CHAPITRE 3

La performance et le concept
«centre de santé
et de services sociaux promoteur de santé»

Nicole Dedobbeleer

Le système de santé et de services sociaux québécois a subi de multiples réformes administratives depuis les vingt à trente dernières années. Les deux dernières réformes, celle de 2003 et celle de 2015, ont mené à la fusion forcée d’organisations de santé ayant des missions et des cultures très différentes. Le Centre de santé et de services sociaux (CSSS) a été créé par la réforme de 2003 et transformé, par la réforme de 2015, en organisation à vocations plus élargies et différenciées. Que s’est-il passé?

En 2003, le projet de loi no 2555 – Loi sur les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux – visait, par la mise en place d’une organisation de services de santé et de services sociaux intégrés, «à rapprocher les services de la population et à faciliter le cheminement de toute personne dans le réseau de services de santé et de services sociaux» (Assemblée nationale du Québec, 2003). Des agences de développement de réseaux ont ainsi remplacé les régies régionales pour «créer des réseaux locaux de services (RLS) dans chaque région sociosanitaire et fusionner des établissements en CSSS au cœur de ces RLS en leur conférant une responsabilité populationnelle» (Assemblée nationale du Québec, 2003). On a établi 95 CSSS par la fusion de centres locaux de services communautaires (CLSC), de centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) ainsi que, sauf exception, d’un centre hospitalier (CH). Ils ont agi comme assise d’un réseau local qui amenait, pour la première fois, les responsables de la santé publique et les responsables des soins de santé à collaborer étroitement dans l’exercice de leur responsabilité populationnelle, afin de répondre non seulement aux menaces à la santé publique, mais aussi d’assurer des soins de qualité optimale, la prévention des maladies et la promotion de la santé.

Une nouvelle réorganisation des services de santé et des services sociaux est menée douze ans plus tard, avec le projet de loi no 1056 – Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux –, notamment par l’abolition des agences régionales (Assemblée nationale du Québec, 2015). Elle s’inscrit en continuité avec celle qui a été amorcée au début de 2004. La loi qui modifie l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux a pour objectif, encore une fois, «[...] de favoriser et simplifier l’accès aux services pour la population». Elle rappelle, de plus, qu’il faut «contribuer à l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et accroître l’efficacité et l’efficience du réseau» (Assemblée nationale du Québec, 2015).

La réorganisation du système de santé va maintenant beaucoup plus loin, notamment en confiant soit à un Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS), soit à un Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS), la majorité des services de santé et de services sociaux au cœur d’un réseau territorial de services (RTS). Cette fois, on intègre souvent plus d’un centre hospitalier, des instituts, et aussi les centres de réadaptation et les centres de protection de l’enfance et de la jeunesse. Le nombre de centres intégrés prévu est toutefois plus grand pour les régions de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, de la Montérégie et de Montréal. On a partagé les responsabilités des agences de la santé et des services sociaux de chaque région entre les CISSS et le ministère. La loi a permis de fusionner 182 établissements en 34 établissements et de fixer un objectif d’abolition de 1300 postes de cadres (Daoust-Boivert, 2016).

Cette dernière réforme suscite beaucoup de critiques d’acteurs déterminants dans le système de santé et de services sociaux et soulève de nombreuses inquiétudes, notamment au sujet de la performance des nouveaux établissements créés, les CUISSS et les CISSS. Elle a procédé à une centralisation inégalée des pouvoirs entre les mains du ministre de la Santé et des Services sociaux, considérant l’hétérogénéité des populations visées et amalgamé des établissements à culture organisationnelle, à vocation linguistique ou ethnoculturelle différentes. Elle a réduit également de 33% le budget de la santé publique, qui n’est que 2% du budget de la santé (Lacoursière, 2016).

La performance du CSSS, créé avec la réforme de 2003, était déjà en observation par les instances ministérielles, régionales et locales, préoccupées par l’efficience et l’efficacité de ses activités. Pour mesurer la performance, l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS) avait adopté le modèle d’évaluation globale et intégrée de la performance des systèmes de santé (EGIPSS), conçu par Sicotte, Champagne et Contandriopoulos (1998). En utilisant ce modèle, l’AQESSS avait produit des rapports sur la performance des établissements membres et des rapports méthodologiques et techniques.

