LORDOSE

Babines retroussées, crocs visibles, gueule ouverte, crinière hérissée, il pèse sur la femelle en lui mordant l’échine, la prenant en étau dans ses mâchoires puissantes et l’immobilisant. Le pelage fauve ondoie dans l’air brûlant, sous le mouvement des muscles. Toutes griffes dehors, plantées dans la terre meuble, il y prend son appui. La tête rentrée dans les épaules, il lâche la nuque qu’il serrait et gronde contre son cou, le mufle plissé. Puis le feulement se déploie, enragé, jusqu’au rugissement.

Après qu’il se retire, elle se tord et tourne sur le flanc, agressive, en douleur, et lui lance un coup de patte d’animale blessée. C’est que l’extrémité du dard, trapu et conique, est hérissée de pointes retroussées en sens inverse du retrait – ce qui rend celui-ci plus douloureux encore que le coït.

Il recommencera plus de cinquante fois au cours d’une même journée.

Je vois dans les images d’accouplements de lions, que je regarde en boucle depuis hier soir, l’impérieux désir mâle, la soumission femelle. Le rite à l’état brut. Se superposent parfois derrière mes paupières lourdes, à un rythme hypnotique, des sensations miroir. Mon propre corps écrasé au sol ou sur un matelas. Mes reins creusés, mon bassin meurtri des ondes le percutant. L’organe qui fouille mon ventre, le souffle sur ma nuque, que l’on maintient serrée. L’humain est un animal parmi d’autres. Il se donne l’illusion de maîtriser les autres espèces, parce qu’il a conçu des dispositifs de captivité pour les animaux sauvages, et des modes d’industrialisation pour ceux qu’il entend consommer.

On dit que la nature est bien faite. Ça reste à discuter, mais elle a ses logiques. Pour les lions en l’occurrence, les zoologues affirment que les épines péniennes servent à déclencher l’ovulation de la femelle, que la morsure au cou permet de la garder instinctivement calme, et que la fréquence des rapports est nécessaire à la fécondation.

Pour résumer : il la monte, il jouit, elle le gifle.

Le tout dure vingt secondes, et se reproduit toutes les vingt minutes, durant deux à quatre jours.

Des recherches plus poussées m’apprennent que le coït ne peut se faire sans le consentement de la femelle. Chez ces grands fauves, il n’existe pas de saison reproductive fixe. La lionne devient réceptive à l’accouplement lorsque de nouvelles naissances deviennent nécessaires à la fondation ou la pérennité d’un clan. Elle déclenche alors ses propres chaleurs. C’est elle qui tourne autour du mâle, se roulant au sol devant lui, se mettant à plat ventre, la croupe relevée, et décide du moment. Le mâle, lui, devra flairer périodiquement l’urine de la femelle pour détecter si elle est prête.

Les femelles d’un même clan ont souvent leurs chaleurs en même temps, se les communiquant via leurs phéromones1. Elles augmentent ainsi les chances de survie des lionceaux en les faisant naître à la même période, ce qui permet la mise en commun de l’allaitement. Elles se synchronisent d’autant plus lorsqu’un nouveau mâle reproducteur (ou une coalition de nouveaux mâles) arrive, après avoir vaincu le lion vieillissant (sauf si elles partent avec leurs petits pour les protéger de l’infanticide, ou décident d’affronter le nouveau venu). Cette synchronicité des chaleurs chez les lionnes apaise la rivalité entre mâles : chacun trouvera une femelle réceptive au même moment2.

Même dans la nature, les femelles simulent, pour apaiser les mâles. Les lionnes peuvent présenter tous les symptômes de l’œstrus (les chaleurs), sans pour autant déclencher une période de fécondité. Lorsqu’un ou plusieurs lions inconnus menacent leur territoire, elles s’accouplent ainsi durant plusieurs jours avec eux, sans risque de procréation. Neutralisant l’agressivité du nouveau venu, elles jaugent s’il sera apte à fonder un clan. Elles couchent avant le mariage – puis procréent si le partenaire semble assez fiable.

La lionne est même capable de duper le nouvel arrivant, si elle est déjà en gestation : mimant ses chaleurs, elle s’accouple avec lui, il acceptera alors les petits à naître, croyant qu’ils sont de sa lignée. J’ai lu aussi que les femelles sont également capables d’avortement spontané, à l’arrivée du nouveau mâle3.

Et si les lionnes s’accouplent aussi souvent durant la phase de fécondité, ce n’est pas sous la menace du lion : la femelle sait les faibles chances de survie des lionceaux4. L’acte de procréation doit être le plus fructueux possible, donc maintes fois répété, afin que les petits naissent le plus rapidement possible en période favorable.

Si la fécondation échoue, elle déclenchera ses chaleurs de nouveau, environ quinze jours plus tard. Une lionne peut se battre jusqu’à la mort pour protéger sa portée, mais ne restera pas auprès des lionceaux dont elle ne pourra pas assurer la survie. D’où l’intérêt de collectiviser avec ses comparses l’allaitement et l’élevage des petits.

La nature est bien faite ? En tout cas les lionnes savent quand il faut se reproduire, et comment. C’est d’elles que dépend la survie de leur clan.