A. P. Hernández
Sur l’auteur
Antonio Pérez Hernández (Murcia 1989) est instituteur à l'École Primaire, Master en Recherche et Innovation de l'Éducation et Docteur, mention cum laude, pour sa thèse doctorale Évaluation de la compétence en communication linguistique dans les contes à l’École Primaire.
Il s'est vu décerner le Prix de Création Littéraire Nemira et a été Finaliste du Concours International de Roman Fantastique et d'Horreur Dagón.
Actuellement, il concilie son travail d'Instituteur avec l'écriture.
Twitter : @ap_hernandez_
INDEX
Le pupitre de Luis était unique au monde. De fait, je suis convaincu que tu saurais le reconnaître rien qu'en le voyant. Le bois de sa table était sale, plein de rayures, de hiéroglyphes incompréhensibles tracés avec un stylo et, en règle générale, avec des traces de gomme. Si Elisa, sa maîtresse, lui tirait les oreilles de temps en temps c'était à cause de ce pupitre.
– Mais Luis, s'il te plaît ! - lui disait-elle - Tu as vu dans quel état est ta table ?
Et après cela, pour couronner le tout, elle comparait toujours sa table avec celle d'Inés, qui (pour son plus grand malheur !) semblait avoir un genre de relation obstinée et malsaine avec le ménage et la propreté.
– Regarde ta camarade ! - continuait sa maîtresse, tandis qu'Inés se redressait avec la satisfaction d'être, encore une fois, le centre d'attention de toute la classe - Regarde cette merveille ! Si seulement tu pouvais copier sur elle !
Après cela, Luis tenait toujours sa langue car il savait que s'il répondait à sa maîtresse Elisa, ça se traduirait par un mot dans le carnet de correspondance et, aussi, par un point rouge sur le tableau de comportement, où il resterait visible tout au long du mois. Cependant, Luis se sentait très fier de son pupitre... qui plus est, il le considérait comme une authentique œuvre d'art ! Est-ce qu'elle avait remarqué, sa maîtresse, comme il avait bien peint le cerf ? Est-ce qu'elle avait une idée du nombre d’heures de classe qu'il avait dû consacrer pour le réaliser ? Savait-elle, sa maîtresse, l'effort que cela supposait de faire un tel animal (avec ses cornes et tout) sans que personne ne le prenne en flagrant délit ? En outre, quel mérite avait la table d’Inés, toujours très propre, comme fraîchement sortie d’usine ? Avait-elle seulement versé une once de la créativité et de l’imagination que lui, il avait employé pour « personnaliser » la sienne ?
Quoi qu’il en fût, Luis écarta ces pensées de son esprit, car c’était vendredi et cela voulait dire qu’il pourrait profiter d’un long weekend, confortable (et sûr), à la maison, où, avec un peu de chance, il aurait un petit déjeuner avec du chocolat et des churros[1] et il jouerait autant qu’il voudrait à ses jeux vidéo préférés.
Luis jeta un coup d’œil à la pendule qui présidait dans sa classe de cours élémentaire deuxième année de l’École Primaire. Dans quelques minutes il serait quatorze heures[2]... et cela signifiait que le danger approchait de façon imminente.
Rien que d’y penser, les yeux de Luis s’ouvrirent grands comme des soucoupes et il sentit son cœur qui commençait à battre très fort dans sa poitrine. Cependant, c’est quand la cloche de l’école sonna et, surtout, quand sa maîtresse Elisa dit « Allez, les enfants, rangez vos affaires. Passez un bon weekend !» que Luis crut réellement que le monde entier s’abattait sur lui.
Luis attendit que tout le monde rangeât ses affaires. Contrairement à ses camarades, il aimait sortir le dernier car, comme le lui avait démontré sa courte expérience, être le dernier offrait beaucoup d’avantages.
– Luis ! - l’interpela sa maîtresse -. Il faut ranger maintenant... Je dois fermer la classe !
Elisa, impatiente de rentrer chez elle, fit tinter son jeu de clés qu’elle avait toujours sur elle. En s’entrechoquant, les clés émirent un doux cliquetis qui semblait dire « Allez, allez, dépêche-toi ».
Luis avait les cheveux courts et noirs et il sentit que ceux-ci se collaient sur son front perlé de gouttes de sueur.
