La nouvelle année commença, Otto et Charlotte correspondirent beaucoup ; leurs lettres évoquaient les mondanités quotidiennes qui aidaient à remonter un moral en berne. Noël avait été « un moment difficile pour une grande célébration allemande1 », écrivit sombrement Charlotte. « Non, répondit Otto, ce fut un enchantement d’être ensemble. »
Tandis que les escadrons alliés survolaient le village2, Charlotte partit au ski avec les enfants, près de Zell, sur la Schmittenhöhe. Elle était ravie du café que lui avait envoyé Himmler3 – beaucoup dépend désormais de lui, au dire d’Otto4 ; elle se réjouissait de recevoir le Mutterkreuz (la « croix des mères ») le jour de la fête des mères, qui la récompensait des nombreux enfants qu’elle avait élevés. En Italie du Nord, Otto, qui se déplaçait toujours en décapotable, se plaignait du froid mordant. Il y avait beaucoup de souci à se faire : à l’Est, le Gouvernement général allait bientôt s’effondrer ; en Italie, les attaques aériennes alliées fréquentes et l’usure de Mussolini rendaient la situation « compliquée5 ». « Merci de supporter mes fragilités », dit-il à Charlotte ; il savait qu’il n’était pas sans reproches. Il approuvait son idée de donner ses vêtements de travail à la Volksopfer Sammlung (une campagne destinée à soutenir les forces armées)6, notamment l’uniforme SS noir, mais il voulait conserver les uniformes gris.
À la fin du mois de janvier, Cracovie céda devant l’Armée rouge. « Notre magnifique Reich est détruit7 », écrivit Charlotte le 24 janvier ; il était « inimaginable » pour elle qu’un drapeau polonais flotte à nouveau sur la ville. Deux jours plus tard, Brigitte Frank lui annonça que la chute rapide de Cracovie avait pris son mari par surprise et qu’il avait seulement réussi à sortir de la ville, lui aussi désormais « roi sans royaume8 ». Le 30, elle célébra le douzième anniversaire de la Machtergreifung, la prise du pouvoir par les nazis. « Comme nous avions alors espoir et confiance », griffonna-t-elle, « c’était merveilleux, tu avais à cette époque rencontré le Führer pour la première fois ». La situation était aujourd’hui lugubre, mais tant que le Führer était en vie, l’espoir était permis9. En écoutant un discours d’Hitler à la radio, Otto se sentit réconforté par la clarté du message, mais inquiet de l’agressivité du ton10.
En février, Charlotte alla à Salzbourg, elle fut choquée par la misère. « Des centaines de travailleurs étrangers, des gens en haillons, des cratères géants, des maisons détruites, des débris, de la saleté11 », écrivit-elle, apeurée par cette foule d’étrangers dans son propre pays. Otto, à son tour, se sentit déprimé. « J’irai mieux lorsque je pourrai à nouveau nager, les exercices quotidiens permettent de retrouver un équilibre. » Il avait pourtant des œillets tout frais et des roses sur son bureau, une photo du lac de Garde au-dessus de la cheminée, et une vue des montagnes au-delà du jardin qui lui offraient « un pont vers la famille à Zell »12.
Carte postale, école militaire impériale de natation, Trieste, 1914.
Otto était inquiet des attaques alliées sur Vienne13 – « le destin tournoie autour de nous14 » –, mais il refusait de reconnaître que la fin était proche. « Ce serait une trop grande injustice pour ce Volk si brave, si constant et si authentique, et une telle perte pour le monde15. » Un voyage professionnel raviva ses souvenirs d’enfance16 : on en trouve la trace dans une longue lettre à Horst qu’il remercie de lui avoir envoyé ses jolis dessins et ses lettres. « J’ai adoré retrouver ma vieille Trieste », le souvenir de l’ancienne école militaire impériale de natation où j’ai appris à nager, la visite de l’appartement familial d’autrefois via Bonomi.
