Analyse du discours onusien
Lucile MAERTENS{6}
Le 1er décembre 2015, deuxième jour de la COP21, la 21e conférence des parties de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, le Président Obama qualifiait l'action en matière de changement climatique « d'impératif économique et sécuritaire »{8}. La thèse selon laquelle le changement climatique menacerait notre survie est loin d'être nouvelle : depuis les années 1990, le discours sécuritaire visant à construire les menaces environnementales se développe au sein de l'Organisation des Nations Unies (ONU).
Le 24 mars 1999, après l'échec de la Conférence de Rambouillet, l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) lance des frappes aériennes sur le Kosovo : raffineries en feu à Panèevo et Novi Sad, produits toxiques affluant dans le Danube, les images du désastre environnemental accompagnent celles des foules fuyant le conflit (PNUE et CNUEH 1999). Alors que les armes chimiques font leur apparition dès la Première Guerre mondiale, la guerre du Vietnam catalyse les préoccupations en matière de protection environnementale en cas de conflit, conduisant à l'adoption, le 10 décembre 1976, de la Convention ENMOD (UNEP 2009 : 8) – Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles. Deux décennies plus tard, le Conseil de sécurité déclare l'Iraq responsable des dommages environnementaux subis à la suite de son invasion et occupation du Koweït{9}, constituant la première reconnaissance, en droit international, de la responsabilité des États vis-à-vis des dégradations environnementales résultantes des activités militaires à l'étranger (Low et Hodgkinson 1994-1995 : 406). Dans un contexte de développement des outils juridiques de protection de l'environnement et de reconnaissance croissante des risques et atteintes portés à l'environnement en situation de conflit, l'ONU envoie une équipe d'experts dans les Balkans en mai 1999 pour évaluer les répercussions possibles des bombardements de l'OTAN sur l'environnement (PNUE et CNUEH 1999). Première opération de terrain pour le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), elle marque le début d'une série d'interventions onusiennes en matière d'environnement et de sécurité.
Le 20 juillet 2011, pour la deuxième fois dans l'histoire de l'institution, le Conseil de sécurité débat des implications sécuritaires du changement climatique{10}. Si parmi les 63 délégués participant à la discussion, nombre d'entre eux s'interrogent sur la légitimité du Conseil de sécurité dans le traitement de problématiques environnementales et climatiques relevant du mandat d'autres organes onusiens, l'existence de conséquences du changement climatique en matière de sécurité fait l'unanimité{11}. Le cas du Darfour, souvent mentionné, non sans critique, comme un exemple de conflit climatique (UNEP 2007, Mazo 2010, Vadrot 2005), illustre un changement de paradigme : il ne s'agit plus de protéger l'environnement du conflit mais de prévenir les guerres de l'environnement. On le retrouve également dans les travaux plus récents sur le cas syrien où des auteurs établissent une causalité complexe entre les sécheresses, les déplacements forcés de populations non gérés et anticipés par les autorités et la montée des contestations (Kelley et al. 2015).
En 2013, selon le PNUE, plus de 90 % du territoire haïtien était déforesté mais 72 % de la consommation énergétique haïtienne était fournis par le bois de chauffe et le charbon (PNUE 2013 : 22-23). Dans ce contexte, les inégalités économiques et de ressources entre Haïti et la République dominicaine présentent des risques d'instabilité et de conflits notamment en raison de la coupe illégale des arbres sur le territoire dominicain et de l'absence de contrôle autour du commerce transfrontalier du charbon de bois (PNUE 2013 : 5-6). Le PNUE aspire à désamorcer les tensions entre Haïti et la République dominicaine (PNUE 2014 : 17). Potentiel enjeu de conflit, l'environnement s'introduit progressivement dans les activités onusiennes de prévention et de médiation.
En novembre 2011, l'équipe de médiation de l'Envoyé spécial des Nations Unies pour le Sahara occidental organise une rencontre entre les parties en conflit afin d'examiner les questions de gestion des ressources naturelles{12}. La discussion, essentiellement technique, a ainsi pour but d'ouvrir un dialogue entre les acteurs et de discuter de potentielles collaborations autour d'un enjeu neutre et partagé (DPA et UNEP 2015 : 24). Alors que les raisons qui opposent le Front Polisario et le Maroc sont avant tout d'ordre politique, l'environnement est ici utilisé comme outil diplomatique. L'environnement fournit une plateforme de coopération à laquelle l'ONU peut avoir recours afin d'engager le dialogue entre deux parties en conflit.
