Le rôle de la gestion des espaces verts urbains
Zina SKANDRANI
Face aux problèmes d'urbanisation croissante et de mise en péril de la biodiversité, on est depuis un peu plus d'une décennie dans une dynamique de re-végétalisation et d'intégration de la nature – végétale et animale – dans le tissu urbain. Les plans de gestion et d'aménagement des villes intègrent désormais explicitement des mesures de conservation de la biodiversité (Gordon et al. 2009), dont de nouvelles manières de gérer le « vert » dans la ville.
En effet, historiquement, l'introduction de la végétation dans la planification urbaine, à travers la création de parcs essentiellement, s'inscrivait dans un objectif d'amélioration de l'hygiène publique et respectait un modèle horticole normé d'une nature ordonnée et contenue (Menozzi 2007 ; Novarina 2003). En Europe aujourd'hui, ces normes contrastent désormais avec les objectifs écologiques des villes, qui sont de plus en plus nombreuses à adopter des mesures de gestion dite « douce » ou différenciée du vert urbain, dans les parcs en particulier et dans l'espace de la ville de façon plus générale (végétation spontanée sur les trottoirs, autour des pieds d'arbres, etc.). Au-delà des aspects écologiques, cette nouvelle approche de gestion vise également à améliorer les perceptions sociales de la nature urbaine, sous le postulat qu'elles sont un moyen pour améliorer la conscience environnementale générale des citadins (Dunn et al 2006 ; Miller 2005). Or, malgré un certain engouement actuel pour les paysages urbains « naturels » (de Groot et van den Born 2003), les politiques d'intégration de la biodiversité en ville peuvent néanmoins heurter certains citadins, peu familiers avec celle-ci, qui considèrent que la ville est un espace dédié aux humains (Gobster et al. 2007). En effet, les plantes spontanées ont longtemps été indésirables dans les métropoles européennes et la présence d'une végétation naturelle qui peut être considérée comme non « entretenue » peut encore évoquer pour certains une image négative de laisser-aller, voire d'inconfort (Menozzi 2007). À l'inverse, si les citadins préfèrent une nature urbaine ornementale, c'est peut-être car ils ont été habitués pendant longtemps à des modèles horticoles plus formels de parterres de fleurs ou des pelouses parfaitement tondues, communs dans le passé (Özgüner et Kendle 2006) et face auxquels des concepts tels que la « biodiversité » ou la « durabilité écologique » n'ont pas encore été établis comme critères esthétiques du paysage. Ainsi, la gestion différenciée peut constituer parfois une source de contestation publique, car non conforme aux critères profondément ancrés de soin et d'ordre (Menozzi 2007).
D'une façon générale, le succès des mesures pro-environnementales dans les milieux anthropiques dépend fortement de leur acceptation par la population de ces milieux (Hostetler et al. 2011). Le premier défi des politiques urbaines de biodiversité est donc de permettre aux citadins d'accepter et de nouer des liens avec cette nature urbaine, de façon à gagner le soutien de ceux-ci (Standish et al. 2013). En effet, alors que les perceptions individuelles et attitudes environnementales sont liées à des aspects d'ordre personnel (par exemple l'âge, l'éducation, les expériences vécues, le cercle familial), elles n'en sont pas moins déterminées par des facteurs d'ordre contextuel, tels que les environnements physique, socioculturel et politique (Shipperijn et al. 2010). Parmi ceux-ci, les politiques publiques détiennent un rôle majeur en impactant les attitudes, perceptions et opinions de façon double : explicitement, à travers une communication officielle (campagnes d'affichage, relais d'information dans les médias), mais aussi implicitement, à travers des activités normatives telles que l'éducation, les réglementations, la planification et la gestion urbaines (Skandrani et al. 2015 ; Gobster et al. 2007). Or bien souvent, les stratégies de gestion publiques oublient que les relations individuelles à la nature et à l'environnement immédiat ne dépendent pas de façon linéaire d'une communication explicite et de politiques publiques éducatives (Buijs et Elands 2013). Elles sont, en revanche, construites à l'intérieur d'interactions multiples, auxquelles participent les discours implicites sur la nature, véhiculés dans la gestion quotidienne de l'environnement urbain (Mugerauer 2010 ; Moscovici 2000).