Les jardins de son enfance étaient désormais tristes et négligés ; l’aqueduc, si grand dans son souvenir, semblait avoir rétréci. Porte-toi bien, sois fort, écrivit-il à cet enfant de cinq ans, continue de rendre fiers ton papa et ta maman. « Heil Hitler ! »
Les talents d’organisation d’Otto, sa loyauté sans faille à la cause nazie et sa disposition à prendre des mesures de sécurité brutales en firent un homme très demandé. Après une brève révolte surprise en Slovaquie, Karl Hermann Frank, Reichsminister pour la Moravie et la Bohème17, suggéra qu’Otto fût nommé ambassadeur d’Allemagne en République de Slovaquie. L’ambassadeur en poste n’était pas assez engagé dans les « mécanismes de sécurité sévères ». La suggestion ne fut pas suivie d’effet. En revanche, le chef du bureau central de la SS, Gottlob Berger18, un proche confident d’Himmler, demanda le transfert d’Otto à Berlin. Ils cherchaient un nouveau directeur, une « personnalité hors pair19 », pour le Groupe D qui contrôlait la SS allemande. Wächter était facilement remplaçable en Italie et il était l’homme de la situation. Himmler sollicita l’accord du général Wolff, son « cher Wölffchen ». « Je sais que W. est un employé remarquable, mais le Mouvement Wlasow (sic) est d’une haute importance pour nous en Allemagne20. » Il faisait référence à la petite armée dirigée par le général Andreï Vlassov21, un groupe d’anticommunistes russes qui avaient déserté pour combattre l’Armée rouge au côté de l’Allemagne.
Avec le soutien du général Wolff22, Otto retourna à Berlin à la fin du mois de février. Plutôt mécontent de quitter l’Italie, il emménagea dans une villa moderne non loin d’un bureau qu’on lui avait installé au 28, Rheinbabenallee. La ville avait changé (« plus de ruines, encore moins de circulation, des gens pâles et misérables. Les femmes souvent en pantalons […], tout le monde transporte des sacs. Les bureaux non chauffés23… »), mais il était content de retrouver de vieux amis, les Losacker par exemple, avec lesquels il parla du passé, du présent et de l’avenir.
Vice-directeur du Groupe D à la RSHA/Reichssicherheitshauptamt, Otto retrouva l’endroit où il avait travaillé une décennie auparavant, dans l’immeuble berlinois d’Eichmann et de Hass. L’une de ses tâches consistait à faire la liaison entre un « Comité national ukrainien », en cours de création sous les ordres du général Pavlo Shandruk24, et les renégats russes du général Vlassov. La perspective de travailler, par ce biais, avec la Division SS Galicie – distincte du Comité – et de la sauver rendit le déménagement à Berlin plus attrayant. Il voulait empêcher l’extradition de tous les membres de la division vers l’Union soviétique, affirmée par Staline au début du mois de février à Yalta25. Il œuvrait sans relâche au soutien de ses anciens collègues ukrainiens, « étonné » que sa réputation, grandie par la « sensibilité » avec laquelle il avait traité les habitants de Galicie, se soit propagée à travers l’Ukraine jusqu’aux Cosaques et dans le Caucase. « Les représentants des peuples de l’Est sont venus me voir pour me témoigner leur plus grand respect26 », dit-il à Charlotte – cela évidemment à l’exception des Russes qui connaissaient ses opinions antibolcheviques.
Il contacta le général Shandruk et accepta de créer un Comité national ukrainien (CNU) et une Armée nationale ukrainienne (ANU)27. Le CNU avec sa branche armée furent institués quelques jours plus tard ; le général Shandruk fut nommé commandeur – son mandat comprenait la direction de la Division SS de Galicie. En mars, une réception officielle fut donnée à Berlin en présence du ministre Alfred Rosenberg, qui salua la « pleine participation » des Ukrainiens dans la « guerre prochaine contre le bolchevisme ». En présence de treize convives seulement, on servit du vin et des canapés au ministère des Affaires étrangères.
L’Armée rouge s’empara de Vienne le 12 avril. Quelques jours plus tard, Otto, représentant du haut commandement de la Wehrmacht et du ministère des Affaires étrangères, rejoignit le général Shandruk pour une inspection de l’armée ukrainienne près de Spittal, en Autriche. Le 17, ils se retrouvèrent à Völkermarkt afin de distribuer les responsabilités entre Allemands et Ukrainiens, une affaire délicate. Quelques jours plus tard, les deux hommes rendirent visite au général Fritz Freitag28 sur la base du quartier général, un site endommagé à la lisière d’une forêt près d’un petit hameau. Le général Shandruk voulait qu’un commandement ukrainien remplace le général Freitag, « un homme corpulent », qui ne faisait pas bonne impression. Otto soutint les propositions de Shandruk29 ; la Division SS Galicie fut renommée Ire Division ukrainienne de l’armée nationale d’Ukraine.
