1. La table systématique et la table chronologique des œuvres de Plotin donnent un titre unanime (Vie de Plotin, chap. 4, 49 ; 24, 42). Ce titre est également confirmé par Simplicius, Commentaire sur la Physique, III 1, p. 398, 32-33.
2. Plotin dresse ici un plan partiel du contenu du traité. Il nous informe qu'il y sera question de la théorie aristotélicienne de la puissance et de l'acte. Or, ces notions devront avant tout être examinées en elles-mêmes (chap. 1-2), avant d'être appliquées au monde intelligible (chap. 3). Les chapitres 4 et 5, que Plotin ne mentionne pas, dévoileront quant à eux la nature de la matière sensible. Remarquons que la notion d'« entéléchie », qu'Aristote utilise souvent dans le sens d'acte, n'apparaît pas dans ce traité. C'est que Plotin a déjà réfuté la définition aristotélicienne de l'âme comme entéléchie d'un corps vivant en puissance (2 (IV, 7), 85). Il estime avoir montré l'inanité d'une telle notion (4 (IV, 2), 1, 3-5), de sorte qu'il ne fera plus jamais mention de l'entéléchie par la suite. Sur le sujet, voir G. Bruni, « Note di polemica neoplatonica contro l'uso e il significato del termine entelécheia ».
3. Nous suivons la leçon de H.-S., III, p. 310 : estin energeíai, toûto kaì enérgeia.
4. Il ne s'agit pas d'un énoncé programmatique, car si ces questions trouvent réponse au fil de l'argumentation, elles ne sont pas étudiées pour elles-mêmes, ni même répétées dans le reste du traité.
5. Maintes corrections ont été proposées afin de rendre ce passage intelligible. Voir le résumé de J.-M. Narbonne, Traité 25 (25 (II, 5)), p. 40, n. 6. Avec Kirchhoff et Narbonne, nous enlevons simplement la négation ou.
6. L'existence en acte des intelligibles se déduit du fait que l'être en puissance ne peut leur appartenir. Il s'agit d'une démonstration indirecte, la démonstration directe de cette doctrine étant présentée au chap. 3. Ainsi, dit Plotin, il est absurde d'admettre l'existence de l'être en puissance dans les réalités intelligibles, car, comme le traité Sur le temps (45 (III, 7)) s'attache à le démontrer, le monde intelligible se distingue du monde sensible par l'éternité intemporelle qui le caractérise. Or, l'être en puissance, par sa notion même, ne peut exister que dans les êtres soumis à la temporalité ; l'être en puissance n'existe que dans la mesure où il peut ultérieurement passer à l'acte (chap. 1, 29-29 ; 44 (VI, 3), 22, 3-8). Puisqu'un être en puissance qui resterait éternellement en puissance est une absurdité, l'être en puissance ne peut donc exister dans les réalités intelligibles. Plotin reprend ici une théorie d'Aristote, présentée dans la Métaphysique, et selon laquelle rien d'éternel n'est en puissance, qu'aucun être nécessaire n'existe en puissance et que ce qui est incorruptible est en acte (Θ 8, 1050b7-19 ; N 2, 1088b14-28). Il semble également absurde pour le Stagirite de concevoir une puissance qui ne passera jamais à l'acte, car la puissance est précisément conçue en vue de l'acte (Θ 8, 1050a9).
7. Paraphrase du traité De l'interprétation : « Certaines puissances sont homonymes, car le possible n'est pas dit de manière simple » (13, 23a7-8). Le propos aristotélicien est de distinguer deux acceptions du possible, ce qui n'est pas ici l'intention de Plotin, qui non seulement parle de l'être en puissance, mais n'a pas en vue la polysémie des termes. « Non simple » désigne ici le fait que l'être en puissance est toujours en puissance de quelque chose, et non pas en puissance tout simplement.
8. Le cas de l'airain qui devient une statue est courant chez Aristote : Physique I, 7, 190a25-26 ; VII, 3, 245b9-13 ; Métaphysique ∆ 4, 1015a9-10 ; ∆ 23, 1023a12 ; a29 ; Θ 7, 1049a17-18.
9. Cette définition s'accorde avec la seconde acception de l'être en puissance chez Aristote, celle qui relie la puissance et le substrat. Pour le Stagirite, en effet, l'être en puissance est toujours en puissance de quelque chose et devient, lorsqu'il est en acte, cette autre chose. Il faut qu'il y ait un passage d'un être X à un être Y. Dans des exemples comme « le coffret est de bois » et « le bois est de terre », le bois est le coffret en puissance, de même que la terre est du bois en puissance. Voir sur le sujet l'ensemble de Métaphysique Θ 7.
10. Plotin remarque avec justesse que l'airain est déjà quelque chose en lui-même et que son être ne consiste pas seulement dans la statue à venir. Il se demande alors comment un être qui est actuellement une chose X pourra devenir Y. Notons que les lignes 11 à 17, c'est-à-dire le passage qui va de « […] l'être en puissance ne doit pas être dit de manière simple » jusqu'à la présente note, est cité par Simplicius, Commentaire sur la Physique III 1, p. 399, 2-6.
