14.
Lemberg, 1942

Lemberg, où Otto arriva le 28 janvier 1942, est une ville médié- vale. Capitale régionale de l’Empire austro-hongrois pendant des décennies, elle a été rattachée à la Pologne nouvellement indépendante en novembre 1918 et a pris le nom de Lwów. Occupée à partir de septembre 1939 par les Soviétiques, la ville est devenue Lviv. Les Allemands l’ont rebaptisée Lemberg en juillet 1941, après l’occupation du territoire de Galicie1. Avec ses 420 000 habitants, c’était la troisième ville du Gouvernement général. Le district de Galicie comptait alors plus d’un million d’individus, répartis à peu près également entre Polonais, Ukrainiens et Juifs. En l’espace de quelques semaines, Otto signa le décret interdisant certaines professions aux Juifs2. En un an, la plus grosse partie de la population juive fut « liquidée » : plus d’un demi-million d’êtres humains. Comme un grand nombre de Polonais avaient été envoyés dans le Reich où ils étaient soumis au travail forcé, Otto voyait dans les Ukrainiens des alliés potentiels.

Charlotte ne mentionna aucun de ces faits dans ses écrits. Elle ne nota que les éléments positifs : le sentiment de libération éprouvé par Otto, désormais débarrassé des entraves de Frank ; ses intenses activités mondaines ; leur nouvelle maison, une grande villa au 11 Leuthenstrasse3. Grande et belle, s’enthousiasmait Charlotte, un lieu idéal pour recevoir des invités de Galicie et de l’étranger. Les déjeuners de vingt personnes étaient parfois suivis de thés où se retrouvaient quarante invités. Dans la mesure où la ville était sur la route du front russe, les gens pouvaient faire une halte chez eux : la guerre devenait ainsi un catalyseur d’événements mondains. Charlotte avait une nounou et un personnel nombreux et attentionné à son service : un cuisinier, une fille de cuisine, des femmes de chambre, deux valets, un cocher et un chauffeur.

Otto passa deux ans et demi à Lemberg, une période de « joie intense », durant laquelle il mit en œuvre « ses propres idées d’une gouvernance bonne et humaine »4, selon Charlotte. Il y avait beaucoup à faire dans la région, car les habitants avaient gardé de bons souvenirs de l’Autriche et de la monarchie impériale. Il ressentait également un attachement familial au lieu : Josef y avait servi durant la Grande Guerre, ce qui lui valut d’être décoré de l’ordre de Marie-Thérèse. « Ma tâche est immense et d’un ordre supérieur, c’est un honneur exceptionnel », plus difficile aussi, politiquement et économiquement après deux ans de règne soviétique, avoua Otto à son père. Il espérait être à la hauteur d’un Wächter élevé dans la tradition militaire de Josef 5.

Otto avec des écoliers, Lemberg, 1942.

Josef rendit visite à Otto et à sa famille dans un uniforme de lieutenant général taillé sur mesure, spécialement confectionné pour le voyage. Le père et le fils, escortés d’un large cortège, partirent avec un grand enthousiasme visiter les champs de bataille de la Première Guerre. Otto fut ravi d’avoir atteint un grade équivalent à celui de son père à l’âge de quarante ans ; il assumait pleinement la charge de son gouvernement. Son équipe se composait du Dr Egon Höller6, son assistant personnel ; de l’Abteilungsleiter Otto Bauer7, son second et chef du département ; du Dr Ludwig Losacker, Chef des Amtes, chef de service ; et de Theobald Thier8, SS-Gruppenführer, responsable des relations avec la SS.

La période n’était pas facile. Un certain pessimisme planait, dû aux problèmes rencontrés à l’Est, à la gouvernance, imprévisible et théâtrale, de Frank et aux tensions entre l’administration civile et la SS. À l’Est, en Ukraine, le Reichskommissar Erich Koch9 « faisait des ravages, tel César », se rappelle Charlotte. Elle recevait des comptes rendus personnels de Hans Fischböck – qui avait décidé de quitter son poste placé sous l’autorité de Koch pour rejoindre La Haye et travailler avec Seyss-Inquart à l’occupation des Pays-Bas. La brutalité de Koch faisait paraître la gestion d’Otto presque « aimable ». Charlotte se souvint d’une première réunion entre Otto, en uniforme d’apparat SS, et l’archevêque métropolitain Andrei Sheptytsky10. « Votre présence est une bénédiction », lui aurait dit l’évêque, les larmes aux yeux. Charlotte n’était pas présente et elle n’avait jamais rencontré cet homme, mais c’est ainsi qu’elle raconta l’épisode aux enfants.

