Acupuncture et sciences étrangères
Nous avons déjà longuement discuté de l’influence de la pulsologie chinoise en Europe. Signalons simplement que de très nombreux travaux scientifiques ont lieu dans plusieurs laboratoires dans le monde : les travaux les plus récents confirment les données traditionnelles chinoises.
Les points d’acupuncture sont-ils chinois ?
À la question ainsi posée nous répondons immédiatement : oui, mais ils ne le sont pas exclusivement.
Si, comme le pensent certains, l’acupuncture est née de l’observation des malades, il paraîtrait normal que d’autres civilisations soient parvenues, elles aussi, à individualiser des points particuliers sur la peau.
Et, en effet, la médecine occidentale, qu’elle soit allopathique ou homéopathique, connaît des points particuliers du revêtement cutané.
L’étude des nombreuses localisations privilégiées du tissu cutané demanderait, à elle seule, un gros volume ; contentons-nous de décrire brièvement les points les plus utilisés, en nous souvenant que même les sciences divinatoires décrivent des endroits particuliers pour l’apparition des grains de beauté !
Au XIXe siècle, le Docteur Weihe, médecin allemand, constate que lors de certains symptômes, connus en homéopathie, on découvre au niveau de
peau des points qui se montrent douloureux au toucher. Il consacre alors une partie de son temps à dresser un tableau de concordance entre ces points et les drogues homéopathiques.
Sur les 195 points décrits par lui sur la tête et le tronc, 132 se superposent aux points chinois ; 32 points, dont la concordance n’est pas stricte, sont cependant disposés sur le trajet d’un Méridien. Quarante-huit points, seulement, n’ont aucune correspondance.
En médecine allopathique, on connaît et on recherche les endroits du corps qui sont douloureux, soit spontanément soit à la pression, lors de maladies ou d’inflammations. Ainsi, les points de Valleix, douloureux lors des névralgies se superposent, eux aussi, aux points d’acupuncture.
Le médecin occidental utilise également les zones de Head. En 1893, le Docteur Head montre que certaines affections thoraciques ou abdominales produisent une hypersthésie cutanée à topographie bien précise. Les douleurs cardiaques (comme, par exemple, l’infarctus) se projettent dans tout le bras gauche ; les douleurs d’appendicite donnent une hyperesthésie d’une région bien limitée de la fosse iliaque droite, etc.
Le mérite de Head fut de montrer que la présence d’une hyperesthésie dans l’une des zones décrites par lui indiquait l’existence d’une lésion de l’organe correspondant, même en l’absence d’autres signes cliniques.
De nombreuses analogies apparaissent entre les points d’acupuncture et les zones de Head. Les points de Weihe, de Valleix et les zones de Head sont bien connus de tous les médecins occidentaux ; il existe cependant de nombreux points décrits par d’autres médecins mais qui sont moins connus (points de Wetterwald, points de Martinet, zone de Hirata, etc.). Certains de ces points possèdent également une correspondance avec les points décrits en acupuncture.
Par ailleurs, dans le petit chapitre consacré aux arts martiaux, nous montrerons que les Atemi et les Kuatsu sont également connus en acupuncture.
Il nous faut donc admettre que si les Chinois ont été les seuls à développer un véritable système basé sur la stimulation de points spécifiques disséminés sur le corps, l’existence de ceux-ci n’a pas pour autant échappé, en Occident, à de nombreux médecins attentifs.
L’expérimentation en acupuncture
De très nombreuses recherches sont actuellement effectuées en Chine suivant les techniques occidentales les plus modernes. Nous prendrons comme exemple l’infarctus du myocarde car les causes et les effets en sont bien connus de nos lecteurs.
Les médecins chinois ont ligaturé l’artère coronaire gauche du cœur chez de nombreux chiens et ont étudié l’effet de cette ligature sur la circulation lorsque l’animal est soumis à l’acupuncture.
Bien entendu, la ligature provoque toujours un infarctus mais, et c’est ce qui nous intéresse, si l’on stimule un point spécifique (le 6 du Maître du Cœur), l’infarctus est moins important.