11. Tout composé sensible est en quelque sorte double : il est en acte d'un côté, et en puissance de l'autre. Ainsi, le bloc d'airain en acte est une statue d'airain en puissance. Voir le début du chap. 4 à ce sujet. Le traité 13 (III, 9) soutient également qu'« il est possible que la même chose, qui est en acte, soit en puissance par rapport à une autre » (chap. 8, 5-6).
12. Il existe deux façons pour le composé sensible de passer de l'être en puissance à l'être en acte : soit en subsistant, soit en périssant. Lorsqu'un bloc d'airain devient une statue d'airain, l'être en puissance de l'airain s'est actualisé en une statue tout en préservant l'existence de l'airain. Mais l'eau qui se transforme en airain ou l'air qui se transforme en feu disparaissent, lorsqu'ils deviennent respectivement de l'airain et du feu. Cette distinction reviendra plus loin dans le traité (chap. 2, 4 ; 14-15). Nous avons mis entre guillemets l'expression « l'airain est une statue en puissance », car il s'agit d'une citation de Physique III 1, 201a30 et de Métaphysique K 9, 1065b24. Les lignes 17 à 21 sont citées par Simplicius, Commentaire sur la Physique III 1, p. 398, 33-399, 1. Plotin s'inspire encore une fois d'Aristote, qui affirme qu'un composé sensible se présente comme l'union de la puissance et de l'acte (Métaphysique H 2, 1043a18-19). Il ajoute, dans la Physique, que les mêmes êtres peuvent être en puissance et en acte, mais non pas sous le même rapport : le chaud en puissance est froid en acte (III 1, 201a19-22). C'est pourquoi, « dans certains cas, la même chose est tantôt en acte, tantôt en puissance […] » (Métaphysique Λ 5, 1071a6-7) ; « il est possible de parler des mêmes choses selon la puissance et selon l'acte » (Physique I 9, 191b28-29). De plus, Aristote envisage lui aussi deux possibilités quant au sort que peut subir un sujet lors d'un changement : soit il demeure, soit il périt (De la génération et de la corruption I 4, 319b9-17). Ces considérations n'ont cependant chez Aristote aucun lien direct avec sa doctrine de la puissance et de l'acte.
13. L'acception de l'être en puissance, qui sera étudiée jusqu'à la fin du présent chapitre, est donc celle d'une matière tel l'airain, c'est-à-dire d'un corps composé qui est une chose en acte et une autre en puissance, et qui, lors du passage de la puissance à l'acte, subsiste encore dans le produit en acte.
14. Plotin fait appel aux deux premières acceptions de la puissance dite selon le mouvement, et qui sont exposées par Aristote en Métaphysique Δ 12 et Θ 1. La puissance selon le mouvement, dit Aristote, se divise avant tout en puissance active et puissance passive. Le sens fondamental de la puissance, dont tous les autres dérivent, est celui de la puissance active, qui se définit comme un principe de mouvement ou de changement dans un autre être ou dans le même être en tant qu'autre (Δ 12, 1019a15-20 ; Θ 1, 1046a8-11). Cette puissance appartient en propre à l'agent (1046a26-27). De manière corrélative à cette puissance active se trouve une autre puissance, celle qui subit l'action de l'agent et qui est passive. Aristote la définit comme la faculté d'être changé ou mû par un autre être ou par soi-même en tant qu'autre (1019a20-22 ; 1046a12-14). Ainsi, dit Plotin, l'airain n'est pas la puissance active de la statue, parce que la puissance active ne peut être en puissance. En d'autres mots, puisqu'il est en puissance, l'airain ne peut être une puissance active. C'est que l'être en puissance a toujours besoin d'un autre être en acte qui le fasse passer de la puissance à l'acte (chap. 2, 33 ; 3, 28-29, voir aussi 2 (IV, 7), 83, 14-16 ; 5 (V, 9), 4, 5-6 ; 42 (VI, 1), 26, 3-4), alors que la puissance active est ce qui est capable, par elle-même, de se mener à l'acte (chap. 2, 33-34). Ce passage ne se comprend donc qu'à condition de retenir comme définition stricte de l'être en puissance celle de « puissance passive », et pour la puissance, celle de « puissance active ».
15. Nous adoptons l'addition de Kirchhoff <tò> dunámei à la ligne 28, comme l'ont fait Theiler et Narbonne.
16. Plotin réfute l'objection précédente en alléguant que l'être en acte et l'acte ne sont pas des notions interchangeables. L'être en puissance est relatif à l'être en acte, mais non pas à l'acte. De même, la puissance est relative à l'acte, mais non pas à l'être en acte. Ainsi, doit-on en conclure, l'être en puissance et la puissance restent elles aussi des notions distinctes.
17. L'être en puissance est ici clairement identifié avec le substrat. L'exemple de l'airain suggérait une telle conclusion, mais Plotin n'avait pas encore clairement exprimé sa position : l'être en puissance renvoie avant tout à la matière et au substrat. Il peut s'agir aussi bien d'une matière comme l'airain que de la matière au sens absolu. Toutes deux reçoivent en elles les figures et les formes. Aristote considère lui aussi la matière comme un être en puissance (Métaphysique H 1, 1042a26-27 ; H 2, 1042b9-10 ; Θ 8, 1050a15-16 ; K 2, 1060a20-21), quoique sa terminologie soit flottante (voir la Notice). En employant le terme « substrat » (hupokeímenon) afin de décrire la matière, Plotin utilise la terminologie aristotélicienne (Physique I 9, 192a31). Pour les platoniciens, la matière est plutôt un « réceptacle » (hupodokhḗ) (Timée 49a6, 51a6). Sur cette distinction, voir 12 (II, 4), 1, 1-2.