– C’est bon... - lui dit-il tandis qu’il mettait son sac sur son dos. Luis, à neuf ans, mesurait moins d’un mètre et pesait à peine 30 kilos. Donc, je n’exagère pas si je dis que son sac à dos était presque aussi grand que lui et pesait presque autant.
En passant à côté de sa maîtresse, et faisant preuve d’une extrême courtoisie, Luis lui souhaita de passer un bon weekend.
Luis descendit les escaliers en silence, posant la pointe de ses pieds avec une extrême délicatesse. À la porte de l’école, des enfants avaient rejoint leurs parents, d’autres en profitaient pour échanger des stickers, d’autres jouaient au football et d’autres, tout simplement, parlaient entre eux. Néanmoins, tout cela lui était parfaitement égal. Il cherchait juste Pedro et sa bande.
Pedro était un garçon du cours moyen deuxième année et il faisait le double de lui en tout : deux fois plus grand, deux fois plus fort, deux fois plus lourd (il devait au moins peser 60 kilos) et, aussi, deux fois plus bête. Malgré ses 12 ans, il savait à peine lire et écrire. Cependant, Pedro et sa bande de mâtons avaient appris avec le temps à embêter Luis. Chaque jour, à la sortie de l’école, ils l’attendaient pour s’en prendre à lui, pour l’appeler « le nain » et des choses bien pires encore.
Luis, après avoir regardé d’un côté et de l’autre, se mit à courir. Le chemin était dégagé et avec un peu de chance, il arriverait chez lui, où, enfin, il fermerait la porte d’entrée et serait à l’abri du danger. Luis n’avait jamais été bon en Éducation Physique, de fait, il ne savait pas très bien courir, et surtout s’il devait courir avec un sac à dos chargé de cinq livres (dont celui de mathématiques et celui de français, qui étaient les plus gros), trois cahiers et sa trousse pleine de crayons de couleur.
– Plus que deux rues à traverser - se disait-il en courant de toutes ses forces -. Et tout sera fin...
Il ne put finir.
Un pied surgit du néant et Luis trébucha dessus, s’étalant de tout son long sur le goudron très dur.
Sans comprendre ce qui se passait, Luis regarda cet (énorme) pied et, peu à peu, il leva les yeux et vit cette jambe (énorme et familière), cette panse (énorme et ronde) et ce visage (horrible et odieux). C’était Pedro !
– Salut le nain - lui dit-il avec un sourire jusqu’aux oreilles -. Où allais-tu si vite ?
Luis regarda autour de lui, désirant trouver un maître ou un parent qui pourrait l’aider, mais il n’y avait personne. Il avait couru trop longtemps et l’école était loin derrière. Pour son malheur, la seule chose qu’il trouva ce fut Carlos, Mario et Alfonso, l’horrible et odieuse bande à Pedro. Tous presque aussi grands, forts (et bêtes) que Pedro.
– Oui, oui, c’est ça - osa Carlos -. Est-ce que tu pensais t’en aller sans nous dire au revoir ?
– Sacré manque de respect ! - se targua Mario, recourant, probablement, pour la première fois de sa vie à cette figure de style pour faire de l’ironie.
Alfonso, simplement, croisa les bras et le regarda de haut.
Luis se releva, frottant ses paumes de mains écorchées sur son pantalon.
– Laissez-moi tranquille ! - leur dit-il -. Je veux seulement rentrer chez moi.
Pedro et sa bande se mirent à rire.
– Je veux seulement rentrer chez moi ! - se moqua Alfonso, parlant pour la première fois -. Laissez-moi tranquille !
– Et qu’est-ce que tu feras si nous ne voulons pas te laisser partir, eh ? - Pedro lui donna une poussée et Luis faillit tomber sur le dos -. Tu le diras à ta maman ?
Luis, sachant qu’il n’avait pas d’autre alternative, se mit à courir. Il sentait ses livres, ses cahiers et sa trousse qui sautaient dans le sac à dos à chaque pas qu’il faisait. Derrière lui, on entendait les cris de Pedro et sa bande, qui, ne trouvant rien de mieux à faire, s’étaient mis à le poursuivre.
Il ne lui avait pas été facile de se débarrasser de Pedro et sa bande, mais il y était parvenu. Si son maître d’Éducation Physique l’avait vu, il lui aurait sûrement mis une excellente note. Il n’avait jamais autant couru.
