CHAPITRE 4

Le système de santé
et de services sociaux au Québec:
un levier clé d’amélioration
de la performance?

José Carlos Suárez-Herrera

Plusieurs réformes législatives ont eu lieu dans le secteur de la santé au Québec depuis quelques années, ce qui a substantiellement transformé les pratiques des acteurs locaux et des collectivités territoriales. Ces réformes promeuvent au fur et à mesure l’intersectorialité de l’action locale, notamment par l’implantation des réseaux intégrés de santé. La mise en réseau des pratiques sociosanitaires constitue un double enjeu pour les responsables du système de santé. D’une part, la complexité croissante des régulations territoriales faisant partie du panorama politico-administratif et juridico-légal constitue une véritable entrave à une mise en œuvre efficace d’interventions en réseau. D’autre part, les interventions en réseau mobilisent des acteurs de plus en plus nombreux représentant des secteurs d’intervention bien différenciés, souvent divergents, qui développent graduellement de nouvelles pratiques professionnelles dans le secteur de la santé.

La gouvernance intersectorielle du système de santé renvoie alors à une forme de stratégie décentralisatrice mobilisant des acteurs hétérogènes, mais interagissant collectivement pour répondre de la façon la plus adéquate possible aux besoins sociosanitaires divers d’une population inscrite dans un territoire donné. La mise en réseau du système de santé apporte ici une orientation territoriale aux processus d’intégration des soins. En d’autres termes, elle oriente la gouvernance de ces services en fonction d’un découpage administratif du territoire où l’action collective à l’échelle locale gagne en importance lorsqu’il s’agit de mettre en place des stratégies de concertation intersectorielle pour agir efficacement sur la santé et le bien-être de la population.

Au Québec, selon le projet de loi no 2558 – adopté le 18 décembre 2003 – et plus tard en 2005 le projet de loi no 8359, c’est l’ensemble de l’espace, découpé en territoires pertinents, qui se voit doté de Centres de santé et de services sociaux (CSSS). Les CSSS sont les structures responsables de la configuration et de la mise en place des Réseaux locaux de services (RLS). Ces réseaux coordonnaient les efforts de leurs membres vers l’intégration des soins et des services de proximité et faisaient appel à des partenaires publics, privés et associatifs ayant pour but l’amélioration de la performance du système de santé.

Plus récemment, le projet de loi no 1060 – adopté le 7 février 2015 – effectue un virage radical et propose un vaste exercice de centralisation du système de santé et des services sociaux du Québec, comprenant tant la concentration des processus décisionnels dans les dépendances ministérielles, que la concentration des services de soins à la population vers les villes les plus importantes. Le projet de loi no 10 abolit les 18 agences régionales de santé et de services sociaux du Québec et propose la fusion de tous les CSSS, qui ne seront plus que 22 sous la responsabilité d’une nouvelle structure organisationnelle: les Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS)61. Peu sensibles aux particularités sociales et culturelles de la population – donc au principe des soins de proximité –, les CISSS contribuent à la dévitalisation des régions québécoises et proposent à la population des soins et des services standardisés, ce qui constitue un vrai obstacle à l’amélioration de la performance du système de santé.

L’amélioration continue de la performance

La performance du système de santé se décline selon différents degrés de complexité organisationnelle et son appréciation dépend d’un grand nombre de critères bien différentiés. On a proposé un modèle fédérateur d’évaluation de la performance: le modèle d’évaluation globale et intégrée de la performance des systèmes de santé (EGIPSS)62. Ce modèle est axé sur quatre fonctions principales (adaptation au contexte, atteinte des buts, intégration de la production et maintien des valeurs) et les interdépendances entre ces quatre fonctions (équilibres stratégique, allocatif, tactique, opérationnel, légitimatif et contextuel). Selon les auteurs du modèle EGIPSS (Champagne, F., Contandriopoulos A.-P. et al., 2005), il est préférable de concevoir la performance d’un système de santé dans chacune de ses composantes et avec celle du réseau constitué par les autres organisations avec lesquelles il interagit.