18. Cette occurrence de l'adjectif lumantikós (« capable de détruire ») est unique dans les traités plotiniens.
19. Plotin étudiera cette question au chap. 4. Dans ce traité, le terme « matière » désigne la matière première, celle qui est dépourvue de forme. La matière comme l'airain, qui est un composé, est décrite par le terme « substrat ».
20. Il s'agit d'examiner si un substrat tel l'airain, lorsqu'il subsiste en prenant une nouvelle forme, devient lui-même en acte. La réponse, négative, est exposée aux lignes 4-15. Il faut remarquer que l'examen porte exclusivement sur la matière qui subsiste lors du passage de l'être en puissance à l'être en acte. C'est que Plotin fera ultérieurement porter son examen sur la matière première, qui est elle-même indestructible et qui persiste lors de la production des êtres sensibles (chap. 5, 33-34). Cette idée vient sans doute d'Aristote, pour qui la matière première est indestructible (Physique I 9, 192a28-34) et pour qui la persistance d'un substrat qui sous-tend les composés est indispensable, afin d'expliquer les transformations observées chez les êtres sensibles (Physique I 7).
21. Plotin tente de répondre à la question suivante : l'airain, lorsqu'il reçoit la forme de la statue tout en restant de l'airain, devient-il en acte la forme de la statue ? Il semble bien que non, dit Plotin, car c'est la statue en puissance qui devient statue en acte ; l'airain demeure simplement de l'airain et l'acte de la statue ne peut être prédiqué de lui. Si la matière demeure inchangée lors du passage de l'être en puissance à l'être en acte d'un composé, cette matière reste ce qu'elle est et elle n'acquiert pas un nouvel acte.
22. Lorsqu'une statue d'airain vient à l'existence, c'est l'union de l'airain et de la forme de la statue qui est dite être en acte. L'airain ne devient pas la statue en acte ; mais lorsqu'il reçoit la forme de la statue, l'ensemble ainsi formé devient une statue en acte. C'est un tel composé qui, chaque fois qu'il change de forme, devient en acte un autre composé. Ainsi, le bloc d'airain peut devenir une statue d'airain, un bouclier d'airain, etc.
23. Après avoir considéré le cas d'une matière qui subsiste lors du passage de la puissance à l'acte d'un composé, Plotin évoque la seconde alternative, celle d'une matière qui périt lors d'un tel processus (voir à ce sujet, supra, le chap. 1, 18-19). L'être en puissance, dans ces deux cas, est différent. Plotin n'en dit malheureusement pas davantage, car il s'intéresse avant tout au cas d'une matière qui subsiste lors du passage à l'acte. Pour une interprétation totalement différente des lignes 4-15, voir J.-M. Narbonne, Traité 25 (25 (II, 5)), p. 85-87, qui prétend que Plotin ne fait aucune différence entre l'être en puissance qui subsiste et celui qui périt.
24. Le développement précédent s'appliquait à démontrer que l'airain qui devient une statue ne passe pas lui-même de l'être en puissance à l'être en acte. Avec l'exemple de l'airain, Plotin voulait montrer que le sujet que l'on dit en puissance d'une autre chose, s'il persiste lors de la transformation, ne devient pas lui-même cette autre chose en acte. Or, pourrait-on objecter, celui qui est grammairien en puissance est celui-là même qui devient grammairien en acte. C'est bien Socrate qui, de l'ignorance, passe à l'état de savant ou de lettré. Nous avons là un exemple de sujet qui, même s'il subsiste au changement, passe de l'être en puissance à l'être en acte. L'homme ignorant, suppose-t-on, est le sujet qui possède la science en puissance.
25. Suite à l'objection précédente, Plotin cherche à identifier ce qui possède la science en puissance. Il vient tout juste de suggérer, en effet, que l'homme ignorant est savant en puissance. Cette hypothèse, affirme-t-il maintenant, est fausse, car être inculte ou être savant ne sont que des états accidentels pour l'homme. Même si l'homme est inculte, son inculture ne le rend pas savant en puissance. L'inculture d'un homme n'explique pas la possibilité intrinsèque qu'il possède d'être savant en puissance. En vérité, corrige Plotin, seule l'âme peut remplir cette fonction. L'âme est ce qui, par soi, est en puissance un art ou une science. Plus loin dans le traité, l'âme sera décrite comme la puissance qui fait passer à l'acte la science musicale et les autres sciences (chap. 3, 20-23). Cet exemple de l'homme inculte et de l'homme savant figure déjà, dans un contexte presque similaire, chez Aristote, Physique I 7, 189b32-190a21. Plotin s'adresse peut-être à Aristote, qui affirme que de l'homme inculte advient d'un homme cultivé, ou qu'un homme inculte devient un homme cultivé (190a29-31).