Ce chapitre propose une analyse critique du rôle implicite de la gestion des espaces verts urbains dans la sensibilisation environnementale, puis des pistes pour repenser la création du lien social avec la nature par les politiques publiques. Les espaces verts urbains, essentiellement des parcs publics, constituent en effet pour de nombreux citadins l'unique contact avec la nature (Jorgensen et al. 2002) et représentent ainsi un moyen privilégié de communication institutionnelle sur les questions environnementales (Gobster et al. 2007). Sur la base d'une étude comparative entre deux métropoles européennes, Paris et Berlin, nous identifions dans l'aménagement et la gestion des parcs les mesures les plus à même d'engager les citadins à des attitudes pro-environnementales ou celles qui au contraire les entraveraient.
Nous nous appuyons pour cela sur une analyse de contenu des stratégies des deux villes pour la biodiversité et le paysage – respectivement le « Plan Biodiversité pour Paris » (2011), la « Stratégie Paysage urbain Berlin » (Strategie Stadtlanschaft Berlin, 2012) et la « Stratégie Berlinoise pour la Diversité Biologique » (Berliner Strategie zur Biologischen Vielfalt, 2012). Leur implémentation est ensuite étudiée à travers les discours des gestionnaires de treize parcs parisiens et berlinois, recueillis au cours d'entretiens semi-directifs, ainsi qu'à partir des observations directes dans ces mêmes parcs portant sur leurs aménagements et caractéristiques paysagères. Ces deux modes de gestion des parcs sont ensuite confrontés aux représentations de la nature chez les citadins des deux villes, recueillies à travers une étude quantitative auprès de membres de conseils de quartiers à Paris et Berlin (62 répondants). Le questionnaire à choix unique (parmi quatre réponses possibles) avait pour objectif d'estimer le taux d'adhésion des citadins à quatre visions ou perceptions de la nature identifiées en philosophie environnementale (de Groot et Van den Born 2003) : la nature à contrôler ; la nature comme commodité et ornement ; la nature à sauvegarder ; l'union avec la nature. Nous faisons l'hypothèse que ces quatre visions sont corrélées de façon négative avec le degré d'acceptation de la nature spontanée issue d'une gestion écologique de l'environnement urbain (de la moindre à la plus grande compatibilité).
Paris s'est doté de la plupart de ses parcs au courant du XIXe siècle lors des travaux de restructuration de la ville par le Baron Haussmann sous Napoléon III, dans une perspective d'embellissement mais surtout d'hygiénisation de la ville et de salubrité publique (Vaquin 2006 ; Choay 2000). L'objectif était de pourvoir la ville d'espaces verts à chacun de ses points cardinaux, suivant des influences anglaises et chinoise différentes du jardin à la française avec ses plans géométriques et symétriques (Novarina 2003). Aujourd'hui les espaces verts publics représentent 11 % du territoire parisien intra-muros (23 % en comptant les Bois de Vincennes et de Boulogne), pour un total de 2,2 millions d'habitants (petite ceinture, DGALN 2012).
Le Plan Biodiversité pour Paris s'appuie sur la Stratégie Nationale pour la Biodiversité définie en 2004 et se met en place à travers des ateliers entre professionnels et citoyens (Mairie de Paris 2011). Ses deux principaux objectifs sont de renforcer la biodiversité sur le territoire parisien et « de faire changer le regard, de valoriser l'intérêt de la biodiversité ordinaire, jusqu'ici perçue comme insignifiante sinon nuisible » (Mairie de Paris 2011 : 66). Deux catégories d'actions peuvent être identifiées pour adresser ces objectifs.