Le CSSS était un des partenaires de l’AQESSS. Les missions du CSSS étaient nombreuses, souvent opposées et pas toujours faciles à concilier. Pour la majorité des CSSS qui intégraient un hôpital, il s’agissait «de réduire la durée, l’intensité et les conséquences des problèmes de santé»; dans leur mission CLSC, l’objectif était de «promouvoir la santé, de prévenir la maladie et d’éviter le recours à l’hébergement et aux services médicaux de deuxième et troisième ligne, et d’établir des ponts avec les partenaires intersectoriels pour agir sur les conditions sociales»; dans leur mission de centre d’hébergement à long terme, la finalité était «d’offrir un milieu de vie qui offre soutien et sécurité aux personnes en perte d’autonomie significative» (Contandriopoulos et Champagne, 2008). Grâce à la responsabilité populationnelle donnée aux CSSS, cette réforme avait fourni l’occasion d’établir le chaînon manquant nécessaire à l’amélioration de la santé: le lien entre les milieux de soins, la santé publique et en particulier la promotion de la santé. Elle avait constitué une fenêtre d’ouverture pour le développement du concept «CSSS promoteur de santé».

Le CSSS promoteur de santé était une extension du concept de l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 1988), «Hôpital promoteur de Santé» (HPS), que l’on considère comme «une vision, un ensemble de stratégies qui permettent aux hôpitaux de mieux s’adapter aux changements de l’environnement interne et externe et de s’impliquer dans la promotion de la santé des patients, du personnel et de la population de leur communauté». Il était devenu cette vision et cet ensemble de stratégies qui ciblent la santé des individus (patients et usagers des services, personnel et population de la communauté), mais aussi «la santé de l’organisation pour en faire une organisation durable, apprenante, qui s’adapte aux changements environnementaux, et combine ce besoin d’adaptation à la maximisation de gains en santé (Lobnig, Krajic et Pelikan, 1999)». Avec le projet de loi no 10, on a abrogé le CSSS et l’AQESSS, et le réseau des établissements promoteurs de santé québécois semble en veilleuse.

Que pouvons-nous apprendre de cette expérience du CSSS promoteur de santé? Au regard de ses vives préoccupations exprimées quant à la performance et à la mesure de la performance des CUISSS et CISSS, l’examen de la performance d’un CSSS promoteur de la santé, et plus particulièrement de sa mesure, reste pertinent dans le débat actuel sur la situation des CUISSS et des CISSS. La pertinence du CSSS a été reconnue et plusieurs CISSS manifestent toujours sur leur site Web leur adhésion à ses principes, valeurs et stratégies. Sa performance a aussi été mesurée par l’AQESSS. Le but est d’enrichir et de compléter les discussions menées sur la dernière réforme du système de santé et, en particulier, la création des CISSS et CUISSS.

Le centre de santé promoteur de santé:
le concept et sa mesure

Le concept CSSS promoteur de santé était une extension de l’HPS, concept de l’OMS, conçu dans la lignée des projets «Cadres de vie en santé» amorcés après la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé. Au Canada, Hancock (1999) a défini le concept HPS comme «un environnement propice à la guérison, donnant des services de haute qualité, mais également comme un milieu de travail sain, agissant de manière responsable au sein de son environnement et qui contribue à la santé de l’ensemble de la communauté comme partenaire, membre de la communauté».

On a précisé le concept et son implantation dans les Recommandations de Vienne sur les hôpitaux promoteurs de la santé (1997). On les a aussi adaptés au CSSS pour déterminer les principes fondamentaux que les CSSS devaient respecter afin de se qualifier comme promoteurs de santé. Ces recommandations ont pour but de promouvoir la dignité, l’équité, la solidarité et l’éthique professionnelle, et de reconnaître la diversité des besoins, des valeurs et des cultures des différents groupes de la population. Il s’agit d’améliorer la qualité, le bien-être des populations (incluant les patients et leurs proches et le personnel des organisations impliquées), la protection de l’environnement, tout en devenant une organisation apprenante. Il faut aussi mettre l’accent sur la santé dans une perspective holistique et non pas seulement curative, se concentrer sur le personnel qui fournit des services aux populations (incluant les patients et leurs proches) de la meilleure façon possible afin de faciliter le processus de guérison et de contribuer au pouvoir des patients et des membres de la communauté. Pour ce faire, l’utilisation des ressources de manière efficiente, en respectant l’équilibre entre le coût et l’efficacité, et leur attribution en fonction de leur contribution à l’amélioration de la santé sont de mise. Finalement, il est nécessaire d’établir des liens aussi étroits que possible avec les autres ressources du réseau de la santé et la communauté.