Victime collatérale des conflits armés, source de tensions interétatiques, enjeu de prévention et outil de médiation, l'environnement fait son entrée dans le domaine de la sécurité internationale à la charge de l'Organisation des Nations Unies. À partir du cas onusien, ce chapitre vise ainsi à décrypter le discours définissant l'environnement, entendu largement comme « la biosphère dans laquelle êtres humains et autres espèces habitent » (Grant 2011 : 777), comme une problématique sécuritaire et d'en souligner les multiples dimensions.
Alors que les préoccupations originelles concernent avant tout la protection de l'environnement en cas de conflit, le concept de sécurité environnementale est progressivement développé et diffusé au sein de l'ONU. Il s'agit du rapprochement normatif entre les enjeux environnementaux et la sécurité classique – sécurité militaire stato-centrée focalisée sur la notion de conflit – observé dans les années 1990, puis de l'incorporation de l'environnement à la définition du concept de sécurité humaine par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en 1994. Les deux procédures de rapprochement utilisent le même répertoire d'action – à savoir l'utilisation du rapport pour exposer le lien entre environnement et sécurité – et s'opèrent simultanément. Les deux types de sécurité – sécurité classique et sécurité humaine – sont constamment mobilisés dans la construction des menaces environnementales : il s'agit d'un cadre global identifiant l'environnement, dans sa dimension ressourcielle et dans les enjeux de sa dégradation, comme menace à la stabilité étatique et à la vie humaine.
Revenons tout d'abord sur la trajectoire du rapprochement entre environnement et sécurité dans les différentes publications onusiennes. Dès 1987, le rapport Brundtland, Notre avenir à tous, évoque l'idée « d'insécurité environnementale » (p. 24) et établit un lien entre ressources naturelles et conflit (p. 237). Il promeut également une approche globale de la sécurité afin de « transcender l'accent traditionnellement mis sur la puissance militaire et sur la compétition armée » (p. 237) et d'identifier les « menaces écologiques » (p. 246).
Deux ans après cette première publication, le PNUE, en partenariat avec le Peace Research Institute Oslo (PRIO), propose un rapport sur la « sécurité environnementale » (UNEP et PRIO 1989). L'élargissement de la notion de sécurité aux enjeux environnementaux se retrouve au Conseil de sécurité dans le cadre d'une Note du Président qui a suivi un débat portant sur « La responsabilité du Conseil de sécurité en ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité internationales » datant de février 1992. Le Conseil s'y exprime ainsi :
L'absence de guerre et de conflits armés entre États ne garantit pas à elle seule la paix et la sécurité internationales. D'autres menaces de nature non militaire à la paix et à la sécurité trouvent leur source dans l'instabilité qui existe dans les domaines économique, social, humanitaire et écologique{13}.
Enfin, dans l'Agenda pour la Paix, rapport du Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali sur la diplomatie préventive, le rétablissement de la paix et le maintien de la paix, il est indiqué que les « dommages écologiques » font peser de « nouveaux risques sur la stabilité{14} ». L'association des enjeux de sécurité et d'environnement sera de nouveau explicitée en 2000 dans le rapport du Millénaire du Secrétaire général, « Nous les peuples » : Le rôle des Nations Unies au XXIe siècle{15}.
En parallèle d'une inscription sur l'agenda sécuritaire classique s'ajoute l'inclusion, dès les premières publications, de l'environnement dans le concept de sécurité humaine. L'élargissement de la notion de sécurité s'est notamment opéré par la création et la diffusion du concept de sécurité humaine, développé par le PNUD en 1994. Dans son Rapport sur le développement humain, il défend une approche compréhensive de la sécurité affirmant que « [l]e moment est venu de passer du concept restreint de sécurité nationale au concept global de sécurité humaine » (p. 25). Selon ce rapport, elle comprendrait sept dimensions dont la sécurité de l'environnement{16}. Deux caractéristiques sont considérées dans cette dimension : les populations humaines ont besoin d'un environnement sain et salubre, mais des menaces pèsent également sur l'environnement (p. 30). De même, le PNUD affirme que la dégradation environnementale menace la sécurité humaine globale (p. 38-39). L'environnement fait donc partie intégrante de ce nouveau concept-cadre majeur pour l'action de l'ONU.
Diffusés à travers l'ensemble de l'organisation, les rapprochements entre sécurité et environnement sont à présent légion au sein de l'ONU où se développe un discours protéiforme participant à la construction de l'environnement comme une menace.