 

 

En été, après quelques mois de séparation, Charlotte rejoignit Otto à Lemberg. À Vienne et à Thumersbach, elle avait vu sa famille, avait profité du théâtre et de l’opéra, mené une vie sociale trépidante. Otto lui avait alors envoyé des conseils, des articles sur l’éducation religieuse et musicale de la jeune génération parus dans Das Reich11. « Lis ceci avec attention en songeant à nos héritiers mâles », avait-il écrit à propos de l’un de ces articles. « Tu te rendras compte de l’influence de Schirach » ; il voulait parler de son ami, chef des Jeunesses hitlériennes12.

Otto était submergé par les activités liées à l’occupation. Au printemps, il parcourut le territoire du Gouvernement général ; il se rendit à Lublin où était basé Globus, ainsi qu’à Varsovie. Le 9 juin, il assista à Berlin aux funérailles de Reinhard Heydrich qui avait été assassiné à Prague. Il écouta l’oraison funèbre d’Himmler qui évoqua le « devoir sacré d’annihiler les ennemis de notre peuple sans faire preuve de faiblesse13 ».

En été, Charlotte emmena les enfants à Thumersbach. « Dans mon cœur, je suis avec toi dans cet endroit merveilleux14 », lui écrivit Otto. Il lui conseilla de nager et de marcher pour se remettre de sa récente maladie, de s’amuser aussi. Ce à quoi elle répondit, implorante : « J’éprouve un tel désir pour toi, viens nous retrouver bientôt, et fais-toi accompagner par Hans Frank ! »

Elle n’expliqua pas la raison de cette suggestion, elle garda son secret pour elle. La vérité était qu’elle était tombée amoureuse du Gouverneur général, son journal est explicite à cet égard.

1er février 1942 : « j’ai porté les bottes de Frank, négligemment15 ».

4 mars : café avec Frank à Berlin, triste lorsqu’il m’a quittée « pour rejoindre le quartier général du Führer16 ».

6 mars : « il a joué du piano, j’ai écrit17 ». Plus tard, dans le train spécialement affrété de Berlin à Cracovie, « nous sommes restés ensemble lorsqu’elle [Frau Frank] est allée se coucher ». Cette nuit-là, ils firent trois parties d’échecs, « il a gagné deux fois, moi une seule, très agréable, c’est si agréable d’être avec lui. Suis allée me coucher à 11 heures. Lorsqu’il a réalisé que nous étions seuls, il s’est levé d’un bond pour partir abruptement ».

7 mai, à Wawel : « Je respirais son air, comme j’aimerais le revoir… Je ne sais pas quoi faire, je suis si intensément préoccupée par mon Hansl. Je suis tellement amoureuse et me languis du moment où je le reverrai. Je dois attendre ce moment. Combien de fois par jour pensé-je à lui, il a tellement d’esprit, il est tellement spirituel, Dieu merci personne ne se doute de rien18. »

21 juin : « Ai rêvé du Gouverneur général, pense à lui très souvent, ça doit être l’amour19. »

Des années après que Niklas m’eut présenté à Horst, je lui ai envoyé une copie de ces notes. « Sensationnel ! » m’a répondu le fils de Frank, « personne ne savait qu’elle était amoureuse de mon père ! ». Il se demandait en blaguant si Horst pouvait être son frère.

Le rêve du Gouverneur général prit fin au mois d’août. Lors d’une tournée de conférences dans les universités allemandes, Frank s’était inquiété du respect de la règle de droit dans le IIIe Reich et avait plaidé pour une nécessaire indépendance – encadrée cependant par l’idéologie nazie – des juges. Hitler l’avait alors privé d’une partie de ses attributions20. Frank dit par ailleurs à son épouse qu’il voulait divorcer parce qu’il aimait une autre femme, un amour de jeunesse21. Cette femme n’était pas Charlotte. Brigitte Frank se confia à Charlotte et lui annonça qu’elle n’accepterait jamais le divorce. « Il serait fou, en aimerait une autre », nota Charlotte avec regret22.