Le concept de CSSS promoteur de santé (figure 3.1) intégrait les quatre cibles visées par les hôpitaux promoteurs de santé (c’est-à-dire une organisation, des patients, du personnel et une communauté en bonne santé) en ajoutant les utilisateurs de services aux patients ciblés. Les relations entre les différentes cibles soulignaient le caractère dynamique d’un CSSS promoteur de santé. Une organisation promotrice de santé a, en effet, une influence sur la santé des patients et des utilisateurs de services de santé et de services sociaux ainsi que sur la santé de son personnel et de sa communauté. La santé de la communauté a, quant à elle, une influence sur l’organisation du CSSS et la santé des patients et du personnel.

Le CSSS s’intégrait dans le cadre du réseau de santé et de services sociaux, et cela reflétait la responsabilité populationnelle du CSSS qui se trouve à l’intersection du système de soins de santé et de la santé publique.(figure 3.1). En se référant aux stratégies de la Charte d’Ottawa, un CSSS représentait ainsi une organisation qui vise:

«(1) à favoriser le développement d’organisations promotrices de santé dans son réseau [...]; (2) à développer des soins promoteurs de santé en mettant l’accent sur les soins centrés sur le patient, la relation et le partenariat [...]; (3) à développer un milieu de travail promoteur de santé en créant des conditions de travail sécuritaires[...], en encourageant des habitudes de vie favorables à la santé [...] et en créant un environnement favorable à la santé et au bien-être du personnel de ses organisations [...], et (4) à favoriser une communauté promotrice de santé en participant par le travail intersectoriel et l’établissement d’un réseau avec les partenaires de la communauté à l’identification des besoins en santé [...]»

Le PAL indiquait le lien avec le Plan d’action local du CSSS. Après l’examen des standards mis au point par les principales agences d’agrément et le constat que l’on faisait peu référence aux activités de promotion de la santé, le Bureau régional de l’OMS pour l’Europe (WHO, 2006) a conçu un outil d’auto-évaluation pour les hôpitaux promoteurs de santé. Cet outil a pour but de compléter les standards existants pour l’agrément des services de santé. On l’a pensé en relation directe avec la philosophie de l’amélioration continue de la qualité, et il présente cinq standards: la politique de gestion, la détermination des besoins des patients, l’information et les interventions auprès des patients, la promotion d’un milieu de travail sain, la continuité et la coopération. Des indicateurs de performance sont proposés pour fournir des mesures quantitatives. Parmi eux, on note «le pourcentage du personnel qui connaît la politique de promotion de la santé, le pourcentage du budget alloué aux activités de promotion de la santé destinées au personnel, le pourcentage de fumeurs dans le personnel, le pourcentage d’absentéisme, les résultats sur l’échelle d’épuisement professionnel, les résultats de l’enquête quant au degré de préparation du patient à la sortie».

L’outil d’auto-évaluation conçu par l’OMS pour les hôpitaux a été adapté en fonction des besoins et des réalités des CSSS au Québec. Les cinq standards du document de l’OMS ont été ramenés à quatre (organisation promotrice de santé, soins de santé promoteurs de santé, milieu de travail promoteur de santé et communauté promotrice de santé) en réunissant la détermination des besoins des patients, l’information et les interventions auprès des patients en soins de santé promoteurs de santé. Deux dimensions ont ainsi été rajoutées au premier standard (organisation promotrice de santé): organisation apprenante et performante et organisation protectrice de l’environnement (tableau 3.1). L’outil adapté a encouragé l’affiliation de plusieurs CSSS à un réseau montréalais de CSSS et d’hôpitaux promoteurs de santé. Rattaché au réseau international des hôpitaux et autres services de santé promoteurs de santé, ce réseau montréalais s’est transformé en réseau québécois, au début de 2012.