26. Plotin applique au cas du Socrate grammairien celui évoqué plus haut de l'airain qui devient statue. L'airain, en tant qu'être en puissance, ne devient pas en acte, mais c'est la statue en puissance qui devient une statue en acte. De même, il faut voir si Socrate, qui est l'être en puissance, ne devient pas en acte, mais que le grammairien en puissance devient grammairien en acte. La problématique reste toujours celle d'établir que l'être en puissance, en tant que substrat, reste toujours en puissance au fil des transformations.
27. Dans sa réponse à la question précédente, Plotin ne déroge pas au principe admis jusqu'ici : de même que l'airain reste en puissance, alors que la statue en puissance devient en acte, de même Socrate reste en puissance, tandis que le grammairien en puissance passe à l'état de grammairien en acte.
28. Seul le statut de la forme sensible n'a pas été examiné. Plotin a déjà expliqué que l'être en puissance est un certain substrat (chap. 1, 30), alors que le composé est en acte (chap. 2, 10-11).
29. Plotin reprend la doctrine aristotélicienne suivant laquelle la forme sensible est l'acte d'un composé (Métaphysique H 2, 1043a17-18 ; Θ 8, 1050b2-3 ; De l'âme II 2, 414a16-17).
30. Ce passage nous livre la définition plotinienne de l'être en puissance et de la puissance. L'être en puissance nécessite l'intervention d'un autre être « en acte » afin de passer à l'être « en acte » (voir aussi 2 (IV, 7), 83, 14-16 ; 5 (V, 9), 4, 5-6 ; 42 (VI, 1), 26, 3-4), tandis que la puissance est capable, par elle-même, de se mener à l'acte. Il s'agit de la division, que nous avons rencontrée au chap. 1, 24-25, entre la puissance passive, celle du sujet, et la puissance active, celle de l'agent. Le sujet représente l'être en puissance ; l'agent, la puissance. À chacune de ces acceptions de la puissance correspond alors un type particulier d'acte : il y a l'acte de l'être en puissance, et l'acte de la puissance.
31. Plotin peut maintenant revenir au thème central du traité : dans quelle mesure l'acte et la puissance appartiennent-ils aux réalités intelligibles (chap. 1, 1-2 ; 7-9) ? Il fallait en effet définir les notions d'acte et de puissance avant de pouvoir aborder correctement la question des intelligibles (chap. 1, 2-3).
32. Nous adoptons, à la ligne 5, la leçon de H.R. Schwyzer, « Corrigenda ad Plotini textum », p. 197 : mēdé ti.
33. Premier terme de l'alternative : il ne peut y avoir d'être en puissance dans les intelligibles, car il n'existe pas de matière là-bas. Afin de justifier son propos, Plotin rappelle trois des acquis des premiers chapitres : les réalités intelligibles sont immuables, éternelles et non soumises à la temporalité (chap. 1, 7-10) ; l'être en puissance se transforme en autre chose, soit en subsistant, soit en périssant (chap. 1, 17-20) ; l'être en puissance est le substrat (chap. 1, 30-31 ; 2, 26). Par conséquent, puisque rien ne subit là-bas de transformations, ni l'être en puissance ni la matière n'existent dans les intelligibles.
34. Second terme de l'alternative : les intelligibles possèdent une matière et doivent, en toute logique, posséder aussi l'être en puissance. Si tel n'est pas le cas, les tenants d'une matière intelligible doivent justifier leur position. Plotin s'avère tout désigné afin de répondre à cette difficulté, car il défend lui-même l'existence d'une telle matière. À ce sujet, voir les chapitres 2 à 5 du traité 12 (II, 4).
35. Puisqu'elle reçoit sa forme de l'Intellect (27 (IV, 3), 12, 33-35), l'Âme devient une sorte de matière par rapport à lui (5 (V, 9), 4, 11-12 ; 12 (II, 4), 3, 1-5). Dans le monde intelligible, de manière générale, chaque réalité fait office de matière pour l'entité qui la précède. Quand il est produit par l'Un, l'Intellect est indéfini et dépourvu de forme. Ce n'est que lorsqu'il se retourne vers l'Un qu'il adopte sa forme définitive. De même, l'Âme est indéfinie après être émanée de l'Intellect et elle ne reçoit une forme qu'au moment où elle se retourne vers l'Intellect, qui l'a engendrée (voir 11 (V, 2), 1, 8-13 ; 12 (II, 4), 5, 31-35).
36. Plotin rappelle à nouveau que les intelligibles ne sont pas soumis à la temporalité (chap. 1, 7-10 ; 3, 9). La forme que possède la matière intelligible a toujours été sienne. Ne passant jamais d'une forme à l'autre, elle n'est jamais privée de la forme qu'elle présente actuellement, de sorte qu'elle ne contient aucune potentialité. Voir les indications données par le traité 12 (II, 4), chap. 2, 6-8 ; 3, 9-15 ; 5, 1-2.