De cette façon, l’intégration des soins se place stratégiquement au cœur du discours et des pratiques de mise en réseau des trois plans de décision que sont le national, le régional et le local. Elle renvoie au besoin de coordination de l’offre des services dans un territoire et à l’intégration des pratiques des soins des acteurs de secteurs d’intervention distincts. Effectivement, la tendance actuelle dans les systèmes de santé contemporains est une intégration des soins en réseau comprenant l’ensemble des fournisseurs de services sociaux et de santé d’un territoire donné et conduisant à la création de nouveaux espaces de négociation. Cette intégration des soins renvoie aussi à un partage des responsabilités entre les différents paliers décisionnels qui sera structuré autour d’un double défi: d’une part, éviter les dédoublements et la duplication des rôles ainsi que les incohérences qui peuvent en résulter et d’autre part, confier à l’instance appropriée les fonctions qu’elle est le plus à même d’exercer.

Ainsi, ces réseaux intégrés de santé et de services sociaux, en concertation avec les acteurs concernés, sont censés assurer l’accessibilité aux soins de l’ensemble de la population et instaurer une coordination collective de l’ensemble des partenaires du territoire dans la planification et la mise en œuvre de l’offre des services. Parmi les solutions envisagées pour prendre en considération les défis inhérents à la coexistence de plusieurs logiques d’action et de régulation de leur système de santé, de nombreux pays ont adopté des modalités nouvelles de gouvernance. En fonction de l’orientation et de la cohérence entre les différents paliers de gestion, les modalités de gouvernance peuvent adopter, entre autres, une approche clinique, territoriale, démocratique ou intersectorielle.

Je m’intéresse ici plus particulièrement à la gouvernance intersectorielle en tant que stratégie territoriale exercée par les autorités administratives d’un système de santé pour orienter les perspectives des acteurs des différents secteurs d’intervention vers des objectifs collectifs. Ces acteurs peuvent provenir tant de la sphère publique que du secteur privé ou de la société civile, et peuvent se trouver à tous les échelons et paliers de décision. Par sa nature participative, ce type de gouvernance cherche à intégrer l’effort collectif dans un processus de mise en réseau des soins et des services de proximité habituellement mis sur pied et conçus par une autorité publique ou par des opérateurs de ces services, et actualisés par des acteurs publics, privés et associatifs. Ces acteurs peuvent se situer dans un ou plusieurs secteurs et peuvent agir à une ou à plusieurs échelles différentes. La gouvernance intersectorielle renvoie ainsi à un programme axé sur une vision collective qui promeut notamment le renouvellement des logiques d’action dominantes au sein du secteur de la santé, souvent organisée autour d’une logique centralisatrice, sectorielle et unique.

Sous cette perspective, la réforme du système de santé et de services sociaux québécois du 18 décembre 2003 apparaissait comme un projet de gouvernance innovateur capable de rendre compte des régulations territoriales et des actions intersectorielles pouvant simultanément instruire et stimuler la participation cohérente des acteurs de l’administration publique, du secteur privé et de la société civile aux décisions d’intérêt collectif. Les acteurs responsables de la mise en place des interventions intersectorielles auraient donc besoin de miser sur des savoirs et des pratiques multiples nécessaires à la coordination et à la mobilisation de différents réseaux d’acteurs conduisant à l’amélioration continue de la performance du système de santé et de services sociaux québécois.

Bien évidemment, le risque associé à toute stratégie de gouvernance fondée sur la concertation intersectorielle est de superposer une instrumentation additionnelle des structures formelles d’encadrement sans contribuer à des changements souhaitables dans les pratiques locales d’offre de soins et de services de proximité. En m’inspirant des travaux de Denis et de Contandriopoulos (2008) sur la gouvernance clinique, j’appuie l’idée que, afin d’éviter cet effet indésirable, on peut percevoir ce type de gouvernance comme un exercice où l’on invite les acteurs territoriaux à reconnaître les limites de leurs actions prises individuellement et le potentiel immense que représentent une disponibilité et une utilisation accrues de l’information pour appuyer des démarches participatives d’amélioration de la qualité des soins et, plus amplement, de la performance du système de santé. En somme, plusieurs conditions semblent essentielles à une bonne performance du système de santé.