Le 25 avril, les membres de la Division renommée prêtèrent serment en présence d’Otto. Ce dernier voulait qu’elle opère comme « unité de combat antibolchevique30 », travaillant aux côtés d’autres formations anticommunistes – les Waffenverbände des Cosaques, des Caucasiens et des Géorgiens – désormais sous contrôle américain. Des négociations secrètes, conduites par le général Wolff et facilitées par la Suisse, avaient été engagées avec les Américains. L’opération fut baptisée Opération Sunrise. Je n’ai trouvé aucun indice permettant de dire qu’Otto, loyal jusqu’au bout, était impliqué dans ces négociations31.
Alors que l’Allemagne était au bord de la capitulation, Otto fit un bref voyage en Italie du Nord pour s’assurer de l’état des autres divisions. Il rencontra le chef de cabinet du général Wolff 32 à qui il suggéra de restaurer le « k. u. k. », le kaiserlich und königlich, une référence à l’Empire austro-hongrois.
Le 29 avril, Hitler signa son testament33. Il confia sa succession à l’amiral Dönitz34 et nomma Arthur Seyss-Inquart, qui avait fui la Hollande, ministre des Affaires étrangères. Il se suicida le lendemain35. À ce moment, Otto était en route pour l’Italie : il voulait s’assurer des progrès de la nouvelle réserve cosaque. Deux collègues l’auraient alors repéré36 en compagnie de Globočnik dans le village de Timau, où il aurait fait une donation conséquente au curé local pour la construction d’une nouvelle église.
Otto participa le 3 mai à une modeste célébration de la Pâque ukrainienne avec le personnel de l’armée ukrainienne. Le général Shandruk le remercia de sa présence et de sa courtoisie. Mais, en privé, celui-ci exprima des doutes sur la sincérité de ce soutien37 ; il pensait qu’Otto était intéressé et qu’il voulait s’exonérer et exonérer les Allemands aux yeux des Ukrainiens.
Les troupes alliées se rapprochaient de Thumersbach ; Charlotte était de plus en plus inquiète du sort de sa famille. « Si les Russes arrivent, ils vous pendront comme femme du SS-Obergruppenführer Wächter », lui avait-on dit, elle devrait s’enfuir. Elle prétendit ne pas craindre la mort mais s’inquiétait pour les enfants. « J’avais très peur pour eux, ils étaient encore si jeunes38. »
Elle prit Horst et Heide et les mit en sécurité à Brixen (aujourd’hui Bressanone), au domicile d’une ancienne nounou. La jeune femme, à qui elle confia également de l’argent et des bijoux en dépôt, promit de s’occuper des petits. Puis elle prit Linde, qui n’avait pas encore un an, et la mit en sécurité à mi-montagne, chez la fille d’une sage-femme. « C’était terrible de laisser cette petite chose toute seule là-haut, mon cœur se brise à la seule pensée de ne pas savoir quand nous nous reverrons39. »
La guerre prit fin en Autriche le 8 mai40. « Le grand jour de la victoire des ennemis41 », nota Charlotte. « Je suis sans voix. Est-ce vraiment la fin de tout ce que nous avons voulu construire ? »
L’arrivée des Américains au lac de Zell était imminente. Un ami militaire vint s’assurer de la situation de la famille Wächter. Les Américains aiment l’argent et les bijoux, lui dit-il ; il lui conseilla de tout cacher. Elle enterra les bijoux qui restaient ainsi que ses autres biens dans une cachette près d’un petit bois.
Le dernier jour du règne nazi, Charlotte reçut un appel d’Otto. Il allait tenter de rejoindre la Carinthie, les montagnes ; il ne lui en dit pas davantage. Elle lui demanda que faire de ses boîtes spéciales, de ses archives qu’il gardait dans la remise à bicyclettes. Détruis-les, commanda-t-il, elle obtempéra sans délai. « J’en ai brûlé certaines et j’ai jeté le reste dans le lac avec les pistolets que nous n’avions pas le droit de posséder42. » Plus tard, elle regretta d’avoir agi « sous le coup de la panique ». De son côté, Otto pensait que ses journaux, dans lesquels il notait « tout en détail », l’auraient peut-être aidé à « se justifier », à montrer « qu’il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour aider tant de gens ».