37. Les interprètes ont tous été plus ou moins embarrassés par cette affirmation. Igal n'écarte pas l'hypothèse que cette remarque puisse être une glose inepte ajoutée au texte (p. 446, n. 21). Nous suggérons plutôt que Plotin s'autorise des propos mêmes d'Aristote, pour qui seuls les êtres susceptibles de génération et de corruption possèdent une matière (Métaphysique H 5, 1044b27-29 ; Λ 6, 1071b21 et N 2, 1088b14-28). De ce point de vue, nous pouvons dire que le cinquième corps, qui est immuable et éternel (Du ciel I 3, 270b1-3), est immatériel, c'est-à-dire qu'il ne possède pas le type de matière qui se manifeste par le passage d'une forme à une autre. On revient ainsi à la distinction que fait Aristote entre la matière topique, relative au changement de lieu, et celle qui est le siège de la génération et de la corruption (Métaphysique H 1, 1042b6-7 ; Θ 8, 1050b20-28). Le cinquième corps, dont se compose le ciel, est donc en ce sens immatériel, car il n'est pas fait de la matière d'ici-bas. Mais force est d'admettre, avec tous les commentateurs, qu'Aristote n'affirme nulle part, dans les œuvres que nous avons conservées de lui, que le cinquième corps est immatériel. Précisons en revanche, ce que tous passent sous silence, qu'une telle interprétation de la quintessence n'est pas particulière à Plotin. La toute première occurrence que nous pouvons en trouver remonte à un texte de Cicéron, dans lequel le grand orateur laisse entendre que le cinquième corps est immatériel (Seconds Académiques, 11, 30). Cette opinion est également reprise, à l'époque de Plotin, par Origène (Contre Celse 4, 56, 19), et ensuite, après Plotin, par Grégoire de Nazianze (Sur la théologie, discours 28, 8, 11), Jean Damascène (Exposition de la foi 4, 15) et Michel Psellus (Théologie, opuscule 50, 6 ; 57 ; 67).
38. Plotin maintient que l'être en puissance ne peut exister dans l'intelligible. Même lorsqu'elle acquiert de nouvelles capacités, comme l'art de la musique, l'âme n'est pas en puissance, c'est-à-dire qu'elle n'a pas besoin d'un autre être en acte afin de devenir musicienne (chap. 2, 33-34 ; 3, 28-29). Bien au contraire, dit Plotin, l'âme est une puissance : elle se porte elle-même à l'acte, sans l'intervention d'un autre être en acte (chap. 2, 33).
39. Après avoir discuté de l'être en puissance dans les intelligibles (chap. 3, 4-22), Plotin aborde maintenant la question de l'être en acte, d'abord pour l'Intellect (chap. 4, 22-32), ensuite pour l'Âme (chap. 4, 32-34), et il conclut pour l'intelligible en général (chap. 4, 35-40). L'Un, remarquons-le, n'entre pas en ligne de compte dans ce traité, sans doute parce que l'Un transcende l'acte (38 (VI, 7), 17, 11 ; 54 (I, 7), 1, 19), alors que l'Intellect constitue le premier acte (49 (V, 3), 5, 36) et l'Âme, le second (28 (IV, 4), 16, 18). Cela n'empêche nullement Plotin de désigner à plusieurs reprises l'Un comme la « puissance de toutes choses » (dúnamis pántōn) (7 (V, 4), 2, 38 ; 10 (V, 1), 7, 10 ; 30 (III, 8), 10, 1 ; 38 (VI, 7), 17, 33 ; 49 (V, 3), 15, 33). Ainsi, au-dessus de tous les êtres trône l'Un, qui est la puissance de toutes choses, alors qu'en deçà se trouve la matière, qui est en puissance toutes choses (25 (II, 5), 5, 5). Sur la puissance de l'Un, voir G. Aubry, « Puissance et principe : la dûnamis pântōn, ou puissance de tout ».
40. Le composé est en acte, parce qu'une forme (acte) vient sur un substrat (être en puissance) (chap. 2, 26-29). Or, chaque intelligible est lui-même une forme. Par conséquent, chacun d'eux est en lui-même un acte et ne possède pas l'être en acte à la manière d'un composé, qui reçoit d'une forme son être en acte.
41. Plotin a déjà exprimé l'idée selon laquelle un Intellect en puissance nécessiterait la présence d'un Intellect en acte avant lui (5 (V, 9), 5, 1-5). Il ne donne en cet endroit aucune explication de cet état de fait. Nous apprenons maintenant, dans le traité 25, que cette conclusion résulte de la définition même de l'être en puissance, à savoir ce qui a besoin d'un autre être en acte pour passer à l'acte (chap. 2, 33 ; 3, 28-29). Ainsi, un Intellect en puissance ne pourrait, de lui-même, passer à l'acte. Il faudrait donc admettre un autre Intellect, antérieur à cet Intellect en puissance, afin d'expliquer le passage de l'Intellect de la pensée en puissance à la pensée en acte. Or, Plotin tient pour une parfaite absurdité de vouloir multiplier le nombre des réalités intelligibles au-delà de la triade Un-Intellect-Âme. Non seulement il a écrit un traité (10 (V, 1)) sur les trois réalités principielles, mais il s'attaque vigoureusement aux gnostiques, qui admettent un nombre invraisemblable de principes intelligibles (33 (II, 9), 1). Afin de préserver la structure triadique du monde intelligible, affirme Plotin, il faut que l'Intellect soit en acte.