Il s’arrêta pour reprendre son souffle, seulement quand il s’assura qu’on ne le suivait plus
Maintenant, il n’était pas loin de la maison, mais Luis savait quel était le prochain danger qui le guettait.
– Rocky - murmura-t-il, et en disant cela, il sentit un frisson lui monter le long du dos.
Rocky était un chien méchant quand une mouche le piquait (métaphoriquement parlant, bien sûr, car Rocky avait un collier vert antiparasites et sa propriétaire était aux petits soins avec lui). Cependant, et pour son plus grand malheur, ce chien en voulait à Luis. Chaque fois qu’il passait sur le trottoir, Rocky bondissait sur lui et montrait ses crocs pointus à travers la grille du jardin, impatient de le mordre. Luis aurait pris un autre chemin s’il avait pu, mais pour rentrer chez lui il devait, irrémédiablement, passer devant son jardin.
En arrivant à la maison de Paqui, sa propriétaire, Luis se mit sur la pointe des pieds et examina le jardin avec soin. Heureusement, on ne voyait Rocky nulle part. Luis put voir sa niche et un poulet en caoutchouc sur lequel Rocky devait s’entraîner pour sa morsure mortelle. Dans un acte de courage héroïque, Luis se mit à courir sur le trottoir.
Un pas, deux pas, trois pas... Tout allait bien ! Aucun signe du chien !... Quatre pas, cinq pas, six pas... Et...
Il était là !
Ayant surgi comme un orage un jour de beau temps, l’animal bondit sur Luis. Le chien n’appartenait à aucune race en particulier, mais il était grand comme un cheval. De plus, sa propriétaire avait décidé d’agrémenter son aspect d’un collier à clous, ce qui ne faisait que renforcer son côté le plus féroce et effrayant.
Luis, bien qu’il sût que Rocky ne pourrait pas le toucher, bien qu’il eût la conviction que la grille du jardin était assez haute pour l’empêcher de sauter par-dessus et de l’attraper, resta paralysé en voyant l’animal bondir sur lui. Rocky se mit à aboyer et Luis sentit que sa bave lui éclaboussait la figure. En outre, il dut se boucher les oreilles pour se protéger du bruit puissant de ses grognements et aboiements.
Quand il put réagir, il se mit à courir.
Luis ferma la porte de chez lui et éprouva un furtif soulagement. Au bout de quelques minutes, il haletait encore à cause de l’intensité de sa course, bien que la sensation de sécurité que lui assuraient les murs de son foyer commençait à l’apaiser.
– Enfin ! - se dit-il, reprenant son souffle perdu -. Enfin à la maison !
Luis alla à la salle de bain, ouvrit le robinet et se passa les mains sous l’eau froide. Ensuite, il se lava le visage pour faire disparaître toute la transpiration. C’est en se regardant dans le miroir qu’il se rendit compte qu’il était rouge. On aurait dit qu’il venait de prendre le soleil.
Les parents de Luis travaillaient le vendredi jusque très tard, raison pour laquelle, comme d’habitude, on lui avait laissé son repas prêt dans le micro-onde. Les instructions étaient très simples à suivre : il devait seulement tourner le bouton jusqu’à ce qu’apparaisse « 3 minutes » sur l’écran, attendre le temps requis (effectivement, trois minutes), sortir l’assiette du micro-onde, (de préférence avec un torchon, car l’assiette dans laquelle ses parents lui laissaient son repas pouvait être très chaude et il pouvait se brûler) et... Commencer à manger !
Luis prit une chaise et grimpa dessus (comme je l’ai dit, il ne mesurait même pas un mètre et il avait du mal à atteindre le micro-onde) pour vérifier quel repas on lui avait préparé cette fois. À sa grande surprise, un succulent plat de macaronis à la tomate et au fromage l’attendait. En voyant cela, il eut l’eau à la bouche. Les trois minutes d’attente lui semblèrent une éternité.
En mangeant, Luis regarda sa chaîne de télévision préférée où, sans interruption, on passait des dessins animés, des dessins animés.... Et encore des dessins animés !
Les parents de ses camarades de classe n’osaient pas laisser leurs enfants seuls chez eux, mais ceux de Luis avaient entièrement confiance en lui. Luis était très obéissant et il n’avait jamais donné de raisons à ses parents d’évoquer seulement l’idée d’engager une canguro[3]. Cependant, cela l’avait toujours fasciné... il s’imaginait assis sur le canapé, enveloppé dans la chaude poche de l’animal, passant l’après-midi entière, tous les deux, à jouer à la console. Il n’y a pas de doute que jouer avec une canguro ce serait plus amusant que de jouer tout seul ! Mais Luis ne se plaignait pas, en fin de compte, il s’amusait bien tout seul aussi.