Le modèle EGIPSS sur l’évaluation
de la performance

La figure 3.2 présente le modèle EGIPSS sur lequel s’appuie notre analyse. Ce modèle permettait d’évaluer la performance d’une organisation à partir de quatre grandes dimensions: l’adaptation, le maintien des valeurs, la production et l’atteinte des buts. D’après le modèle, un établissement est performant s’il s’adapte à son environnement interne et externe et aux besoins de sa clientèle; s’il maintient un consensus sur un système de valeurs; s’il produit des soins et des services de qualité en utilisant adéquatement les ressources; et s’il atteint ses buts en regard de l’amélioration de la santé et de l’efficience.

L’AQESSS (2012) a choisi 273 indicateurs pertinents pour les différentes sous-dimensions du modèle dans son application aux CSSS, de 2010-2011. L’appréciation de la performance du CSSS reposait sur ces indicateurs pour chacune des dimensions de l’organisation (figure 3.2), mais aussi sur la capacité du CSSS à établir un équilibre dynamique entre les fonctions.

L’outil d’auto-évaluation du CSSS
promoteur de santé et le modèle EGIPSS

L’examen de la compatibilité entre les quatre dimensions du modèle EGIPSS et les standards d’un CSSS promoteur de santé, présentés dans l’outil d’auto-évaluation, révèle qu’il existe une compatibilité entre la forte majorité des sous-dimensions (figure 3.2) du modèle EGIPSS (présentées dans les quatre triangles correspondant chacun à une dimension) et les dimensions (tableau 3.1) et les critères permettant de mesurer les standards pour un CSSS promoteur de santé. Les figures 3.3 à 3.6 présentent des liens entre les dimensions du modèle EGIPSS et les quatre standards du CSSS promoteur de santé57.

L’organisation promotrice de santé

Pour devenir une organisation promotrice de santé selon les standards de l’outil d’auto-évaluation, le CSSS doit avoir une politique écrite en promotion de la santé qui fait partie du programme d’amélioration de la qualité de l’organisation, devenir une organisation apprenante et performante et s’orienter vers la protection de l’environnement. On peut établir un lien entre ces trois dimensions du standard «organisation promotrice de santé» et les quatre dimensions du modèle EGIPSS: l’adaptation, le maintien des valeurs, l’atteinte des buts et la production (figure 3.3).

Souvent associée à sa capacité d’être efficace et efficiente, la dimension «adaptation» du modèle EGIPSS fait référence à la capacité de l’établissement à s’adapter aux besoins et aux attentes de la population, à acquérir les ressources (financières, humaines et matérielles) nécessaires, à attirer les clientèles, à mobiliser la communauté, à innover et à se transformer. On peut relier (figure 3.3) trois des cinq sous-dimensions de l’adaptation (adaptation aux besoins de la communauté, acquisition des ressources et innovation et transformation) et deux des quatre critères de l’organisation apprenante et performante: l’existence de directives concernant la satisfaction des citoyens et des mesures prises pour assurer l’adaptation du CSSS aux exigences changeantes de l’environnement interne et externe, telles que la conception et l’implantation de nouveaux outils de communication et d’information (par exemple, un dossier médical informatisé et des outils d’aide à la décision), et des changements au sein des structures de gestion (comme l’aplanissement des structures hiérarchiques ou une direction collaborative), et de la gouvernance (gestion continue de la qualité, partenariat et continuité des soins).

La dimension «maintien des valeurs» du modèle EGIPSS fait référence à la capacité de l’organisation au sein du système de santé et des services sociaux à adopter une vision et des valeurs communes qui permettent à tous les acteurs concernés de coopérer pour réaliser, de façon efficiente, le projet collectif dans lequel ils sont engagés. Elle inclut aussi l’environnement de travail, le climat organisationnel, la satisfaction du personnel au travail, l’état de santé des employés et les réactions comportementales. Des liens peuvent être établis (figure 3.3) entre cinq des six sous-dimensions de la dimension «maintien des valeurs» et deux des quatre critères de l’organisation apprenante et performante: le maintien des valeurs communes (par exemple: équité, solidarité, éthique, respect des différences et participation) et les mesures prises sur le plan des ressources humaines pour assurer l’adaptation du CSSS aux exigences changeantes de l’environnement du travail (horaires flexibles, formation et politiques pour assurer un climat de travail sain).