42. Plotin affirme aussi que l'Intellect possède la totalité en lui. En effet, l'Intellect se pense lui-même et, ce faisant, il pense tous les êtres véritables, car eux tous se trouvent en lui (5 (V, 9), 5, 14-36). Les traités plotiniens reviennent souvent sur cette idée que l'Intellect contient la totalité des êtres (voir par exemple 5 (V, 9), 8, 4 ; 21-22 ; 14, 5-6 ; 9 (VI, 9), 2, 45-47 ; 34 (VI, 6), 7, 1-5 ; 8, 1-5 ; 38 (VI, 7), 17, 34 ; 43 (VI, 2), 22, 24).
43. Le nerf de l'argument repose à nouveau dans l'éternité qui caractérise les réalités premières. Comme Plotin l'affirme depuis le début du traité, les intelligibles sont immuables, éternels et ils ne passent jamais d'une forme à une autre (chap. 1, 7-9 ; 3, 16-18). Puisque l'être en puissance nécessite un changement, c'est-à-dire la possibilité qu'une chose devienne autre (1, 17 ; 4, 1-3), les réalités véritables ne peuvent être en puissance. Cette doctrine est d'ailleurs reprise dans d'autres traités : 2 (IV, 7), 83, 21-22 ; 5 (V, 9), 5, 8-9 ; 10, 14 ; 13 (III, 9), 8, 5 ; 33 (II, 9), 1, 23-24 ; 30. Plotin reprend ainsi la position maintenue par Aristote en Métaphysique Θ 8 (1050b8-21) : aucun être éternel n'est en puissance ; tout ce qui est incorruptible est en acte ; aucun être nécessaire n'existe en puissance, car un être en puissance a toujours la possibilité de ne pas exister, ce qui contredit la nature même des êtres qui sont éternels et nécessaires.
44. L'âme végétative est elle aussi un acte, car elle fait encore partie des êtres intelligibles. Dans le premier chapitre du traité 15 (III, 4), Plotin explique bien que l'âme végétative est l'ultime émanation venant des intelligibles, et que la matière vient juste après elle (voir aussi 13 (III, 9), 3). L'Âme, dit Plotin, ne reste pas immobile, mais elle se meut pour engendrer la sensation et la puissance végétative qui, lorsqu'elle vient perfectionner l'indétermination de la matière, produit un corps (15 (III, 4), 1, 2 ; 1, 14-15). L'âme végétative correspond à la forme du corps (chap. 1, 16-17) ; c'est elle qui s'engage dans la matière et qui engendre le corps (52 (II, 3), 17, 6-8). Voilà pourquoi Plotin, un peu plus loin dans le traité 25, précisera que la matière apparaît là où cessent les intelligibles (chap. 5, 18-19).
45. Retour à l'une des questions du premier Chapitre : l'acte est-il la même chose qu'être en acte et vice versa (chap. 1, 3-6) ? En ce qui concerne le monde sensible, Plotin a déjà répondu qu'on peut être en acte sans pour autant être un acte, car le composé est en acte, alors que la forme est l'acte de ce composé (chap. 2, 10-11 ; 28-29). Seul le cas des intelligibles est encore en attente d'une réponse.
46. Le terme ágrupnos (« sans sommeil ») n'apparaît dans aucun autre traité.
47. L'Un surpasse la vie (38 (VI, 7), 17, 10-11 ; 39 (VI, 8), 16, 34) et l'Intellect représente la vie première (30 (III, 8), 9, 33-35 ; 10, 2-3) et parfaite (26 (III, 6), 6, 15-17). En l'Intellect se trouve la vie la plus pure, alors que la deuxième et la troisième vie, c'est-à-dire respectivement celle de l'Âme et celle des vivants sensibles, sont des états dégradés de cette vie première (30 (III, 8), 8, 16-20). Or, toute vie est un acte, même chez celles qui sont inférieures (47 (III, 2), 16, 17-18 ; 29 (IV, 5), 6, 28). Ainsi, les intelligibles sont non seulement en acte, mais ils sont aussi un acte, car ils possèdent la vie. La vie première et parfaite, celle de l'Intellect, apparaît alors comme le plus bel acte qui puisse exister.
48. Les deux derniers chapitres se penchent sur la question de la matière prise au sens absolu. Plotin se demande si la matière, à l'instar des composés sensibles (chap. 1, 15-18), est en acte d'un côté et en puissance de l'autre. C'était précisément la question qu'il posait dès le début du Chapitre 2.
49. Le traité 12 (II, 4) a déjà établi que la matière doit être matière pour tous les corps sensibles (chap. 8, 4-8). Cette définition de la matière vient du Timée (50b-c), dans lequel Platon affirme que le réceptacle doit recevoir en lui toutes choses et être le porte-empreinte de toutes choses. Cette doctrine d'origine platonicienne se voit ici exprimée dans le vocabulaire aristotélicien de l'être en puissance et de l'être en acte. Cela dit, Plotin vise sans doute Aristote pour qui la matière, même si elle est en puissance, devient d'une certaine manière en acte quand elle fait partie d'un composé. Nous lisons en effet dans la Métaphysique : « De plus, la matière est en puissance parce qu'elle peut aller vers la forme et, lorsqu'elle est en acte, à ce moment elle est dans la forme » (Θ 8, 1050a15-16). Plotin, comme nous le verrons, s'insurgera contre cette idée et il prétendra que la matière reste toujours en puissance, sans jamais passer à l'acte.