La première, de dimension écologique, cible le renforcement des continuités écologiques aux échelles locale et régionale, une diversification des habitats pour la faune et la flore, l'adoption de mesures de gestion environnementale, et la prise en compte de la biodiversité dans les plans d'urbanisme et les politiques publiques. Parmi toutes les actions mises en œuvre, il est prévu de créer des jachères urbaines sur des friches ou des terrains vagues, soit des « micro-réserves » pérennes ou temporelles, qui « seront a priori interdites au public tout en constituant des lieux d'études potentiels pour les scientifiques et les associations » (Mairie de Paris 2011 :25).
En écho à ces objectifs écologiques et sur la base de normes de gestion environnementale datant de la fin des années 1990, des labels de qualité sont créés à Paris et au niveau national (label « Eco-jardin »), certifiant de l'entretien écologique des parcs (tous les parcs inclus dans la présente étude détiennent le label parisien). Les produits chimiques ne sont pas autorisés, l'élagage des arbres est entrepris uniquement pour des raisons sanitaires ou de sécurité et les troncs d'arbres morts sont coupés à un mètre de hauteur pour favoriser la biodiversité. Les pelouses sont fermées au public chaque année d'octobre à avril pour les laisser se régénérer (on peut ainsi lire généralement sur les panneaux « Pelouse au repos »). L'origine des plantes peut cependant être régionale ou exotique, selon des critères historiques du site. L'arrosage se fait sur différentes strates telles que les parterres de fleurs, les pelouses et les jeunes arbres. Le suivi de la faune des parcs – insectes pollinisateurs et oiseaux – est effectué par les jardiniers sur la base de feuilles de suivi et la participation à un programme de Sciences Participatives (« Propage »), et les poissons rouges et les tortues de Floride, deux espèces exotiques, sont éliminés des mares.
La seconde catégorie d'actions du Plan Biodiversité et la gestion des parcs associée se définissent par leur visée sociale, basée la sensibilisation environnementale du public. Il est prévu de développer une série d'actions pédagogiques – visites guidées, affiches à l'entrée des parcs, expositions, conférences et workshop, centre de documentation sur la biodiversité de Paris et de ses habitats – ciblant la découverte de la nature urbaine par les citadins et la mise en avant de la biodiversité ordinaire, de ses services et de sa vulnérabilité à certaines pratiques humaines (Mairie de Paris 2011). Cela comprend des explications directes aux citadins de la part d'éducateurs et d'agents publics afin de faire accepter les plantes spontanées et respecter les espaces urbains sous leur nouvelle forme. Le plan promeut également les programmes de Sciences participatives portant sur la collecte volontaire de données sur la biodiversité comme outil pour une meilleure connaissance publique de la biodiversité urbaine. Ces mesures présupposent qu'« [u]ne communication pédagogique permettra une meilleure compréhension et donc une meilleure acceptation de la biodiversité et des écosystèmes urbains » (Mairie de Paris 2011 : 66). Le but est ici d'amener les citadins à l'observation, afin qu'ils « comprennent », dans une vision que la promotion de la biodiversité requiert nécessairement que les personnes restent « en retrait ».
Cette position correspond d'ailleurs au fait que, sur le terrain, les parcs sont clôturés, fermés la nuit, ont des gardes, des règles d'usages et d'interdits affichées à leurs entrées. Tout cela est significativement moindre (pour les interdits), voire inexistant (pour les clôtures, horaires, gardes) dans les espaces verts à Berlin.
L'essor des parcs urbains à Berlin qui remonte à la moitié du XIXe siècle, sous le roi prussien Wilhelm IV, avait pour but d'apporter des espaces de récréation à la population grandissante de la ville, contrairement aux premiers parcs berlinois dont les fonctions dans la société féodale étaient de représentation. Ainsi, le premier « Volkspark » – parc pour le peuple – est créé en 1846 pour fournir aux citadins un espace de loisir, pour faire du sport et plus généralement exercer des activités bénéfiques à la santé (SSUB 2012a).