Après avoir mangé, Luis alla dans sa chambre, se changea, enfila des vêtements confortables et se prépara à descendre au rez-de-chaussée de la maison pour s’asseoir sur le canapé et jouer à la console. Toutefois, une poche en papier sur son bureau (il était beaucoup plus propre et rangé que celui de sa classe) attira son attention. Luis y introduisit la main et en sortit une enveloppe. Elle était de son père, son écriture était unique (presque autant que son pupitre à l’école).
– J’espère que ça te plaira - dit Luis, lisant le mot - Amuse-toi bien !
Luis remit la main dans la poche en papier et en sortit une BD... mais pas n’importe quelle BD... C’était une BD d’un superhéros dont il n’avait jamais entendu parler !
– Wooooooowww ! - s’exclama-t-il, surpris.
La couverture de la BD était spectaculaire. On y voyait un homme avec les cheveux verts, les yeux jaunes et un costume bleu. C’était, de toute évidence, un superhéros. Luis le sut non seulement parce qu’il portait un slip rose par-dessus ses vêtements (comme tout superhéros qui se respecte !) mais encore pour la sécurité et la force qui en émanaient.
– SuperZoy. - Luis n’en avait jamais entendu parler. Il avait lu beaucoup de BD de Superman, de Batman et de Spiderman, parmi la nombreuse liste presque infinie, mais il était convaincu que celui-ci était tout à fait nouveau. En fait, c’était peut-être une BD unique au monde et lui, le premier enfant de la planète terre à l’avoir entre les mains. Sans hésiter, Luis descendit les escaliers vers le rez-de-chaussée, s’allongea sur le canapé et se mit à lire avec avidité.
Il faisait nuit et Luis était dans son lit, luttant pour trouver le sommeil. Ses parents étaient rentrés à la maison depuis une heure ou deux, juste quand il finissait de lire cette BD. Il avait déjà dîné et avait enfilé son pyjama chaud et agréable. C’était un pyjama couvert de chats, étant donné sa passion pour les félidés. Sa mère le lui avait acheté il y avait déjà plus de deux mois et, depuis, il profitait de dormir avec, dès qu’il en avait l’opportunité. Assurément, son pyjama était le paradis des chats. Il y avait des chats blancs, des chats noirs, des chats bleus... et même un chat vert ! Tous, indépendamment de leur couleur, jouaient avec une pelote de laine, démontrant ainsi avoir un vrai intérêt commun.
Néanmoins, et pour le malheur de Luis, pas même un million de chats auraient pu l’aider à plonger dans un placide endormissement.
C’était quoi ce bruit ?
Pourquoi venait-il de dessous son lit ?
Est-ce que ça ne serait pas un fan... ?
– Fantôme - pensa-t-il. Ce mot le fit frissonner et le fit remonter le drap jusqu’au menton. Il n’avait jamais vu ou entendu de fantôme, si bien qu’il ne pouvait pas assurer que ce bruit ne venait pas d’un fantôme.
Le bruit était effrayant (ou tout au moins c’est ce qu’il lui sembla). Manifestement, il y avait « quelque chose » sous son lit. Parfois on entendait un claquement, d’autres fois on entendait comme si « quelque chose » courait sur le sol. Dans son esprit, Luis s’imagina un fantôme fantomatique, fantasmagorique et fantasmagorien le guettant sous son matelas. Sans pouvoir y remédier, il remonta le drap jusqu’à son front et se mit à trembler.
Pour comble, il entendit un bruit (un insidieux et subtil tintement) provenant de la fenêtre de sa chambre. Ce qui était surprenant, c’est que la chambre de Luis était au premier étage, raison pour laquelle il était IMPOSSIBLE que quelqu’un pût frapper à la fenêtre, quelqu’un, à moins que bien sûr, ce quelqu’un pût voler, comme par exemple... Un fantôme !
Luis fut tenté de sortir de son lit en courant, d’aller dans la chambre de ses parents et de passer la nuit avec eux, mais la simple idée d’abandonner son lit, de toucher le sol de sa chambre et que le fantôme fantomatique, fantasmagorique et fantasmagorien qui était sous le lit le prît par un pied, l’obligea à rester dans son lit, le drap remonté jusqu’au front, et tremblant de peur durant toute la nuit.