Quinze minutes après avoir ligaturé l’artère, l’expérimentateur stimule le point durant dix minutes. La stimulation est répétée cinq fois avec un intervalle de trente minutes. Ensuite, le chien est sacrifié, le cœur est coloré, pesé et analysé au microscope. Celle-ci nous révèle que :
l’étendue de l’infarctus est moins grande ;
le poids de la nécrose par rapport au cœur est moindre ;
l’examen anatomopathologique montre une diminution de la zone nécrosée.
Ainsi, l’effet de l’acupuncture sur une maladie bien connue est prouvé expérimentalement. Il reste maintenant aux laboratoires occidentaux à reprendre cette expérience (et de nombreuses autres…) et à confronter les résultats avec ceux obtenus en Chine.
Notons, pour terminer, que la puncture d’autres points que le MC6 ne donne pas les mêmes effets sur la nécrose. La spécificité des points est ainsi prouvée, elle aussi.
La seule explication de la libération des neurotransmetteurs est donc insuffisante pour expliquer les multiples effets de l’acupuncture. Les groupes de points libèrent-ils des substances différentes, non encore connues, la réponse appartient à l’avenir et aux médecins de tous les continents.
L’acupuncture supprime ou atténue la douleur (rôle thérapeutique), elle empêche la douleur de s’installer (rôle prophylactique) ; ne serait-elle pas, dès lors, capable d’empêcher la douleur d’apparaître ? C’est la réponse à cette question qui a mené les médecins chinois à découvrir son rôle anesthésique.
Cette découverte fut faite dans les années soixante, mais il fallut attendre plusieurs centaines d’expériences et la reprise des rapports amicaux francochinois pour que pour la première fois, en 1972, un groupe de médecins se rende en Chine pour assister à ces prodigieuses opérations (quelques médecins américains avaient déjà vu de semblables opérations, en 1971).
Signalons, simplement qu’actuellement l’anesthésie par acupuncture est utilisée aussi bien en médecine humaine (adultes et enfants) qu’en médecine vétérinaire.
Le terme d’anesthésie est mal choisi et il serait plus correct de parler d’analgésie, car le patient ne présente pas toutes les manifestations classiques de l’anesthésie (il reste conscient, n’a pas de relâchement musculaire, etc).
Les médecins chinois utilisent, actuellement, principalement les points de l’oreille et quatre points classiques. La stimulation étant produite par électricité.
Les points classiques les plus utilisés sont :
Notons que ce dernier point est très utile en dentisterie !
Indications de cette analgésie
Actuellement, la médecine occidentale maîtrise parfaitement l’anesthésie et il est bien entendu que celle-ci, par les nombreux avantages qu’elle procure, restera la principale auxiliaire du chirurgien. Cependant, dans quelques cas, il serait préférable d’utiliser une méthode plus douce.
Ceci est vrai pour les malades cardiaques ou âgés qui supportent parfois très mal l’anesthésie ; ceci l’est également lorsque l’anesthésie n’est nécessaire que durant une très courte période. Ainsi, certains troubles graves du rythme cardiaque ne peuvent être arrêtés que par une rapide, mais importante, décharge électrique. Dans ces cas, il faudrait préférer l’acupuncture à l’anesthésie classique. Cette décharge peut également se pratiquer sans anesthésie, mais la douleur est extrêmement vive ; sous acupuncture elle serait plus supportable.
Dans d’autres cas, il est utile de pouvoir communiquer avec le patient durant l’opération ; ceci est vrai dans les opérations sur la thyroïde où le risque de léser le nerf récurrent (nerf des cordes vocales) est toujours présent. L’analgésie par acupuncture permet, et elle seule, de savoir en cours d’opération si le chirurgien touche le nerf.
Dans certains pays en voie de développement les anesthésiques sont rares et très chers et il est fréquent de pratiquer certaines opérations sans anesthésie du tout. En plusieurs circonstances, durant notre séjour en Afrique, nous aurions bien aimé maîtriser cette analgésie.