Au cours de cette période, Charlotte et Otto ne se voyaient guère, mais ils s’écrivaient souvent. Dans leur correspondance, il était essentiellement question d’événements locaux : à Vienne, leur ami Hanns Blaschke avait été nommé maire ; les locataires prenaient soin de la Villa Mendl ; Otto évoqua, de manière vague, des « négociations » à Berlin ; Charlotte lui reprocha à cette occasion d’oublier sa femme et ses enfants. « As-tu seulement essayé de téléphoner à Lieschen pour son huitième anniversaire ? Tout le monde s’en est souvenu, sauf toi23 ! »

Portrait de Charlotte, 1942.

Arrivée à Lemberg en juillet, Charlotte écrivit à Otto junior, alors âgé de douze ans. Le déménagement arrivait à grands pas, elle l’encouragea : C’est « très joli ici » ; la maison possède un grand jardin, un court de tennis et une piscine, il y a même un poney qui tire une petite charrette.

Charlotte offrit un cadeau à Otto, un portrait d’elle-même, distraite et triste. « Pour mon amour, en souvenir24 », écrivit-elle au dos.

J’ai vu ce portrait des décennies plus tard, accroché au mur de la chambre à coucher de Horst. Oui, me dit-il, elle a l’air triste. J’ignorais alors qu’elle s’était entichée du Gouverneur général – elle l’était déjà au moment où la photo avait été prise –, je n’avais pas encore lu son journal. Horst était-il au courant ? Il ne m’en a rien dit.

Hans Frank vint à Lemberg le samedi 1er août pour célébrer le premier anniversaire de l’incorporation du district de Galicie dans le Gouvernement général. Il rendit visite aux Wächter. Charlotte et lui passèrent du temps ensemble, jouèrent aux échecs, mangèrent, avant qu’il ne parte avec Otto pour une série de réunions. Plus tard dans la soirée, au cours d’une autre partie d’échecs, elle le battit, ce qui le mit en colère ; il se retira tôt.

Elle ne dit rien de ses sentiments pour Frank, et ne rendit compte, ni dans son journal ni ailleurs, du discours qu’il prononça ce jour-là. La mise en œuvre de la « Solution finale » en Galicie fut annoncée dans le grand amphithéâtre de l’université de la ville. Le public l’applaudit chaleureusement. Otto y assista, installé au premier rang.

« Camarade Wächter ! Je dois dire que vous avez été efficace », le félicita Frank. « Lemberg est à nouveau une véritable et fière cité allemande. Je ne parle pas des Juifs qui sont toujours là, nous nous en occuperons, bien sûr. »

« D’ailleurs », poursuivit le Gouverneur général, « je ne crois pas avoir vu un de ces détritus dans le périmètre aujourd’hui. Que se passe-t-il ? On me dit que ces pieds plats primitifs étaient des milliers et des milliers dans la ville autrefois – mais pas un seul ne s’est montré depuis que je suis arrivé. Ne me dites pas que vous les avez maltraités ? » Le compte rendu de l’événement indique que le discours de Frank fut accueilli par des « applaudissements nourris »25.

Le 6 août, Charlotte partit pour Vienne. Une réunion au sommet se tenait alors à Lemberg : son objet fut résumé en quelques lignes sous le titre « Solution à la question juive en Galicie ». Le SS-Brigadeführer Katzmann informa le Dr Losacker et le Dr Bauer, le second d’Otto et son chef de cabinet, que les Juifs seraient relocalisés, expulsés ou liquidés, de sorte qu’il n’y aurait « plus un Juif libre dans le Gouvernement général d’ici six mois26 ». Quelques artisans juifs qualifiés seraient détenus, dans certains districts, dans des Judenlager (camps) spéciaux. La Grosse Aktion débuta quatre jours plus tard, des dizaines de milliers de Juifs de Lemberg furent raflés et transportés vers le camp d’extermination construit par Globus à côté de Bełżec.

Le dimanche 16 août, Otto envoya une longue lettre à Charlotte. Il était à Cracovie où il assistait au congrès du parti – et, durant les pauses, jouait au ping-pong avec Pavlu. « Après ton départ, il a fallu régler de nombreux problèmes27 », écrivit-il à Charlotte. Le résultat des récoltes devait être consigné ; les travailleurs devaient être transférés dans les camps de travail du Reich (« 250 000 ont déjà été envoyés depuis le district ») ; et il y avait « de grosses opérations juives (Judenaktionen) en cours ». Ce fut, après Bochnia, l’une des rares références à ce type d’actions dans une correspondance personnelle. Le ton était positif : il faisait des progrès, la convention du parti avait été un succès et, à la maison, tout allait bien malgré les problèmes que soulevaient les employés polonais. Parmi les moins bonnes nouvelles, il y avait le suicide, dans la maison, de ce soldat polonais qui avait donné lieu à des rumeurs regrettables. « Un amour non partagé », pensait Otto, « trop faible pour vivre ». Otto termina par « avec tout mon amour toujours » et signa : « Avec Hitler – tout ou rien ».