––––––––
Dimanche était arrivé et, avec lui, la promesse de recommencer l’école le lendemain. Luis avait déjà fait ses devoirs et appris ses leçons pour le contrôle de Français, raison pour laquelle il eut beaucoup de temps pour réfléchir.
Il pensa que le fait de retourner à l’école ne supposait pas seulement de revoir son cher pupitre « luisunique », ça supposait aussi de retrouver les remontrances de la maîtresse Elisa, Rocky et, indéfectiblement, Pedro et sa bande. Et pour couronner le tout, maintenant, pendant la nuit, il devait lutter contre les fantômes de sa chambre.
C’était trop ! Il était mort de fatigue !
Luis pensait et pensait encore, quand soudain il se souvint de la BD de SuperZoy qu'il avait lue. Il pensa au superhéros, avec ses vêtements clinquants et colorés, mais surtout, il pensa à ses peurs. SuperZoy, bien qu'il portât un slip rose qui lui attribuait une force magique, avait aussi peur de beaucoup de choses, comme par exemple de la couleur noire et de la couleur grise (auxquelles il avait déclaré la guerre !). Cependant, SuperZoy se retrouva lui-même. Il se retrouva avec ses peurs, il les affronta et devint un héros !
Luis, assis sur le canapé, sourit. À ce moment-là, il sut ce qu'il devait faire.
Il faisait nuit et Luis était particulièrement fatigué. La nuit précédente, il avait à peine réussi à fermer l’œil à cause des bruits émis par le fantôme de la fenêtre et celui qui avait décidé de s'installer sous son lit. Toutefois, il s’était proposé de dormir profondément cette nuit-là. À nouveau, il avait mis son pyjama favori (il aimait rêvasser avec l'idée que les petits chats gambadaient sur ses bras et ses jambes, jouant tous avec leurs interminables pelotes de laine) et la fatigue accumulée le prédisposait à se livrer à un sommeil profond et mérité. Luis était sur le point de s’endormir quand, soudain, un bruit très familier surgit de dessous son lit.
– Fantôme - pensa-t-il -. C'est le même fantôme.
Luis allait à nouveau remonter le drap jusqu'à son front mais il pensa à ce superhéros au slip rose.
– Non ! - dit-il à la chambre vide -. Cette fois, c’est non !
D’un geste résolu, Luis se découvrit et appuya sur l'interrupteur de sa chambre. Tout fut inondé d’une belle lumière orangée qui dissipa la pénombre. Luis, en écartant de son esprit l'image d'un fantôme fantomatique, fantasmagorique et fantasmagorien, se baissa et regarda sous son lit.
C'était une souris !
Le petit animal s'amusait à ronger les miettes de gusanitos[4] qui étaient tombées de sa table de nuit.
– C’est donc toi le fantôme ! - Luis se mit à rire. La souris le regarda d’un air étonné sans cesser de manger.
Luis ouvrit un nouveau paquet de gusanitos qui était sur sa table de nuit et prit le plus long gusanito qu'il trouva.
– Prends ! - dit-il à la souris -. C’est pour toi!
Le rongeur, qui n'était pas habitué à ce que quelqu’un lui offrît de semblables mets, n'hésita pas à s'approcher de Luis. À sa grande surprise, l'animal le prit et commença à le dévorer avec délectation.
Luis prit un autre gusanito et le lui offrit à nouveau. À cette occasion, la souris monta dans la paume de sa main et, comme si c'était le plus naturel du monde, continua sa dégustation. Avec soin, Luis creusa les paumes de ses mains au point de l'enfermer. Il descendit les escaliers de la maison, ouvrit la porte principale et sortit dans le jardin. Il s'approcha d’un buisson et la relâcha.
– Tu es une souris très courageuse - lui dit-il alors qu'il sortait de ses poches une bonne poignée de gusanitos -. Tiens, prends-les. C'est un cadeau.
Luis laissa la souris dans le jardin et remonta dans sa chambre. Avec un sourire gravé sur le visage, il se proposa de trouver le sommeil, état dans lequel il aurait sombré si ce n’était ce bruit provenant de la fenêtre...
– Je l'avais oublié ! - pensa-t-il, en ouvrant ses yeux fatigués -. Le fantôme de la fenêtre ! Il y en avait deux !