La dimension «atteinte des buts» du modèle EGIPSS reflète la capacité de l’organisation à réussir sa mission: maintenir et améliorer la santé et le bien-être de la population et réduire les inégalités de santé et de bien-être. Cette capacité de l’organisation se traduit dans les dimensions «organisation apprenante et performante» (critères de directives pour assurer l’efficacité et l’efficience des actions et assurer la satisfaction des citoyens) et «politique de promotion de la santé» (critère d’évaluation régulière des résultats des activités de promotion de la santé, prévention et protection de la santé) du standard «organisation promotrice de santé» (figure 3.3).

La dimension «production» du modèle EGIPSS est centrale dans l’évaluation de la performance de l’organisation. Les aspects de qualité non technique et technique, en particulier la sécurité, sont des sous-dimensions importantes. Les aspects de qualité non technique (accessibilité, continuité, coordination et globalité, et humanisme) sont pris en compte dans les soins centrés sur le patient, le partenariat, la gestion continue de la qualité de la dimension «organisation apprenante et performante» du standard «organisation promotrice de santé». Les aspects de qualité technique, comme la justesse des activités et leur conformité aux bonnes pratiques, sont inclus dans la dimension politique de promotion de la santé du standard «organisation promotrice de santé» par le critère d’évaluation de la qualité des activités et du matériel de promotion de la santé, de prévention et de protection de la santé (figure 3.3).

Si la qualité technique (justesse, exécution compétente et sécurité) correspond à la capacité de l’établissement à minimiser les risques associés aux interventions, mais aussi aux milieux de soins et de services pour les patients, le personnel et la communauté, on peut aussi établir des liens avec la dimension «organisation protectrice de l’environnement» du standard «organisation promotrice de la santé» (figure 3.3). La sécurité s’étend ici à des mesures que doit prendre le CSSS pour protéger l’environnement de la communauté (comme la gestion des produits toxiques, la gestion des déchets, la conservation de l’air et de l’eau, les mesures pour assurer l’efficacité énergétique, les opérations de transport en commun peu polluantes et les pratiques qui protègent l’écosystème, par exemple).

Nous constatons finalement la compatibilité la plus importante avec la dimension «organisation apprenante et performante» du standard «organisation promotrice de santé» (figure 3.3).

Les soins promoteurs de santé

Pour donner des «soins promoteurs de santé» selon les standards de l’outil d’auto-évaluation, un CSSS promoteur de santé doit s’assurer: 1) que les professionnels de la santé évaluent de manière systématique, et en partenariat avec les patients et les usagers des services de santé, les besoins en ce qui concerne la promotion de la santé, comme les facteurs de risque comportementaux et sociaux, les attentes et les représentations sociales; 2) qu’une information claire, compréhensible et appropriée est transmise aux patients et usagers des services de santé au sujet des facteurs significatifs concernant leur maladie ou état de santé; 3) que des interventions de promotion, de prévention et de protection de la santé sont mises au point et établies en partenariat avec les patients et les usagers dans toutes les trajectoires de soins qu’ils empruntent; et 4) que des changements environnementaux sont faits pour assurer un environnement thérapeutique, le bien-être, le respect et la sécurité des patients et des usagers et de leurs proches. On observe des liens entre ces quatre dimensions du standard «soins promoteurs de santé» et deux des cinq sous-dimensions de la dimension «adaptation» et une des trois sous-dimensions de «production» du modèle EGIPSS (figure 3.4).

Ainsi, la sous-dimension «adaptation aux besoins de la population» associée à la dimension «adaptation» du modèle EGIPSS est présente dans toutes les dimensions du standard «soins promoteurs de santé»: l’évaluation des besoins, l’information transmise aux patients et aux usagers, la conception et la mise en place de programmes et services en partenariat avec les patients et les usagers des services de santé dans toutes les trajectoires qu’ils empruntent et les changements effectués pour créer un environnement thérapeutique. Un autre lien peut être établi entre la sous-dimension «innovation et transformation» de l’adaptation du modèle EGIPSS et l’environnement thérapeutique du standard «soins promoteurs de santé», puisque la création de cet environnement fait appel à l’innovation et à la transformation des lieux dans l’établissement (architecture des bâtiments, design, espaces verts et vêtements d’hôpital, par exemple).