La planification des espaces verts urbains sur le territoire actuel de la ville suit le modèle conçu au début du XXe siècle (« Plan Jansen ») d'une double ceinture verte reliée par des axes radiaux, composés d'une série de « Volksparks », jardins, prairies, forêts et cimetières (SSUB 2012a). Avec la chute de la République Démocratique Allemande (RDA) et la réunification de Berlin en 1990, de nombreux bâtiments et infrastructures publiques (chemins de fer, aéroport, etc.) sont abandonnés et deviennent disponibles pour d'autres usages. Seize nouveaux parcs urbains sont ainsi créés pour consolider l'aménagement vert de la ville, dont le plus fameux est le « Mauer Park », à l'emplacement d'un ancien poste-frontière du Mur de Berlin. Aujourd'hui, 44 % du territoire berlinois est couvert d'espaces verts, en comptant les forêts Königsheide à l'est, Grünewald et le lac Wannsee au sud-ouest de la ville, pour 3,4 millions d'habitants.
La Stratégie Paysage urbain Berlin et la Stratégie Berlinoise pour la Diversité biologique sont toutes deux issues de processus participatifs. Elles s'appuient en outre sur la Stratégie nationale pour la diversité biologique en Allemagne de 2007, avec une référence plus soutenue aux habitats et acteurs urbains. Les objectifs exposés dans les stratégies sont de renforcer durablement et continuer à développer la biodiversité urbaine de façon innovante par et pour les citadins, afin de promouvoir les perceptions positives et la valorisation des paysages verts urbains de la ville. Ces objectifs découlent de la caractérisation du vert urbain comme partie intégrante de « l'identité berlinoise » (SSUB 2012a : 45) et comme espace pour de nouvelles expériences de nature. En cela, les stratégies se définissent comme un programme double, aussi bien écologique que socioculturel.
Comme à Paris, deux catégories d'actions écologiques et sociales sont identifiables dans les stratégies berlinoises : la conservation de la biodiversité et des services écosystémiques s'appuie sur l'intensification des liaisons entre les espaces verts et les autres infrastructures de la ville, la sécurisation d'espaces vacants pour des orientations environnementales, le renforcement du vert de rue, le soutien à l'agriculture urbaine et au verdissement des cours d'immeubles, et l'utilisation de plantes et graines locales exclusivement (phase de transition jusqu'en 2020), ainsi que d'espèces typiquement urbaines (SSUB 2012b). Une attention particulière est portée à la gestion extensive du vert dans la ville, afin de permettre un développement incontrôlé de la nature urbaine en contraste avec le « monde sur-réglementé » (SSUB 2012a : 61), et un « ré-ensauvagement » (SSUB 2012a : 66) de certains espaces de la ville, notamment avec les friches.
Le discours des gestionnaires de parcs urbains interrogés rejoint et complète ces principes écologiques : les produits phytosanitaires sont exclus dans l'entretien des parcs, l'arrosage se restreint aux jeunes arbres et ne s'applique pas aux pelouses. L'élagage concerne uniquement des arbres présentant des questions de sécurité le long des allées et se limite aux mois de septembre à mars, en dehors de la saison reproductive des oiseaux. Les parterres de fleurs ne faisant pas partie de la tradition des parcs berlinois, les plantes sont davantage choisies sur la base de critères de résistance plutôt qu'esthétiques. La gestionnaire d'un parc explique qu'elle privilégie des plantes qui peuvent être touchées par les personnes ou des arbustes fruitiers, afin que les enfants entrent en contact avec la végétation en cueillant les fruits. Les suivis de la faune des parcs sont assurés par le département communal pour la protection de la nature, des universités et des associations ; aucune intervention n'est faite sur les espèces animales présentes dans les parcs.