Le rôle du chirurgien
L’anesthésiste et le chirurgien forment une équipe et le second doit s’habituer à cette forme particulière d’analgésie : le patient est pleinement participant.
Ses gestes doivent être plus doux, il doit connaître les tissus qui sont difficiles à endormir. Ainsi, le périoste (la membrane qui entoure l’os) et les mésos (les membranes qui entourent les viscères, et forment plusieurs feuillets) sont particulièrement difficiles à analgésier ; le chirurgien doit
donc apprendre à éviter toute traction sur ces mesos. De plus, il ne doit exercer aucune pression sur le corps du patient. Ceux qui ont assisté aux opérations ainsi pratiquées ont comparé les gestes du chirurgien à ceux des « brodeuses ».
Avantages de l’analgésie par acupuncture
En dehors des avantages déjà signalés plus haut (voyez le paragraphe consacré aux indications), il faut encore signaler que l’hémostase est meilleure (le malade saigne moins) de même que la cicatrisation des plaies.
Le patient récupère également beaucoup plus vite qu’après une opération sous anesthésie classique : les fonctions digestives ne sont pas perturbées et il peut boire et manger immédiatement après l’opération (parfois même pendant !).
Les douleurs post-opératoires, cauchemars de nombreux opérés, sont quasi inexistantes. Les risques et les suites opératoires sont donc moindres qu’avec l’anesthésie classique.
Inconvénients de l’analgésie opératoire
Les patients anxieux n’en bénéficieront jamais car elle ne supprime pas l’angoisse et le malade est spectateur passif de toute l’opération 36.
Certaines régions sont, nous l’avons vu, difficiles à analgésier et le malade n’est jamais totalement à l’abri de la douleur.
Les réflexes sympathiques ne sont pas, non plus, supprimés. Ainsi des manifestations nauséeuses ou des troubles du rythme cardiaque peuvent se produire.
De tout ceci il faut retenir que l’analgésie par acupuncture ne peut se pratiquer, pour les opérations importantes, que s’il est possible, à tout moment, d’en donner le relais à un anesthésiste formé aux méthodes classiques.
De nombreuses hypothèses explicatives ont été proposées dont plusieurs se basent sur de solides expériences. Celles-ci peuvent se réduire à trois groupes : théorie du Méridien, théorie nerveuse et théorie des « fluides ».
Pour les adeptes de la théorie des Méridiens, la stimulation de certains points cutanés modifierait la circulation de l’énergie et rendrait la zone, ou l’organe, insensible. C’est la théorie classique de l’acupuncture.
La théorie nerveuse, dont on parle de moins en moins, postule que la stimulation de certains points bloquerait les influx nerveux au niveau cérébral et donc empêcherait la douleur.
La théorie des « fluides », celle qui, il y a quelques années semblait la plus fantaisiste trouve aujourd’hui confirmation par la découverte des endorphines. Nous renvoyons le lecteur au chapitre consacré à ce sujet.
Cette théorie des « fluides » a été établie à la suite d’expériences menées à l’Université de Pékin sur des chiens. Si trois chiens, de même groupe sanguin, ont leurs circulations sanguines reliées et que l’on stimule les points d’analgésie chez le premier chien, l’analgésie se produit également chez le troisième que l’on peut opérer. Cette expérience, dont plusieurs ont douté, trouve confirmation par la libération et la circulation des endorphines.
Notons pour terminer que les médecins chinois vérifiaient dans les premiers temps la « réceptivité » du sujet à l’acupuncture en le soumettant à un test d’analgésie. Ils ont ensuite, sans explication arrêté ce test de réceptivité. Suivant certains observateurs, les malades qui auraient subi le test se montraient moins sensibles le lendemain. Ceci cadre bien avec ce que nous savons de l’accoutumance aux endorphines.
Actuellement, on utilise le « Tchi » mais en le recherchant dans un autre territoire que celui de l’analgésie.