Enfin, les qualités techniques et non techniques, composantes importantes de la dimension «production du modèle EGIPSS», se retrouvent dans le développement des programmes et interventions en promotion de la santé, prévention et protection de la santé du standard «soins promoteurs de santé». Des directives émises pour assurer la qualité technique et non technique de ces programmes et services devaient être aussi suivies par le CSSS, même dans le développement de l’information.

Le milieu de travail promoteur de santé

Pour mettre en place un milieu de travail promoteur de santé, l’organisation devait s’assurer que la santé et la sécurité de ses employés deviennent une priorité. Elle devait veiller au développement et à la mise en place d’un milieu de travail sain et sécuritaire, encourager de saines habitudes de vie chez le personnel, faire des modifications de l’environnement physique et social pour promouvoir la santé physique et mentale du personnel, prévenir la violence, promouvoir le bien-être du personnel et sa participation au développement des pratiques de travail et aux décisions concernant l’environnement de travail. Les quatre dimensions du standard «milieu de travail promoteur de santé» ont ainsi un lien avec toutes les sous-dimensions de la dimension «maintien des valeurs» du modèle EGIPSS (figure 3.5).

On peut aussi établir des liens entre les stratégies pour développer un milieu de travail sain et sécuritaire du standard «milieu de travail promoteur de santé» et la sous-dimension «qualité technique» de la dimension «production» du modèle EGIPSS et, en particulier, l’aspect sécurité. Le CSSS devait, en effet, avoir la capacité de minimiser les risques associés aux interventions et aux milieux de soins et de services pour le person- nel et les patients. On observe enfin une correspondance entre la sous-dimension «volume de soins et de services» de la dimension «production» du modèle EGIPSS et la quantité et les types de programmes en éducation pour la santé offerts au personnel dans la dimension «stratégies pour de saines habitudes de vie» du standard «milieu de travail promoteur de santé».

La communauté promotrice de santé

Pour encourager le développement d’une communauté promotrice de santé, le CSSS devait être capable d’établir des liens aussi étroits que possible avec les diverses ressources en santé de son réseau et la communauté. Le standard «communauté promotrice de santé» fait ainsi référence à la collaboration et aux partenariats développés, aux réalisations et à la qualité de la collaboration.

On pourrait faire le lien entre ces trois dimensions du standard «communauté promotrice de santé» et deux dimensions du modèle EGIPSS, «adaptation et production» (figure 3.6). Ainsi, la sous-dimension «mobilisation de la communauté» de «l’adaptation», qui mesure l’étendue et l’intensité du capital social du système de santé et de services sociaux de même que le soutien et l’appui dont l’établissement bénéficie , traduit partiellement la collaboration du CSSS promoteur de santé avec ses partenaires. La sous-dimension «adaptation aux besoins de la population» qui mesure le niveau d’ajustement des ressources et de la structure du système de santé et de services sociaux selon les besoins de la population rejoint quant à elle la préoccupation du CSSS de prendre en compte les besoins de la population de son territoire par un processus de décision inclusif, des procédures de collaboration et la mobilisation.

Le volume de services et la qualité non technique, sous-dimensions de la dimension «production» du modèle EGIPSS, peuvent faire référence aux réalisations du standard «communauté promotrice de santé» et ainsi aux diverses activités mises en place par le CSSS (plans d’action, ententes, programmes et services, développement d’habiletés, partage d’expertise et ressources et évaluation). La sous-dimension «qualité non technique» de «production» peut aussi traduire quant à elle les directives émises pour assurer la qualité des interventions de collaboration et de partenariat (permettre à la population d’exprimer ses intérêts, ses besoins et ses préoccupations, s’assurer de sa participation dans la prise de décision, par exemple, ou concevoir et mettre sur pied des programmes et services en partenariat avec la communauté).

Les liens et les indicateurs de performance

La figure 3.7 révèle que la majorité des sous-dimensions du modèle EGIPSS ont des liens avec les dimensions et critères des standards d’un CSSS promoteur de santé. Seules deux sous-dimensions, l’attraction des clientèles et la productivité, n’ont aucun lien avec les dimensions et critères des standards définis pour un CSSS promoteur de santé dans l’outil d’auto-évaluation. Des liens existent, mais jusqu’où va la correspondance? L’appréciation de la performance repose sur des indicateurs de réussite pour chacune des dimensions du modèle EGIPSS et sur la capacité à assurer l’équilibre entre les dimensions.