Tout d'abord, l'environnement est caractérisé comme source d'instabilité et d'insécurité. Cette grammaire s'inscrit dans une réflexion plus large sur les causes socio-économiques des conflits et concerne, d'une part, la dégradation environnementale et, d'autre part, les ressources naturelles, leur rareté et leur gestion.
Dans la lignée des premières mentions des questions environnementales évoquées ci-avant, des formulations de ce type se multiplient dans les années 2000. La première est une attention portée à une analyse plus holistique des causes de conflits. Ainsi, le rapport intérimaire du Secrétaire général sur la prévention des conflits armés présenté au Conseil de sécurité et à l'Assemblée générale en 2003, note « [qu']en s'attaquant aux causes profondes des conflits armés, le système des Nations Unies devra prêter une attention accrue aux risques que comportent les problèmes environnementaux{17} ». De même, le rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, intitulé Un monde plus sûr : notre affaire à tous, met de nouveau en évidence ce besoin d'appréhender l'ensemble des moteurs possibles de conflits{18}. Il montre qu'il existe des menaces d'ordre économique et social sur lesquelles les États membres poussent de plus en plus les agences onusiennes à s'interroger.
Au sein de ces différents documents, la dégradation environnementale est spécifiquement évoquée. La destruction de la couche d'ozone comme potentielle menace pour la sécurité humaine et les sécheresses comme facteurs de guerres sont notamment mentionnées dans l'Agenda pour la paix{19}. Le rapport sur la cohérence du travail onusien, Unis dans l'action, de 2006 s'exprime également sur ce sujet : « [l]a pauvreté, la dégradation de l'environnement et le piétinement du développement accroissent la vulnérabilité et l'instabilité, et nous en pâtissons tous{20}. » De même, le Secrétaire général Ban Ki-moon a mis en évidence un lien entre dégradation environnementale et insécurité en citant son prédécesseur lors de son intervention au Conseil de sécurité à l'occasion du premier débat sur le changement climatique en 2007 :
Dans une série de rapports consacrés à la prévention des conflits, mon prédécesseur, le Secrétaire général Kofi Annan, a mis en lumière les menaces que font peser la dégradation de l'environnement et la pénurie de ressources{21}.
Ici non seulement la dégradation environnementale est construite comme un enjeu de sécurité mais les ressources naturelles le sont également. En effet, dès 2000, un rapport sur les opérations de paix onusiennes mentionnait que les origines des conflits pouvaient « être liées à des questions de ressources et d'environnement (lutte pour des ressources en eau rares){22} ». En 2003 également, un rapport du Secrétaire général estime que les ressources naturelles sont sources de conflits{23}. De même, dans Un monde plus sûr : notre affaire à tous, il est écrit que « [l]es pressions que la surpopulation et le manque de terres et d'autres ressources exercent sur l'environnement sont sources de violences{24} ». Une Déclaration du Président du Conseil de sécurité du 25 juin 2007 affirme également que « le Conseil constate le rôle que peuvent jouer les ressources naturelles dans les situations de conflit armé ou d'après conflit{25} ». Or, même bien avant 2007, le Conseil avait donné différents mandats directs ou indirects à des missions de maintien de la paix en matière de ressources naturelles : Angola, Cambodge, Côte-d'Ivoire, République démocratique du Congo (RDC), Irak-Koweït, Libéria, Sierra Leone, Soudan, Soudan-Darfour, Soudan-Abiyé, Soudan du Sud, Timor Leste (UNEP 2012). Le Conseil de sécurité a de nouveau débattu sur le thème des ressources naturelles le 19 juin 2013 à la demande de la Présidence britannique{26}, révélant une forme de pérennité de l'attention accordée aux liens entre ressources naturelles et conflits.
Cependant, si le Conseil de sécurité a effectivement contribué à la construction des menaces environnementales au cas par cas, les États membres ont également exprimé leur opposition à un traitement générique de la question. Alors que le Qatar s'est opposé à la saisine du Conseil lors du débat de 2007 qui ne serait pas compétent, selon lui, pour traiter des ressources naturelles{27}, la Chine a rappelé, lors du débat de 2013, la souveraineté inaliénable des États sur leurs ressources naturelles{28}. Ces oppositions ont entravé le vote d'une résolution globale sur les enjeux touchant aux ressources naturelles, qui restent néanmoins à l'agenda.
