André-Pierre Contandriopoulos et José Carlos Suárez-Herrera
Les réflexions des chercheurs et des décideurs qui ont écrit les différents chapitres de cet ouvrage permettent de déterminer quatre grands défis qui devront être relevés pour que l’évaluation de la performance s’institutionnalise et qu’elle oriente les décisions des différents acteurs des systèmes de santé.
Pour que les acteurs puissent travailler ensemble à l’amélioration continue de la performance, il est nécessaire qu’ils s’entendent sur ce que recouvre le concept de performance des organisations et des systèmes de santé. Pour que cette entente puisse se réaliser, il est nécessaire d’adopter une définition globale, multidimensionnelle et intégrée de la performance qui soit en mesure de rendre compte de la complexité des organisations et des systèmes de santé et des préoccupations des différents acteurs concernés. Le modèle d’évaluation globale et intégrée de la performance des systèmes de santé (EGIPSS) répond à cette nécessité en appréciant les quatre grandes fonctions que doit remplir de façon équilibrée tout système organisé d’action: 1) s’adapter à son environnement; 2) maintenir des valeurs et du sens; 3) intégrer la production de biens et de services; et 4) atteindre des buts légitimes (prévenir et réduire le fardeau de la maladie, et contribuer à améliorer la santé). De plus, ce modèle, par son utilisation à de multiples échelons et par l’élaboration de plusieurs formes de jugements, permet de réconcilier les tensions entre imputabilité et amélioration continue de la performance, de favoriser les débats entre chacune des parties prenantes et d’accroître l’utilisation des résultats de l’évaluation.
La possibilité de rendre compte de façon régulière et pertinente de la performance repose sur l’existence de données fiables, valides, récentes et complètes sur les différentes dimensions et sous-dimensions de la performance. Il est en particulier nécessaire, en respectant les règles habituelles de confidentialité, d’intégrer les données démographiques, les données administratives, les données cliniques et les données sur la satisfaction des patients et de la population ainsi que sur la satisfaction des professionnels et du personnel. L’existence de données longitudinales est un atout qui améliore considérablement la possibilité de porter des jugements évaluatifs sur la performance.
Il paraît souhaitable que chaque pays (ou région) crée une organisation indépendante qui est responsable de la collecte, de la validation, de la protection de la confidentialité et de la diffusion des données intégrées sur la performance.
Pour que l’évaluation de la performance puisse influencer les décisions des différents acteurs des organisations et des systèmes de santé, il faut s’assurer que des mécanismes formels sont institués pour que les résultats de l’évaluation servent à construire un jugement informé sur la performance. On comprend qu’il est nécessaire, mais insuffisant, de comparer les résultats obtenus pour chaque indicateur à une norme; il faut aussi trouver les moyens de prendre en compte des configurations97 d’indicateurs. Dans ce sens, il faut par exemple être en mesure de relier les conditions objectives de travail, les perceptions collectives concernant les variables organisationnelles, les attitudes au travail, les comportements et les valeurs avec l’état de santé des employés, et ce, en sachant que la qualité de vie au travail est liée à la qualité et à la sécurité des soins, à la productivité et aux résultats de la prise en charge des patients. Dès lors, la connaissance des chaînes causales, entre les divers éléments de la performance des systèmes de santé, permet de dégager des leviers d’action et ainsi d’améliorer le fonctionnement des organisations et des systèmes de santé.
Mais pour être porteurs de changement, les leviers d’action doivent trouver du sens pour les différents acteurs. Cette capacité à trouver du sens repose sur l’existence d’espaces de débats permettant aux acteurs qui ont des champs de jugement distincts de s’entendre sur les questions prioritaires d’actions pour améliorer la performance.
Les jugements configurationnels et délibératifs complètent la forme classique de jugement de type normatif en favorisant une modification profonde des schémas cognitifs des acteurs.
La gouvernance en réseaux territoriaux à laquelle conduit naturellement une conception large de la performance – dont une dimension importante est l’adaptation à l’environnement – requiert concrètement des modes d’action hybrides et innovateurs. Il est nécessaire de conjuguer les atouts, d’une part, des actions intersectorielles des groupes influents et, d’autre part, des mécanismes décentralisés de régulation, pour adapter l’offre de soins et de services aux besoins particuliers des populations locales dans leurs contextes. L’instance régionale doit pouvoir compter sur la participation des acteurs de tous les secteurs d’intervention pour améliorer la performance du système de santé tout en réduisant l’effet négatif des contraintes relatives à la disponibilité des ressources et à l’accessibilité des soins et des services en tenant compte des particularités locales.
Pour accroître leur capacité de produire des interventions innovatrices visant l’amélioration de la santé et du bien-être de la population, il faudrait utiliser systématiquement les approches permettant d’apprécier les effets sanitaires des politiques publiques98 et promouvoir la participation de tous les acteurs concernés aux processus d’amélioration de la performance des organisations et des systèmes de santé. Cela permettrait de développer les régulations territoriales et les actions intersectorielles nécessaires pour qu’émerge un espace d’action collective capable de répondre aux attentes de la population et d’avoir un effet positif sur la santé.
Les acteurs responsables de la mise en place des initiatives fondées sur la gouvernance en réseau auraient donc besoin de miser sur de nouveaux savoirs et des pratiques innovatrices sur la performance nécessaire pour coordonner et mobiliser les différents leviers de changement conduisant à l’amélioration continue de la performance des organisations et des systèmes de santé.
Les réflexions des auteurs de cet ouvrage offrent des pistes riches et concrètes pour relever les défis de l’évaluation de la performance des organisations et des systèmes de santé et pour que l’utilisation des évaluations permette d’orienter les transformations nécessaires des systèmes de santé.
97. Une configuration est constituée par la structure (stable ou évolutive) des relations existantes entre les éléments interdépendants d’un système ou d’un concept complexe. Le concept de configuration est inhérent à celui de complexité (chapitre 2).
98. Évaluation d’impact sur la santé (EIS) (cf. chapitre 6).