Des indicateurs pour mesurer la performance du système de santé et des services sociaux au Québec ont été présentés par le ministère de la Santé et des Services sociaux à partir du modèle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les rapports du Commissaire à la santé et au bien-être (CSBE) sur la performance du système de santé et des services sociaux et de l’AQESSS fournissent des critères à partir du modèle EGIPSS. Selon le rapport de l’AQESSS, qui fournit des mesures pour les établissements de santé du Québec (2012), on a choisi 273 indicateurs dans l’évaluation de la performance des CSSS en 2010-2011. Cette liste d’indicateurs permet-elle d’appréhender toute la complexité de la performance d’un CSSS promoteur de santé? La réponse à cette question demande une étude approfondie. L’objectif ici est de mettre en lumière certaines particularités des CSSS promoteurs de santé que l’on ne semble pas avoir considérés dans l’application du modèle EGIPSS.

Quant à la dimension «adaptation» du modèle EGIPSS, les indicateurs utilisés pour mesurer l’adaptation aux besoins de la population portent surtout sur l’adéquation de l’utilisation (utilisation des services et taux de pénétration par programme et par service clinique et de CLSC). Pour le CSSS promoteur de santé, il semblait important de compléter ces indicateurs par des informations sur les perceptions des patients, des usagers et des membres de la communauté, sur les besoins ainsi que sur les attentes concernant les programmes et services cliniques et de promotion de la santé. En ce qui a trait à l’innovation et à la transformation, il paraît pertinent d’inclure des indicateurs des innovations cliniques et des indicateurs de développement de nouveaux outils de communication et d’information utilisés par les professionnels de la santé et les patients. Mais il serait aussi utile d’inclure des indicateurs de changements importants demandés au CSSS promoteur de santé au sujet des structures de gestion et de la gouvernance, comme les soins centrés sur le patient ou le partenariat avec le patient. Dans un CSSS promoteur de santé, l’implication active de patients, d’usagers et d’un personnel mieux informés, le partage des décisions entre patients et médecins contribuaient à la qualité des soins et services et à la diminution des coûts.

Dans la dimension «adaptation» du modèle EGIPSS, la mesure de la mobilisation de la communauté fait référence à la solidarité sociale mesurée par les dons faits en santé et services sociaux, et le bénévolat dans le système de santé et de services sociaux. La participation de la communauté se caractérise par la concertation et le partenariat rendus nécessaires à cause de la complexité des problèmes auxquels doivent faire face les communautés. Les CSSS avaient conçu une expertise en développement communautaire dans le cadre de leur responsabilité populationnelle. Ils étaient l’un des acteurs locaux impliqués dans ce développement. Des indicateurs des résultats de cette expertise de soutien à la communauté dans l’action sur les déterminants de santé et bien-être (et en particulier sur ses stratégies favorisant l’empowerment individuel, organisationnel, mais aussi communautaire) étaient à envisager, pour un CSSS promoteur de santé.

Dans la dimension «maintien des valeurs» du modèle EGIPSS, on retrouve des indicateurs importants pour le CSSS promoteur de santé: la perception de la culture de la sécurité et la perception de la culture de la transparence. Ainsi, la priorité accordée à la santé et à la sécurité dans le travail du personnel témoigne de l’importance accordée au personnel dans les Recommandations de Vienne pour les hôpitaux promoteurs de santé. Les valeurs sont au centre des choix, des priorités du système de santé, donc de la planification stratégique et opérationnelle du système de santé. Comme elles influencent les objectifs et les ressources qu’une organisation va mobiliser, elles sous-tendent la construction des standards sociaux pour juger les actions entreprises. Des indicateurs des valeurs mises en avant par un CSSS promoteur de santé, mais surtout sur la façon de les promouvoir et de les maintenir, ainsi que sur leur degré de partage par les acteurs de l’organisation, méritaient aussi d’être considérés (par exemple, le respect, la dignité, l’équité, le respect des différences, l’éthique professionnelle et la participation). De fait, ces valeurs sont significatives et fournissent aux acteurs des éléments de motivation et un soutien aux actions entreprises.