À nouveau, Luis dut se contrôler pour éviter de se couvrir jusqu’au front. Cette fois, moins effrayé, il appuya sur l'interrupteur de sa chambre et encore une fois, cette lumière placide orange perça l'obscurité. Il s'approcha de la fenêtre alors qu'il essayait de laisser de côté les images terrifiantes et extravagantes de fantômes qui se présentaient à lui.
– Souviens-toi de SuperZoy - se dit-il -. Comment a-t-il vaincu le blanc et le noir ? Comment a-t-il lutté contre ses peurs ?
Luis ouvrit la fenêtre.
À son grand étonnement, il n'y avait pas de fantôme en train de léviter, léger, dans l'obscurité de la nuit. Le bruit qu'il avait entendu était, simplement, la branche d'un arbre qui, bercée par le vent, frappait à la vitre de la fenêtre. Luis allongea la main et, après avoir coupé la fine branche, il retourna se coucher.
Il dormit placidement.
Le réveille sonna, indiquant qu’il était déjà temps de se lever. C'était lundi et la semaine commençait. Luis s’amusa un peu dans son lit, profitant des dernières minutes de tranquillité mais, quand l’alarme émit à nouveau son irritant et pénétrant Bi-bi-bi-bipp, Bi-bi-bi-bipp, il n'eut d’autre solution que de se lever.
Il s'habilla, se débarbouilla et descendit déjeuner, et tout cela en moins de cinq minutes. Sur la table de la cuisine, il y avait son bol de lait avec des céréales. Luis, qui se levait toujours avec une faim du loup, s'assit à la table et se mit à les dévorer.
– Bonjour, P’titLuis - lui dit sa mère, lui donnant un baiser sur le front.
Luis n’aimait pas qu’on l’appelât ainsi, personne, encore moins sa mère, bien sûr. Et à condition que ce soit à la maison, naturellement, où aucun autre enfant ne pouvait l’entendre. Il se souvint qu'une fois, ça faisait déjà longtemps, sa mère l'appela ainsi (P’TITLUIS !) devant des camarades de classe... Le résultat fut catastrophique : ils avaient ri de lui durant une semaine entière ! Depuis lors, ce surnom était exclusivement réservé au cadre familial domestique.
– Bonjour, mami - lui répondit-t-il.
Il va sans dire que le mot « mami » était aussi réservé à la sphère familiale. De plus, le simple fait d'imaginer ce qui arriverait si un enfant de l’école l’entendait appeler sa mère de cette façon lui hérissait les cheveux sur la tête.
– Voilà ton sandwich, mon p’tit jésus.
Mon p’tit jésus était un surnom affectueux avec lequel sa mère l'appelait quand elle lui préparait un sandwich au jésus[5] pour l’école. Naturellement, jamais de la vie, Luis n’aurait eu l’idée de raconter ça à quelqu’un. C'était le secret le mieux gardé au monde !
Sa mère ouvrit son sac à dos, qui était près de la porte et le mit dedans... Ou pour le moins c’est ce qu’elle essaya de faire, car le sandwich (parfaitement enveloppé dans un papier d’aluminium) était si grand qu'il ne tenait pas à l’intérieur (pourtant, comme tu le sais, le sac à dos de Luis était énorme !).
– Bon, P’titLuis, tu devras y aller avec le sandwich comme ça. - Sa mère ferma la fermeture éclair du sac à dos, laissant dépasser un morceau du sandwich au jésus, comme s’il souhaitait voir ce qui se passait autour de lui.
– D’accord, mami ! - Luis savait que le sandwich était énorme, mais il valait mieux en avoir trop que pas assez. De plus, il aimait toujours laisser un morceau de sandwich dans le tiroir de son pupitre « luisunique », surtout en pensant au cours de math en dernière heure, quand la faim (et aussi la lassitude et la somnolence) le tourmenteraient.
– Je dois partir, mon p’tit jésus. - De la porte de la cuisine, elle souffla un baiser à Luis, qui, démontrant quelques réflexes étonnants, réussit à le capturer avec sa main gauche -. Papa m'attend dans la voiture... Nous allons arriver en retard au travail ! On se voit cette après-midi ! Passe une très bonne journée !
– Au revoir, mami !
La porte de la maison se referma et sa mère disparut. Il restait seul à nouveau.