50. Autrement dit, tous les êtres n'existent pas nécessairement dans une matière sensible, et ils ne sont pas toujours des composés semblables à ceux d'ici-bas. Les intelligibles, par exemple, qui représentent les êtres par excellence, ne naissent pas dans une matière sensible.
51. La matière se révèle doublement non-être, car elle ne possède ni l'être des composés sensibles, ni l'être des formes intelligibles. D'une part, la matière doit être intrinsèquement différente des corps sensibles et, d'autre part, elle ne possède aucune forme, ce qui la distingue de la matière intelligible (chap. 3, 13). Le traité 12 (II, 4) a insisté sur le fait que la matière ne possède aucune forme, ni aucune figure (6, 18-19 ; 8,6-11 ; 10, 17-20 ; 13, 23-24) et que la matière est différente des corps sensibles (6, 1-3 ; 8, 2-3). La matière est privée de tout, que ce soit la forme, la grandeur, la qualité, etc. (chap. 8). Il devient alors difficile de la classer parmi les êtres (chap. 9, 1-2). Raison de plus pour qu'elle s'apparente au non-être (chap. 16, 1-4 ; 25-27).
52. Ce sont les corps qui n'existent pas réellement. Voir notamment 26 (II, 6), chap. 6.
53. Le discours sur la matière reste toujours problématique. L'existence de la matière ne peut être déduite qu'au moyen d'un raisonnement bâtard, comme le dit Platon (Timée 52b2) et comme Plotin l'a répété (12 (11,4), 10, 11).
54. La matière reste en puissance et se comporte de manière tout à fait différente du composé sensible. Le substrat composé est en acte d'un côté et en puissance de l'autre, car il est en acte une chose particulière, mais il annonce une nouvelle chose à venir en étant en puissance une autre chose (chap. 1, 15-18 ; 4, 1-3). La matière, en revanche, n'est rien en acte et tout en puissance.
55. Il faut distinguer la matière première de la matière comme corps composé. Il y a plusieurs traités déjà que Plotin a bien marqué la différence qui existe entre la matière de tous les êtres sensibles et celle qui est une matière pour certains d'entre eux, comme l'argile pour le potier (12 (II, 4), 8, 4-7). La matière première est ce qui est en puissance (25 (II, 5), 2, 26 ; 4, 3-4), alors que la matière comme corps composé est quelque chose en acte (chap. 2, 10-11 ; 2, 26). Le présent argument jongle ainsi avec les définitions précédentes : si elle était en acte, la matière deviendrait un composé individuel, c'est-à-dire qu'elle posséderait son acte propre, tel l'airain ; elle ne pourrait donc plus être une matière au sens strict. Rappelons que c'est Aristote qui a spécifiquement développé la distinction entre une matière première indéterminée et une matière déterminée (Métaphysique ∆ 6, 1017a5 ; Z 3, 1029a20-28 ; Θ 7, 1049a24-b2 ; Physique 17, 191a7-9, 12-13). Selon lui, la matière première est celle qui ne possède absolument pas de forme et qui n'est un corps qu'en puissance, alors que la matière déterminée est un corps, c'est-à-dire un composé de forme et de matière, tel l'airain ou l'homme. Il qualifie cette matière déterminée de « prochaine », car elle est le corps qui vient juste avant la génération du corps considéré. Par exemple, la cause matérielle déterminée de l'homme sera les menstrues et non pas le feu, car cet élément se trouve trop éloigné de l'homme dans la progression qui va du feu jusqu'aux menstrues et à l'homme (Métaphysique H 4, 1044a32-b2). Un individu apparaît immédiatement à la suite de sa matière prochaine (ibid., Z 10, 1035b29-31). L'analyse de la substance corporelle remonte ainsi d'une matière prochaine à l'autre, jusqu'à atteindre ultimement la matière première (ibid., Θ 7, 1049al8-28). Plotin reste donc dans le cadre de cette théorie lorsqu'il fait de la matière soit une matière indéterminée et incorporelle, soit une matière déterminée et corporelle. Même si l'expression « matière prochaine » n'apparaît jamais dans ses traités, il semble toutefois en appliquer le concept, car il procède à une analyse toute semblable de la substance sensible : la coupe se corrompt en or, puis l'or en eau, puis l'eau en autre chose, jusqu'au moment où l'on atteint une matière première indéterminée (12 (II, 4), 6, 12-17).