Dans les mesures de la qualité de vie au travail (environnement de travail, climat organisationnel, satisfaction au travail, réactions comportementales et état de santé des employés) du modèle EGIPSS, les indicateurs de l’environnement au travail mesurent les facteurs qui favorisent la rétention et la performance du personnel. Les changements effectués sur le plan de l’environnement physique et social du travail, qui encouragent la santé physique et mentale du personnel (par exemple, mesures pour prévenir la violence et menus équilibrés à la cafétéria), étaient des facteurs à intégrer dans les indicateurs pour un CSSS promoteur de santé. Parmi les indicateurs de l’état de santé du personnel, il faut souligner aussi la pertinence d’indicateurs des habitudes de vie du personnel, notamment sur le tabagisme et les habitudes alimentaires.

Dans la dimension «production», les indicateurs de la qualité non technique (accessibilité, continuité, coordination et globalité, et humanisme) sont tous importants pour un CSSS promoteur de santé. Dans les taux de satisfaction des usagers, il faut s’assurer toutefois de l’inclusion de la perception des usagers par rapport aux différents éléments de la relation avec les professionnels de la santé, comme l’écoute, la communication et le respect. Pour mesurer la coordination et la continuité, il faut aussi rappeler la pertinence d’indicateurs des liens entre les différents programmes et services du réseau local du CSSS comme les continuums de soins, les mécanismes de concertation et le développement d’une vision commune dans le cadre des partenariats. Deux des indicateurs de performance proposés dans l’outil d’auto-évaluation pour les hôpitaux promoteurs de santé de l’OMS étaient à considérer: le score concernant la préparation du patient à son congé, et le pourcentage de sommaires de congé d’hôpital envoyés à l’omnipraticien ou à la clinique de référence dans les deux semaines du congé ou donnés aux patients eux-mêmes au moment de la sortie. Pour ce qui est des indicateurs de la qualité technique, la justesse et l’exécution compétente devraient s’appliquer aussi aux tâches non cliniques.

Dans la dimension «atteinte des buts» du modèle EGIPSS, rappelons aussi l’importance des indicateurs d’efficacité populationnelle, notamment d’indicateurs des habitudes de vie des membres de la communauté. Ces indicateurs se trouvent dans le rapport sur la performance du Commissaire à la santé et au bien-être (2014).

* * *

Quant aux acteurs clés de CSSS, le concept CSSS promoteur de santé venait donner sens à l’orientation proposée par la réforme de 2003 (Dedobbeleer et al., 2007). Ce n’était pas un ajout de fonctions et de tâches, mais un concept intégrateur, compatible avec les pratiques et les besoins des CSSS, et une approche stimulante et gagnante qui favorisait une responsabilité partagée et qui encourageait la participation de tous (c.-à-d.gestionnaires, professionnels de la santé, personnel et patients et familles, communauté et partenaires du réseau). Un réseau montréalais d’hôpitaux et de CSSS s’est transformé en 2012 en un réseau québécois d’établissements promoteurs de santé. Il regroupait 38 établissements, dont 26 CSSS (Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, 2006).

Pour mesurer toute la complexité de la performance du CSSS, les indicateurs du modèle EGIPSS présentés dans le travail de l’AQESS sont incontournables. Toutefois, il paraît important de compléter le travail sur les indicateurs pour s’ajuster aux particularités du concept CSSS promoteur de santé.

La compatibilité entre les dimensions du modèle EGIPSS et les standards du CSSS promoteur de santé suggère-t-elle qu’un CSSS promoteur de santé a une plus forte probabilité de devenir un CSSS performant? La réponse à cette question a des implications importantes et mérite notre attention dans la période d’inquiétudes et de grandes tensions créées par la dernière réforme, celle de 2015. La vision du CSSS promoteur de la santé, comme celle de l’hôpital promoteur de santé, partage avec la loi 10 les objectifs d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, et d’augmentation de l’efficacité et de l’efficience. Elle interpelle toutefois les différents milieux touchés par la réforme par sa capacité à développer une véritable culture de santé, son désir de développer des services à l’écoute des patients et usagers, des milieux de travail sains et sécuritaires, des environnements favorables à la santé, et ce, dans un continuum de services et en partenariat étroit avec les différents acteurs de la communauté.


57. Les sous-dimensions du modèle EGIPSS en lien avec les dimensions des standards du CSSS promoteur de santé sont suivies d’un astérisque.