LVI
Comment étaient vêtus les religieux
et religieuses de Thélème
Les dames, au commencement de la fondation, s’habillaient selon leur plaisir et leur volonté. Depuis elles réformèrent cette coutume, de leur pleine liberté, et de la façon suivante.
Elles portaient des chausses1 d’écarlate vive, et lesdites chausses dépassaient le genou de trois doigts exactement, et cette lisière était ornée de belles broderies et de découpures. Les jarretières étaient de la même couleur que leurs bracelets, et elles serraient le genou au-dessus et au-dessous. Les souliers, escarpins et pantoufles, de velours cramoisi, rouge ou violet, étaient découpés en barbes d’écrevisse2.
Au-dessus de la chemise, elles revêtaient le beau corset, en étoffe de soie. Sur le corset, elles mettaient le jupon raide, de taffetas blanc, rouge, brun, gris, etc. ; au-dessus, la cotte de taffetas d’argent rebrodée d’or fin et de volutes faites à l’aiguille, ou, selon que bon leur semblait, et suivant le jour et l’air, de satin, de damas3, de velours orangé, brun, vert, cendré, bleu, jaune clair, rouge, cramoisi, blanc, de drap d’or, de toile d’argent, avec ouvrage de fils précieux ou de broderie, selon les fêtes.
Les robes étaient selon la saison de toile d’or à frisure d’argent4, de satin rouge couvert de dessins en fil d’or, de taffetas blanc, bleu, noir, brun, de serge ou d’étoffe légère en soie, de velours, de drap d’argent, de toile d’argent, d’or filé, de velours ou de satin brodé d’or en figures diverses. […] Et toujours le beau panache, choisi selon les couleurs des manchons5, et bien garni de pampilles6 d’or. En hiver, des robes de taffetas dans les couleurs mentionnées ci-dessus : fourrées de lynx, de genette7 noire, de martre de Calabre, de zibeline et d’autres fourrures précieuses. Les chapelets, anneaux, chaînes, colliers étaient de fines pierreries, escarboucles, rubis, balais8, diamants, saphirs, émeraudes, turquoises, grenats, agates, bérils9, perles d’excellence. […]
Telle sympathie était entre les hommes et les femmes que chaque jour ils étaient vêtus de semblable parure. Et pour ne pas y manquer, certains gentilshommes étaient chargés de dire aux hommes, chaque matin, quelle livrée10 les dames voulaient porter cette journée-là. Car tout était fait selon la volonté des dames. Ne pensez pas que ces vêtements et ces parures si riches leur fissent perdre du temps, car les maîtres des garde-robes tenaient tous les vêtements prêts chaque matin ; et les femmes de chambre étaient si bien apprises qu’en un moment les dames étaient prêtes et habillées de pied en cap.
Et pour se procurer ces vêtements avec plus grande commodité, il y avait près du bois de Thélème un grand corps de maison long d’une demi-lieue11, bien clair et bien aménagé, où demeuraient les orfèvres, les lapidaires12, les brodeurs, les tailleurs, les fileurs d’or, les veloutiers, les tapissiers et tisseurs de tentures, et là chacun exerçait son métier, le tout pour ces religieux et religieuses.