rive était une des tours, nommée Artice2 ; à l’est, une autre tour nommée Calaer ; puis les tours Anatole, Mésembrine, Hespérie ; la dernière s’appelait Crière. Entre les tours il y avait un espace de trois cent douze pas3. Le tout bâti à six étages, en comptant les caves souterraines. Le second étage était voûté en anse de panier ; le reste était couvert de gypse de Flandre, orné de culs-de-lampe4. Le dessus était couvert d’ardoise fine, avec la crête du toit en plomb et décorée de petits personnages et d’animaux, bien assortis et dorés. Les gouttières sortaient du mur entre les croisées, peintes en diagonale d’or et d’azur, jusqu’en terre, où elles donnaient dans de grands conduits qui tous aboutissaient à la rivière, plus bas que l’édifice.
Ce bâtiment était cent fois plus magnifique que ne sont Bonnivet, Chambord et Chantilly5, car il comportait neuf mille trois cent trente-deux chambres, chacune complétée d’une arrière-chambre, d’un cabinet, d’une garde-robe, d’un oratoire6, et ouvrant sur la grande salle. Entre les tours, au milieu du corps de logis, il y avait chaque fois un escalier tournant, avec des paliers ; les marches étaient en partie de porphyre7, en partie de marbre de Numidie, en partie de marbre vert. Elles étaient longues de vingt-deux pieds, et épaisses de trois doigts. Il y avait douze marches entre deux paliers. À chaque palier étaient deux beaux arcs à l’antique8, par lesquels pénétrait la clarté, et qui permettaient d’entrer dans une loggia à claire-voie, de la même largeur que l’escalier. Celui-ci montait au-dessus du toit, et là, il finissait par un pavillon. Par cet escalier on entrait de chaque côté en une grande salle, et des salles aux chambres.
De la tour Arctique à la tour Crière se trouvaient les belles grandes bibliothèques en grec, latin, hébreu, français, italien et espagnol, réparties sur les différents étages selon les langues.
Au milieu était un merveilleux escalier tournant, qui s’ouvrait sur le dehors par un arc large de six toises9. Il avait un plan symétrique et une capacité telle que six hommes d’armes, la lance sur la cuisse, pouvaient monter jusqu’en haut du bâtiment.
De la tour Anatole à la tour Mésembrine s’étendaient de belles galeries, toutes peintes de fresques. Celles-ci avaient pour sujet les antiques prouesses, les grands événements et les descriptions de la terre. Au milieu, il y avait une montée et une porte semblables à celles que nous avons mentionnées du côté de la rivière. Sur cette porte était écrit en grosses lettres romaines10 ce qui s’ensuit.