Correspondance
avec Georg Henrik von Wright

(1939-1951)

Georg Henrik von Wright (1916-2003) a d’abord travaillé les probabilités et la logique modale. Fondateur de la logique déontique (c’est-à-dire l’étude formelle des énoncés modaux du type « il est permis », « il est interdit », « il est obligatoire », « il est facultatif »1), il s’est attaché à montrer le caractère sui generis de l’intensionnel et a dénoncé les conceptions réductivistes de la modalité (plus particulièrement ses réductions extensionnelles). Sur la base de ces acquis, il a développé, dans Explanation and Understanding (Ithaca, Cornell, 1971), une théorie de l’action qui met en évidence la spécificité du syllogisme pratique, en montrant, d’une part, que la question de la compréhension excède celle de l’explication et, d’autre part, qu’il existe une analogie particulièrement féconde entre la compréhension d’une action et celle d’un langage. Il est aussi l’auteur de In the Shadow of Descartes (Francfort, Springer, 1998) et de Le Mythe du progrès (trad. fr. par Ph. Quesne, Paris, L’Arche, 2000).

Von Wright fit ses études à Helsinki où il fut l’élève d’Eino Kaila qui était en contact avec le Cercle de Vienne et qui lui fit travailler le Tractatus logico-philosophicus. Il envisageait d’aller à Vienne préparer un doctorat, mais l’Anschluss le contraignit à renoncer à ce projet. Il décida donc d’aller à Cambridge, où il arriva en 1939 pour découvrir, à sa plus grande surprise, que l’auteur du Tractatus y enseignait2.

Il assista aux « cours sur les fondements des mathématiques » et fut fortement impressionné par le type d’approche des problèmes philosophiques proposé par Wittgenstein. Il ne tarda pas à se lier avec lui, et leurs liens se resserrèrent lorsqu’en 1947 von Wright revint quelques mois à Cambridge, à l’invitation de la Faculté des sciences morales, pour donner une série de cours sur l’induction. En 1948, Wittgenstein appuya la candidature de von Wright à sa succession, dans la chaire dont il venait de démissionner. (Von Wright obtint le poste, mais il en démissionna à son tour, fin 1951, pour revenir à Helsinki, où il occupa, à partir de 1961, le poste de Research Professor de l’Académie de Finlande.)

Wittgenstein désigna G. H. von Wright avec G. E. M. Anscombe et R. Rhees comme ses exécuteurs littéraires. Von Wright s’acquitta de cette tâche avec le plus grand sérieux, il répertoria et classa scrupuleusement l’ensemble des « papiers » de Wittgenstein. C’est en réalité à lui que l’on doit une édition scientifique du corpus wittgensteinien.

À la différence de certains autres élèves de Wittgenstein (par exemple Norman Malcolm qu’il avait rencontré aux cours de Wittgenstein, en 1939, et dont il fut proche), von Wright ne s’est pas engagé dans l’exégèse wittgensteinienne. Mais il a néanmoins posé les jalons d’une interprétation intensionnelle des concepts fondamentaux du Tractatus3 et esquissé une interprétation de De la certitude4 qui ont fait date.

Sa philosophie est loin d’accréditer tous les présupposés de Wittgenstein, mais elle est néanmoins marquée par ses analyses. Ainsi, dans Explanation and Understanding, von Wright désavoue-t-il la distinction tranchée entre cause et raison mise en avant par Wittgenstein (en montrant qu’une explication quasi téléologique du comportement est possible), mais, à l’instar de Wittgenstein, il conçoit la compréhension par empathie comme la capacité à « participer à une forme de vie5 ». Et, dans In the Shadow of Descartes, il s’engage dans une critique de la privacy qui, bien qu’elle recroise sous certains rapports celle développée par Wittgenstein, accrédite (en la redéfinissant) l’idée de parallélisme psycho-physique qui est récusée par l’auteur des Recherches philosophiques.

É. R.

1. Cf. « Deontic Logic », Mind, vol. 60 (1951), et An Essay in Modal Logic, Amsterdam, North Holland, 1953.

2. Dans la « Memorial Address » qu’il a prononcée à la mort de Malcolm, G. H. von Wright confie qu’à son arrivée à Cambridge en 1939 « il savait certaines choses de la philosophie de Wittgenstein », mais « ignorait totalement que l’homme se trouvait à Cambridge » (cf. Norman Malcolm, Wittgenstein’s Themes, G. H. von Wright éd., Ithaca, Cornell, 1995, p. 207).

3. Cf. G. H. von Wright, « La logique modale et le Tractatus », in Wittgenstein, p. 195-212.

4. Cf. « Wittgenstein sur la certitude », loc. cit., p. 175-194.

5. Cf. Georg Henrik von Wright, Explanation and Understanding, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1971, p. 26.