Il joignit un dessin de Pavlu qui avait ajouté quelques mots rassurants : Otto était un « parangon de vertu !! » ; la femme de Pavlu avait griffonné qu’Otto était sous stricte surveillance. Himmler, l’une des « huiles » du régime, ayant décidé de lui rendre une visite impromptue, Otto rentra tôt à Lemberg. « Je suis arrivé juste à temps à l’aéroport28 », précisa-t-il à Charlotte. Le journal officiel d’Himmler consigne ces événements : depuis l’arrivée à l’aéroport de Lemberg jusqu’au soir du 17 où il rencontra Otto, Globus et Katzmann. Les quatre hommes tinrent une « réunion » dont l’objet n’est pas précisé, puis ils dînèrent. Le lendemain matin, Otto et Katzmann emmenèrent Himmler faire une « visite guidée » des « camps juifs sur Durchgangstrasse IV », la rue construite pour relier PrzemyŚl, Lemberg, Tarnopol et Taganrog à l’est. Ils visitèrent les camps de Jaktorów et de Lackie, à environ soixante kilomètres à l’est de Lemberg, déjeunèrent puis revinrent à Lemberg où Himmler prit son avion de retour pour Berlin.

Tout s’était finalement bien passé, écrivit Otto. Si bien en fait qu’il en avait « presque honte29 ». « Leur relation était harmonieuse et amicale », et Himmler n’avait que du bien à dire de lui ; sur tous les sujets d’importance, il était de son côté. Otto prit donc un peu de temps pour lui-même et fit, avec deux collègues, une descente en canoë sur le Dniestr.

Début septembre, Martin Bormann, le collaborateur le plus proche d’Hitler, reçut un compte rendu de première main très positif sur le travail d’Otto à Lemberg30. En se séparant des fonctionnaires civils dépourvus de caractère et de compétences, il avait stabilisé la situation de la Galicie, désormais meilleure que celle des autres districts du Gouvernement général. Le rapport indiquait qu’il était assisté d’un chef de cabinet « très capable », le Dr Losacker31, et consignait les impressions d’Otto sur Frank (sexuellement dépendant de sa femme et plus adapté à une vie d’artiste ou de savant).

Pendant qu’Otto divertissait Himmler, son père et les parents de Charlotte étaient à Thumersbach. Josef fit des promenades quotidiennes avec Horst, son petit-fils bien-aimé ; Charlotte se rendit au festival de Salzbourg avec les Fischböck. Une journée de poésie au Schloss Leopoldskron, Le Mariage de Figaro au Festspielhaus, puis un « dîner simple » en l’honneur de cinquante poètes et écrivains qui se prolongea tard dans la nuit. Les jours suivants, elle prit plaisir à assister à la représentation de Beaucoup de bruit pour rien – mais elle en sortit « épuisée » – et à une interprétation passionnante de la Septième symphonie de Bruckner, son œuvre préférée – d’autant plus appréciée qu’elle partageait la loge du Gauleiter32.

Elle fut hébergée par les Lippert. Avec Trudl Fischböck, qui voulait l’acquérir, elle visita la Villa Schubert. La propriété était très convoitée, notamment par Herbert von Karajan33 – qui recherchait un endroit calme pour travailler, débarrassé des autres résidents. « Je suis curieuse de savoir qui l’obtiendra34 », écrivit Charlotte à son mari. Les enfants allaient bien, le petit Horst « le cœur et l’âme, comme son grand-père, très sensibles ». L’état des cuisines de la maison, à Lemberg, l’inquiétait. « Où en sont les fours ? » lui demanda-t-elle.