Luis, toujours sous le regard attentif du sandwich au jésus de Lyon, termina les céréales qui restaient dans le bol qu’aussitôt il souleva pour boire jusqu'à la dernière goutte de lait. Ensuite il rota, satisfait. Il savait que roter était impoli, mais il en profitait chaque fois qu'il était seul. Luis aurait adoré partager sa technique développée de rot avec sa maîtresse Elisa, mais, incapable de reconnaître la maestria avec laquelle il avait personnalisé son pupitre, il était sûr qu'elle serait aussi incapable d'admettre l'effort, la maîtrise et l'élégance placés dans l'émission de ses gaz intestinaux.
Luis chargea le sac sur son dos, prit les clefs de la maison et partit à l’école.
Sur le chemin, le sandwich au jésus n'arrêtait pas de frapper la nuque de Luis. À chaque pas qu’il faisait, le sandwich lui donnait un petit coup derrière la tête et, ce qui au début était amusant avait fini par être très énervant.
Luis arriva près de la maison de sa voisine Paqui et cela ne pouvait que signifier une chose : danger !
Rocky le guetterait, prêt à bondir sur lui, sortirait ses dents diaboliques à travers la grille et lui remplirait le visage de bave de chien au museau plat. Il avait cet animal en horreur !
Luis, comme il l’avait fait durant toute sa vie ou presque, surveilla le jardin de Paqui. Le poulet en caoutchouc de Rocky était sur le gazon... Il resta abasourdi quand il constata que le jouet était décapité.
– Oh, non ! - s'étonna-t-il -. Rocky lui a arraché la tête !
Luis ne voulait pas imaginer ce que Rocky serait capable de lui faire, surtout en considérant que ce poulet en caoutchouc était son jouet favori.
Après s'être assuré que Rocky n'était pas là, il se mit à courir.
Un pas, deux pas, trois pas... Tout allait très bien ! Aucun signe du chien !... Quatre pas, cinq pas, six pas... Il y arrivait ! Incroyable !... Sept pas, huit pas, neuf pas... Et...!
Rocky déboula. Quand il vit Luis, il se mit à courir depuis l'autre bout du jardin et, en moins de deux secondes, il aboyait, il grognait après lui et lui montrait ses crocs pointus. Chaque aboiement semblait vouloir lui dire : « hors de chez moi ! Tu n'es pas le bienvenu ! »
Luis resta paralysé. Comme toujours, il porta ses mains à ses oreilles, essayant de les protéger des puissants aboiements. La bave de l'animal éclaboussait son visage. Il allait se mettre à courir, mais, encore une fois, il pensa à SuperZoy.
– Nooon ! - se dit-il, convaincu -. Je ne vais plus jamais fuir !
Dans un acte sans précédent, Luis ouvrit les yeux et regarda Rocky. L'animal était hors de lui, il avait les yeux injectés de sang et, par-dessus le marché, il avait la tête juste en face de lui... à cinquante centimètres, à peine !
– Qu'est-ce qui te prend ? - demanda-t-il au chien -. Pourquoi chaque fois que je passe par ici aboie-tu après moi ?
Rocky continua d'aboyer, même s’il paraissait plus calme.
– Je ne t'ai jamais rien fait ! - continua Luis -. Je ne veux pas te voler ton poulet en caoutchouc ! Je ne fais que passer par ici pour aller à l’école, rien de plus !
Le chien, à ce qu'il sembla, comprit qu’il avait parlé du poulet en caoutchouc. Donc, il s’assit immédiatement et regarda Luis avec une suprême attention. Même assis, Rocky était toujours plus grand que lui.
– Pour que tu voies que je ne suis pas méchant... - Luis porta une main à son sandwich au jésus et, sous le regard attentif du chien, il préleva le morceau qui sortait de son sac à dos -. Prends, c’est pour toi !
Luis, tendit sa main et, lentement, l'allongea vers les barreaux. Il ferma les yeux et s’attendit à ne plus avoir de main à tout moment. Cependant, il sentit seulement une langue chaude et molle qui lui léchait les doigts.
Quand il ouvrit les yeux, Rocky avait déjà tout mangé. Il se léchait les babines et remuait la queue, lui demandant un peu plus de cet énorme sandwich. Luis porta à nouveau la main à son sandwich et en préleva encore un peu (juste le morceau qu’il pensait garder en réserve dans son pupitre pour le cours de math) et le lui offrit. Rocky prit la nourriture avec une délicatesse inusitée pour sa taille phénoménale. Quand il le regarda à nouveau, son regard avait changé. Les yeux n'étaient plus injectés de sang. Au contraire, ils étincelaient de reconnaissance.
