Du train Paris-Marseille


15 septembre 1952

Très cher René,

 

Je ne tenais plus en place alors me voilà dans le mistral pour rejoindre mon ange.

Excuse-moi de ne pas t’avoir fait signe avant de partir, mais j’étais débordé par mille choses, dont un accident. Figure-toi que j’avais invité Pierre35 pour le remercier de ce qu’il compte faire pour Dupin36, et le pauvre garçon se fait broyer la jambe par une moto juste derrière moi en sortant du restaurant.

Et me voilà à l’hôpital Cochin pour un temps, le cœur gros de cette culpabilité que l’on se donne si vite pour tout ce qui arrive aux amis si près de nous.

Bon. Ceci dit, il va mieux et la franchise de leur rencontre fut proche de ce que je pensais. Dupin a dû t’en parler, peut-être ce serait gentil de la part de Dupin de le voir à Cochin.

Hier, Grenier37 a débarqué chez moi pour me demander ton adresse téléphone au sujet de Camus-Sartre38, excuse-moi si j’ai répondu ne sachant que faire.

Quant à moi, pour longtemps et ici toujours ému d’aller vers cette lumière que l’on ne voit pas, parce qu’elle est la lumière même, ému de quitter Paris, vais bien, heureux, tu as bien travaillé cet été et tu n’arrêtes plus. J’emporte à Françoise La Guirlande terrestre pour un ange de plomb. Dieu sait si j’ai aimé le visage en calicot du Moyen Âge de ce titre, mais depuis qu’on m’a dit que tu l’avais supprimé, le paysage se cramponne mieux dans le soleil. Il y a des instants où je te vois comme un monument très rude.

 

Bon, cher vieux frère, je vais embrasser Françoise pour toi de tout cœur jusqu’à ce que tu le fasses toi-même.

 

À bientôt.

Nicolas