Quatre jours plus tard, le 27 août, Charlotte dit à Otto qu’elle avait hâte de rentrer à Lemberg et qu’elle était ravie que la visite d’Himmler se soit si bien passée. En attendant, les promenades autour de Thumersbach étaient « incroyablement agréables35 ». Ils faisaient des excursions vers la Schmittenhöhe, nageaient dans les étangs et prenaient le soleil dans la mousse, nus comme des nouveau-nés. Elle se sentait « submergée par la grandeur de la nature ». « Merci, merci, écrivit-elle, mille fois du fond de mon cœur, d’avoir rendu possible l’acquisition de notre maison indiciblement belle. »

La famille jouissait de la montagne ; la Grosse Aktion de Lemberg touchait à sa fin. Otto fit une échappée en canoë le long du Dniestr : 180 kilomètres de descente, quelques jours de camping, pêche et nourriture simple (« avant tout des pommes de terre et du maïs, et toujours du thé »). De retour à Lemberg, il reçut des auditeurs envoyés par Berlin : les journaux locaux avaient en effet signalé que le Gouvernement général rencontrait des problèmes. Ainsi les travaux dans le jardin avaient-ils été retardés. Il manque des travailleurs manuels se plaignit Otto : « Un nombre de plus en plus important de Juifs est déporté, et il est difficile de se procurer de la terre battue pour les courts de tennis36. »

 

Sans trop y croire, Charlotte espérait que la guerre s’arrêterait l’année suivante. Elle retourna dans la Villa Schubert. Otto l’informa des attaques aériennes sur Cracovie et Varsovie ; de Thumersbach, Charlotte lui envoya une lettre accompagnée d’un dessin au crayon de couleur de la famille en mouvement : « Mein liebstes Hümmchen, pourrais-tu te renseigner auprès du Gauleiter, puis-je me servir dans les vieux meubles ? » Charlotte espérait qu’ils fêteraient ensemble le dixième anniversaire de leur mariage le 11 septembre, ce jour où il avait « attendri » sa vieille tête endurcie. C’était surtout leur séparation qui rendait les temps difficiles.

Dessin de Charlotte dans une lettre à Otto du 4 septembre 1942.

Otto ne put rejoindre Charlotte pour leur anniversaire. Il était submergé par les problèmes qu’il affrontait en Galicie : la pénurie de nourriture notamment, ainsi qu’un rapport négatif de la commission de contrôle berlinoise. La visite du ministre de l’Intérieur offrit cependant un « rayon de lumière » : le travail d’Otto à Lemberg avait laissé au ministre une « impression très positive37 ». Otto envoya à Charlotte un article du Reich (« manger des fruits avant de se coucher est mauvais pour vos dents »), et décrivit une superbe représentation de L’Enlèvement au sérail de Mozart à l’opéra de Cracovie à laquelle il avait assisté en compagnie de visiteurs italiens. Hümmi lui transmit ses meilleurs vœux pour leur anniversaire et termina par un sincère « Heil Hitler ».

« Les chemins de la vie peuvent être escarpés », répondit Charlotte en référence à ses souffrances, il fallait donc être endurant38. Accompagnée du Gouverneur, elle retourna à la Villa Schubert pour la troisième fois ; avec Josef Thorak, elle visita une réserve naturelle près de Neukirchen où elle admira les quarante-huit vautours du Caucase qui y étaient gardés et protégés avec soin.

« Poland Indicts », New York Times, 17 octobre 1942.

Noël approchait. Otto rendit compte à Himmler de l’évolution favorable de la situation en Galicie. Le Reichsführer apprécia la « belle image de Lemberg », un modèle d’ordre et de calme que l’on devait à Otto et au « travail harmonieux entre vous et le compétent Katzmann », ainsi qu’à « la véritable coopération entre votre administration, la SS et la police dans votre district », lui écrivit Himmler39. Espérant revenir bientôt à Lemberg, Himmler envoya une copie de la lettre à son adjoint, le SS-Obergruppenführer Karl Wolff, chef de son cabinet, qui connaissait Otto depuis ses débuts à Berlin40.

Otto apprit peut-être une autre nouvelle, moins plaisante, parvenue à la fin de l’année : un article du New York Times reprenait des accusations contre les dix principaux nazis, identifiés par le gouvernement polonais en exil, pour crimes commis sur le territoire polonais. Hans Frank était le premier sur la liste41 ; certains camarades y figuraient également, notamment Friedrich-Wilhelm Krüger (« terreur et exécutions »), Odilo Globočnik (« persécuteur de Juifs »), et Ludwig Fischer (« spécialiste des ghettos de Varsovie »). Otto, dont le nom était mal orthographié, figurait au septième rang. Il était « tristement célèbre pour l’extermination de l’intelligentsia polonaise ». Sous ses ordres, rapporte le journal, une centaine de professeurs d’université avaient été envoyés dans les camps de concentration ; beaucoup y étaient morts, d’autres devenus fous.