56. Platon distingue deux types de non-être : le non-être comme différent de l'être et le non-être absolu (Sophiste 257e-258e). Alors que le non-être absolu ne saurait exister, le non-être relatif s'applique en revanche au mouvement, au repos et aux autres genres premiers (256d-e). Ces genres participent tous à l'être, mais, n'étant pas identique à l'être lui-même, ils présentent un certain non-être. Plotin connaît évidemment cette doctrine du Sophiste et la met en relation avec sa propre conception du non-être de la matière. La matière ne peut être selon lui ni le non-être absolu, ni le non-être qui est différent de l'être (51 (I, 8), 3, 7-9). En ce qui concerne le non-être qui est différent de l'être, tels le mouvement et le repos, Plotin considère qu'il reste trop dépendant de l'être pour qu'il puisse s'appliquer à la matière (26 (III, 6), 7, 10-13 ; 51 (I, 8), 3, 7-9). Celle-ci se trouve en vérité occuper une position intermédiaire entre les non-êtres distingués par Platon : elle est ce qui est différent non seulement de l'être, mais de tous les êtres et de toutes les raisons, sans pour autant sombrer dans le non-être absolu (12 (II, 4), 13, 24-32 ; 16, 1-4). Elle ne s'appuie en aucune manière sur l'être et ne saurait entretenir aucun rapport concret avec lui. C'est pourquoi la matière s'apparente à une sorte de forme du non-être (51 (I, 8), 3, 4-5), qu'elle est véritablement non-être (26 (III, 6), 7, 12-13) et réellement non-être (25 (II, 5), 5, 24). Sur les différentes acceptions du non-être chez Plotin, voir les études de J.-M. Narbonne (Traité 25, p. 137-138, puis « Le non-être chez Plotin et dans la tradition grecque ») et de D. O'Brien (« Le non-être dans la philosophie grecque : Parménide, Platon, Plotin »).
57. L'expression « la matière demeure telle qu'elle était depuis le début » revient en 26 (III, 6), 11, 18-19.
58. L'impassibilité de la matière, thème qu'abordera le traité 26 (III, 6), s'inspire du Timée, dans lequel Platon affirme que le réceptacle ne perd jamais aucune des propriétés qui sont les siennes et qu'il reçoit en lui toutes les formes sans jamais en être affecté (50b). Plotin pense à une doctrine de ce genre lorsqu'il affirme que la matière reste inaffectée par les choses qui plongent en elles. Si elle conservait quelque chose des formes qui viennent en elle, la matière ne pourrait jamais continuer à remplir son rôle de porte-empreinte pour toutes choses, car les formes qu'elle posséderait feraient obstruction aux nouvelles formes qui se présenteraient (26 (III, 6), 10, 1-11 ; cf. Timée 50e-51a).
59. Le traité 12 explique bien que le caractère propre de la matière réside dans sa relation à toutes les autres choses (12 (II, 4), 13, 24-32). Tout l'« être » de la matière tient au fait qu'elle est différente des autres choses, qu'elle n'est ni qualifiée, ni ne possède aucune forme.
60. La matière vient après les intelligibles et avant les corps. Cette affirmation se comprend bien si nous acceptons une théorie de l'émanation intégrale chez Plotin (voir l'Introduction générale au premier volume, p. 41) : la matière vient après le dernier des intelligibles, à savoir l'âme végétative qui la produit, et avant les corps, car le corps n'apparaît qu'une fois que l'âme végétative vient s'unir à la matière (13 (III, 9), 3 ; 15 (III, 4), 1 ; 52 (II, 3), 17, 6-8). Il faut toutefois prendre garde de ne pas attribuer à ces paroles un sens littéral et chronologique, puisque Plotin considère que cette série d'émanations est intemporelle et a toujours eu lieu (33 (II, 9), 3, 11-15).
61. La matière ne reçoit pas fréquemment le qualificatif d'« image » (12 (II, 4), 5, 19-20 ; 26 (III, 6), 7, 24-25). Celui-ci s'applique généralement à la forme sensible et au composé (voir par exemple 1 (I, 6), 3, 34-36 ; 13 (V, 9), 5, 17-18 ; 26 (III, 6), 9, 18-19). Plotin suit en cela la doctrine platonicienne selon laquelle le sensible est une imitation de l'intelligible (Timée 28a-b ; 29a-b), et qui s'exprime à plusieurs reprises dans ses traités (par exemple en 12 (II, 4), 4, 8-9 ; 33 (II, 9), 8, 16-29 et 43 (VI, 2), 22, 37-38).
62. Tout ce que la matière peut promettre se révèle toujours être un mensonge (26 (III, 6), 7, 21-22). Ce que l'on perçoit dans la matière est faux, faible et s'apparente à un rêve (chap. 7, 38-41 ; comparer avec 26 (II, 6), 6, 65-69).
63. Ces expressions viennent, respectivement, de République II, 382a4 et de Sophiste 254d1, mais Plotin les utilise en dehors de leur contexte qui, originellement, ne concerne pas la matière.
64. Cette phrase est omise à la fois dans les traductions de Bréhier et d'Armstrong.
65. Afin de préserver l'indestructibilité de la matière, il faut la considérer comme une matière au sens absolu, qui reste sans cesse en puissance. Cette remarque fait penser à celle toute similaire d'Aristote dans sa Physique, lorsque le Stagirite précise que la matière n'est indestructible et inengendrée qu'en tant qu'elle est en puissance, alors qu'en tant que « ce en quoi », en tant que privation, elle est détruite par soi (I 9, 192a26-28). L'incorruptibilité de la matière au sens strict est déjà établi en 12 (II, 4), 6, 17-18 et reviendra en 26 (III, 6), 8, 11 ; 10, 11. Cette doctrine vient non seulement d'Aristote (Physique I 9, 192a28), mais aussi de Platon (Timée 52a8).