Des mesures d'éducation environnementale sont envisagées pour transmettre au public ces orientations écologiques, qui contrastent avec le concept du vert urbain ordonné et soigné : aménagement de sentiers pédagogiques, intégration de l'éducation à l'environnement dans le curriculum scolaire dès le jardin d'enfants, etc. Les parcs sont ouverts aux activités pédagogiques, les associations naturalistes peuvent intervenir (pour poser des nichoirs ou des ruchers par exemple), certains parcs leur offrent même un espace dédié (SSUB 2012b). Cependant, l'accent principal est mis sur l'inclusion et la participation des citadins, pour les rapprocher de la nature urbaine. Les citadins sont en effet considérés comme faisant « partie de la diversité biologique » (SSUB 2012b : 7) et leur appropriation des espaces verts urbains est perçue comme une composante essentielle de la tradition des espaces ouverts berlinois (SSUB 2012a : 20). Les objectifs de conservation se conjuguent avec l'effort de rendre les espaces verts « expériençables » par les citadins, donc disponibles et façonnés par les usagers locaux, de façon à porter moins l'empreinte des aménageurs que celle des citadins qui les animent : « les citadins prennent des responsabilités, sont renforcés dans leur engagement et s'identifient de plus en plus avec le vert urbain » (SSUB 2012a : 6, traduction de l'auteur). Les parcs sont également décrits unanimement par les gestionnaires comme un espace social : certains citadins ont des parcelles de jardinage, ils peuvent organiser de petits évènements publics, culturels (lectures, concerts et théâtre) ou sportifs sans autorisation préalable, ou développer de nouveaux usages et tendances (comme des pelouses nudistes) dans la perspective que « tout le monde peut faire ce qu'il ou elle veut » (gestionnaire). Les parcs intègrent également parfois des activités et structures du domaine public, telles que des jardins d'enfants, des associations de citoyens, un hôpital, un cinéma en plein air, de même qu'un futur temple hindou.
En adéquation avec la réglementation générale de planification urbaine, les deux stratégies berlinoises insistent sur la participation citoyenne dans la prise de décision relative aux parcs et l'expansion de structures de coopération impliquant tous les acteurs urbains (des experts et du secteur économique aux associations et citoyens individuels). Les citadins élaborent ainsi conjointement avec les gestionnaires les stratégies de gestion des parcs, contribuent aux choix d'aménagement lors de la création de nouveaux parcs et les enfants sont invités à exprimer leurs préférences sur la conception des aires de jeux. Dans plusieurs cas, les citadins participent à l'entretien du parc (arrosage de nouveaux arbres, ramassage des feuilles mortes à l'automne). D'après les gestionnaires, le but ultime de l'engagement des citadins dans l'aménagement et la gestion des parcs ainsi que de l'octroi de libertés, est de faire converger l'espace avec les attentes sociales, et par-là accroître la valeur et l'identification avec les parcs. En retour, il est attendu que les personnes se sentent responsables de l'espace vert en tant que propriété commune. Cela ne peut cependant pas toujours exclure certains problèmes de déchets laissés par les usagers ou des activités illicites (trafic de stupéfiants).
À Paris et Berlin, les analyses des stratégies pour la biodiversité et les réponses des gestionnaires mettent en évidence une dimension écologique et des objectifs sociaux similaires : éveiller une conscience environnementale, et stimuler la perception positive et l'acceptation de la biodiversité urbaine. Les deux métropoles divergent cependant fortement dans la mise en œuvre de ces objectifs : Paris investit dans la sensibilisation environnementale à travers la transmission de connaissances et tente d'attirer l'attention publique sur des mesures écologiques qui pourraient être interprétées comme un manque d'entretien. À l'opposé de cette approche descendante (top-down), Berlin privilégie une stratégie ascendante (bottom-up), en donnant aux citadins l'opportunité d'entrer en relation avec la nature à travers la participation à la prise de décision et l'appropriation informelle des espaces verts. Alors que l'éducation environnementale reste confinée à Paris à une dimension cognitive basée sur la compréhension intellectuelle de la nature urbaine, elle est au contraire ancrée à Berlin dans une démarche d'expérimentation pro-active et d'identification avec la nature.