Dans ce texte, trois étapes clés faisant partie du projet de réforme sociosanitaire qui a eu lieu en 2003 au Québec sont prises en considération. Dans un premier temps, la configuration en réseau des acteurs clés du secteur de la santé, processus complexe qui s’articule autour de l’intégration des soins et le partage des responsabilités. Ensuite, des modalités émergentes de gouvernance fondées sur la concertation intersectorielle, capables d’orienter des perspectives souvent fort divergentes vers la configuration des projets d’action collective. Enfin, l’implantation des réseaux intégrés de soins et de services de proximité ainsi que l’intersectorialité comme élément clé de la gouvernance font apparaître des espaces d’apprentissage collectif qui promeuvent activement l’émergence de nouvelles pratiques organisationnelles. Cette perspective dynamique et transformatrice pourrait contribuer substantiellement à l’amélioration de la performance du système de santé et de services sociaux québécois.

La configuration en réseau du système de santé

Le processus de réorganisation du système de santé et de services sociaux québécois promeut en 2003 la création et la mise en œuvre des CSSS. Investies d’un mandat fondé sur la responsabilité populationnelle et la hiérarchisation des services, ces nouvelles instances se portent garantes de l’accessibilité et de la continuité des soins et des services de proximité pour l’ensemble de la population de leur territoire. Adhérant à ces principes, les CSSS et leurs partenaires locaux s’accordent une responsabilité collective reconnue envers la population de leur territoire. Dans cette perspective, le CSSS se doit de mobiliser les acteurs locaux (professionnels, gestionnaires et partenaires) et les ressources de son territoire autour d’un projet clinique organisationnel qui lui permettra d’assumer cette responsabilité envers la population locale. Pour être en mesure d’accomplir pleinement sa mission, chaque CSSS doit constituer et animer un RLS. Ces réseaux locaux coordonnent les efforts de leurs membres vers l’intégration des soins et font appel à des partenaires publics, privés et associatifs ayant pour but suprême l’amélioration de l’état de santé et du bien-être de la population.

Le CSSS devrait atteindre cet objectif en développant des ententes formelles de services avec les partenaires de son territoire qui exercent tant dans le secteur de la santé – comme les Groupes de médecine de famille (GMF) et les Cliniques médicales associées (CMA) – que dans d’autres secteurs d’intervention relatifs à la santé des populations – tels les commissions scolaires, les municipalités, le milieu de l’habitation, les pharmacies communautaires, les entreprises d’économie sociale et les organismes communautaires. Par cette collaboration avec ces secteurs d’intervention, le CSSS se doit ainsi de développer une vision cohérente et de coordonner les actions afin d’améliorer la santé et le bien-être de la population. La création et la mise en œuvre des RLS constituent la stratégie centrale d’un projet de réforme qui met en place un ensemble de conditions favorables à l’intégration des soins, en vue d’amener les organisations et les acteurs du secteur de la santé à répondre à des objectifs communs. Pour ce faire, chaque territoire peut compter sur un ou plusieurs RLS tout en adoptant une structuration organisationnelle semblable à la gestion matricielle. C’est en favorisant la mise en place de véritables RLS intégrés à partir de l’initiative des distributeurs locaux coordonnant leurs activités et rendus responsables, collectivement, de la santé et du bien-être de leur réseau respectif (principe de responsabilité populationnelle), des distributeurs appuyés par les réseaux universitaires intégrés de services (RUI) et des GMF (principe de hiérarchisation de services), que des solutions satisfaisantes aux problèmes du système de santé peuvent être attendues.

Les stratégies territoriales de réforme fondées sur l’implantation des RLS représentent un défi de taille en raison de la complexité des mécanismes de régulation à synchroniser au sein du système de santé. Effectivement, la configuration en réseau des services de soins amène les acteurs concernés à composer avec un territoire défini et bien circonscrit sur le plan administratif, mais dont les bornes ne sont que rarement respectées par les interventions sociosanitaires. Ainsi, en raison de la complexité des logiques d’action sous-jacentes au fonctionnement du système de santé et de services sociaux québécois, de nouvelles stratégies de gouvernance pourraient être adoptées impliquant les savoirs et les pratiques des acteurs territoriaux et des secteurs d’intervention distincts. Ceux-ci pourraient suivre les principes de la concertation intersectorielle afin de coordonner leurs stratégies locales avec les régulations territoriales, autour d’un projet d’action collective orienté vers la coproduction et la distribution des services sociaux et de santé équitables et de qualité.

La gouvernance fondée
sur la concertation intersectorielle

Dans le cadre de la réforme de 2003 du système de santé et de services sociaux québécois, les responsables sanitaires travaillent à la conception d’un projet clinique participatif à partir de plusieurs points d’ancrage, dont ceux de la responsabilité populationnelle et de la hiérarchisation des services. Au cœur de ce modèle de gouvernance, les stratégies territoriales fondées sur la concertation intersectorielle deviennent essentielles à l’atteinte des visées des 95 CSSS québécois et leurs RLS.