Enfin, le rapport le plus central décrivant très clairement le lien entre ressources naturelles et conflits a été publié par le PNUE dans le cadre du projet de quatre rapports stratégiques de son unité Coopération environnementale et consolidation de la paix. Ces rapports permettent notamment de justifier l'action de l'équipe en matière d'environnement et de consolidation de la paix – un rapport sur l'environnement et les conflits (PNUE 2009), un sur les instruments légaux de protection de l'environnement en cas de conflits (UNEP 2009), un sur l'environnement et les casques bleus (UNEP 2012), un dernier sur la diplomatie environnementale{29}. Dans le premier rapport, les ressources naturelles sont définitivement identifiées comme des enjeux de sécurité (PNUE 2009 : 8-11) :
Des recherches et des observations sur le terrain ont montré que les ressources naturelles et l'environnement contribuent au déclenchement d'un conflit de trois manières principales. Tout d'abord, un conflit peut survenir à propos de la juste répartition des richesses tirées de l'extraction de ressources de « grande valeur », comme les minéraux, les métaux, les pierres, les hydrocarbures et le bois. [...] Deuxièmement, il arrive aussi que des conflits soient engendrés par l'utilisation directe de ressources rares telles que terres, forêts, eau et faune sauvage. [...] Troisièmement, les pays dont l'économie est tributaire de l'exportation d'un nombre restreint de produits primaires sont plus susceptibles d'être politiquement fragiles.
Les résultats de l'étude du PNUE ont notamment été repris par le Secrétaire général en 2010 dans son rapport sur la consolidation de la paix{30}.
Deuxièmement, le discours onusien porte sur les ressources naturelles comme sources de financement des conflits dans le cadre de différends non relatifs à des enjeux environnementaux.
Dès 1992 et 1993, deux résolutions du Conseil de sécurité ont été consacrées à l'exportation de bois, de minerais et de pierres précieuses au Cambodge{31} et marquent le début d'une longue série de mesures de la part du Conseil dans le domaine des ressources naturelles et du financement des conflits (Le Billon 2007 : 2).
L'une de ces mesures réside notamment dans le système de certification du processus de Kimberley qui tend à interdire le commerce illicite de diamants bruts, le Conseil ayant reconnu le lien entre celui-ci et « la perpétuation de conflits armés qui ont une incidence sur la paix et la sécurité internationales{32} ». La problématique des ressources de grande valeur était de nouveau à l'agenda du Conseil en 2005{33}. En 2007, une Déclaration du Président étend les préoccupations en matière de financement des conflits à l'ensemble des ressources :
[L]e Conseil note que, dans certaines situations de conflit armé, l'exploitation, le trafic et le commerce illicite des ressources naturelles ont joué un rôle dans les zones où ils ont contribué au déclenchement, à l'intensification ou à la poursuite du conflit{34}.
Le rapprochement progressif entre conflit et ressources naturelles par le Conseil de sécurité est également observable dans des résolutions portant spécifiquement sur certains conflits tels que dans le cas de la République démocratique du Congo{35}. Alors qu'aucune résolution générique n'a pu être votée en raison d'oppositions gouvernementales, le Conseil de sécurité et le Secrétariat de l'ONU ont été également influencés par les travaux de la Banque mondiale à ce sujet.
En effet, une fonctionnaire des Départements des opérations de maintien de la paix (DOMP) et d'appui aux missions (DAM) a indiqué en entretien que l'un des pics de la réflexion sur les questions d'environnement, de ressources naturelles et de conflits au sein du DOMP suivait la publication du Rapport du Groupe de Recherche sur le Développement de la Banque mondiale : Greed and Grievance in Civil Wars. Selon elle, cette publication qui montre comment la prédation des ressources naturelles conduit au conflit, associée par la suite à l'ouvrage de Cynthia Arnson et William Zartman Rethinking the Economics of War, ont particulièrement influencé les fonctionnaires au siège du DOMP, même si cela n'a pas conduit à des changements fondamentaux au sein de l'organisation{36}.
Les préoccupations en matière de financement des conflits grâce aux ressources naturelles se sont également progressivement exportées au sein d'autres instances onusiennes. Deux résolutions de l'Assemblée générale mentionnent les « effets néfastes pour la paix, la sécurité et le développement en Afrique de l'exploitation illégale des ressources naturelles »{37} et affirment que les « diamants du sang » sont directement rattachés à des conflits armés{38}. Le rapport du PNUE de 2009 établit aussi des conclusions sur ce sujet (p. 8) similaires à celles du Secrétaire général dans son rapport sur le désarmement, la démobilisation et la réintégration où il rappelle que « [n]ombre de groupes armés misent sur l'exploitation des ressources naturelles pour financer leur effort de guerre et attirer des recrues{39} ».