Cette différence de stratégie se traduit en deux modèles formels distincts de gestion des espaces verts : exclusif à Paris et inclusif à Berlin. En effet à Paris, préserver la biodiversité implique de tenir les citadins en retrait, à travers la restriction et le contrôle de leurs accès et activités, ainsi que l'interdiction d'accès aux friches et aux pelouses la moitié de l'année. En revanche, espace vert et espace social sont considérés comme une seule entité à Berlin. Cette vision repose sur le concept historique du « Volkspark », qui considère l'espace vert comme une entité de propriété commune, placée à la disposition publique, animée conjointement avec les citadins. Cela est notamment visible dans l'engagement de la société civile dans la conception et la gestion des parcs, ainsi que dans les nombreuses libertés individuelles dans les usages des parcs et l'intégration d'activités et structures non dédiées à la nature.
Les deux approches pourraient être expliquées comme une réponse à des visions opposées de la nature chez les citadins eux-mêmes, les Parisiens étant moins connectés à la nature que les Berlinois. Ceci serait même très plausible sur la base de legs culturels différents dans les deux pays, et notamment d'une réception du Romanticisme{110} plus forte en Allemagne (Murray 2004). Or l'enquête réalisée auprès des citadins ne révèle aucune différence significative chez les répondants des deux villes quant aux visions de la nature comme respectivement commodité, nature à sauvegarder et union avec la nature. Seule la vision de la nature comme à objet à contrôler est plus représentée dans les réponses des Parisiens, en écho avec la perception exclusive de la gestion de la nature des autorités parisiennes. Cette vision de la nature se base sur le paradigme dualiste d'une division entre humains et nature et peut en partie avoir été favorisée par l'héritage rationaliste fortement ancré en France. Il est cependant possible que les politiques publiques, tenant en retrait les citadins à Paris, contribuent à cultiver ce paradigme et encouragent la vision de contrôle de la nature. D'ailleurs, la démarche exclusive de Paris ne concerne pas uniquement la gestion des parcs mais également l'éducation environnementale : les citadins sont instruits d'observer la nature urbaine mais sans la « déranger ». Bien que les parcs urbains actuels à Paris ne soient pas conçus d'après le modèle historique du jardin à la française, force est donc de se demander si ce modèle – basé sur la contemplation – ne résonne pas encore, non pas dans les perceptions des citadins de la nature, mais plutôt dans les pratiques de gestion et d'éducation. Cette attitude d'admiration distante de la nature peut par ailleurs être considérée à la lumière de conceptions plus profondes, autour du caractère sacré de la nature dans la tradition catholique (prédominante en France), en opposition à la désacralisation et par conséquent l'investissement de la nature au cours de la Réformation protestante (prédominante en Allemagne ; Veyret 2002). Il est également possible que le taux d'espaces verts beaucoup plus important à Berlin impacte les perceptions qualitatives et la relation à la nature des citadins questionnés. Cependant, si cela était un facteur d'influence majeur, des divergences auraient également été attendues dans les réponses des citadins quant aux autres visions de la nature, et notamment des perceptions plus écocentriques, telles que « la nature à sauvegarder » et « l'union avec la nature », ce qui n'est cependant pas observé.
Enfin, les mesures de conservation de la biodiversité sont implémentées à Paris sans impliquer activement les citadins. Or diverses études soulignent que les stratégies basées uniquement sur de l'information incitent à peu de changements dans les attitudes environnementales, à la différence de stratégies privilégiant l'engagement (Steg et Vlek 2009) et les expériences personnelles directes avec la nature, qui favorisent un intérêt affectif pour les paysages naturels (Miller 2005). Afin de réaliser les objectifs institutionnels de reconnexion sociale à la nature, il est par conséquent nécessaire de fournir aux citadins des opportunités d'interaction avec la nature et la biodiversité dans les espaces publics de la ville. En outre, dans la mesure où l'éducation environnementale ne se matérialise pas à travers un seul mais une pluralité de discours environnementaux (Gustafsson 2013), il est important que des discours implicites, issus de l'aménagement et la gestion du paysage, ne soient pas en contradiction avec la communication institutionnelle explicite sur l'environnement. En revanche, permettre aux citadins de vivre une liberté dans leurs expériences de la nature et leurs relations sociales pourrait éventuellement contribuer à faire converger objectifs écologiques et perceptions sociales, et ainsi réussir une transition vers des paysages à la fois écologiquement et socialement soutenables.