À cet égard, plusieurs auteurs soulignent l’importance de la participation active des acteurs territoriaux dans une configuration des réseaux intégrés de soins fondée sur les principes d’intersectorialité. De même, ils stipulent que certaines stratégies territoriales pouvaient servir, entre autres, à enraciner l’autorité régionale dans un projet d’action collective local capable de développer un espace de gouvernance légitime et moins dépendant à l’égard du palier central. Une telle proposition est conforme à la lecture de ceux qui voient dans la concertation intersectorielle une façon de renouveler le système de santé et les services sociaux québécois et qui renvoient les décisions d’intérêt collectif de la population à une conception réaliste de la participation publique.

Dans ce contexte, de nombreuses contraintes imposées par les différents projets de réforme mis en place au cours des dernières décennies ont influencé la participation des acteurs de tous les secteurs d’intervention à la gouvernance du système de santé. Ainsi, historiquement, les expériences participatives sur les plans local, régional et central semblent avoir favorisé davantage l’échange d’information, ou encore la confrontation entre secteurs d’intervention, plutôt que la conciliation des intérêts et l’appropriation des soins et des services de proximité par la population (D. Contandriopoulos, 2004; Gauvin et al., 2009).

Or, malgré les limites inhérentes à la concertation intersectorielle – notamment celles qui sont liées à la politisation de la santé et à la tendance à la recentralisation des responsabilités sur le plan local – ces auteurs soutiennent que ce type de gouvernance peut mener à plusieurs effets bénéfiques, soit une plus grande efficience, une meilleure qualité de services, la création d’espaces d’apprentissage et d’innovation, une plus grande motivation des équipes professionnelles, une prestation plus équitable des soins et des services de proximité et une implication citoyenne à la planification dynamique, ainsi qu’à l’implantation et à l’évaluation des interventions sociales et de santé (Denis, 2002).

Ainsi, pour répondre aux enjeux associés à cette modalité participative de gouvernance, le système de santé et de services sociaux québécois se rapporte au design organisationnel et au partage des responsabilités et des capacités d’influence parmi les différents acteurs qui le composent, aux systèmes et aux mécanismes de production et de diffusion de l’information et aux modalités de financement des organisations et des professionnels. À cet égard, la concertation intersectorielle semble comporter en soi une dimension d’apprentissage organisationnel. Cela étant sous-tendu par le fait qu’elle pouvait permettre de générer des stratégies territoriales innovatrices et de nouveaux mécanismes de régulation qui émergent après la participation de multiples acteurs de secteurs d’intervention différents de la configuration des réseaux intégrés de santé.

L’émergence des pratiques
organisationnelles innovatrices

Grâce à sa recherche d’actions collectives innovatrices axées sur une participation active et réflexive des acteurs concernés, la gouvernance intersectorielle promeut deux lignes de force transformatrices au sein du système de santé et des services sociaux québécois. Premièrement, le principe axé sur la responsabilité populationnelle contribue à octroyer une finalité socialement responsable aux dispositifs de gestion, d’information et de financement du système de santé. Deuxièmement, la hiérarchisation des services contribue à attribuer une finalité stratégique aux dispositifs de participation, de collaboration et de concertation mis en place dans le cadre de la réforme de 2003. Cette relation dialectique entre les finalités sociales et stratégiques de la gouvernance intersectorielle annonce donc une performance renouvelée et intégrale du système de santé.

Effectivement, plusieurs études soutiennent l’idée que le but ultime de la gouvernance intersectorielle est de changer et d’améliorer de façon continue la performance du système de santé et de rendre compte de son évolution sur un territoire donné (A.P. Contandriopoulos, 2008; A.P. Contandriopoulos, Trottier et Champagne, 2008). Ce type de gouvernance, par sa nature participative, m’amène ainsi à opérationnaliser le concept de performance en fonction de la complexité sociale et des enjeux techniques qui ont été évoqués dans les sections précédentes.