Luis approchait de son collège, ce qui voulait dire que Pedro et sa bande devaient être tout près. Dans quelques minutes la classe commencerait et il ne pouvait pas perdre davantage de temps. Il ne voulait pas que sa maîtresse Elisa lui mît un nouvel avis de retard, donc il se mit à courir. Les enfants entraient déjà par la porte principale, tous alignés et séparés en files en fonction des classes. Les plus petits étaient à gauche et les plus grands, à droite.
S’il n’avait pas été si préoccupé d'arriver en retard, Luis se serait aperçu que, dans la file des élèves de CM2, ni Pedro ni aucun de ses acolytes n'étaient présent. Pour son plus grand malheur, quand il put s’en rendre compte il était déjà trop tard.
De nouveau, ce pied s’interposa sur son chemin, le faisant trébucher et tomber par terre. Cette fois Luis ne put amortir la chute avec les mains, si bien que son visage glissa sur l'asphalte.
Des rires surgirent dans son dos.
– Salut, le nain ! - c'était la voix de Pedro. Luis la connaissait très bien.
D'un saut, il se releva, passant outre la douleur de sa joue droite. Il regarda la porte de l’école, mais il n'y avait personne. Tous les enfants et maîtres étaient déjà montés en classe.
– L'autre jour tu es parti très vite ! - lui rappela Carlos.
– Où allais-tu si vite ? - continua Mario.
Alfonso, souriant, ne dit rien. Il l’observa seulement avec la tête penchée.
– C’est pas vos oignons ! - lui répondit Luis -. Et maintenant écartez-vous de mon chemin ! Je suis déjà en retard !
Les quatre garçons échangèrent un regard plein d'étonnement. Ce nain ne leur avait jamais tenu tête avant.
– Tiens, tiens ! - s'étonna Pedro -. Donc, c’est pas nos oignons, eh ?
Pedro s'approcha de Luis et mit son énorme paluche sur son épaule.
– Voyons... il se trouve que je suis le chef de l’école, de sorte que toi, ton déjeuner et ton argent, c’est mes oignons.
– Toi, le chef ? - Luis le poussa avec une telle force que Pedro fit trois pas en arrière et tomba à terre -. Mais si tu ne sais même pas lire ! Tu es plus idiot que grand !
Pedro, qu’on n'avait jamais traité d’idiot avant et, encore moins, poussé jusqu'à le jeter à terre, se releva, furieux.
– Je vais te casser ta tête de nain ! - lui dit-il, transformant ses deux mains en deux poings -. Comme ça, tu apprendras à me respecter !
Et, juste quand Luis ferma les yeux, se préparant à recevoir l'impact et la furie des poings de Pedro, il entendit un aboiement à côté de lui.
C'était Rocky !
L'animal s’inclina sur ses pattes antérieures, montrant à Pedro et à sa bande ses crocs pointus et blancs. Ses grognements étaient menaçants.
Pedro, épouvanté, fit marche arrière lentement.
– Plus jamais vous ne m’ennuierez ! - leur dit Luis -. Jamais !
Les quatre garçons, pétrifiés comme des statues, se contentèrent d’acquiescer.
– Et maintenant tirez-vous d’ici ! Je suis déjà en retard à l’école !
Pedro, Carlos, Mario et Alfonso s’enfuirent, criant comme si la mort elle-même les poursuivait.
Rocky se mit à courir après Pedro et, en guise d’adieux, lui donna un coup de dents aux fesses, arrachant un morceau de son pantalon et de son slip.
Luis reprit sa route alors que le soleil apparaissait derrière la façade de l’école. Son ombre projetée sur l'asphalte était grande comme celle d'un roi.
FIN
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[1] Chichis (Note du traducteur)
[2] Horaire de fin des cours en Espagne. Le repas de midi se prend à partir de quatorze heures. (Note du traducteur)
[3] En espagnol Canguro signifie : 1- kangourou (animal) – 2- Nounou, babysitter.
[4] Gusanitos : petits salés au goût cacahuète et à la forme d’asticot.
[5] Saucisson de Lyon (Note du traducteur)