Le changement climatique est une troisième grammaire de la construction des menaces environnementales. L'ONU l'associe aux enjeux de conflits et le rapproche des questions de sécurité humaine.
Tout d'abord, la théorie du « conflit environnemental » se retrouve dans les rapports du PNUE tel que celui sur le Soudan publié en 2007 qui évoque la désertification et les changements climatiques régionaux comme des facteurs de pauvreté et de conflits (p. 7). Le lien entre changement climatique et conflit a cependant soulevé les critiques de Betsy Hartmann (2013) qui affirme que le PNUE, en s'inspirant de la tradition académique du « conflit environnemental » tel que défini par Thomas Homer-Dixon, néglige le rôle des politiques prédatrices du gouvernement soudanais dans le conflit. Pourtant le PNUE n'est pas le seul à avoir établi un lien entre changement climatique et conflit puisqu'on le retrouve dans une résolution de l'Assemblée générale de 2009{40}. La Déclaration du Président du Conseil de sécurité qui a suivi le deuxième débat sur le changement climatique le 20 juillet 2011 – après celui du 17 avril 2007 – s'appuie sur une grammaire similaire :
Le Conseil craint que les effets préjudiciables éventuels des changements climatiques puissent, à long terme, aggraver les menaces existantes à la paix et la sécurité internationales{41}.
Sans établir de lien de causalité directe entre changement climatique et sécurité humaine, les évolutions du climat sont mentionnées dès les années 1970 comme facteurs de perturbation de la vie humaine. Plus récemment, le rapport sur la cohérence du travail onusien, Unis dans l'action, met en garde contre les conséquences socio-économiques néfastes des changements climatiques{42}. Une dernière publication contribue essentiellement à l'analyse du changement climatique comme menace à la sécurité humaine : le nouveau chapitre sur la sécurité humaine dans le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernementaux sur l'évolution du climat (GIEC) (Field et al. 2014 : 755-792) – Groupe de Travail II. C'est la première fois qu'un rapport du GIEC consacre un chapitre à la sécurité humaine.
Ainsi, dans le cas onusien, la construction de la menace climatique s'inspire des deux concepts suivants : sécurité classique et sécurité humaine, que le PNUE associe en incluant à la fois des dimensions relevant de la sécurité humaine – « vulnérabilités », « migration » – et des éléments de sécurité classique – « conflit », « déstabilisation politique » (PNUE 2011 : 14).
Cette construction du changement climatique comme un enjeu de sécurité est particulièrement soutenue par le Secrétaire général dont les différents discours mettent en évidence une évolution sémantique claire. En effet, à une première définition en tant que « multiplicateur de menaces »{43}, a suivi un discours beaucoup moins nuancé lors de sa deuxième intervention au Conseil de sécurité en 2011 :
« [L]es faits sont évidents : le changement climatique est réel et s'accélère de manière dangereuse » ajoutant ensuite que le changement climatique « non seulement exacerbe des menaces à la sécurité et à la paix internationales ; mais est une menace à la sécurité et à la paix internationales{44} » (notre emphase).
Au sein de l'ONU, des liens diffus associent aussi l'environnement aux droits humains, à la sécurité alimentaire ou aux migrations, participant à rapprocher environnement et sécurité. Cependant, d'autres initiatives tentent de déconstruire ces menaces environnementales, pour porter un autre discours : l'environnement pourrait constituer une plateforme de coopération, être un outil de médiation (DPA et UNEP 2015) entre deux parties en conflit en proposant un dialogue autour d'un intérêt commun, puis la construction d'une confiance partagée et l'établissement de relations plus pacifiques.
Les exemples de projets de coopération mentionnés en introduction ainsi que les manœuvres discursives visant à construire l'environnement comme une opportunité telles que le slogan du sommet Rio+20 « L'avenir que nous voulons » sont autant d'exemples de tels efforts. Répondant ainsi aux critiques de déresponsabilisation des acteurs politiques par des discours apocalyptiques négligeant les causes politiques de tensions et conflits, mais montrant également toute la dimension stratégique de ces discours visant à définir la nature{45}, l'ONU propose alors de transformer ces dangers en ressources diplomatiques favorisant la coopération.