De cette façon, selon cette perspective globale, complexe et intégrée déployée à propos de la notion de gouvernance intersectorielle, la performance du système de santé et de services sociaux québécois serait conçue comme un construit multidimensionnel permettant aux parties prenantes de délibérer et de formuler un jugement au sujet des qualités essentielles des soins et des services de proximité, selon les perspectives des acteurs concernés. Les logiques proposées par ces acteurs, leurs croyances et valeurs, leurs connaissances et leur positionnement en font partie, tout en contribuant à la configuration d’un projet d’action collective axé sur la responsabilité populationnelle.

Ainsi, la mise en place de nouveaux modes de gouvernance représente une composante essentielle d’une stratégie intersectorielle d’amélioration de la performance du système de santé comprenant un changement important des pratiques organisationnelles dans tous les secteurs de la société, à toutes les échelles et à tous les paliers d’influence. Ce type de gouvernance doit répondre à deux grandes limites dans sa capacité à produire des transformations, la première étant sa dépendance concernant les mandats et la volonté du gouvernement central et la deuxième, sa difficulté à agir sur les pratiques locales sur un plan intersectoriel. Plusieurs propositions semblent pertinentes afin de dynamiser une stratégie de gouvernance intersectorielle en faveur du changement souhaité: recourir à un ensemble de leviers de transformation des pratiques; assurer un appui durable du gouvernement central; enfin, garantir une participation suffisante pour légitimer et pérenniser un tel changement (Denis et A.P. Contandriopoulos, 2008).

Par conséquent, pour réorienter le système de santé et de services sociaux québécois de façon à répondre aux besoins populationnels, les initiatives favorisant l’intégration des soins et des services de proximité ainsi que la mobilisation des savoirs et des pratiques nécessaires pour éclairer les stratégies de changement adoptées sont cruciales. Ces deux types de leviers font partie inhérente des projets cliniques mis en place par les CSSS lors de la réforme de 2003 et pourraient s’avérer efficaces pour axer les mécanismes de régulation et les pratiques stratégiques sur un processus d’amélioration continue de la performance. Ces propos s’appuient sur ceux de Baker et Denis (2011), qui affirment que les projets d’action collective axés sur la mobilisation des connaissances et le développement de compétences permettraient de consolider les processus d’amélioration continue de la performance des systèmes de santé contemporains.

De cette façon, des programmes de formation continue ainsi que des méthodes d’apprentissage efficaces pour mettre à l’essai de nouvelles formes d’action collective sont indispensables pour que les efforts de changement mis en place puissent porter leurs fruits. Selon ces auteurs, on récupère les coûts associés aux programmes de perfectionnement du personnel grâce aux gains d’efficacité découlant des améliorations dans les systèmes de gestion, d’information et de financement du système de santé.

Les leviers de changement nécessaires à l’amélioration continue de la performance du système de santé obligent les CSSS et leurs RLS respectifs à composer avec des stratégies paradoxales (la décentralisation des soins sur le plan régional par rapport à une recentralisation des responsabilités sur le plan local) qui les placent au cœur d’un processus complexe de transformations majeures. Plusieurs auteurs montrent que c’est par la combinaison de logiques d’action contradictoires – ascendantes et descendantes, routinières et innovatrices, verticales et horizontales – que les changements proposés par les stratégies d’intervention intersectorielle ont les meilleures chances de réussite (Bourque et Mercier, 2008; Trottier, 2010).

Plus précisément, les transformations associées au projet de réforme de 2003 du système de santé et de services sociaux au Québec trouvent leurs fondements sur trois aspects qui me semblent essentiels pour tout projet d’action collective au sein du système de santé: d’abord, les processus de régionalisation, qui trouvent leur légitimité au Québec au sein d’un système de valeurs fondé sur la santé des populations et qui se traduisent en politiques concrètes de décentralisation des soins et des services de proximité. Ensuite, la transformation progressive du système de santé en un système réticulaire articulé sur un territoire donné par un ensemble de réseaux locaux de services qui agissent sous l’égide des principes de responsabilité populationnelle et de hiérarchisation des services. Enfin, la concertation intersectorielle, qui promeut un processus complexe d’enchevêtrement des logiques d’action axé sur des pratiques participatives innovatrices des acteurs publics, privés et associatifs et orienté vers l’amélioration de la performance du système de santé.

En ce sens, la participation des acteurs de tous les secteurs d’intervention demeure au cœur des stratégies innovatrices d’amélioration de la performance du système de santé et de services sociaux québécois. Ces nouveaux acteurs se consolident dans le panorama social et de la santé, non seulement comme responsables ultimes de la santé publique, mais aussi comme décideurs en ce qui concerne la gouvernance des soins et des services de proximité de même que les multiples politiques publiques ayant une incidence sur la santé et le bien-être des populations.