L’armée américaine entra dans Zell-am-See et Thumersbach le matin du 9 mai43. On ordonna à Charlotte de rester dans la maison de ferme qui devait être réquisitionnée. Lorsque les soldats américains arrivèrent, elle demanda ce qu’elle devait faire de la famille, notamment de son beau-père Josef, le vieux général âgé de quatre-vingt-trois ans. « C’est votre problème », lui répondit-on.
La maison fut réquisitionnée. « Ils ont dormi dans nos lits44 », enregistra Charlotte, mais elle ressentit un certain soulagement. « Je pensais qu’ils allaient tous nous pendre. » Elle trouva une autre maison, un bâtiment de ferme qui appartenait aux Schifferegger, leurs locataires, un peu plus haut dans la montagne. Charlotte et les siens s’y replièrent avec toutes les provisions qu’ils pouvaient rassembler.
Les informations filtraient doucement, une mauvaise nouvelle après l’autre. Effondrement militaire. Le suicide du Führer à Berlin, avec Eva Braun. La fuite de Bormann. Le suicide par empoisonnement de Goebbels, de sa femme et de leurs six enfants. L’arrestation de Göring près de Zell, dans le village de Bruck-Fusch.
Charlotte tenta d’être pragmatique, apparemment toujours plus forte face à l’adversité. La suite en témoigne.
J’étais fataliste et je pensais qu’il était bon de prendre langue avec les Américains. Je suis retournée à la maison et leur ai demandé modestement si je pouvais parler au chef. C’était un jeune officier. Après lui avoir expliqué en anglais ce qui nous embêtait, et demandé s’il était possible d’installer une chambre dans la maison pour le général k. u. k. étant donné son grand âge, son cœur s’est adouci. Après avoir réfléchi pendant une heure, il m’a laissé installer papa dans la maison, une véritable exception. C’était la première grande avancée. Papa avait passé une nuit à la montagne et était heureux de retrouver une chambre sans courants d’air. Il rayonnait de formalisme et répéta « formidable, formidable ». Après cela, nous sommes restés en contact étroit. Comme les Américains pouvaient communiquer avec nous en anglais, nous avons passé les soirées ensemble et discuté comme de vieux amis. Leur première question :
« Avez-vous été nazie ? »
J’ai réfléchi rapidement, puis j’ai décidé qu’il n’y avait pas de sens à le nier.
« Bien sûr, j’ai été une nazie très heureuse. »
Ils me regardèrent bouche bée, étonnés, indignés.
« Vous avez vraiment été nazie ? »
Je voyais dans leurs yeux étonnés qu’ils étaient totalement dépassés, et j’ai dit : « Naturellement, pourquoi pas ? »
« Vous savez, nous avons traversé l’Allemagne pendant quatre semai-nes et nous n’avons pas rencontré un seul nazi. Comment expliquez-vous cela ? Vous êtes la première. C’est un miracle. »
Cet étonnement, cet enthousiasme devant mon aveu, ouvert, total, m’a surprise. J’ai éclaté de rire.
On m’a dévisagée telle une créature mystérieuse et rare. Au cours de la discussion, je leur ai dit, comme je le dis encore, que c’était une grande époque, magnifique, mais aussi qu’Hitler avait la folie des Césars et qu’il était allé au-delà de ce qui était raisonnable. On m’a donné du thé, du café, du sucre, et tout ce que je voulais pour les enfants, du chocolat. Ils étaient si faciles à satisfaire, comme des enfants. Ils m’ont adoptée, j’ai passé des moments formidables45.
Quelques semaines plus tard, les Américains rendirent la maison aux Wächter. L’un des officiers américains expliqua qu’il n’arrivait pas à dormir dans son lit en sachant que la famille devait vivre dans des conditions si misérables. Charlotte et les enfants retrouvèrent donc leur maison.
Les Américains ayant été plus aimables qu’elle ne l’avait prévu, elle retourna vers sa cachette pour récupérer les bijoux qu’elle avait enterrés. « Il y avait un trou là où je les avais cachés et la mousse avait été arrachée46. » Tout ce qu’elle avait mis de côté pour les temps difficiles à venir avait disparu. Charlotte pleura.
La famille ne resta pas longtemps dans la maison de ferme de Thumersbach. Rehrl, l’ancien gouverneur, le propriétaire de la maison à qui elle avait été confisquée, voulut la récupérer. « Je savais que nous devrions partir, nota Charlotte, mais je fus bouleversée lorsque l’avocat désigné pour s’occuper de l’affaire vint un jour nous dire que nous devions nous loger ailleurs. »
Trouver une maison n’était pas facile. « Mes amis étaient tous en prison, Reitter, Blaschke, etc.47. »
Ils finirent par trouver un endroit, de l’autre côté du lac, beaucoup plus petit, près du téléphérique de la Schmittenhöhe.
Charlotte attendit des nouvelles d’Otto en mai, en juin. Elle n’en reçut aucune. Elle ne savait pas que, le 8 mai, il se trouvait avec le général Shandruk, près de Klagenfurt. Otto annonça à l’Ukrainien que l’amiral Dönitz avait accepté les termes de la capitulation imposés par les alliés, que le cessez-le-feu prendrait effet sur tous les fronts le 9 mai à minuit. « Vous êtes désormais le responsable principal du sauvetage de la Division SS Galicie, et de tous ses membres », dit-il à Shandruk. Il passa un dernier appel pressé à Charlotte – celui où il était question de la destruction de ses archives48. Les Britanniques se rapprochaient alors de Klagenfurt. Le soir, il se rendit à Graz pour rencontrer le Feldmarschall Kesselring, tout juste nommé commandant en chef des forces allemandes dans le secteur chargé de défendre le sud de l’Allemagne et ce qui restait sous contrôle allemand en Autriche et en Yougoslavie après la capitulation de l’Italie quelques jours plus tôt.
Otto vit Kesselring le matin du 9 mai. Ils partirent ensuite dans deux directions différentes.
Kesselring se rendit au major général de l’armée américaine Maxwell Taylor lors d’une cérémonie surréaliste49.
Otto, qui avait accepté de rencontrer Lohmann, un camarade, dans la région de Stubalm, partit vers l’ouest. Pessimiste, il quitta Graz dans une voiture avec chauffeur. Il espérait une dernière réunion avec les survivants de la Division SS Galicie avant de retrouver Lohmann. Selon un ami qui en fit part à Charlotte, Lohmann l’avait attendu des heures au lieu de rendez-vous. « Votre mari n’est jamais venu. Et depuis nous avons perdu toute trace de lui50. »
Otto n’avait pas pu rejoindre le lieu de rendez-vous. Il avait dépassé Stubalm pour retrouver le général Shandruk et la Division ukrainienne à Judenburg lorsqu’une division de blindés soviétique était arrivée depuis Bruck. Après une escarmouche entre la Division ukrainienne et les Soviétiques, les Ukrainiens s’étaient retirés puis séparés. Une partie d’entre eux était dans la zone britannique ; l’autre, y compris Otto, le général Shadruk et le général Fritz Freitag, s’était retrouvée dans la zone américaine, près de Tamsweg, à 130 kilomètres au sud-ouest de Salzbourg.
Le lendemain matin, 10 mai, le général Freitag disparut. Une équipe de recherche le retrouva dans les environs de Tamsweg. Il demanda qu’on le laisse seul, s’éloigna et se suicida51.
Otto décida de quitter le général Shandruk pour tenter, seul, sa chance. Il savait que les Américains le recherchaient, ainsi que les Britanniques, les Polonais, les Juifs et les Soviétiques. Il se dirigea vers le sud, à travers les montagnes, pour rejoindre l’Italie et des amis dont on ne connaît pas le nom.
L’après-midi du 10 mai 1945, on le vit quitter Tamsberg, seul.
Ce fut la dernière fois qu’on l’aperçut. Otto Wächter, mari et père, avocat et ancien gouverneur, membre de la SS accusé de meurtre de masse, disparut. Cela s’était déjà produit à l’été 1934 ; cela se produisit à nouveau, au printemps 1945.