Dès lors, le projet de loi no 10: Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales sur la réforme du système de santé et de services sociaux du Québec s’oppose à l’adoption d’une approche intersectorielle et participative de la gouvernance et développe une vision essentiellement centralisatrice des pouvoirs décisionnels. Ce projet de réforme semble ignorer les principes de promotion de la santé et de participation citoyenne annoncés en 1978 lors de la Déclaration d’Alma-Ata sur les soins de santé primaires et situe sur un deuxième plan les fonctions essentielles de la Santé publique annoncées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2002, axées sur la responsabilité collective de la santé et la prise en compte des déterminants socioéconomiques et sanitaires. Cette mise à l’écart d’une vision démocratique et participative du système de santé et de services sociaux québécois risque de négliger les propos fondés sur la gouvernance intersectorielle en tant que responsabilité sociale du secteur de la santé.

* * *

Les argumentations exposées dans ce texte suggèrent que la gouvernance intersectorielle requiert concrètement des modes d’action hybrides et participatifs cherchant à conjuguer les atouts d’une part, des actions collectives des groupes influents et d’autre part, des mécanismes de régulations territoriales, pour agir collectivement sur l’offre de soins et de services de proximité. Ici, l’instance régionale doit bénéficier de la participation des acteurs de tous les secteurs d’intervention pour améliorer la performance du système de santé tout en réduisant au minimum les effets négatifs des contraintes relatives à la disponibilité et à l’accessibilité des soins (A.P. Contandriopoulos et al., 2008; Denis, 2002).

Pour accroître leur capacité à produire des interventions innovatrices visant l’amélioration de la santé et du bien-être de la population, la mise en place des réseaux intégrés de santé promeut la participation de tous les acteurs concernés aux processus de gouvernance du système de santé. Cela permettrait de développer les régulations territoriales et les actions intersectorielles nécessaires à la configuration d’un espace d’action collective capable d’arriver à maturité et de se pérenniser au besoin sans que ne s’affecte l’accessibilité à des soins de qualité (Denis et al., 2011; Massé et Morisset, 2008).

Le projet de réforme de 2003 du système de santé et de services sociaux du Québec – fondé sur la l’implantation des réseaux intégrés de santé et les principes de gouvernance intersectorielle – apparaît comme un projet de changement innovateur, capable de rendre compte des mécanismes de régulation et des pratiques stratégiques pouvant simultanément instruire et stimuler la participation cohérente des acteurs de l’administration publique, du secteur privé et de la société civile aux décisions d’intérêt collectif en matière de santé et de bien-être. Ce type de gouvernance donne lieu à un projet d’action collective qui s’organise graduellement sous forme de «réseau de traduction des savoirs», ce qui lui donne une perspective innovatrice se configurant démocratiquement dans un contexte complexe de mobilisation des savoirs (Suárez-Herrera et al., 2013). Les acteurs responsables de la mise en place des initiatives fondées sur la gouvernance intersectorielle peuvent ainsi miser sur de nouveaux savoirs et des pratiques innovatrices nécessaires pour coordonner et mobiliser les différents leviers de décision conduisant à l’amélioration continue de la performance du système de santé et de services sociaux du Québec.


58. Assemblée nationale du Québec (2003). Projet de loi no 25: Loi sur les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux. Dernier accès le 21 mars 2017 sur le site: http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-25-37-1.html

59. Assemblée nationale du Québec (2005). Projet de loi no 83: Loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux et d’autres dispositions législatives. Dernier accès le 21 mars 2017 sur le site: http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-83-37-1.html

60. Assemblée nationale du Québec (2015). Projet de loi no 10: Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales. Dernier accès le 21 mars 2017 sur le site: http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-10-41-1.html

61. Les CISSS chapeautent l’ensemble du système de santé et de services sociaux, à raison d’un CISSS pour chacune des 16 régions sociosanitaires du Québec, exception faite de la région de Montréal, qui disposera de cinq CISSS et de la région de Montérégie, qui disposera de trois CISSS.

62. Modèle EGIPSS: Modèle global et intégré d’évaluation de la performance des systèmes de santé (cf. chapitre 1).